Lecture : Luc
VI, 12 ;
MARC
1, 35-38-
À quiconque veut prier, les
conditions extérieures ne sont pas
indifférentes. L'heure, le cadre,
l'emplacement ont leur importance. Par les choses
qui nous entourent, Dieu parle souvent à nos
âmes ; il leur fournit l'inspiration qu'elles
cherchent, le mot d'ordre qu'elles attendent de
lui.
Jésus ne néglige jamais
ces éléments de préparation
à la prière. L'heure? Tantôt il
se réserve l'ombre du ciel nocturne ;
tantôt il préfère la radieuse
splendeur d'un soleil levant. Le cadre ?
Tantôt il choisit les horizons infinis du lac
enchanteur ; tantôt l'âpre solitude
d'une région désertique.
L'emplacement ? Presque toujours une montagne, un
lieu élevé : il lui faut, en quelque
sorte, un piédestal pour ses entretiens avec
son Père. Le grand faiseur de paraboles sait
que le Dieu-esprit, dont il se sent le
bien-aimé, parle avec lui en similitudes, à travers
les aspects de
la nature, comme il le fait lui-même avec ses
disciples.
À l'appui de ces observations,
voici un double exemple dans lequel on peut suivre,
nous semble-t-il, la genèse et les
étapes de deux prières du Sauveur.
L'impression produite sur le Christ par une longue
contemplation, une intense méditation devant
les choses qui frappent ses regards,
détermina en lui deux décisions qu'il
a dû certainement considérer comme des
inspirations, comme des réponses venant d'En
haut.
1° Prière dans la
nuit.
« Il se retira dans la montagne et
passa la nuit à prier », dit Luc.
Conclusion : « Le matin il en choisit douze
».
Est-ce vraiment se laisser aller
à une interprétation trop imaginative
que de relier entre eux ces deux membres de phrase,
et d'y découvrir un rapport de cause
à effet?
Voici le doux Maître en extase
sous l'immensité de la voûte
céleste. Dans ces gouffres obscurs, il
admire le fourmillement des astres. Pour lui qui,
si souvent, parle des ténèbres et de
la lumière, n'est-ce pas une magnifique parabole
que le Père
déploie sur son front, dans le silence et le
mystère de la nuit? À travers les
abîmes de l'espace, n'est-ce pas lui qui
mène ces astres comme un berger son
troupeau? Certaines de ces étoiles cheminent
seules dans l'infini. Pourquoi ces clartés
qui s'épuisent à briller solitaires?
Dieu les a-t-il semées là-haut comme
ici-bas il a fait naître les patriarches, les
prophètes, les grands inspirés et
lui-même, le Fils de l'homme, pour se
consumer dans l'isolement?
Mais pourquoi le Tout-Puissant s'est-il
complu quelquefois à grouper aussi les
étoiles, à les rapprocher en
constellations? Pourquoi, comme se le demandait le
vieux job, a-t-il crée l'Ourse, Orion, les
Pléiades? Dieu a donc jugé à
propos de réunir ces voyageuses
éternelles pour qu'elles fusionnent leur
rayonnement? Et Jésus comprend ; il fera
comme son père. Il créera des
constellations, des essaims, des familles
d'âmes. Les enfants du royaume, dans le vaste
empire des ténèbres, s'associeront en
petits groupes pour mieux répandre leur
lumière.
Et voilà, comme suite à
cette méditation sous les étoiles, et
a cette prière dans la nuit, le
résultat pratique qui jaillit de l'Âme
du Christ : c'est la conséquence directe du
spectacle contemplé. Dès le matin, et
sans plus attendre, il appelle la
première phalange de ses disciples ; il en
choisit douze, il les enverra deux à
deux.
2° Prière aux
premières lueurs du jour.
« Étant parti avant le jour,
dit Marc, il alla dans une solitude pour
prier». Conclusion: « A ses disciples qui
le cherchaient il dit : Allons dans les villages
voisins afin que j'y prêche aussi : c'est
pour cela que je suis venu ».
Ici encore, est-ce trop s'aventurer que
de faire appel à une vision de paysage pour
expliquer la résolution soudaine que
Jésus communique à ses
disciples?
Il est parti pour une méditation
matinale le jour n'est pas encore levé. Sous
le ciel verdâtre qui annonce l'aube
prochaine, il a gravi quelque monticule dominant le
petit port de Capernaüm. De cette hauteur,
tout en priant, il assiste à cette
magnificence quotidienne qu'est un lever du grand
astre sur les miroitements du lac. Peu à
peu, les brumes s'entrouvrent, dégageant les
plans successifs des rivages lointains. Alors,
émergent les bourgades, la multitude des
petites maisons blanches. Ces immensités qui
se dévoilent l'une après l'autre sont
peuplées d'âmes. Partout, dans ces villages, sous
ces toits,
dans
ces campagnes, il y a des êtres qui peinent,
qui souffrent et qui pleurent sans secours, sans
consolations, sans espérance. Oh! que le
monde apparaît grand à mesure que
monte le soleil! Se lever aussi, comme un porteur
de lumière! Éclairer de l'ombre!
Agir, sur ces innombrables frères de
misère, se donner, se sacrifier, vivre et
mourir pour les sauver de la nuit ou Satan les
torture, n'est-ce pas la plus humaine et la plus
divine des tâches ?
Alors s'exalte, dans l'âme de
Jésus, l'idéal du semeur de
vérités, le zèle infatigable
du missionnaire. Cette bonne nouvelle qu'il
annonce, il faut la répandre partout,
jusqu'aux extrémités de la terre,
sans hésitation, sans retard. Aussi ne
laisse-t-il pas à ses disciples qui le
cherchent, le temps de l'interroger.
Débordant d'enthousiasme après cette
contemplation d'un monde qui s'éveille aux
splendeurs d'un soleil levant, le Maître en
les entraînant à sa suite,
s'écrie : « Allons dans les villages
voisins afin que j'y prêche aussi!
».
Voilà deux prières de
Jésus avec l'explication possible de ce
qu'il dut appeler une réponse d'En haut. Quand
il priait, ayant ainsi choisi l'heure et
préparé avec soin l'ambiance, il
entendait, à travers les choses et les
spectacles de la nature, le doux murmure d'une voix
paternelle. Dans une sorte de confidence pleine
d'amour reconnaissant, il disait à son
Père : « je sais que tu m'exauces
toujours, que toujours tu me réponds
».
Les disciples soupçonnaient-ils
quelque chose du mystère de ses
prières quand ils lui demandaient : «
Seigneur, apprends-nous à prier »
?
À qui sait regarder le ciel et la
terre, tout peut devenir un adjuvant à la
prière.
Des gouffres de l'ombre comme de
l'éblouissement des aurores, de l'infini qui
nous domine aussi bien que de la poussière
de cette pauvre terre, des accents divins
descendent ou montent. De jour ou de nuit,
Quelqu'un est là... et qui nous parle;
à la condition cependant que nous sachions
comme Jésus, voir et entendre au moment
où nous implorons l'Esprit.
O notre Dieu, si nous savions, nous
aussi, nous réserver, chaque jour, quelques
instants de recueillement comme le Christ, de
méditation, de prière, quels
bienfaits nous retirerions de
cet isolement, loin du monde et de ses soucis, pour
une rencontre, un tête à tête
avec toi 1 Que d'inspirations nous pourrions tirer
de ces instants de calme où l'on oublie
toutes les vulgarités, toutes les
misères de la vie quotidienne, pour
s'élever dans le domaine supérieur
d'une haute pensée et d'un bon sentiment.
Que cet instant de prière soit
réservé au ,début ou à
la fin de nos journées, devant des soleils
levants, ou sous des nuits étoilées,
nous apprendrions à percevoir au fond de
nous-mêmes, comme autour de nous, dans les
choses et dans les êtres, des voix qui nous
parleraient, nous consoleraient, nous souffleraient
à la fois courage, espérance,
idéal et confiance. Apprends-nous donc
à nous recueillir plus souvent en ta
présence, à faire taire tous les
bruits du monde et toutes les voix importunes qui
s'élèvent en nous ; et alors, dans le
silence profond de la prière nous te dirons
avec l'un de tes grands serviteurs :
Parle seul à nos coeurs et qu'aucune prudence Qu'aucun autre docteur ne m'explique tes lois; Que toute créature, en ta sainte présence S'impose le silence et laisse agir ta voix.
Lecture : Luc, XVI.
Il est un mot qu'on emploie beaucoup
aujourd'hui, mais avec l'intention de le battre en
brèche et de le supprimer de notre
vocabulaire, ainsi que de notre mentalité,
car il est gênant ce mot, c'est celui de
scrupule.
N'ayez pas de scrupules ; ne vous faites
pas de scrupules. Voilà la devise de plus en
plus en usage et en honneur.
Voulez-vous vivre tranquillement, et
jouir de la vie? Ne vous embarrassez pas d'une
morale trop stricte et trop austère.
Voulez-vous garder quelques dehors
d'habitudes religieuses, un peu de
piété chrétienne à
votre foyer ? Faites-vous une religion accommodante
et large, c'est-à-dire pleine d'indulgence
aux moeurs et aux idées du jour : la
perfection n'est pas de ce monde.
Voulez-vous vous faire une situation
commerciale, industrielle? Arrière l'esprit
trop scrupuleux ; il empêche de
réussir, de profiter de
l'occasion. En affaires, trop de délicatesse
paralyse et rend dupe.
Voulez-vous vous faire un nom dans la
politique, dans les arts? Ne soyez pas les esclaves
de principes trop intransigeants, de
préjugés d'honneur
exagéré ou d'honnêteté
trop intraitable, voire de méthodes trop
loyales.
Exercez-vous un métier? Ne perdez
pas votre temps à ce que des naïfs
appellent le travail trop fini, trop consciencieux.
Aujourd'hui, le temps, c'est de l'argent. Le
fignolage, la minutie rapportent moins que le
travail bâclé ou même
saboté...
Et pourquoi cette
déconsidération du scrupule? Parce
qu'on aspire à aller vite. Il faut arriver
aux grandes choses sans retard. On veut la fortune
rapide. La jouissance n'admet pas de délai.
À d'autres la patience, l'attente dans
l'effort, la lente venue du succès!
Qu'adviendra-t-il de cet état
d'esprit qui s'affirme et qui s'affiche de plus en
plus ? Nous voyons déjà qu'il suscite
des crises pénibles dans nos familles.
'Entre une certaine jeunesse qui monte, et les
générations qui l'ont
précédée, il y a une totale
impossibilité d'entente.
Certainement cette morale de la
réussite à tout prix produira bien
des désillusions, des découragements
et même des désespoirs. Car, pour quelques-uns qui
pourront
s'applaudir d'avoir suivi ces théories
avilissantes, bon nombre reconnaîtront plus
tard, et trop tard, la fausseté d'un
idéal avec lequel ils ont manqué,
gâché et
irrémédiablement perdu leur
vie.
Aussi, est-il urgent de montrer
l'antithèse entre la maxime du Christ et le
mot d'ordre actuel. Ce dernier peut se formuler
ainsi : « Négligeons les petites choses
pour atteindre plus vite aux grandes ».
Jésus, au contraire, nous dit : «
Observez scrupuleusement les petites choses pour
être dignes un jour des grandes
».
Les petites choses! Lorsqu'on veut
traduire en langage moral ou religieux cette
expression, on trouve le mot de scrupule.
Qu'est-ce que le scrupule ? Chez les
anciens, c'est un petit caillou, un poids
très léger, d'environ un gramme et
demi. On le plaçait dans la balance pour
obtenir une pesée exacte. Faute de
scrupules, le marchand ne peut se rendre compte de
la valeur de ses produits. Plus la denrée
est précieuse, plus il faut l'évaluer
à l'aide de scrupules.
Sans eux, la balance, même de
précision, devient inutile ; elle reste
muette, indécise, affolée ou, comme
on dit, déséquilibrée.
Déséquilibrée! Et
ce mot prend soudain un sens d'actualité car
on l'applique volontiers à notre
époque. Elle est
déséquilibrée, mal
pondérée,
répète-t-on.
D'ailleurs, remarquez le rapprochement
constant que le langage courant fait, comme
d'instinct, entre les choses morales et celles qui
se pèsent et se mesurent. On parle de peser
une résolution, un acte ; d'évaluer
la capacité d'une intelligence ; et l'on
parle aussi du poids d'une faute. Une expression
même a fait fortune ces derniers temps, c'est
celle d'impondérables. On s'est
appliqué à montrer dans la vie
individuelle comme dans celle des
Sociétés et des Nations, l'importance
de ces petites choses qu'on avait regardées
comme négligeables.
Or, Jésus a ouvert en morale et
en religion, des perspectives immenses et
insoupçonnées sur le rôle
capital des impondérables, sur le monde des
infiniment petits et des ultra-visibles de la
conscience. Dans la moindre infraction morale, il
découvre, comme au microscope, une multitude
de germes invisibles capables de déterminer
la mort de l'âme et les pires fléaux
autour de nous.
Souvent les moralistes avaient certes
insisté sur le défaut d'attention aux
petites choses : le clou, qui
manque au fer à cheval, et qui amène
l'accident, en est un exemple classique. Que ne
pourrait-on dire aujourd'hui de ces
négligences d'infimes détails par le
manque de conscience professionnelle ? À une
heure où nous sommes arrivés à
discipliner les forces colossales de la nature, la
considération des petites choses
apparaît plus importante que jamais. Une
goutte de soudure oubliée à une
machine, à un tuyau, dans un navire; un
boulon mal serré sur une voie de chemin de
fer, et voici d'effroyables catastrophes.
Il faut donc du scrupule professionnel,
dit la sagesse vulgaire. Il en faut, dirons-nous,
à tous les étages, à tous les
rangs de la vie sociale. Et d'où viendra ce
respect de la petite chose, si ce n'est des sources
profondes de la vie personnelle, intérieure
? Et d'où jaillissent-elles, ces sources,
avec leur plus grande puissance et leur plus pure
limpidité, si ce n'est de l'âme
plongeant dans la morale et dans la foi
chrétiennes ?
Celui qui se met à l'école
du Christ, voit s'élargir et s'approfondir,
de plus en plus, le domaine des obligations de
conscience et de coeur. Le cercle des petites
choses, la multitude des petits
devoirs, il en reconnaît toujours davantage
l'importance. Il comprend qu'en observant ce que
tant d'autres envisagent comme des minuties, des
insignifiances négligeables, il se grandit
lui-même en force et en valeur morales ; et
non pas seulement à ses propres yeux, mais
devant tes hommes parmi lesquels et sur lesquels il
agit, et devant Dieu qui le regarde.
S'appliquer à la
fidélité aux petites choses, avec
toutes les facultés de son âme, c'est
donc faire un apprentissage mystérieux qui
nous conduit à une maîtrise de
nous-mêmes et à une conquête
progressive de la vie supérieure qu'on peut
même prolonger jusqu'aux horizons de l'au
delà. Quels que soient le rang ou le
rôle que la volonté d'En-Haut nous
assigne, la fidélité aux petites
choses élève, élargit,
illumine la moindre existence. Car, malgré
les apparences qu'elle nous offre, malgré
les appréciations que nous pouvons en faire,
la vie reste toujours petite quand on la
considère au point de vue purement humain :
mais elle est toujours grande et noble quand, avec
l'esprit du Maître, on s'y sent en contact
avec la puissance divine qui nous aide.
O notre Dieu, apprends-nous à
être fidèles dans
les petites choses, à faire notre devoir de
chaque jour quel qu'il soit, aussi humble, aussi
insignifiant qu'il puisse nous paraître, avec
sérieux, avec ponctualité, avec le
souci de n'avoir jamais rien à nous
reprocher. Nous aurons ainsi une impression de
calme, de sérénité
intérieure qui proviendra du sentiment que
notre conscience est en harmonie avec toi et
s'inspire toujours de ton esprit, inspirateur de
nos paroles et de nos actes.
COLOSSIENS,
III,
12.
Le grand art, dans la vie religieuse,
consiste à savoir monnayer en petites vertus
d'usage courant, de circulation facile, l'or pur
des hautes croyances. Si notre christianisme ne se
traduit pas au dehors par des actes de
moralité, si ce n'est pas un capital
d'idées produisant
régulièrement, comme
intérêts, des énergies sociales
bienfaisantes, il n'est rien qu'un cliquetis de
mots, une spéculation sans portée.
L'apôtre Pierre a traduit d'ailleurs sous
cette forme la même pensée : «
Faites tous vos efforts pour produire, avec votre
Foi, la Vertu »
(2
Pierre 1, 5).
Et parmi ces petites vertus que produit
la Foi, en voici une à mettre en relief : la
Patience.
La Patience, direz-vous, c'est une
qualité de grand prix, évidemment,
mais à laquelle peuvent suffire certaines
inclinations de tempérament ; un peu de
bonhomie naturelle, un grain de
philosophie ; c'est affaire de morale et non de
religion!
Détrompez-vous. Le Christianisme
s'installe dans tous les coins de l'âme et
tous les replis du coeur ; il fait siennes les
moindres qualités. La Patience, affaire de
tempérament ou de bon vouloir, dit le monde
; et soudain l'apôtre Paul la fait jaillir
des profondeurs mêmes de la vie en Dieu :
« Le fruit de l'Esprit c'est la Patience
» (Galates, V, 22). Il en est ainsi de toute
la pensée chrétienne : elle
recrée une science de l'âme, une
psychologie bien à elle, en s'insinuant, en
se glissant dans les dessous de notre nature pour
lui servir de support et de levier.
Mais essayons de soumettre à
l'analyse cette vertu, de la présenter sous
l'aspect que va lui donner le Christianisme. Vous
la distinguerez vite de la qualité qu'on
désigne d'ordinaire sous le même nom
et qui consiste à supporter les hommes et
les événements sans trop
s'émouvoir, sans sortir d'un certain
calme.
Patience! mot profond ou
l'étymologie de souffrance et le sens de
longanimité se confondent et se condensent.
Pour le disciple, c'est de la confiance qui sait
attendre avec indulgence, avec pardon ; c'est de la
sensibilité qui souffre avec
espérance ; c'est de la paix d'en haut qui
s'infiltre
dans
l'âme ; c'est de la bonté qui
s'interpose entre le coeur et le choc de toutes les
violences.
En passant en revue certaines
expressions de l'Écriture, on peut
reconnaître comme une gradation de cette
belle et douce vertu, allant de l'extérieur
à l'intérieur de notre être, le
pénétrant à la façon de
ces rayons obscurs qui cheminent en portant la
vie.
Prenons, pour aujourd'hui, le premier de
ces mots typiques ; il est de saint Paul : «
Revêtez-vous de Patience ». Oui,
revêtons-nous de patience, comme on se
revêt d'un manteau protecteur, d'une robe
où l'on se drape, d'une armure qui rend
invulnérable. Le conseil est presque d'ordre
physique, physiologique, car c'est bien à la
surface même de notre organisme, à
fleur de peau, sur le tissu de notre chair, qu'il
faudrait appliquer cette vertu protectrice.
À notre époque, c'est là
qu'elle manque et que son absence apporte les
troubles les plus lamentables. Oh! les pauvres
créatures à impressionnabilité
vraiment maladive, à sensibilité
nerveuse outrée, chez lesquelles le niveau
d'égalité d'humeur est soumis aux
plus fantastiques soubresauts!
Tristes ou joyeuses, selon la couleur du
ciel, le hasard d'une rencontre, exagérant
tout, s'exaspérant de
tout, irascibles pour des vétilles,
désolées jusqu'aux larmes pour le
moindre contretemps, révoltées aux
plus petits obstacles, elles rendent l'existence
impossible aux autres et impossible à
elles-mêmes.
Ne soyons pas de ces
personnalités étranges et
malheureuses qui vibrent ou se brisent comme un
cristal à toute commotion de
l'extérieur, qui s'habituent à
enregistrer, avec une acuité toujours plus
douloureuse, les effluves de leur milieu.
Disons-nous qu'il y a de petites vertus à
placer comme gardiennes sur les confins de notre
être physique et que la patience est une des
plus tutélaires : Revêtez-vous de
patience!...
O belle et douce vertu, que de miracles
tu pourrais faire dans tous les milieux où
nous devons vivre, lutter, souffrir, si nous
savions te demander à Dieu chaque matin et
te prendre comme un vêtement au début
de chaque journée!
Revêtez-vous de patience! Et
vaquez aux soins du foyer conjugal. Soudain,
l'atmosphère se détend : plus de mots
vifs, de susceptibilités qui
dégénèrent en querelles, qui
déchirent les vieux souvenirs d'amour vrai!
Tout s'oublie dans le support et le pardon mutuels.
Revêtez-vous de patience! Et
reprenez votre tâche délicate
où vous croyez exceller et où vous
échouez si souvent d'une manière
lamentable, pères, mères,
professeurs, institutrices, parce que vous
négligez, devant l'enfant que Dieu vous
confie, la recommandation de l'Évangile :
« Possédez vos âmes par la
patience ».
Revêtez-vous de patience!
Maîtres, maîtresses de maison, chefs
d'atelier ou de bureau, et vous, serviteurs,
employés, ouvriers ; n'oubliez pas qu'en ce
petit mot, interprété d'une
façon chrétienne, se trouve
peut-être la solution des grands conflits
où s'amasse la haine de classes dans le
monde du travail.
Revêtez-vous de patience, vous qui
souffrez dans vos âmes et dans vos
consciences ; vous qui attendez le triomphe de la
justice ou de l'Idée féconde, car la
patience c'est de l'espoir en Dieu ; et comme le
disait saint Jacques, c'est la véritable
épreuve de votre Foi!
(Jacques,
1, 2).
Revêtez-vous de patience, vous qui
vous sentez atteints dans votre corps par quelque
maladie longue et douloureuse dont vous ne voyez
pas le terme, dont vous ne sentez pas les
progrès vers le mieux. Vous qui connaissez
les insomnies angoissées sur un lit d'agonie, vous
qui avez dû
renoncer à toute activité, à
toutes les joies insouciantes de la vie en pleine
santé : revêtez-vous de
patience.
Revêtez-vous enfin de patience,
vous qui avez vu disparaître vos plus
chères affections, vous qui connaissez la
solitude du deuil, vous qui marchez au milieu des
ruines de vos bonheurs d'autrefois. Ayez, dit
l'Apôtre, la patience des saints. Ils ont
compris que la douleur pouvait être un moyen
de perfectionnement, de transfiguration pour leurs
âmes ; car supporter avec une confiante
résignation une grande épreuve, c'est
avoir la persuasion que nous ne sommes pas seuls
dans les passages obscurs de la vie, mais que
quelqu'un de plus grand que nous, comme disait
Jésus, est avec nous; qu'une puissance de
pitié mystérieuse nous soutient au
jour le jour, nous donne la goutte d'eau
rafraîchissante et nécessaire du
courage quotidien, nous enveloppe du rayon
béni de sa grâce tutélaire, et
nous répète : « Ne crains rien,
je suis avec toi ». C'est une force suffisante
pour tout accepter en gardant au fond de
soi-même la foi inébranlable des
grandes âmes chrétiennes : Oui,
revêtez-vous de patience!
O notre Dieu, Dieu de
Jésus-Christ, qui lui-même fut la patience
devant le mal et le malheur, à qui
irions-nous, si ce n'est à toi pour demander
cette grande force de courage qui nous manque si
souvent? Nous en avons tant besoin que nous
élevons vers toi nos yeux et nos coeurs
suppliants, vers toi, source de ravitaillement
moral et de résistance. Apprends-nous
à rester debout sans faiblir et sans perdre
espoir! Entends nos prières ardentes, nos
cris de découragement dans nos
épreuves trop lourdes, et nous sentirons peu
à peu descendre en nous la divine vertu sans
laquelle nous sommes incapables de vivre et que
seul tu peux nous donner.
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