Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Les soucis du lendemain

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 Jésus nous dit, dans le Sermon sur la Montagne : « Ne vous mettez pas en souci du lendemain ; demain aura soin de ce qui le regarde ».

Les soucis! qui donc d'entre nous en est exempt? C'est un essaim de préoccupations, d'idées noires qui bourdonne et tourbillonne dans notre tête, qui nous poursuit et nous harcèle et que nous ne parvenons pas à chasser.

Et pourtant, le Christ nous dit : « Ne vous mettez pas en souci ». Conseil très juste, maxime profonde. Mais vous regimbez contre le Maître de prime abord : C'est anti-humain, anti-psychologique, objectez-vous. Nous ne pouvons pas, à notre gré, nous délivrer de l'inquiétude, de l'angoisse des jours futurs. Ce serait d'ailleurs contraire à la sagesse la plus élémentaire, à la prévoyance la plus raisonnable. La vie du jour n'est rien dans le présent qui fuit. Elle ne trouve sa raison d'être que dans la préparation incessante de l'avenir.

Remarquez-le : le Christianisme ne vient pas s'inscrire ici en faux contre certaines inévitables prévisions d'avenir. Ce qu'il veut nous enseigner, c'est à décongestionner, dirai-je, cet avenir de soucis imaginaires, fantastiques, absurdes, puisque nous sommes dans l'incapacité de savoir ce que demain nous apportera. Le Christ donc exige de nous que nous désencombrions la vie des montagnes inutiles d'appréhensions injustifiables dont nous barrons notre horizon, sur lesquelles nous fatiguons nos yeux impuissants, en nous demandant sans cesse, avec une obstination à laquelle nous ne pourrons jamais fournir de réponse, ce qu'elles peuvent bien contenir de malheurs en puissance, ou de catastrophes en germe.

Que de fois, d'ailleurs, la réalité vous a prouvé le mal fondé de ces appréhensions chimériques, quand vous êtes arrivés tout près de l'obstacle tant redouté! Vous aviez cru à une montagne de roc infranchissable, contre laquelle, sûrement, vous deviez vous briser... et voici, ce n'était qu'un nuage! un nuage transparent, s'ouvrant paisiblement devant vous, s'évanouissant dans un rayon de soleil. Vous aviez cru la paroi abrupte, vous n'aviez pas pu distinguer, à distance, la sente libératrice qui la franchit toujours.
Pourquoi s'inquiéter des événements insondables de demain, des états d'âme qu'il nous faudra revêtir dans des circonstances que nous ignorons? Autant s'entêter à vouloir percer du regard les blocs d'une muraille : demain aura soin de ce qui le regarde, dit Jésus. Ne vous mettez pas en souci.

En second lieu, ce que Jésus s'applique à nous enseigner, c'est qu'il faut avoir confiance en la Providence, en la sagesse suprême : elle demande que nous escomptions son aide, que nous comptions, en temps voulu, sur son intervention. Le Christ défend l'accumulation des soucis comme il défend les accumulations inutiles et dangereuses de trésors ou de pain quotidien. Tout son enseignement vise à ceci : ne pas laisser l'existence du corps prendre la prédominance sur celle de l'âme : la vie n'est-elle pas plus que la nourriture? s'écrie-t-il avec une sorte d'appel au bon sens. Et nous en convenons tous : il ne faut pas laisser les questions matérielles accaparer tout le domaine spirituel de notre activité et de nos facultés.

Notre règle de conduite, s'exhalant en prière, doit être celle-ci : demander l'aide d'En-Haut pour féconder les efforts de notre travail journalier. À quoi bon des entassements de provisions, des thésaurisations exagérées, dépassant nos besoins immédiats ? C'est un manque de confiance en Dieu et de collaboration avec le ciel, alors que nous répétons chaque matin : « Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien ». Que feriez-vous, dit en substance le Maître, de ces surabondances de réserves dans un monde où votre âme peut vous être redemandée cette nuit même, où les vers et la rouille dévorent, où les larrons percent et dérobent ? Votre prétendue sagesse avisée ne ferait que vous créer des inquiétudes inutiles en accusant davantage votre manque de foi.

Vous représentez-vous un homme qui, non content de porter sans cesse avec lui, de peur d'en manquer, tout le pain et l'or nécessaires à des années de subsistance, se contraindrait, en outre, à charger sur ses épaules l'énorme fardeau des soucis et des peines dont le Père céleste aurait fait la répartition sur la durée de toute son existence ? Ce serait un misérable insensé qui succomberait sous la charge de son corps et de son âme. Comprenons la vie autrement : À chaque jour le morceau de pain quotidien ; à chaque jour l'énergie qu'il nous faudra fournir!

Divisons nos peines, comme nous divisons notre travail! Et pensons souvent à cette remarque consolante qu'on sort toujours, tant bien que mal, de l'heure présente ; or, puisque nous triomphons à chaque minute de l'avenir, nous triomphons finalement de tous les demains redoutés ; car tous les demains, à leur tour, deviendront des « aujourd'hui ».

D'ailleurs, un peu d'observation des choses de la nature et des grandes entreprises humaines nous prouve qu'il y a là une véritable méthode de sagesse, suivie, à la fois, par les hommes et par Dieu. C'est la seule méthode logique, la seule qui permette la continuité pour le travail à longue haleine et l'effort à longue portée.

Dans la nature, on ne voit pas pousser les arbres, ni grandir les êtres ; et pourtant, la croissance se poursuit sans arrêt. C'est qu'il n'y a pas d'impatience, pas de précipitation désordonnée. Cent fois le Créateur fait lever son soleil sur nos têtes ; cent fois, il répète l'aurore et conduit l'astre formidable dans sa prodigieuse orbite pour transformer un brin d'herbe en épi ; et quand il développe le calice des fleurs printanières, Dieu prend son temps pour amener à maturité les fruits des moissons d'automne.
L'ouvrier agit de même. On est souvent étonné de ne pas voir plus d'activité fiévreuse sur le chantier de certains travaux gigantesques. On s'y hâte lentement, suivant le proverbe antique. Et pourtant on a l'assurance que tout sera parachevé dans le délai voulu. C'est que celui qui pose le bloc de fondation ne s'inquiète pas des moyens qu'il emploiera quand viendra l'heure de sceller la pierre du fronton.
Cette application entière, exclusive, à la besogne du jour est aussi la meilleure garantie du succès, le gage d'une continuation harmonieuse de l'ensemble. Et ces exemples viennent répondre à l'objection qu'on serait tenté de formuler contre l'idéal indiqué par le Christ, à savoir qu'il émiette la vit en journées séparées, sans relations les unes avec les autres. Au contraire, tout se complète, tout s'enchaîne, tout s'harmonise d'autant mieux dans la vie, que chaque jour est soumis à un rendement intensif, étant consacré entièrement, sans distraction comme sans impatience, à l'effort et au devoir présent. « Ne vous mettez pas en souci pour demain ; demain aura soin de ce qui le regarde ».

J'ajouterai enfin, que ce précepte nous montre la nécessité de tenir compte, dans nos calculs humains, des volontés divines révélées par l'agencement même de la planète. L'homme tient à l'ensemble des conditions de vie sur ce globe qui l'emporte à travers l'infini. Avez-vous songé aux nécessités impérieuses que créent, pour nous, ici-bas, l'alternance de la clarté et de l'ombre ? Notre existence dépend de ce petit instant de lumière, resserré entre deux périodes d'obscurité et que nous appelons un jour. Une petite nappe de soleil s'étendant pendant quelques heures sur cette sphère et voilà le domaine où nous sommes maîtres, en attendant qu'une périodique torpeur nous replonge dans le néant. Le ciel s'éclaircit et quelqu'un nous dit : « Debout! voici le moment d'agir, de lutter, de souffrir ». Et puis le crépuscule descend et la même voix nous dit', quand vient le soir : « C'est assez, mon enfant! ». Un doigt se pose sur nos paupières ; une main ralentit le battement de nos coeurs, voici le sommeil, voici le repos. Demain, tu reprendras la tache ; demain, je ferai ce miracle de te réveiller, de te rappeler à la vie, avec toute ta conscience d'hier et toute ta mémoire d'aujourd'hui !...

Voyez-vous, comme tout cela est profondément établi, sagement calculé ? Et voyez-vous, ici encore, la folie de ce pauvre être renonçant à un pareil bienfait, disant : « je prolongerai ma Journée dans les veillées, je refuserai cette trêve de repos en empoisonnant mes jours et mes nuits du souci, des souffrances et des larmes de demain » ? Laisse l'ombre bienfaisante t'apporter le répit du sommeil : « Ne vous mettez donc pas en souci pour demain ; demain aura soin de ce qui le regarde ».

O Dieu, nous succombons trop souvent sous le poids de nos soucis, anxieux de lire dans l'avenir, épuisant nos forces à percer l'obscur mystère de demain. Si nous avions plus de confiance en toi, nous nous en remettrions avec calme à ta souveraine sagesse, sachant que tu nous prépareras la route, que tu écarteras les obstacles, que tu nous tiendras par la main et que tu nous donneras, jour après jour la force de tout surmonter. Augmente-nous donc la foi, comme le demandaient les disciples à leur divin Maître, et tout, dans notre vie, se simplifiera, s'aplanira, s'harmonisera. Si nous savons profiter du présent pour accomplir avec fidélité toute notre tache, tout notre devoir, le jour de demain ne nous inquiétera plus, ne nous fera plus peur, car nous saurons que tu seras là, partout, toujours, dans nos bénédictions comme dans nos épreuves, aux jours de la vie sereine et joyeuse comme au jour sombre de la mort.


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Le miracle de la Pentecôte

 

Lecture : I COR. 12.

Je voudrais, en ce jour de fête, vous laisser à tous une belle et grande pensée d'espérance, de confiance dans l'idéal chrétien, dans sa réalisation certaine, mais lentement progressive. Eh bien, le fait merveilleux de ce jour, c'est la descente, en ce monde, d'un esprit de douceur, de bonne volonté, d'entente parmi les hommes.

Vous avez tous présent à la mémoire, le récit du livre des Actes : le jour de la Pentecôte, un grand souffle passe sur la foule cosmopolite réunie à Jérusalem. Aux accents d'un disciple du crucifié dont le front parait illuminé d'une flamme étrange, tous les auditeurs venus des contrées les plus lointaines, parlant des dialectes variés, ne se comprenant pas entre eux, sont soulevés par un même élan d'enthousiasme. Ils entendent les mêmes vérités, exprimées en langue unique ; et, oubliant les barrières de races et de castes, les voilà qui se tendent les mains. Ils ne se sentent plus qu'un peuple, qu'une âme, qu'un coeur, qu'une volonté, et s'écrient, débordant et vibrant d'une exaltation indicible : « Hommes, Frères, que ferons-nous ? ».
Voilà le prodige qui s'est produit, sur la place publique de Jérusalem, le jour de la Pentecôte ; la scène incontestée et inoubliable d'où est née l'Église du Christ.

Il y a donc eu une date dans l'Histoire où l'esprit divin descendit, comme un feu purifiant, dans l'âme de ces premiers chrétiens. Enveloppés dans les mêmes effluves spirituels, les hommes oubliaient la diversité de leurs origines ethniques, de leurs conditions sociales ; les vieilles haines disparaissaient, se volatilisaient, pour ainsi dire, dans cet ardent brasier d'amour ; tous se fondaient, se confondaient, avec volupté, en un magnifique mouvement de solidarité. On planait, dans des hauteurs inconnues et vivifiantes, emporté par le souffle d'une puissance invisible. C'était un seul et même Esprit qui, répondant aux aspirations de tous, étanchait, suivant la pittoresque et frappante expression de l'Apôtre, la soif du Juif et du Grec, de l'esclave et de l'homme libre...

Il paraissait donc établi qu'après un tel miracle initial, le monde était définitivement orienté vers des destinées nouvelles et infiniment fécondes.

L'Esprit, selon la promesse des prophètes d'Israël, allait venir désormais, et pour toujours, habiter parmi nous. La réalisation de l'antique oracle avait lieu : Voici, je répandrai mon esprit sur toute chair. Par cela même, les instincts aveugles et brutaux s'évanouissaient ; les coeurs de pierre s'attendrissaient en coeurs de chair ; la grande famille humaine se regroupait, se fondait sur la base inébranlable des belles maximes de l'Évangile ; la fédération des peuples s'organisait, pour une fraternité durable, dans la paix universelle ; le règne de Dieu prêché par le Christ s'établissait victorieusement ici-bas. Pentecôte, c'était l'avènement de l'Esprit, c'était son triomphe sur le mal, sur la matière et sur la chair.

Comprenez-vous l'immense espérance qui a dû passer sur le vieux monde, à la façon d'une haleine printanière, quand le Christianisme répandait à Jérusalem comme à Éphèse, à Corinthe comme à Rome, le parfum inconnu de cet idéal d'amour? Comprenez-vous les tressaillements d'enthousiasme qui devaient secouer les fidèles, sur les bancs des premières Églises fondées par saint Paul, quand le grand Apôtre faisait retentir ce mot d'ordre audacieusement, mais divinement révolutionnaire : « En Christ, il n'y a plus ni juifs, ni Grecs, ni barbares, ni civilisés, ni riches, ni pauvres, ni affranchis, ni esclaves : vous êtes tous frères ; il n'y a plus qu'un seul corps, parce qu'il n'y a plus qu'un seul esprit étanchant la soif de tous ».

Hélas! la vraie descente de l'Esprit dont on peut affirmer l'authenticité, parce qu'elle est constatée dans les annales antiques ou modernes à maintes reprises et qu'elle est comme le triste pendant de l'effusion de la Pentecôte, c'est l'histoire de la Tour de Babel, de la confusion des langues et de la dispersion des races. Oui! des hommes décidant de travailler, ensemble, à quelque oeuvre d'orgueil colossal destinée à les élever jusqu'au ciel et qu'un souffle de discorde et de haine projette aux quatre coins de la planète. C'est celle-là qu'il faut enregistrer, quoiqu'elle soit moins poétique que l'autre. Ayons le courage de regarder les faits en face, de constater ce qui est et non ce que nous désirerions qui fût ; eh bien, la réalité, c'est que le Christianisme n'a pas vaincu les antipathies de races et de castes ; c'est qu'il y a toujours, quoiqu'en dise l'Apôtre, diversité d'esprit entre le Grec et le juif, l'esclave et l'homme libre, le barbare et le civilisé.

Vous croyez cela, vous croyez qu'après cette courte et unique descente de l'Esprit, cette puissance nous a quittés et que, pour employer une expression chère à nos pères du XVIe siècle, l'Esprit ne besogne plus et constamment dans le monde?

Vous répétez : « Qu'a-t-il fait depuis la première Pentecôte, pour unifier la diversité des caractères et hâter la fraternité des peuples ? ». Ah! si nous avions ici le loisir de descendre ou de remonter le cours des siècles, comme j'aimerais à vous le montrer à l'oeuvre, cet esprit! Vous l'entendriez souffler, sans se lasser, sur le monde. Tantôt il passe en doux zéphir de printemps qui vivifie de son haleine et fait éclore paisiblement des moissons de vérités nouvelles, des fruits savoureux, des progrès lentement mûris, des idées de libertés généreuses ; tantôt il gronde en tempête, il s'abat en cyclone, provoquant des révolutions terribles, renversant, dévastant, mais pour assainir, purifier, guider les évolutions fécondes, à travers des destructions nécessaires, comme les forces géologiques, créant des mondes nouveaux à coups de cataclysmes.

N'en doutons pas, l'Esprit est avec nous ; il travaille avec nous ; il souffle en nous, il triomphera par nous en pénétrant de plus en plus l'âme individuelle et l'âme collective des sociétés. Nous assistons à l'heure actuelle à un nouveau besoin de Pentecôte, à un ardent désir d'effusion d'un esprit passant sur tous les grands peuples de la terre, transformant le monde par son souffle puissant.
Eh bien! quels sont ceux qui, comme saint Pierre, sauront capter et répandre les effluves de cet Esprit nouveau?

Reportez-vous au récit de la Pentecôte : les disciples semblaient avoir comme de la flamme au front : ce seront les hommes de foi, d'enthousiasme pour la cause généreuse qu'ils plaident, de confiance en son succès, voilà la flamme qu'il nous faut avoir.

Les auditeurs du message de la première Pentecôte entendaient, chacun dans leur langue, l'homme convaincu qui leur parlait. Le miracle à réaliser, aujourd'hui, c'est d'apprendre, à travers les dialectes les plus différents, à percevoir les brèves aspirations qui forment le fond commun du coeur des hommes, les angoisses qui les tourmentent, les espérances qui les font vivre.

Les premiers chrétiens ne se sont pas seulement bercés de paroles, sentis frémir d'une même émotion, ils ont dit résolument : « Hommes, frères, que ferons-nous? ». Dès que l'Esprit a parlé, il faut lui obéir, il faut agir et agir en se sentant frères ; c'est là la seule, mais nécessaire condition pour que l'intervention d'En haut soutienne nos efforts et nous montre et nous ouvre la voie du progrès.

Donc, le miracle de la Pentecôte est peut-être encore plus celui d'aujourd'hui et de demain que celui d'hier ; en tous cas, il se continue. À tous les hommes de bonne volonté et en particulier à tous les chrétiens de travailler dans notre monde actuel, à sa progressive réalisation. Recherchons le triomphe de l'esprit, car comme dit saint Paul : « là où est l'Esprit, là est la liberté ».

O notre Dieu, en ce jour de Pentecôte, fais que nous gardions profondément gravé dans notre coeur, le souvenir de ces premiers chrétiens qui, animés de ton Esprit, eurent la belle vision d'une humanité soulevée par un même élan d'enthousiasme généreux et firent le voeu de se consacrer à un idéal magnifique de réconciliation et de compréhension entre tous les hommes, quelles que soient leurs races, leurs mentalités ou leurs langues. Donne-nous la foi, en une telle transformation des coeurs et des esprits sous le souffle puissant qui vient de toi et du Christ : que nous travaillions tous, avec joie, avec un ardent élan de sympathie et de fraternité sincère, à l'élaboration d'un monde nouveau, où suivant le mot du prophète, les coeurs de pierre se changeront en des coeurs de chair, où tous se tendront la main dans un geste de fraternité et de collaboration féconde, animés par l'esprit de Celui dont l'Apôtre a dit: « C'est lui qui a abattu tout mur de séparation entre les hommes et qui leur a apporté un esprit capable d'étancher toutes les soifs de leurs âmes ».


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Arbres verts et âmes protectrices

 

Lecture : Psaume 1, 3.

Oh! la fraîcheur d'un grand arbre vert avec le bruissement d'une source dans la mousse de ses racines! Vision permise - n'est-il pas vrai ? - en ces jours de ciel torride où l'implacable haleine de fournaise nous poursuit, même pendant la nuit, sous le scintillement des étoiles!... Oh! s'étendre, à l'orée d'une forêt, sous un dôme de ramures et écouter les gazouillements d'un ruisseau!... Voilà le tableau délicieusement champêtre qu'évoque à nos yeux le Psalmiste.

Mais n'oublions pas qu'il s'agit là d'une métaphore. Il y a, veut dire le chantre inspiré, des personnalités qui rappellent l'arbre vert plongeant ses racines dans les eaux courantes et donnant de l'ombre et des fruits sans jamais se flétrir. On pourrait appeler ces personnalités des âmes protectrices.

N'est-ce pas que vous avez éprouvé parfois une sensation de bien-être subit, de calme apaisant, de protection sereine, de fraîcheur revivifiante, d'abri tutélaire en rencontrant, sur le chemin de la vie, à certaines heures desséchantes et désenchantées, quelques-unes de ces âmes profondes, solides, vivantes et bonnes qui vous accueillent, comme les grands arbres, par des bras tendus et des invitations à la halte réparatrice ?

En cédant à cette attirance, en allant vous réfugier comme un enfant dans le sein de sa mère, près de ces âmes protectrices, vous avez senti d'instinct qu'il y avait là quelqu'un, un caractère, une haute nature qui vous comprenait.

Oui, vous pouviez tout dire... ou ne rien dire : silence comme paroles étaient interprétés, et l'âme protectrice vous murmurait : « je sais! ». Vous pouviez implorer secours ou pitié, il descendait sur vous des regards de sympathie ; vous pouviez vous jeter tête baissée sur ces genoux, dans l'abandon des grands désespoirs : vous sentiez aussitôt l'enlacement de deux mains jointes qui vous étreignaient avec un geste de protection, de prière, d'intercession, devant le mystère des choses ou le spectre de l'Inévitable!...

Nous avons tous fait l'expérience de ces âmes protectrices. En la personne de parents, d'amis, d'inconnus même, nous avons trouvé, à l'instant où nous tombions harassés, ces coeurs hospitaliers et compatissants, ces arbres verts du Psalmiste à l'ombre desquels nous avons pu refaire provision de courage et d'espoir.
... Et nous vous avons bénies, âmes protectrices, et nous vous bénissons encore, en évoquant vos chères mémoires au fond de nos souvenirs attendris!...

Mais avez-vous analysé d'où venait ce secret des forts ? Avez-vous cherché à connaître les éléments constitutifs de ces âmes protectrices? Vous êtes-vous demandé pourquoi il émanait d'elles une pareille quiétude réconfortante, capable de s'infiltrer si profondément dans l'âpre dessèchement de vos coeurs? Non, n'est-ce pas? Et cela se comprend : après nos grandes tribulations nous nous analysons nous-mêmes ; mais une fois consolés, nous ne pensons plus à examiner les principes de la source de vie où nous avons puisé. Eh bien, relisez ce Psaume 1er et vous verrez à quelles conditions on devient un arbre vert, une âme protectrice !

Les êtres de bonté grave et d'accueil tutélaire sont ceux qui n'ont jamais suivi les conseils des méchants, mais qui ont toujours résolu le programme quotidien de leur destinée avec les seuls avis de leur conscience, s'efforçant d'épeler le Devoir.

Ce sont eux qui, sans s'attarder sur la voie des pervers, sans emplir leurs yeux et leurs coeurs de spectacles dégradants, ont marché d'un pas égal et que rien n'arrête, le regard dirigé sur l'étoile fixe de leur idéal.

Ce sont ceux qui ont toujours pris au tragique les grandes choses et au sérieux les petites, les détails insignifiants en apparence de l'existence, sans jamais s'asseoir sur le banc des moqueurs, stalle confortable, d'où l'on regarde avec dilettantisme, avec des sourires de mépris sceptiques, l'arène profonde dans laquelle se livre le grand combat de la vie et où les apôtres de la vérité et de la justice luttent ou meurent en martyrs.

Ce sont ceux qui, dans leurs veilles prolongées, comme dès leur lever avant l'aurore, ont médité jour et nuit la loi de l'Eternel, c'est-à-dire ont nourri leur esprit d'une forte pensée et leurs besoins moraux du pain divin de l'Évangile.

Ce sont ceux qui ont gardé, aux racines même de leur âme, la source rafraîchissante d'une croyance joyeuse, le filet d'eau limpide et courante d'une confiance illimitée en un Univers régi par une infinie puissance d'amour...

Et voilà pourquoi ces âmes ne se flétrissent pas, ne peuvent pas se flétrir ; pourquoi elles vous ont enclos de leur ombre bienfaisante, pourquoi tout en vous protégeant elles ont pu vous offrir aussi les fruits savoureux d'une riche expérience et d'une mansuétude optimiste...
Amis qui m'écoutez, en reconnaissance de ces bienfaits reçus par vous de tant d'autres, obéissez aux conseils du Psalmiste ; travaillez à devenir des âmes protectrices donnant l'impression d'un arbre toujours vert.
Et votre récompense sera sans prix le jour où., dans le sentiment d'une vie religieuse assez féconde pour déborder sur ceux qui vous entourent. sur ceux dont la détresse vous implore, vous pourrez dire avec Jésus : « Venez à moi, ô vous qui êtes travaillés et chargés et je vous soulagerai ; je vous donnerai du repos à l'ombre de ma foi et dans la paix de mon âme ».

O notre Dieu, apprends-nous à ne pas toujours songer exclusivement à nous-mêmes pour nous plaindre, pour exposer aux autres nos soucis, nos ennuis, pour les démoraliser par nos récriminations et nos découragements.
Apprends-nous à refouler au fond de nos coeurs, nos tristesses et nos misères, à ne pas faire continuellement étalage de nos états d'âme égoïstes et désenchantés. Dis-nous que nous avons un but plus haut et plus beau à poursuivre ; qu'il nous faut songer au bien que nous pourrions faire en allant vers ceux qui ont besoin, dans leur vie difficile, et souvent bien plus pénible que la nôtre, d'un conseil, d'un mot de réconfort, de sympathie vraie, d'encouragement. à nous pencher avec une pitié secourable sur tant de pauvres êtres qui cherchent a trouver un abri, une protection, une force tutélaire. Oui, répète-nous que nous devons sortir de nous-mêmes pour penser à ceux qui ont besoin de nous, qui comptent sur nous et qui regardent à nous comme à des âmes protectrices. -Répète-nous, ô notre Père, que l'on n'est vraiment chrétien, c'est-à-dire disciple du divin Maître, qu'à la condition de l'imiter, de renoncer à soi-même, de porter sa propre croix et d'aider les autres à porter la leur, en allégeant les souffrances de leurs corps et de leurs âmes. Que chacun de nous prenne donc pour lui-même cette attitude de Jésus vis-à-vis de ceux qui l'entouraient et qu'il enveloppait de sa bonté compatissante en se chargeant de leurs infirmités et de leur misère. C'est ainsi que nous pourrons réellement faire du bien autour de nous en rayonnant par la bonté et la sympathie et que, suivant la parole de saint Paul : Nous acceptions la loi du Christ, qui est, avant tout, le commandement de l'amour fraternel et l'oubli de soi-même.

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