Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Deux prières de Jésus

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Lecture : Luc VI, 12 ;
MARC 1, 35-38-

À quiconque veut prier, les conditions extérieures ne sont pas indifférentes. L'heure, le cadre, l'emplacement ont leur importance. Par les choses qui nous entourent, Dieu parle souvent à nos âmes ; il leur fournit l'inspiration qu'elles cherchent, le mot d'ordre qu'elles attendent de lui.

Jésus ne néglige jamais ces éléments de préparation à la prière. L'heure? Tantôt il se réserve l'ombre du ciel nocturne ; tantôt il préfère la radieuse splendeur d'un soleil levant. Le cadre ? Tantôt il choisit les horizons infinis du lac enchanteur ; tantôt l'âpre solitude d'une région désertique. L'emplacement ? Presque toujours une montagne, un lieu élevé : il lui faut, en quelque sorte, un piédestal pour ses entretiens avec son Père. Le grand faiseur de paraboles sait que le Dieu-esprit, dont il se sent le bien-aimé, parle avec lui en similitudes, à travers les aspects de la nature, comme il le fait lui-même avec ses disciples.

À l'appui de ces observations, voici un double exemple dans lequel on peut suivre, nous semble-t-il, la genèse et les étapes de deux prières du Sauveur. L'impression produite sur le Christ par une longue contemplation, une intense méditation devant les choses qui frappent ses regards, détermina en lui deux décisions qu'il a dû certainement considérer comme des inspirations, comme des réponses venant d'En haut.

1° Prière dans la nuit.
« Il se retira dans la montagne et passa la nuit à prier », dit Luc. Conclusion : « Le matin il en choisit douze ».

Est-ce vraiment se laisser aller à une interprétation trop imaginative que de relier entre eux ces deux membres de phrase, et d'y découvrir un rapport de cause à effet?
Voici le doux Maître en extase sous l'immensité de la voûte céleste. Dans ces gouffres obscurs, il admire le fourmillement des astres. Pour lui qui, si souvent, parle des ténèbres et de la lumière, n'est-ce pas une magnifique parabole que le Père déploie sur son front, dans le silence et le mystère de la nuit? À travers les abîmes de l'espace, n'est-ce pas lui qui mène ces astres comme un berger son troupeau? Certaines de ces étoiles cheminent seules dans l'infini. Pourquoi ces clartés qui s'épuisent à briller solitaires? Dieu les a-t-il semées là-haut comme ici-bas il a fait naître les patriarches, les prophètes, les grands inspirés et lui-même, le Fils de l'homme, pour se consumer dans l'isolement?

Mais pourquoi le Tout-Puissant s'est-il complu quelquefois à grouper aussi les étoiles, à les rapprocher en constellations? Pourquoi, comme se le demandait le vieux job, a-t-il crée l'Ourse, Orion, les Pléiades? Dieu a donc jugé à propos de réunir ces voyageuses éternelles pour qu'elles fusionnent leur rayonnement? Et Jésus comprend ; il fera comme son père. Il créera des constellations, des essaims, des familles d'âmes. Les enfants du royaume, dans le vaste empire des ténèbres, s'associeront en petits groupes pour mieux répandre leur lumière.

Et voilà, comme suite à cette méditation sous les étoiles, et a cette prière dans la nuit, le résultat pratique qui jaillit de l'Âme du Christ : c'est la conséquence directe du spectacle contemplé. Dès le matin, et sans plus attendre, il appelle la première phalange de ses disciples ; il en choisit douze, il les enverra deux à deux.

2° Prière aux premières lueurs du jour.
« Étant parti avant le jour, dit Marc, il alla dans une solitude pour prier». Conclusion: « A ses disciples qui le cherchaient il dit : Allons dans les villages voisins afin que j'y prêche aussi : c'est pour cela que je suis venu ».
Ici encore, est-ce trop s'aventurer que de faire appel à une vision de paysage pour expliquer la résolution soudaine que Jésus communique à ses disciples?
Il est parti pour une méditation matinale le jour n'est pas encore levé. Sous le ciel verdâtre qui annonce l'aube prochaine, il a gravi quelque monticule dominant le petit port de Capernaüm. De cette hauteur, tout en priant, il assiste à cette magnificence quotidienne qu'est un lever du grand astre sur les miroitements du lac. Peu à peu, les brumes s'entrouvrent, dégageant les plans successifs des rivages lointains. Alors, émergent les bourgades, la multitude des petites maisons blanches. Ces immensités qui se dévoilent l'une après l'autre sont peuplées d'âmes. Partout, dans ces villages, sous ces toits, dans ces campagnes, il y a des êtres qui peinent, qui souffrent et qui pleurent sans secours, sans consolations, sans espérance. Oh! que le monde apparaît grand à mesure que monte le soleil! Se lever aussi, comme un porteur de lumière! Éclairer de l'ombre! Agir, sur ces innombrables frères de misère, se donner, se sacrifier, vivre et mourir pour les sauver de la nuit ou Satan les torture, n'est-ce pas la plus humaine et la plus divine des tâches ?

Alors s'exalte, dans l'âme de Jésus, l'idéal du semeur de vérités, le zèle infatigable du missionnaire. Cette bonne nouvelle qu'il annonce, il faut la répandre partout, jusqu'aux extrémités de la terre, sans hésitation, sans retard. Aussi ne laisse-t-il pas à ses disciples qui le cherchent, le temps de l'interroger. Débordant d'enthousiasme après cette contemplation d'un monde qui s'éveille aux splendeurs d'un soleil levant, le Maître en les entraînant à sa suite, s'écrie : « Allons dans les villages voisins afin que j'y prêche aussi! ».

Voilà deux prières de Jésus avec l'explication possible de ce qu'il dut appeler une réponse d'En haut. Quand il priait, ayant ainsi choisi l'heure et préparé avec soin l'ambiance, il entendait, à travers les choses et les spectacles de la nature, le doux murmure d'une voix paternelle. Dans une sorte de confidence pleine d'amour reconnaissant, il disait à son Père : « je sais que tu m'exauces toujours, que toujours tu me réponds ».
Les disciples soupçonnaient-ils quelque chose du mystère de ses prières quand ils lui demandaient : « Seigneur, apprends-nous à prier » ?
À qui sait regarder le ciel et la terre, tout peut devenir un adjuvant à la prière.

Des gouffres de l'ombre comme de l'éblouissement des aurores, de l'infini qui nous domine aussi bien que de la poussière de cette pauvre terre, des accents divins descendent ou montent. De jour ou de nuit, Quelqu'un est là... et qui nous parle; à la condition cependant que nous sachions comme Jésus, voir et entendre au moment où nous implorons l'Esprit.

O notre Dieu, si nous savions, nous aussi, nous réserver, chaque jour, quelques instants de recueillement comme le Christ, de méditation, de prière, quels bienfaits nous retirerions de cet isolement, loin du monde et de ses soucis, pour une rencontre, un tête à tête avec toi 1 Que d'inspirations nous pourrions tirer de ces instants de calme où l'on oublie toutes les vulgarités, toutes les misères de la vie quotidienne, pour s'élever dans le domaine supérieur d'une haute pensée et d'un bon sentiment. Que cet instant de prière soit réservé au ,début ou à la fin de nos journées, devant des soleils levants, ou sous des nuits étoilées, nous apprendrions à percevoir au fond de nous-mêmes, comme autour de nous, dans les choses et dans les êtres, des voix qui nous parleraient, nous consoleraient, nous souffleraient à la fois courage, espérance, idéal et confiance. Apprends-nous donc à nous recueillir plus souvent en ta présence, à faire taire tous les bruits du monde et toutes les voix importunes qui s'élèvent en nous ; et alors, dans le silence profond de la prière nous te dirons avec l'un de tes grands serviteurs :

O Dieu de Vérité, pour qui seul je soupire,
Unis mon coeur à toi par de forts et doux noeuds.
Je me lasse d'ouïr, je me lasse de lire,
Mais non pas de te dire : C'est toi seul que je veux.

Parle seul à nos coeurs et qu'aucune prudence Qu'aucun autre docteur ne m'explique tes lois; Que toute créature, en ta sainte présence S'impose le silence et laisse agir ta voix.


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Du scrupule

 

Lecture : Luc, XVI.

 

Il est un mot qu'on emploie beaucoup aujourd'hui, mais avec l'intention de le battre en brèche et de le supprimer de notre vocabulaire, ainsi que de notre mentalité, car il est gênant ce mot, c'est celui de scrupule.
N'ayez pas de scrupules ; ne vous faites pas de scrupules. Voilà la devise de plus en plus en usage et en honneur.

Voulez-vous vivre tranquillement, et jouir de la vie? Ne vous embarrassez pas d'une morale trop stricte et trop austère.

Voulez-vous garder quelques dehors d'habitudes religieuses, un peu de piété chrétienne à votre foyer ? Faites-vous une religion accommodante et large, c'est-à-dire pleine d'indulgence aux moeurs et aux idées du jour : la perfection n'est pas de ce monde.

Voulez-vous vous faire une situation commerciale, industrielle? Arrière l'esprit trop scrupuleux ; il empêche de réussir, de profiter de l'occasion. En affaires, trop de délicatesse paralyse et rend dupe.

Voulez-vous vous faire un nom dans la politique, dans les arts? Ne soyez pas les esclaves de principes trop intransigeants, de préjugés d'honneur exagéré ou d'honnêteté trop intraitable, voire de méthodes trop loyales.

Exercez-vous un métier? Ne perdez pas votre temps à ce que des naïfs appellent le travail trop fini, trop consciencieux. Aujourd'hui, le temps, c'est de l'argent. Le fignolage, la minutie rapportent moins que le travail bâclé ou même saboté...
Et pourquoi cette déconsidération du scrupule? Parce qu'on aspire à aller vite. Il faut arriver aux grandes choses sans retard. On veut la fortune rapide. La jouissance n'admet pas de délai. À d'autres la patience, l'attente dans l'effort, la lente venue du succès!

Qu'adviendra-t-il de cet état d'esprit qui s'affirme et qui s'affiche de plus en plus ? Nous voyons déjà qu'il suscite des crises pénibles dans nos familles. 'Entre une certaine jeunesse qui monte, et les générations qui l'ont précédée, il y a une totale impossibilité d'entente.
Certainement cette morale de la réussite à tout prix produira bien des désillusions, des découragements et même des désespoirs. Car, pour quelques-uns qui pourront s'applaudir d'avoir suivi ces théories avilissantes, bon nombre reconnaîtront plus tard, et trop tard, la fausseté d'un idéal avec lequel ils ont manqué, gâché et irrémédiablement perdu leur vie.

Aussi, est-il urgent de montrer l'antithèse entre la maxime du Christ et le mot d'ordre actuel. Ce dernier peut se formuler ainsi : « Négligeons les petites choses pour atteindre plus vite aux grandes ». Jésus, au contraire, nous dit : « Observez scrupuleusement les petites choses pour être dignes un jour des grandes ».

Les petites choses! Lorsqu'on veut traduire en langage moral ou religieux cette expression, on trouve le mot de scrupule.

Qu'est-ce que le scrupule ? Chez les anciens, c'est un petit caillou, un poids très léger, d'environ un gramme et demi. On le plaçait dans la balance pour obtenir une pesée exacte. Faute de scrupules, le marchand ne peut se rendre compte de la valeur de ses produits. Plus la denrée est précieuse, plus il faut l'évaluer à l'aide de scrupules.
Sans eux, la balance, même de précision, devient inutile ; elle reste muette, indécise, affolée ou, comme on dit, déséquilibrée.
Déséquilibrée! Et ce mot prend soudain un sens d'actualité car on l'applique volontiers à notre époque. Elle est déséquilibrée, mal pondérée, répète-t-on.
D'ailleurs, remarquez le rapprochement constant que le langage courant fait, comme d'instinct, entre les choses morales et celles qui se pèsent et se mesurent. On parle de peser une résolution, un acte ; d'évaluer la capacité d'une intelligence ; et l'on parle aussi du poids d'une faute. Une expression même a fait fortune ces derniers temps, c'est celle d'impondérables. On s'est appliqué à montrer dans la vie individuelle comme dans celle des Sociétés et des Nations, l'importance de ces petites choses qu'on avait regardées comme négligeables.

Or, Jésus a ouvert en morale et en religion, des perspectives immenses et insoupçonnées sur le rôle capital des impondérables, sur le monde des infiniment petits et des ultra-visibles de la conscience. Dans la moindre infraction morale, il découvre, comme au microscope, une multitude de germes invisibles capables de déterminer la mort de l'âme et les pires fléaux autour de nous.

Souvent les moralistes avaient certes insisté sur le défaut d'attention aux petites choses : le clou, qui manque au fer à cheval, et qui amène l'accident, en est un exemple classique. Que ne pourrait-on dire aujourd'hui de ces négligences d'infimes détails par le manque de conscience professionnelle ? À une heure où nous sommes arrivés à discipliner les forces colossales de la nature, la considération des petites choses apparaît plus importante que jamais. Une goutte de soudure oubliée à une machine, à un tuyau, dans un navire; un boulon mal serré sur une voie de chemin de fer, et voici d'effroyables catastrophes.
Il faut donc du scrupule professionnel, dit la sagesse vulgaire. Il en faut, dirons-nous, à tous les étages, à tous les rangs de la vie sociale. Et d'où viendra ce respect de la petite chose, si ce n'est des sources profondes de la vie personnelle, intérieure ? Et d'où jaillissent-elles, ces sources, avec leur plus grande puissance et leur plus pure limpidité, si ce n'est de l'âme plongeant dans la morale et dans la foi chrétiennes ?

Celui qui se met à l'école du Christ, voit s'élargir et s'approfondir, de plus en plus, le domaine des obligations de conscience et de coeur. Le cercle des petites choses, la multitude des petits devoirs, il en reconnaît toujours davantage l'importance. Il comprend qu'en observant ce que tant d'autres envisagent comme des minuties, des insignifiances négligeables, il se grandit lui-même en force et en valeur morales ; et non pas seulement à ses propres yeux, mais devant tes hommes parmi lesquels et sur lesquels il agit, et devant Dieu qui le regarde.

S'appliquer à la fidélité aux petites choses, avec toutes les facultés de son âme, c'est donc faire un apprentissage mystérieux qui nous conduit à une maîtrise de nous-mêmes et à une conquête progressive de la vie supérieure qu'on peut même prolonger jusqu'aux horizons de l'au delà. Quels que soient le rang ou le rôle que la volonté d'En-Haut nous assigne, la fidélité aux petites choses élève, élargit, illumine la moindre existence. Car, malgré les apparences qu'elle nous offre, malgré les appréciations que nous pouvons en faire, la vie reste toujours petite quand on la considère au point de vue purement humain : mais elle est toujours grande et noble quand, avec l'esprit du Maître, on s'y sent en contact avec la puissance divine qui nous aide.

O notre Dieu, apprends-nous à être fidèles dans les petites choses, à faire notre devoir de chaque jour quel qu'il soit, aussi humble, aussi insignifiant qu'il puisse nous paraître, avec sérieux, avec ponctualité, avec le souci de n'avoir jamais rien à nous reprocher. Nous aurons ainsi une impression de calme, de sérénité intérieure qui proviendra du sentiment que notre conscience est en harmonie avec toi et s'inspire toujours de ton esprit, inspirateur de nos paroles et de nos actes.


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La patience

 

COLOSSIENS, III, 12.

Le grand art, dans la vie religieuse, consiste à savoir monnayer en petites vertus d'usage courant, de circulation facile, l'or pur des hautes croyances. Si notre christianisme ne se traduit pas au dehors par des actes de moralité, si ce n'est pas un capital d'idées produisant régulièrement, comme intérêts, des énergies sociales bienfaisantes, il n'est rien qu'un cliquetis de mots, une spéculation sans portée. L'apôtre Pierre a traduit d'ailleurs sous cette forme la même pensée : « Faites tous vos efforts pour produire, avec votre Foi, la Vertu » (2 Pierre 1, 5).

Et parmi ces petites vertus que produit la Foi, en voici une à mettre en relief : la Patience.

La Patience, direz-vous, c'est une qualité de grand prix, évidemment, mais à laquelle peuvent suffire certaines inclinations de tempérament ; un peu de bonhomie naturelle, un grain de philosophie ; c'est affaire de morale et non de religion!
Détrompez-vous. Le Christianisme s'installe dans tous les coins de l'âme et tous les replis du coeur ; il fait siennes les moindres qualités. La Patience, affaire de tempérament ou de bon vouloir, dit le monde ; et soudain l'apôtre Paul la fait jaillir des profondeurs mêmes de la vie en Dieu : « Le fruit de l'Esprit c'est la Patience » (Galates, V, 22). Il en est ainsi de toute la pensée chrétienne : elle recrée une science de l'âme, une psychologie bien à elle, en s'insinuant, en se glissant dans les dessous de notre nature pour lui servir de support et de levier.
Mais essayons de soumettre à l'analyse cette vertu, de la présenter sous l'aspect que va lui donner le Christianisme. Vous la distinguerez vite de la qualité qu'on désigne d'ordinaire sous le même nom et qui consiste à supporter les hommes et les événements sans trop s'émouvoir, sans sortir d'un certain calme.

Patience! mot profond ou l'étymologie de souffrance et le sens de longanimité se confondent et se condensent. Pour le disciple, c'est de la confiance qui sait attendre avec indulgence, avec pardon ; c'est de la sensibilité qui souffre avec espérance ; c'est de la paix d'en haut qui s'infiltre dans l'âme ; c'est de la bonté qui s'interpose entre le coeur et le choc de toutes les violences.
En passant en revue certaines expressions de l'Écriture, on peut reconnaître comme une gradation de cette belle et douce vertu, allant de l'extérieur à l'intérieur de notre être, le pénétrant à la façon de ces rayons obscurs qui cheminent en portant la vie.

Prenons, pour aujourd'hui, le premier de ces mots typiques ; il est de saint Paul : « Revêtez-vous de Patience ». Oui, revêtons-nous de patience, comme on se revêt d'un manteau protecteur, d'une robe où l'on se drape, d'une armure qui rend invulnérable. Le conseil est presque d'ordre physique, physiologique, car c'est bien à la surface même de notre organisme, à fleur de peau, sur le tissu de notre chair, qu'il faudrait appliquer cette vertu protectrice. À notre époque, c'est là qu'elle manque et que son absence apporte les troubles les plus lamentables. Oh! les pauvres créatures à impressionnabilité vraiment maladive, à sensibilité nerveuse outrée, chez lesquelles le niveau d'égalité d'humeur est soumis aux plus fantastiques soubresauts!

Tristes ou joyeuses, selon la couleur du ciel, le hasard d'une rencontre, exagérant tout, s'exaspérant de tout, irascibles pour des vétilles, désolées jusqu'aux larmes pour le moindre contretemps, révoltées aux plus petits obstacles, elles rendent l'existence impossible aux autres et impossible à elles-mêmes.

Ne soyons pas de ces personnalités étranges et malheureuses qui vibrent ou se brisent comme un cristal à toute commotion de l'extérieur, qui s'habituent à enregistrer, avec une acuité toujours plus douloureuse, les effluves de leur milieu. Disons-nous qu'il y a de petites vertus à placer comme gardiennes sur les confins de notre être physique et que la patience est une des plus tutélaires : Revêtez-vous de patience!...

O belle et douce vertu, que de miracles tu pourrais faire dans tous les milieux où nous devons vivre, lutter, souffrir, si nous savions te demander à Dieu chaque matin et te prendre comme un vêtement au début de chaque journée!

Revêtez-vous de patience! Et vaquez aux soins du foyer conjugal. Soudain, l'atmosphère se détend : plus de mots vifs, de susceptibilités qui dégénèrent en querelles, qui déchirent les vieux souvenirs d'amour vrai! Tout s'oublie dans le support et le pardon mutuels.

Revêtez-vous de patience! Et reprenez votre tâche délicate où vous croyez exceller et où vous échouez si souvent d'une manière lamentable, pères, mères, professeurs, institutrices, parce que vous négligez, devant l'enfant que Dieu vous confie, la recommandation de l'Évangile : « Possédez vos âmes par la patience ».

Revêtez-vous de patience! Maîtres, maîtresses de maison, chefs d'atelier ou de bureau, et vous, serviteurs, employés, ouvriers ; n'oubliez pas qu'en ce petit mot, interprété d'une façon chrétienne, se trouve peut-être la solution des grands conflits où s'amasse la haine de classes dans le monde du travail.

Revêtez-vous de patience, vous qui souffrez dans vos âmes et dans vos consciences ; vous qui attendez le triomphe de la justice ou de l'Idée féconde, car la patience c'est de l'espoir en Dieu ; et comme le disait saint Jacques, c'est la véritable épreuve de votre Foi! (Jacques, 1, 2).

Revêtez-vous de patience, vous qui vous sentez atteints dans votre corps par quelque maladie longue et douloureuse dont vous ne voyez pas le terme, dont vous ne sentez pas les progrès vers le mieux. Vous qui connaissez les insomnies angoissées sur un lit d'agonie, vous qui avez dû renoncer à toute activité, à toutes les joies insouciantes de la vie en pleine santé : revêtez-vous de patience.

Revêtez-vous enfin de patience, vous qui avez vu disparaître vos plus chères affections, vous qui connaissez la solitude du deuil, vous qui marchez au milieu des ruines de vos bonheurs d'autrefois. Ayez, dit l'Apôtre, la patience des saints. Ils ont compris que la douleur pouvait être un moyen de perfectionnement, de transfiguration pour leurs âmes ; car supporter avec une confiante résignation une grande épreuve, c'est avoir la persuasion que nous ne sommes pas seuls dans les passages obscurs de la vie, mais que quelqu'un de plus grand que nous, comme disait Jésus, est avec nous; qu'une puissance de pitié mystérieuse nous soutient au jour le jour, nous donne la goutte d'eau rafraîchissante et nécessaire du courage quotidien, nous enveloppe du rayon béni de sa grâce tutélaire, et nous répète : « Ne crains rien, je suis avec toi ». C'est une force suffisante pour tout accepter en gardant au fond de soi-même la foi inébranlable des grandes âmes chrétiennes : Oui, revêtez-vous de patience!

O notre Dieu, Dieu de Jésus-Christ, qui lui-même fut la patience devant le mal et le malheur, à qui irions-nous, si ce n'est à toi pour demander cette grande force de courage qui nous manque si souvent? Nous en avons tant besoin que nous élevons vers toi nos yeux et nos coeurs suppliants, vers toi, source de ravitaillement moral et de résistance. Apprends-nous à rester debout sans faiblir et sans perdre espoir! Entends nos prières ardentes, nos cris de découragement dans nos épreuves trop lourdes, et nous sentirons peu à peu descendre en nous la divine vertu sans laquelle nous sommes incapables de vivre et que seul tu peux nous donner.

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