Jésus nous dit, dans le Sermon sur
la Montagne : « Ne vous mettez pas en souci du
lendemain ; demain aura soin de ce qui le regarde
».
Les soucis! qui donc d'entre nous en est
exempt? C'est un essaim de préoccupations,
d'idées noires qui bourdonne et tourbillonne
dans notre tête, qui nous poursuit et nous
harcèle et que nous ne parvenons pas
à chasser.
Et pourtant, le Christ nous dit : «
Ne vous mettez pas en souci ». Conseil
très juste, maxime profonde. Mais vous
regimbez contre le Maître de prime abord :
C'est anti-humain, anti-psychologique,
objectez-vous. Nous ne pouvons pas, à notre
gré, nous délivrer de
l'inquiétude, de l'angoisse des jours
futurs. Ce serait d'ailleurs contraire à la
sagesse la plus élémentaire, à
la prévoyance la plus raisonnable. La vie du
jour n'est rien dans le présent qui fuit.
Elle ne trouve sa raison d'être que dans la
préparation
incessante de l'avenir.
Remarquez-le : le Christianisme ne vient
pas s'inscrire ici en faux contre certaines
inévitables prévisions d'avenir. Ce
qu'il veut nous enseigner, c'est à
décongestionner, dirai-je, cet avenir de
soucis imaginaires, fantastiques, absurdes, puisque
nous sommes dans l'incapacité de savoir ce
que demain nous apportera. Le Christ donc exige de
nous que nous désencombrions la vie des
montagnes inutiles d'appréhensions
injustifiables dont nous barrons notre horizon, sur
lesquelles nous fatiguons nos yeux impuissants, en
nous demandant sans cesse, avec une obstination
à laquelle nous ne pourrons jamais fournir
de réponse, ce qu'elles peuvent bien
contenir de malheurs en puissance, ou de
catastrophes en germe.
Que de fois, d'ailleurs, la
réalité vous a prouvé le mal
fondé de ces appréhensions
chimériques, quand vous êtes
arrivés tout près de l'obstacle tant
redouté! Vous aviez cru à une
montagne de roc infranchissable, contre laquelle,
sûrement, vous deviez vous briser... et
voici, ce n'était qu'un nuage! un nuage
transparent, s'ouvrant paisiblement devant vous,
s'évanouissant dans un rayon de soleil. Vous aviez
cru la paroi abrupte,
vous
n'aviez pas pu distinguer, à distance, la
sente libératrice qui la franchit
toujours.
Pourquoi s'inquiéter des
événements insondables de demain, des
états d'âme qu'il nous faudra
revêtir dans des circonstances que nous
ignorons? Autant s'entêter à vouloir
percer du regard les blocs d'une muraille : demain
aura soin de ce qui le regarde, dit Jésus.
Ne vous mettez pas en souci.
En second lieu, ce que Jésus
s'applique à nous enseigner, c'est qu'il
faut avoir confiance en la Providence, en la
sagesse suprême : elle demande que nous
escomptions son aide, que nous comptions, en temps
voulu, sur son intervention. Le Christ
défend l'accumulation des soucis comme il
défend les accumulations inutiles et
dangereuses de trésors ou de pain quotidien.
Tout son enseignement vise à ceci : ne pas
laisser l'existence du corps prendre la
prédominance sur celle de l'âme : la
vie n'est-elle pas plus que la nourriture?
s'écrie-t-il avec une sorte d'appel au bon
sens. Et nous en convenons tous : il ne faut pas
laisser les questions matérielles accaparer
tout le domaine spirituel de notre activité
et de nos facultés.
Notre règle de conduite,
s'exhalant en prière, doit
être celle-ci : demander l'aide d'En-Haut
pour féconder les efforts de notre travail
journalier. À quoi bon des entassements de
provisions, des thésaurisations
exagérées, dépassant nos
besoins immédiats ? C'est un manque de
confiance en Dieu et de collaboration avec le ciel,
alors que nous répétons chaque matin
: « Donne-nous aujourd'hui notre pain
quotidien ». Que feriez-vous, dit en substance
le Maître, de ces surabondances de
réserves dans un monde où votre
âme peut vous être redemandée
cette nuit même, où les vers et la
rouille dévorent, où les larrons
percent et dérobent ? Votre prétendue
sagesse avisée ne ferait que vous
créer des inquiétudes inutiles en
accusant davantage votre manque de foi.
Vous représentez-vous un homme
qui, non content de porter sans cesse avec lui, de
peur d'en manquer, tout le pain et l'or
nécessaires à des années de
subsistance, se contraindrait, en outre, à
charger sur ses épaules l'énorme
fardeau des soucis et des peines dont le
Père céleste aurait fait la
répartition sur la durée de toute son
existence ? Ce serait un misérable
insensé qui succomberait sous la charge de
son corps et de son âme. Comprenons la vie
autrement : À chaque jour le morceau de pain quotidien
; à chaque jour
l'énergie qu'il nous faudra fournir!
Divisons nos peines, comme nous divisons
notre travail! Et pensons souvent à cette
remarque consolante qu'on sort toujours, tant bien
que mal, de l'heure présente ; or, puisque
nous triomphons à chaque minute de l'avenir,
nous triomphons finalement de tous les demains
redoutés ; car tous les demains, à
leur tour, deviendront des « aujourd'hui
».
D'ailleurs, un peu d'observation des
choses de la nature et des grandes entreprises
humaines nous prouve qu'il y a là une
véritable méthode de sagesse, suivie,
à la fois, par les hommes et par Dieu. C'est
la seule méthode logique, la seule qui
permette la continuité pour le travail
à longue haleine et l'effort à longue
portée.
Dans la nature, on ne voit pas pousser
les arbres, ni grandir les êtres ; et
pourtant, la croissance se poursuit sans
arrêt. C'est qu'il n'y a pas d'impatience,
pas de précipitation
désordonnée. Cent fois le
Créateur fait lever son soleil sur nos
têtes ; cent fois, il répète
l'aurore et conduit l'astre formidable dans sa
prodigieuse orbite pour transformer un brin d'herbe
en épi ; et quand
il développe le calice des fleurs
printanières, Dieu prend son temps pour
amener à maturité les fruits des
moissons d'automne.
L'ouvrier agit de même. On est
souvent étonné de ne pas voir plus
d'activité fiévreuse sur le chantier
de certains travaux gigantesques. On s'y hâte
lentement, suivant le proverbe antique. Et pourtant
on a l'assurance que tout sera parachevé
dans le délai voulu. C'est que celui qui
pose le bloc de fondation ne s'inquiète pas
des moyens qu'il emploiera quand viendra l'heure de
sceller la pierre du fronton.
Cette application entière,
exclusive, à la besogne du jour est aussi la
meilleure garantie du succès, le gage d'une
continuation harmonieuse de l'ensemble. Et ces
exemples viennent répondre à
l'objection qu'on serait tenté de formuler
contre l'idéal indiqué par le Christ,
à savoir qu'il émiette la vit en
journées séparées, sans
relations les unes avec les autres. Au contraire,
tout se complète, tout s'enchaîne,
tout s'harmonise d'autant mieux dans la vie, que
chaque jour est soumis à un rendement
intensif, étant consacré
entièrement, sans distraction comme sans
impatience, à l'effort et
au devoir présent. « Ne vous mettez pas
en souci pour demain ; demain aura soin de ce qui
le regarde ».
J'ajouterai enfin, que ce
précepte nous montre la
nécessité de tenir compte, dans nos
calculs humains, des volontés divines
révélées par l'agencement
même de la planète. L'homme tient
à l'ensemble des conditions de vie sur ce
globe qui l'emporte à travers l'infini.
Avez-vous songé aux nécessités
impérieuses que créent, pour nous,
ici-bas, l'alternance de la clarté et de
l'ombre ? Notre existence dépend de ce petit
instant de lumière, resserré entre
deux périodes d'obscurité et que nous
appelons un jour. Une petite nappe de soleil
s'étendant pendant quelques heures sur cette
sphère et voilà le domaine où
nous sommes maîtres, en attendant qu'une
périodique torpeur nous replonge dans le
néant. Le ciel s'éclaircit et
quelqu'un nous dit : « Debout! voici le moment
d'agir, de lutter, de souffrir ». Et puis le
crépuscule descend et la même voix
nous dit', quand vient le soir : « C'est
assez, mon enfant! ». Un doigt se pose sur nos
paupières ; une main ralentit le battement
de nos coeurs, voici le sommeil, voici le repos.
Demain, tu reprendras la tache ; demain, je ferai
ce miracle de te réveiller, de te rappeler à la
vie, avec
toute ta conscience d'hier et toute ta
mémoire d'aujourd'hui !...
Voyez-vous, comme tout cela est
profondément établi, sagement
calculé ? Et voyez-vous, ici encore, la
folie de ce pauvre être renonçant
à un pareil bienfait, disant : « je
prolongerai ma Journée dans les
veillées, je refuserai cette trêve de
repos en empoisonnant mes jours et mes nuits du
souci, des souffrances et des larmes de demain
» ? Laisse l'ombre bienfaisante t'apporter le
répit du sommeil : « Ne vous mettez
donc pas en souci pour demain ; demain aura soin de
ce qui le regarde ».
O Dieu, nous succombons trop souvent
sous le poids de nos soucis, anxieux de lire dans
l'avenir, épuisant nos forces à
percer l'obscur mystère de demain. Si nous
avions plus de confiance en toi, nous nous en
remettrions avec calme à ta souveraine
sagesse, sachant que tu nous prépareras la
route, que tu écarteras les obstacles, que
tu nous tiendras par la main et que tu nous
donneras, jour après jour la force de tout
surmonter. Augmente-nous donc la foi, comme le
demandaient les disciples à leur divin
Maître, et tout, dans notre vie, se
simplifiera, s'aplanira, s'harmonisera. Si nous
savons profiter du présent pour accomplir avec
fidélité toute notre tache, tout
notre devoir, le jour de demain ne nous
inquiétera plus, ne nous fera plus peur, car
nous saurons que tu seras là, partout,
toujours, dans nos bénédictions comme
dans nos épreuves, aux jours de la vie
sereine et joyeuse comme au jour sombre de la mort.
Lecture : I
COR. 12.
Je voudrais, en ce jour de fête,
vous laisser à tous une belle et grande
pensée d'espérance, de confiance dans
l'idéal chrétien, dans sa
réalisation certaine, mais lentement
progressive. Eh bien, le fait merveilleux de ce
jour, c'est la descente, en ce monde, d'un esprit
de douceur, de bonne volonté, d'entente
parmi les hommes.
Vous avez tous présent à
la mémoire, le récit du livre des
Actes : le jour de la Pentecôte, un grand
souffle passe sur la foule cosmopolite
réunie à Jérusalem. Aux
accents d'un disciple du crucifié dont le
front parait illuminé d'une flamme
étrange, tous les auditeurs venus des
contrées les plus lointaines, parlant des
dialectes variés, ne se comprenant pas entre
eux, sont soulevés par un même
élan d'enthousiasme. Ils entendent les
mêmes vérités, exprimées
en langue unique ; et, oubliant les
barrières de races et de castes, les
voilà qui se tendent les mains. Ils ne se
sentent plus qu'un peuple, qu'une âme, qu'un
coeur, qu'une volonté, et s'écrient,
débordant et vibrant d'une exaltation
indicible : « Hommes, Frères, que
ferons-nous ? ».
Voilà le prodige qui s'est
produit, sur la place publique de Jérusalem,
le jour de la Pentecôte ; la scène
incontestée et inoubliable d'où est
née l'Église du Christ.
Il y a donc eu une date dans l'Histoire
où l'esprit divin descendit, comme un feu
purifiant, dans l'âme de ces premiers
chrétiens. Enveloppés dans les
mêmes effluves spirituels, les hommes
oubliaient la diversité de leurs origines
ethniques, de leurs conditions sociales ; les
vieilles haines disparaissaient, se volatilisaient,
pour ainsi dire, dans cet ardent brasier d'amour ;
tous se fondaient, se confondaient, avec
volupté, en un magnifique mouvement de
solidarité. On planait, dans des hauteurs
inconnues et vivifiantes, emporté par le
souffle d'une puissance invisible. C'était
un seul et même Esprit qui, répondant
aux aspirations de tous, étanchait, suivant
la pittoresque et frappante expression de
l'Apôtre, la soif du Juif et du Grec, de
l'esclave et de l'homme libre...
Il paraissait donc établi
qu'après un tel miracle initial, le monde
était définitivement orienté vers des
destinées nouvelles et infiniment
fécondes.
L'Esprit, selon la promesse des
prophètes d'Israël, allait venir
désormais, et pour toujours, habiter parmi
nous. La réalisation de l'antique oracle
avait lieu : Voici, je répandrai mon esprit
sur toute chair. Par cela même, les instincts
aveugles et brutaux s'évanouissaient ; les
coeurs de pierre s'attendrissaient en coeurs de
chair ; la grande famille humaine se regroupait, se
fondait sur la base inébranlable des belles
maximes de l'Évangile ; la
fédération des peuples s'organisait,
pour une fraternité durable, dans la paix
universelle ; le règne de Dieu
prêché par le Christ
s'établissait victorieusement ici-bas.
Pentecôte, c'était l'avènement
de l'Esprit, c'était son triomphe sur le
mal, sur la matière et sur la chair.
Comprenez-vous l'immense
espérance qui a dû passer sur le vieux
monde, à la façon d'une haleine
printanière, quand le Christianisme
répandait à Jérusalem comme
à Éphèse, à Corinthe
comme à Rome, le parfum inconnu de cet
idéal d'amour? Comprenez-vous les
tressaillements d'enthousiasme qui devaient secouer
les fidèles, sur les bancs des
premières Églises fondées par
saint Paul, quand le grand Apôtre faisait
retentir ce mot d'ordre
audacieusement, mais divinement
révolutionnaire : « En Christ, il n'y a
plus ni juifs, ni Grecs, ni barbares, ni
civilisés, ni riches, ni pauvres, ni
affranchis, ni esclaves : vous êtes tous
frères ; il n'y a plus qu'un seul corps,
parce qu'il n'y a plus qu'un seul esprit
étanchant la soif de tous ».
Hélas! la vraie descente de
l'Esprit dont on peut affirmer
l'authenticité, parce qu'elle est
constatée dans les annales antiques ou
modernes à maintes reprises et qu'elle est
comme le triste pendant de l'effusion de la
Pentecôte, c'est l'histoire de la Tour de
Babel, de la confusion des langues et de la
dispersion des races. Oui! des hommes
décidant de travailler, ensemble, à
quelque oeuvre d'orgueil colossal destinée
à les élever jusqu'au ciel et qu'un
souffle de discorde et de haine projette aux quatre
coins de la planète. C'est celle-là
qu'il faut enregistrer, quoiqu'elle soit moins
poétique que l'autre. Ayons le courage de
regarder les faits en face, de constater ce qui est
et non ce que nous désirerions qui fût
; eh bien, la réalité, c'est que le
Christianisme n'a pas vaincu les antipathies de
races et de castes ; c'est qu'il y a toujours,
quoiqu'en dise l'Apôtre, diversité
d'esprit entre le Grec et le juif, l'esclave et
l'homme libre,
le
barbare et le civilisé.
Vous croyez cela, vous croyez
qu'après cette courte et unique descente de
l'Esprit, cette puissance nous a quittés et
que, pour employer une expression chère
à nos pères du XVIe siècle,
l'Esprit ne besogne plus et constamment dans le
monde?
Vous répétez : «
Qu'a-t-il fait depuis la première
Pentecôte, pour unifier la diversité
des caractères et hâter la
fraternité des peuples ? ». Ah! si nous
avions ici le loisir de descendre ou de remonter le
cours des siècles, comme j'aimerais à
vous le montrer à l'oeuvre, cet esprit! Vous
l'entendriez souffler, sans se lasser, sur le
monde. Tantôt il passe en doux zéphir
de printemps qui vivifie de son haleine et fait
éclore paisiblement des moissons de
vérités nouvelles, des fruits
savoureux, des progrès lentement
mûris, des idées de libertés
généreuses ; tantôt il gronde
en tempête, il s'abat en cyclone, provoquant
des révolutions terribles, renversant,
dévastant, mais pour assainir, purifier,
guider les évolutions fécondes,
à travers des destructions
nécessaires, comme les forces
géologiques, créant des mondes
nouveaux à coups de cataclysmes.
N'en doutons pas, l'Esprit est avec nous
; il travaille avec nous ; il souffle en nous, il
triomphera par nous en pénétrant de
plus en plus l'âme individuelle et
l'âme collective des sociétés.
Nous assistons à l'heure actuelle à
un nouveau besoin de Pentecôte, à un
ardent désir d'effusion d'un esprit passant
sur tous les grands peuples de la terre,
transformant le monde par son souffle
puissant.
Eh bien! quels sont ceux qui, comme
saint Pierre, sauront capter et répandre les
effluves de cet Esprit nouveau?
Reportez-vous au récit de la
Pentecôte : les disciples semblaient avoir
comme de la flamme au front : ce seront les hommes
de foi, d'enthousiasme pour la cause
généreuse qu'ils plaident, de
confiance en son succès, voilà la
flamme qu'il nous faut avoir.
Les auditeurs du message de la
première Pentecôte entendaient, chacun
dans leur langue, l'homme convaincu qui leur
parlait. Le miracle à réaliser,
aujourd'hui, c'est d'apprendre, à travers
les dialectes les plus différents, à
percevoir les brèves aspirations qui forment
le fond commun du coeur des hommes, les angoisses
qui les tourmentent, les espérances qui les
font vivre.
Les premiers chrétiens ne se sont
pas seulement bercés de
paroles, sentis frémir d'une même
émotion, ils ont dit résolument :
« Hommes, frères, que ferons-nous?
». Dès que l'Esprit a parlé, il
faut lui obéir, il faut agir et agir en se
sentant frères ; c'est là la seule,
mais nécessaire condition pour que
l'intervention d'En haut soutienne nos efforts et
nous montre et nous ouvre la voie du
progrès.
Donc, le miracle de la Pentecôte
est peut-être encore plus celui d'aujourd'hui
et de demain que celui d'hier ; en tous cas, il se
continue. À tous les hommes de bonne
volonté et en particulier à tous les
chrétiens de travailler dans notre monde
actuel, à sa progressive réalisation.
Recherchons le triomphe de l'esprit, car comme dit
saint Paul : « là où est
l'Esprit, là est la liberté
».
O notre Dieu, en ce jour de
Pentecôte, fais que nous gardions
profondément gravé dans notre coeur,
le souvenir de ces premiers chrétiens qui,
animés de ton Esprit, eurent la belle vision
d'une humanité soulevée par un
même élan d'enthousiasme
généreux et firent le voeu de se
consacrer à un idéal magnifique de
réconciliation et de compréhension
entre tous les hommes, quelles que soient leurs
races, leurs mentalités ou leurs langues.
Donne-nous la foi, en une telle
transformation des coeurs et des esprits sous le
souffle puissant qui vient de toi et du Christ :
que nous travaillions tous, avec joie, avec un
ardent élan de sympathie et de
fraternité sincère, à
l'élaboration d'un monde nouveau, où
suivant le mot du prophète, les coeurs de
pierre se changeront en des coeurs de chair,
où tous se tendront la main dans un geste de
fraternité et de collaboration
féconde, animés par l'esprit de Celui
dont l'Apôtre a dit: « C'est lui qui a
abattu tout mur de séparation entre les
hommes et qui leur a apporté un esprit
capable d'étancher toutes les soifs de leurs
âmes ».
Lecture : Psaume 1, 3.
Oh! la fraîcheur d'un grand arbre vert
avec le bruissement d'une source dans la mousse de
ses racines! Vision permise - n'est-il pas vrai ? -
en ces jours de ciel torride où l'implacable
haleine de fournaise nous poursuit, même
pendant la nuit, sous le scintillement des
étoiles!... Oh! s'étendre, à
l'orée d'une forêt, sous un dôme
de ramures et écouter les gazouillements
d'un ruisseau!... Voilà le tableau
délicieusement champêtre
qu'évoque à nos yeux le
Psalmiste.
Mais n'oublions pas qu'il s'agit
là d'une métaphore. Il y a, veut dire
le chantre inspiré, des personnalités
qui rappellent l'arbre vert plongeant ses racines
dans les eaux courantes et donnant de l'ombre et
des fruits sans jamais se flétrir. On
pourrait appeler ces personnalités des
âmes protectrices.
N'est-ce pas que vous avez
éprouvé parfois une sensation de
bien-être subit, de calme apaisant, de protection
sereine,
de fraîcheur revivifiante, d'abri
tutélaire en rencontrant, sur le chemin de
la vie, à certaines heures
desséchantes et désenchantées,
quelques-unes de ces âmes profondes, solides,
vivantes et bonnes qui vous accueillent, comme les
grands arbres, par des bras tendus et des
invitations à la halte réparatrice
?
En cédant à cette
attirance, en allant vous réfugier comme un
enfant dans le sein de sa mère, près
de ces âmes protectrices, vous avez senti
d'instinct qu'il y avait là quelqu'un, un
caractère, une haute nature qui vous
comprenait.
Oui, vous pouviez tout dire... ou ne
rien dire : silence comme paroles étaient
interprétés, et l'âme
protectrice vous murmurait : « je sais!
». Vous pouviez implorer secours ou
pitié, il descendait sur vous des regards de
sympathie ; vous pouviez vous jeter tête
baissée sur ces genoux, dans l'abandon des
grands désespoirs : vous sentiez
aussitôt l'enlacement de deux mains jointes
qui vous étreignaient avec un geste de
protection, de prière, d'intercession,
devant le mystère des choses ou le spectre
de l'Inévitable!...
Nous avons tous fait l'expérience
de ces âmes protectrices. En la personne de
parents, d'amis, d'inconnus
même, nous avons trouvé, à
l'instant où nous tombions harassés,
ces coeurs hospitaliers et compatissants, ces
arbres verts du Psalmiste à l'ombre desquels
nous avons pu refaire provision de courage et
d'espoir.
... Et nous vous avons bénies,
âmes protectrices, et nous vous
bénissons encore, en évoquant vos
chères mémoires au fond de nos
souvenirs attendris!...
Mais avez-vous analysé
d'où venait ce secret des forts ? Avez-vous
cherché à connaître les
éléments constitutifs de ces
âmes protectrices? Vous êtes-vous
demandé pourquoi il émanait d'elles
une pareille quiétude réconfortante,
capable de s'infiltrer si profondément dans
l'âpre dessèchement de vos coeurs?
Non, n'est-ce pas? Et cela se comprend :
après nos grandes tribulations nous nous
analysons nous-mêmes ; mais une fois
consolés, nous ne pensons plus à
examiner les principes de la source de vie
où nous avons puisé. Eh bien, relisez
ce Psaume 1er et vous verrez à quelles
conditions on devient un arbre vert, une âme
protectrice !
Les êtres de bonté grave et
d'accueil tutélaire sont ceux qui n'ont
jamais suivi les conseils des méchants, mais qui
ont
toujours résolu le programme quotidien de
leur destinée avec les seuls avis de leur
conscience, s'efforçant d'épeler le
Devoir.
Ce sont eux qui, sans s'attarder sur la
voie des pervers, sans emplir leurs yeux et leurs
coeurs de spectacles dégradants, ont
marché d'un pas égal et que rien
n'arrête, le regard dirigé sur
l'étoile fixe de leur idéal.
Ce sont ceux qui ont toujours pris au
tragique les grandes choses et au sérieux
les petites, les détails insignifiants en
apparence de l'existence, sans jamais s'asseoir sur
le banc des moqueurs, stalle confortable,
d'où l'on regarde avec dilettantisme, avec
des sourires de mépris sceptiques,
l'arène profonde dans laquelle se livre le
grand combat de la vie et où les
apôtres de la vérité et de la
justice luttent ou meurent en martyrs.
Ce sont ceux qui, dans leurs veilles
prolongées, comme dès leur lever
avant l'aurore, ont médité jour et
nuit la loi de l'Eternel, c'est-à-dire ont
nourri leur esprit d'une forte pensée et
leurs besoins moraux du pain divin de
l'Évangile.
Ce sont ceux qui ont gardé, aux
racines même de leur âme, la source
rafraîchissante d'une croyance joyeuse, le
filet d'eau limpide et courante
d'une confiance illimitée en un Univers
régi par une infinie puissance
d'amour...
Et voilà pourquoi ces âmes
ne se flétrissent pas, ne peuvent pas se
flétrir ; pourquoi elles vous ont enclos de
leur ombre bienfaisante, pourquoi tout en vous
protégeant elles ont pu vous offrir aussi
les fruits savoureux d'une riche expérience
et d'une mansuétude optimiste...
Amis qui m'écoutez, en
reconnaissance de ces bienfaits reçus par
vous de tant d'autres, obéissez aux conseils
du Psalmiste ; travaillez à devenir des
âmes protectrices donnant l'impression d'un
arbre toujours vert.
Et votre récompense sera sans
prix le jour où., dans le sentiment d'une
vie religieuse assez féconde pour
déborder sur ceux qui vous entourent. sur
ceux dont la détresse vous implore, vous
pourrez dire avec Jésus : « Venez
à moi, ô vous qui êtes
travaillés et chargés et je vous
soulagerai ; je vous donnerai du repos à
l'ombre de ma foi et dans la paix de mon âme
».
O notre Dieu, apprends-nous à ne
pas toujours songer exclusivement à
nous-mêmes pour nous
plaindre, pour exposer aux autres nos soucis, nos
ennuis, pour les démoraliser par nos
récriminations et nos
découragements.
Apprends-nous à refouler au fond
de nos coeurs, nos tristesses et nos
misères, à ne pas faire
continuellement étalage de nos états
d'âme égoïstes et
désenchantés. Dis-nous que nous avons
un but plus haut et plus beau à poursuivre ;
qu'il nous faut songer au bien que nous pourrions
faire en allant vers ceux qui ont besoin, dans leur
vie difficile, et souvent bien plus pénible
que la nôtre, d'un conseil, d'un mot de
réconfort, de sympathie vraie,
d'encouragement. à nous pencher avec une
pitié secourable sur tant de pauvres
êtres qui cherchent a trouver un abri, une
protection, une force tutélaire. Oui,
répète-nous que nous devons sortir de
nous-mêmes pour penser à ceux qui ont
besoin de nous, qui comptent sur nous et qui
regardent à nous comme à des
âmes protectrices.
-Répète-nous, ô notre
Père, que l'on n'est vraiment
chrétien, c'est-à-dire disciple du
divin Maître, qu'à la condition de
l'imiter, de renoncer à soi-même, de
porter sa propre croix et d'aider les autres
à porter la leur, en allégeant les
souffrances de leurs corps et de leurs âmes.
Que chacun de nous prenne donc pour lui-même
cette attitude de Jésus
vis-à-vis de ceux qui l'entouraient et qu'il
enveloppait de sa bonté compatissante en se
chargeant de leurs infirmités et de leur
misère. C'est ainsi que nous pourrons
réellement faire du bien autour de nous en
rayonnant par la bonté et la sympathie et
que, suivant la parole de saint Paul : Nous
acceptions la loi du Christ, qui est, avant tout,
le commandement de l'amour fraternel et l'oubli de
soi-même.
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