Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Roseaux froissés

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Lecture : MAT. XII, 20; ESAÏE, XLII, 3

Les roseaux!... Il y a celui de Pascal, le roseau pensant qui meurt, avec la navrante consolation de sentir la supériorité de sa conscience sur l'univers aveugle qui l'écrase. - Il y a le roseau flexible du fabuliste qui a pris le parti de s'assouplir pour courber la tête sous les tempêtes. - Il y a le roseau froissé du prophète qui redoute une nouvelle meurtrissure.

Le premier nous donne une leçon de stoïcisme ; le second, un exemple de sagesse avisée ; mais le troisième m'arrête plus longtemps, car j'écoute son douloureux soupir.

Roseau froissé! Faiblesse qui, par surcroît, porte en elle, visible ou cachée, une cause de souffrance.
Ouvrez les yeux : ils sont légion, par le monde, les roseaux froissés.

Roseaux froissés, les pauvres êtres à organisme débile, malade, et qui sont obligés de traîner une existence précaire dans la douleur quotidienne.

Roseaux froissés, ces lamentables victimes de tares héréditaires, dans leur chair et dans leur âme, caractères insuffisamment armés pour la lutte, chez qui les forces de résistance diminuent après chaque défaite.

Roseaux froissés, ces tristes survivants d'un passé de bonheur sur qui s'acharnent les épreuves et les deuils en qui les souvenirs joyeux d'hier rendent plus amère la solitude d'aujourd'hui.

Roseaux froissés, ces consciences délicates pour lesquelles toute impudeur, toute vilenie sont autant de scandales qui les heurtent.

Roseaux froissés, ces coeurs où meurent en silence un amour trahi, un idéal désenchanté, une foi jadis ardente, maintenant obsédée par le doute; une vie spirituelle qui s'use au contact des grossières réalités matérielles.

Ah! roseaux froissés, plus on s'applique a vous découvrir, plus on vous voit surgir de partout. Vous êtes les grands blessés des combats de la vie, et nous ne savons ni vous toucher, ni vous panser!

Car, voici, pour le roseau froissé, le second acte du drame qu'il redoute : il craint, de partout, une nouvelle meurtrissure, l'approche du passant qui peut lui infliger une augmentation de souffrance. Cet inconnu qui vient, ne va-t-il pas, avec indifférence, fouler de ses lourdes semelles la plante délicate et endolorie ? la flageller, par distraction d'oisif, du bout de sa canne insouciante?
Eh quoi! vous récriez-vous, écraser un roseau froissé, est-ce possible ? Quel est le monstre ou le bourreau capable de prendre un cruel et tâche plaisir à ajouter une nouvelle torture au martyre d'une victime pantelante ?

Hélas! l'écraseur de roseaux froissés, c'est trop souvent chacun de nous. Oh! nous agissons inconsciemment; mais c'est précisément cette inconscience qui est inexcusable. Elle prouve que nous manquons de cet affinement de sensibilité, de cette délicatesse de culture du coeur qui sont la caractéristique de ceux habitués à vivre dans la profonde intimité du Maître.
Oui, observez-vous vous-mêmes, vous êtes des écraseurs de roseaux froissés. Tous, nous avons près de nous, à notre foyer, très souvent, de ces sensitives du monde physique et moral pour lesquelles le moindre frôlement devient un supplice et nous n'avons nul égard pour l'impressionnabilité de leur chair à vif. Notre incapacité à les comprendre fait qu'elles se replient sur elles-mêmes, plus isolées et plus désolées encore. Nous tuons, dans ces êtres, la foi en la communion des âmes par la compassion ; car nous créons, autour de nous, sans nous en douter, une morale de gens heureux, bien portants, aux muscles solides, au bon sens robuste, pour qui ce serait déplacé de s'attacher à un sentimentalisme ému auprès de ces malheureuses natures dolentes et compliquées.

Ah ! comme il était différent de nous, Lui! Comme il excellait à découvrir et à comprendre ces roseaux froissés! Comme il érigeait en devoir suprême la recommandation de ne pas les écraser! Comme il était infiniment sympathique à tous ces meurtris suppliants!

C'était son originalité unique et divine de savoir toucher, d'un doigt léger et habile, aux plaies profondes et invisibles ; et c'est cette délicatesse exquise qu'il réclame toujours de ceux qui prétendent s'appeler ses disciples.

Concluons donc. Le devoir? - Il n'y a pas à hésiter : le devoir, c'est pour tout chrétien de se dire : j'aurai désormais des regards plus pénétrants pour toutes les détresses que je rencontre. je marcherai avec circonspection dans la vie de peur d'écraser par inadvertance, quelque pauvre roseau froissé. Et, craignant qu'il m'arrive encore de commettre une telle cruauté, je redoublerai de sagacité dans la pitié ; je m'appliquerai à relever doucement la tige trop frêle qui courbe la tête ; je servirai de soutien à sa fragilité douloureuse ; je ferai de mon peu de force, un tuteur à sa faiblesse ; je banderai ses plaies avec amour on ligature bien la meurtrissure d'un roseau

O Dieu, donne-nous cette délicatesse d'un vrai chrétien qui sait comprendre l'état d'âme des autres et ne jamais se rendre coupable envers eux de dureté, de cruauté. Apprends-nous à nous pencher sur la souffrance des coeurs meurtris par les incompréhensions d'un monde où chacun vit en égoïste, sans regarder aux détresses qui l'entourent.
Apprends-nous à aimer, à protéger, à soutenir tous ceux qui ont besoin d'un peu de force dans leur faiblesse, d'un peu d'espoir dans leurs découragements. Ce sera le meilleur titre à ce beau nom de chrétiens dont nous sommes si souvent indignes, car le vrai disciple du divin Maître, c'est celui qui n'écrase pas la douloureuse meurtrissure d'un roseau déjà froissé.


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Résurrections

 

MARC 9, 10;


Pâques! - et le mot de Résurrection va voler de bouche en bouche, va tomber en accents d'allégresse de toutes les chaires chrétiennes, se répercuter en cantiques de triomphe sous les voûtes de toutes les Églises!

Pâques! - et la Nature prêtant, elle aussi, sa voix au choeur entonné par les disciples du Christ, va chanter son hymne au renouveau par toutes les fleurs qui éclosent, par le bourgeonnement des forêts, par son soleil qui monte chaque jour plus haut dans une intensité croissante de lumière.

- Et cependant on continuera à mourir! Malgré le défi jeté aux cercueils et aux cimetières, malgré l'apostrophe hautaine de l'apôtre : 0 Mort! où est ton aiguillon? O Sépulcre où est ta victoire? la sinistre et invisible visiteuse ne semblera nullement arrêtée. Elle entrera à notre foyer ou rôdera autour de nos demeures, choisissant lentement ou brusquement sa proie.
Que dis-je! en artiste macabre ne besogne-t-elle pas en nous et sur nos corps ? Elle s'amuse à crayonner des rides à nos fronts, à sculpter, jour après jour, un masque de vieillard dans la fraîcheur d'un jeune visage.

La mort! Mais elle s'est approchée de nous, au contraire, avec une singulière ironie, par une des dernières découvertes de cette science dont nous sommes si fiers. Regardez sur l'écran révélateur et terrifiant de la radiographie - voici, malgré la plénitude de votre santé, de votre jeunesse, l'apparition de cette chose horrible, insoupçonnée : votre squelette, ce qui restera de vous, dans la poussière d'une tombe, longtemps après que vous aurez cessé d'être et que votre chair aura disparu.

Et quand en face de cette lugubre image, on se met à en examiner le détail, que voit-on? un nuage à peine estompé, léger comme un voile, qui enveloppe ce spectre d'épouvante.

Qu'est-ce que cela? Ma chair, c'est-à-dire le cortège de mes joies, de mes souffrances, de mes orgueils! Une invincible hantise de néant vous saisit : l'homme n'est qu'une apparence! Et l'on ajoute, avec Job : les membres de mon corps sont comme une ombre... le sépulcre m'attend.
La pensée d'une résurrection se fait alors de plus en plus lointaine et vague. Qu'est-ce que ressusciter des morts? se demande-t-on avec les disciples. On devient, malgré soi, le mystérieux interrogateur que prévoyait saint Paul : Mais, dira quelqu'un, comment les morts ressusciteront-ils?

À ces questions demandons une réponse aux apparitions du Ressuscité : chacune de ces apparitions va nous donner une explication spéciale et qui complétera, qui harmonisera les autres. Il ne s'agit pas de sonder le grand problème de l'Au-delà en cherchant comment Dieu ressuscite les morts, sous quel aspect, avec quel corps il leur rend la vie; nous voudrions simplement, d'après ces différentes scènes où Jésus glorifié se montre aux yeux des apôtres, découvrir comment nous pourrions, nous aussi garder un Christ vivant et voir nos chers disparus réapparaître ; comment nous pourrions rester en communion avec nos bien-aimés si nous les quittons les premiers.

Dans les différentes apparition du Ressuscité, chose étrange, ce n'est pas avec les yeux de la chair que les disciples le reconnaissent ; c'est avec les yeux de l'âme. Constamment on lit ces mots : « Mais ils ne le reconnurent pas tout d'abord ». La reconnaissance ne se produit finalement que grâce à un souvenir montant du coeur. Il y a là plus d'une indication : il y a une révélation si douce, si consolante qu'il faut la recueillir comme un trésor de grand prix surtout en ce jour de Pâques.
Qu'est-ce que ressusciter des morts? C'est revivre dans un coeur par un souvenir de tendresse.

Marie-Madeleine voit, la première, Jésus sortir de la tombe : ses yeux ne le reconnurent pas. Ils ne se dessillent que lorsqu'elle entend son nom : « Marie », prononcé par le Maître tant aimé avec cette intonation que, seul, il savait lui donner...
Oh ! l'écho des tendresses posthumes, des voix éteintes ne prononçant plus, peut-être, qu'un mot, un nom, mais le nôtre...
Oh ! les affectueuses sonorités de jadis qui ne sont plus que des souffles, mais qui font vibrer en nous des cordes étrangement douloureuses! Et combien ces voix d'outre-tombe nous parleraient plus souvent, combien elles seraient plus nombreuses, si nous avions su aimer davantage!

Qu'est-ce que ressusciter des morts ? C'est laisser après soi le souvenir, non seulement d'une voix, mais d'un geste doucement familier, d'une pieuse habitude.

Voici la scène d'Emmaüs : les disciples sur la route ne le reconnaissent pas. Leurs yeux ne s'ouvrent que quand, dans l'ombre troublante, il fait lé geste paternel de bénédiction en rompant le pain. - Que de fois, à l'heure où nos âmes s'assombrissent de tristesse et de découragement, nos morts réapparaissent dans des manifestations évanouies! Que d'insignifiantes choses se mettent à chuchoter des souvenirs! Comme on reste pensif devant une place vide, un objet dont ils aimaient à se servir, un livre qui garde l'empreinte de leurs doigts ! Une âme peut être enclose dans un rien comme un pan de ciel et un paysage dans une goutte de rosée ; mais c'est l'amour seul qui fait le grand miracle : c'est lui qui nous fait voir des ressuscités.

Qu'est-ce que ressusciter des morts ? C'est laisser après soi une telle impression de vie consacrée au devoir que les autres vous revoient toujours avec le remords de ne pas vous avoir assez aidé et de vous avoir abandonné dans la noblesse de votre idéal... Quand Jésus apparaît sur les bords du Lac, les disciples ne le reconnaissent pas ; mais Pierre a une intuition : c'est le Seigneur! Et il ne se trompe pas, car une angoisse tenaille son coeur : « Simon, fils de Jonas, m'aimes-tu ? ». Il a besoin de répondre à cette voix lancinante, d'affirmer à son Maître qu'il l'aime, qu'il n'a jamais cessé de l'aimer, et d'autant plus qu'il porte en lui le lourd souvenir de la nuit du reniement.
La conscience est ainsi une grande évocatrice des morts. Penser à ce qu'on n'a pas fait pour ceux qu'on chérissait pourtant ; à ce qu'on aurait pu être pour eux ; à ce qu'on n'a pas su être! Oh! comme on voudrait pouvoir crier à chacune de ces ombres : « Tu sais que je t'aime!... » Mais il est trop tard. Aimer trop tard, c'est un des plus cruels supplices qu'on puisse ressentir, et il nous est infligé par tant d'yeux attristés qui nous regardent à travers la pierre des tombeaux !

Qu'est-ce que ressusciter des morts ? C'est laisser la mémoire d'une vie de dévouement, de sacrifices ; d'une vie de souffrances, de meurtrissures endurées pour le salut des autres.
Jésus apparaît à ses disciples, mais ils ne le reconnaissent pas ; ils le prennent pour un fantôme. Ce n'est qu'après avoir vu les traces des clous dans ses mains et ses pieds, la blessure de son coeur que l'un d'eux - le plus incrédule - s'écrie : c'est Lui!...
Combien de morts nous réapparaissent et nous montrent des blessures, blessures que nous leur avons faites inconsciemment ou qu'ils ont reçues pour nous. Nous découvrons, trop tard encore, les cicatrices de martyres endurés à notre intention. Que de pères, de mères, de bien-aimés, dont nous ranimons le passé de souffrance! Et nous entendons leur voix nous dire : « C'est pour toi que j'ai usé mes forces, que mon corps t'a donné goutte à goutte sa vie et son sang. Garde au moins un peu de mon souvenir et songe que ton bonheur, ton bien-être présents sont faits de mon agonie d'autrefois ».

Qu'est-ce que ressusciter des morts? C'est se survivre dans les autres en leur laissant un exemple béni capable de renouveler leur vaillance, d'alimenter longtemps les sources d'énergie qui jaillissent des profondeurs de leur être.
Quand Jésus va quitter pour toujours ses disciples, il leur apparaît encore et le Ressuscité souffle sur eux son esprit : le Saint-Esprit.
Il y a ainsi des morts qui s'en vont en laissant 'avec un adieu suprême, un esprit ; et il y a des vivants qui ne vivent que grâce au souffle bienfaisant, aux effluves spirituels qui, sans cesse, montent d'une grande mémoire. Que de morts il faudrait ainsi chercher pour expliquer bien des vivants. Des baleines venant de l'Invisible attisent aujourd'hui des coeurs, embrasent des consciences. Nous ne sommes donc pas seuls quand nous poursuivons le bien, le vrai, le juste, quand nous accomplissons un acte de glorieux héroïsme ou un prodige obscur d'endurance au malheur. Des souffles s'exhalent de la tombe : ce sont des ressuscités qui travaillent par nous et en nous.

Avons donc confiance : Celui qui a ressuscité 'le Seigneur Jésus ne nous laisse pas non plus dans la poussière du néant. Mais il demande à nos coeurs de l'aider à faire plus souvent le grand miracle. Ceux qui revivent, ce sont ceux qui ont aimé ou qui se font aimer ; car, dît saint Jean, celui qui n'aime pas demeure... et demeurera dans la mort.

O Dieu, Dieu de Jésus, Dieu des renouveaux de la Nature, Dieu des résurrections incessantes, toi qui sèmes la vie, dans les espaces infinis des mondes sans jamais te lasser, dis-nous en ce jour de Pâques, que tu n'es pas le Dieu des morts, mais le Dieu des vivants.

O Père, immense foyer des âmes, source de l'Esprit immortel, dans nos pauvres coeurs si souvent ravagés par le deuil ou écrasés par des puissances de mort, viens souffler le réveil qui renouvelle et vivifie le courage chez les désespérés! Et sur la pierre de nos tombeaux, fais luire, en ce jour, comme un rayon béni, la grande espérance du revoir dans l'Au-delà.


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Faiseurs de nuit

 

Lecture: ÉSAïE, 42.

Un lumignon qui fume encore 1 C'est un flambeau qui s'éteint, une lampe qui baisse, une lumière qui agonise. C'est peut-être un pauvre petit ver luisant blessé ou un gigantesque soleil qui s'obscurcit dans l'infini.

Qu'importe! C'est de la clarté qui va disparaître ; et, en tous cas, chez un être humain, c'est la conscience d'avoir un jour rayonné et de finir à présent dans la nuit.
Jésus a rencontré de ces lumignons qui exhalaient leur dernière lueur ; et il s'est appliqué à en ranimer la suprême étincelle.

Dans des âmes assombries par la honte ou le malheur, il ravivait le sentiment du devoir, de la dignité humaine, de la vie susceptible encore de renouveau et d'espérance.
Il y a un évangile que nous ne connaîtrons jamais, hélas! C'est celui des confidences qui ont dû être faites à Jésus, après l'invitation, par lui adressée, à tous les travaillés et chargés, de venir à sa rencontre.

J'imagine que des mots comme ceux-ci, dont le Seigneur semble avoir été prodigue : Prends courage! Va en paix! et qui étaient la conclusion de tant d'entretiens intimes, n'ont pu être prononcés qu'après de longs tête-à-tête avec de pauvres êtres ayant découvert, au grand guérisseur d'âmes, le tréfonds d'un passé de misère et de souffrances cachées.
Et c'est alors que le Christ soufflait sur eux - car il y a des souffles qui rallument comme il y a des souffles qui éteignent - et il faisait soudain surgir une nouvelle clarté du lumignon fumant encore.
Et c'est ici qu'il faut rapprocher l'attitude du divin Maître de la nôtre. Éteindre des lumignons! c'est une de ces oeuvres démoniaques que nous flétrissons de nos invectives les plus indignées... Et pourtant, est-ce que nous ne nous complaisons pas, trop souvent, dans cette triste besogne de - faiseurs de nuit?

Ne vous est-il pas arrivé de traiter avec une sévérité outrageante, un malheureux qui retombait dans la même faute ou le même vice? Certes, votre sévérité était juste ; mais la parole de, mépris qui l'accompagnait, avec l'affirmation d'une déchéance sans espoir, était-elle bien à sa place sur des lèvres chrétiennes? C'était un souffle brutal qui éteignait un lumignon.
Ne vous est-il pas arrivé de rompre, avec une froideur déconcertante, ou une violence inouïe., les liens qui vous unissaient à un vieil ami, alors que celui-ci vous affirmait, malgré tous ses torts, son désir de rentrer en grâce auprès de vous et de reconquérir votre estime?
C'était le souffle qui éteignait bientôt le lumignon.

Ne vous est-il pas arrivé de répondre avec impatience ou ironie à l'enfant qui vous regardait de ses grands yeux clairs et confiants? de tourner en ridicule sa crédulité naïve, ses interrogations ingénues?
C'était le souffle brutal qui éteignait la flamme naissante du lumignon.

Ne vous est-il pas arrivé, jeunes gens ou jeunes filles de faire sentir à un maître d'hier, à des parents vieillissants, à des aïeuls sur le point de disparaître, que leurs avis étaient superflus, leurs expériences surannées? À un maître, à un guide spirituel, qui vous a donné tous les beaux enthousiasmes de sa foi, tous les dévouements de son long ministère, que l'âge arrive, que la retraite est proche ? À un artiste jadis aimé et vanté, que son talent baisse, qu'il faut faire place aux jeunes? À un simple artisan, à une pauvre ouvrière, autrefois habiles en leur métier, que leur main s'alourdit, qu'ils ne peuvent plus fournir la même tâche et qu'ils sont plus ou moins finis 9 Ne vous est-il pas arrivé, à vous, maris et femmes qui, depuis de longues années peut-être, avez fondé un foyer, de vous faire sentir mutuellement que les beaux jours d'antan sont passés ; que l'affection se relâche ; qu'il ne reste plus dans les cendres de ce foyer qu'une bien fugitive étincelle, capable de s'envoler au moindre souffle de désaccord?
Ah! dans mille détails de la vie quotidienne, souvenons-nous des faiseurs de nuit ! Souvenons-nous, chrétiens et chrétiennes, 'qu'il suffit d'un mot, d'un regard, d'un geste, d'un silence, pour éteindre le lumignon qui fume encore. Ne nous rendons jamais coupables de ce crime impie que le poète appelait : « L'assassinat d'une clarté » et demandons au Christ, dans une communion toujours plus étroite avec son âme compatissante et si délicatement humaine, le secret qui consiste à faire jaillir d'un pauvre coeur qui sombre dans la nuit, l'éclair d'un dernier rayon!

Avez-vous remarqué qu'on représente toujours Jésus et ses disciples auréolés d'un cercle de lumière? Ce symbole est plein d'enseignement. Il y a des êtres qui, par leur regard, leur physionomie, leur personnalité tout entière, semblent dégager du rayonnement, de la clarté, de la sérénité. Ils sont comme lumineux et projettent comme du soleil sur tous ceux qui s'approchent d'eux ; et il en est d'autres d'où émane de l'ombre ; ils font de la nuit sur leur passage. Ne soyons pas de ces derniers ; imitons les autres ; semons la joie, la vie, la clarté autour de nous, ranimons de la lumière, du courage, de l'espérance chez les autres ; en un mot, traçons devant nous et laissons derrière nous un sillon de lumière. Nous serons ainsi des imitateurs, de vrais disciples du divin Maître qui rallumait, sans jamais l'éteindre, le lumignon qui fume encore.

O Dieu, ce que tu demandes de nous, chrétiens, c'est que nous soyons ici-bas des semeurs de lumière et non des faiseurs de nuit. Hélas! que de fois, nous avons méconnu ce bel idéal! Que de fois nous avons été coupables de notre manque de coeur, de charité, de pitié, de pardon. Que de fautes nous avons commises dont le remords nous poursuit quand nous descendons dans les souvenirs du passé et que nous examinons, sous ton regard, ces tristes vestiges de notre conduite envers nos frères. Nous avons fait couler des larmes, nous avons découragé des êtres qui nous étaient chers, nous avons tué des amitiés, des affections, des dévouements, éteint de bons sentiments par méchanceté consciente, préméditée, comme aussi par indifférence, par incompréhension de ceux que nous aimions et qui surtout nous aimaient.
Ah! ne nous laisse pas tomber à l'avenir dans de pareilles fautes et donne-nous le désir sincère, non pas seulement de les éviter, mais aussi de les réparer s'il en est temps encore ; nous te le demandons au nom de Celui qui partout jetait de la lumière autour de lui et disait :
« Je suis la lumière du monde ».

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