Lecture : MAT.
XII, 20; ESAÏE,
XLII, 3
Les roseaux!... Il y a celui de Pascal,
le roseau pensant qui meurt, avec la navrante
consolation de sentir la supériorité
de sa conscience sur l'univers aveugle qui
l'écrase. - Il y a le roseau flexible du
fabuliste qui a pris le parti de s'assouplir pour
courber la tête sous les tempêtes. - Il
y a le roseau froissé du prophète qui
redoute une nouvelle meurtrissure.
Le premier nous donne une leçon
de stoïcisme ; le second, un exemple de
sagesse avisée ; mais le troisième
m'arrête plus longtemps, car j'écoute
son douloureux soupir.
Roseau froissé! Faiblesse qui,
par surcroît, porte en elle, visible ou
cachée, une cause de souffrance.
Ouvrez les yeux : ils sont
légion, par le monde, les roseaux
froissés.
Roseaux froissés, les pauvres
êtres à organisme débile,
malade, et qui sont obligés de traîner
une existence précaire dans la douleur
quotidienne.
Roseaux froissés, ces lamentables
victimes de tares héréditaires, dans
leur chair et dans leur âme,
caractères insuffisamment armés pour
la lutte, chez qui les forces de résistance
diminuent après chaque
défaite.
Roseaux froissés, ces tristes
survivants d'un passé de bonheur sur qui
s'acharnent les épreuves et les deuils en
qui les souvenirs joyeux d'hier rendent plus
amère la solitude d'aujourd'hui.
Roseaux froissés, ces consciences
délicates pour lesquelles toute impudeur,
toute vilenie sont autant de scandales qui les
heurtent.
Roseaux froissés, ces coeurs
où meurent en silence un amour trahi, un
idéal désenchanté, une foi
jadis ardente, maintenant obsédée par
le doute; une vie spirituelle qui s'use au contact
des grossières réalités
matérielles.
Ah! roseaux froissés, plus on
s'applique a vous découvrir, plus on vous
voit surgir de partout. Vous êtes les grands
blessés des combats de la vie, et nous ne
savons ni vous toucher, ni vous panser!
Car, voici, pour le roseau
froissé, le second acte du drame qu'il
redoute : il craint, de partout, une nouvelle
meurtrissure, l'approche du passant qui peut lui
infliger une augmentation de souffrance. Cet
inconnu qui vient, ne va-t-il pas, avec
indifférence, fouler de ses lourdes semelles
la plante délicate et endolorie ? la
flageller, par distraction d'oisif, du bout de sa
canne insouciante?
Eh quoi! vous récriez-vous,
écraser un roseau froissé, est-ce
possible ? Quel est le monstre ou le bourreau
capable de prendre un cruel et tâche plaisir
à ajouter une nouvelle torture au martyre
d'une victime pantelante ?
Hélas! l'écraseur de
roseaux froissés, c'est trop souvent chacun
de nous. Oh! nous agissons inconsciemment; mais
c'est précisément cette inconscience
qui est inexcusable. Elle prouve que nous manquons
de cet affinement de sensibilité, de cette
délicatesse de culture du coeur qui sont la
caractéristique de ceux habitués
à vivre dans la profonde intimité du
Maître.
Oui, observez-vous vous-mêmes,
vous êtes des écraseurs de roseaux
froissés. Tous, nous avons
près de nous, à notre foyer,
très souvent, de ces sensitives du monde
physique et moral pour lesquelles le moindre
frôlement devient un supplice et nous n'avons
nul égard pour l'impressionnabilité
de leur chair à vif. Notre incapacité
à les comprendre fait qu'elles se replient
sur elles-mêmes, plus isolées et plus
désolées encore. Nous tuons, dans ces
êtres, la foi en la communion des âmes
par la compassion ; car nous créons, autour
de nous, sans nous en douter, une morale de gens
heureux, bien portants, aux muscles solides, au bon
sens robuste, pour qui ce serait
déplacé de s'attacher à un
sentimentalisme ému auprès de ces
malheureuses natures dolentes et
compliquées.
Ah ! comme il était
différent de nous, Lui! Comme il excellait
à découvrir et à comprendre
ces roseaux froissés! Comme il
érigeait en devoir suprême la
recommandation de ne pas les écraser! Comme
il était infiniment sympathique à
tous ces meurtris suppliants!
C'était son originalité
unique et divine de savoir toucher, d'un doigt
léger et habile, aux plaies profondes et
invisibles ; et c'est cette délicatesse
exquise qu'il réclame toujours de ceux qui
prétendent s'appeler ses disciples.
Concluons donc. Le devoir? - Il n'y a
pas à hésiter : le devoir, c'est pour
tout chrétien de se dire : j'aurai
désormais des regards plus
pénétrants pour toutes les
détresses que je rencontre. je marcherai
avec circonspection dans la vie de peur
d'écraser par inadvertance, quelque pauvre
roseau froissé. Et, craignant qu'il m'arrive
encore de commettre une telle cruauté, je
redoublerai de sagacité dans la pitié
; je m'appliquerai à relever doucement la
tige trop frêle qui courbe la tête ; je
servirai de soutien à sa fragilité
douloureuse ; je ferai de mon peu de force, un
tuteur à sa faiblesse ; je banderai ses
plaies avec amour on ligature bien la meurtrissure
d'un roseau
O Dieu, donne-nous cette
délicatesse d'un vrai chrétien qui
sait comprendre l'état d'âme des
autres et ne jamais se rendre coupable envers eux
de dureté, de cruauté. Apprends-nous
à nous pencher sur la souffrance des coeurs
meurtris par les incompréhensions d'un monde
où chacun vit en égoïste, sans
regarder aux détresses qui
l'entourent.
Apprends-nous à aimer, à
protéger, à soutenir tous ceux qui
ont besoin d'un peu de force dans
leur faiblesse, d'un peu d'espoir dans leurs
découragements. Ce sera le meilleur titre
à ce beau nom de chrétiens dont nous
sommes si souvent indignes, car le vrai disciple du
divin Maître, c'est celui qui n'écrase
pas la douloureuse meurtrissure d'un roseau
déjà froissé.
MARC 9,
10;
Pâques! - et le mot de
Résurrection va voler de bouche en bouche,
va tomber en accents d'allégresse de toutes
les chaires chrétiennes, se
répercuter en cantiques de triomphe sous les
voûtes de toutes les Églises!
Pâques! - et la Nature
prêtant, elle aussi, sa voix au choeur
entonné par les disciples du Christ, va
chanter son hymne au renouveau par toutes les
fleurs qui éclosent, par le bourgeonnement
des forêts, par son soleil qui monte chaque
jour plus haut dans une intensité croissante
de lumière.
- Et cependant on continuera à
mourir! Malgré le défi jeté
aux cercueils et aux cimetières,
malgré l'apostrophe hautaine de
l'apôtre : 0 Mort! où est ton
aiguillon? O Sépulcre où est ta
victoire? la sinistre et invisible visiteuse ne
semblera nullement arrêtée. Elle
entrera à notre foyer ou rôdera autour
de nos demeures, choisissant
lentement ou brusquement sa proie.
Que dis-je! en artiste macabre ne
besogne-t-elle pas en nous et sur nos corps ? Elle
s'amuse à crayonner des rides à nos
fronts, à sculpter, jour après jour,
un masque de vieillard dans la fraîcheur d'un
jeune visage.
La mort! Mais elle s'est
approchée de nous, au contraire, avec une
singulière ironie, par une des
dernières découvertes de cette
science dont nous sommes si fiers. Regardez sur
l'écran révélateur et
terrifiant de la radiographie - voici,
malgré la plénitude de votre
santé, de votre jeunesse, l'apparition de
cette chose horrible, insoupçonnée :
votre squelette, ce qui restera de vous, dans la
poussière d'une tombe, longtemps
après que vous aurez cessé
d'être et que votre chair aura
disparu.
Et quand en face de cette lugubre image,
on se met à en examiner le détail,
que voit-on? un nuage à peine
estompé, léger comme un voile, qui
enveloppe ce spectre d'épouvante.
Qu'est-ce que cela? Ma chair,
c'est-à-dire le cortège de mes joies,
de mes souffrances, de mes orgueils! Une invincible
hantise de néant vous saisit : l'homme n'est
qu'une apparence! Et l'on ajoute, avec Job : les
membres de mon corps sont comme
une ombre... le sépulcre m'attend.
La pensée d'une
résurrection se fait alors de plus en plus
lointaine et vague. Qu'est-ce que ressusciter des
morts? se demande-t-on avec les disciples. On
devient, malgré soi, le mystérieux
interrogateur que prévoyait saint Paul :
Mais, dira quelqu'un, comment les morts
ressusciteront-ils?
À ces questions demandons une
réponse aux apparitions du Ressuscité
: chacune de ces apparitions va nous donner une
explication spéciale et qui
complétera, qui harmonisera les autres. Il
ne s'agit pas de sonder le grand problème de
l'Au-delà en cherchant comment Dieu
ressuscite les morts, sous quel aspect, avec quel
corps il leur rend la vie; nous voudrions
simplement, d'après ces différentes
scènes où Jésus
glorifié se montre aux yeux des
apôtres, découvrir comment nous
pourrions, nous aussi garder un Christ vivant et
voir nos chers disparus réapparaître ;
comment nous pourrions rester en communion avec nos
bien-aimés si nous les quittons les
premiers.
Dans les différentes apparition
du Ressuscité, chose étrange, ce
n'est pas avec les yeux de la
chair que les disciples le reconnaissent ; c'est
avec les yeux de l'âme. Constamment on lit
ces mots : « Mais ils ne le reconnurent pas
tout d'abord ». La reconnaissance ne se
produit finalement que grâce à un
souvenir montant du coeur. Il y a là plus
d'une indication : il y a une
révélation si douce, si consolante
qu'il faut la recueillir comme un trésor de
grand prix surtout en ce jour de
Pâques.
Qu'est-ce que ressusciter des morts?
C'est revivre dans un coeur par un souvenir de
tendresse.
Marie-Madeleine voit, la
première, Jésus sortir de la tombe :
ses yeux ne le reconnurent pas. Ils ne se
dessillent que lorsqu'elle entend son nom : «
Marie », prononcé par le Maître
tant aimé avec cette intonation que, seul,
il savait lui donner...
Oh ! l'écho des tendresses
posthumes, des voix éteintes ne
prononçant plus, peut-être, qu'un mot,
un nom, mais le nôtre...
Oh ! les affectueuses sonorités
de jadis qui ne sont plus que des souffles, mais
qui font vibrer en nous des cordes
étrangement douloureuses! Et combien ces
voix d'outre-tombe nous parleraient plus souvent,
combien elles seraient plus nombreuses, si nous
avions su aimer davantage!
Qu'est-ce que ressusciter des morts ?
C'est laisser après soi le souvenir, non
seulement d'une voix, mais d'un geste doucement
familier, d'une pieuse habitude.
Voici la scène d'Emmaüs :
les disciples sur la route ne le reconnaissent pas.
Leurs yeux ne s'ouvrent que quand, dans l'ombre
troublante, il fait lé geste paternel de
bénédiction en rompant le pain. - Que
de fois, à l'heure où nos âmes
s'assombrissent de tristesse et de
découragement, nos morts
réapparaissent dans des manifestations
évanouies! Que d'insignifiantes choses se
mettent à chuchoter des souvenirs! Comme on
reste pensif devant une place vide, un objet dont
ils aimaient à se servir, un livre qui garde
l'empreinte de leurs doigts ! Une âme peut
être enclose dans un rien comme un pan de
ciel et un paysage dans une goutte de rosée
; mais c'est l'amour seul qui fait le grand miracle
: c'est lui qui nous fait voir des
ressuscités.
Qu'est-ce que ressusciter des morts ?
C'est laisser après soi une telle impression
de vie consacrée au devoir que les autres
vous revoient toujours avec le
remords de ne pas vous avoir assez aidé et
de vous avoir abandonné dans la noblesse de
votre idéal... Quand Jésus
apparaît sur les bords du Lac, les disciples
ne le reconnaissent pas ; mais Pierre a une
intuition : c'est le Seigneur! Et il ne se trompe
pas, car une angoisse tenaille son coeur : «
Simon, fils de Jonas, m'aimes-tu ? ». Il a
besoin de répondre à cette voix
lancinante, d'affirmer à son Maître
qu'il l'aime, qu'il n'a jamais cessé de
l'aimer, et d'autant plus qu'il porte en lui le
lourd souvenir de la nuit du reniement.
La conscience est ainsi une grande
évocatrice des morts. Penser à ce
qu'on n'a pas fait pour ceux qu'on
chérissait pourtant ; à ce qu'on
aurait pu être pour eux ; à ce qu'on
n'a pas su être! Oh! comme on voudrait
pouvoir crier à chacune de ces ombres :
« Tu sais que je t'aime!... » Mais il est
trop tard. Aimer trop tard, c'est un des plus
cruels supplices qu'on puisse ressentir, et il nous
est infligé par tant d'yeux attristés
qui nous regardent à travers la pierre des
tombeaux !
Qu'est-ce que ressusciter des morts ?
C'est laisser la mémoire d'une vie de
dévouement, de sacrifices
; d'une vie de souffrances, de meurtrissures
endurées pour le salut des autres.
Jésus apparaît à ses
disciples, mais ils ne le reconnaissent pas ; ils
le prennent pour un fantôme. Ce n'est
qu'après avoir vu les traces des clous dans
ses mains et ses pieds, la blessure de son coeur
que l'un d'eux - le plus incrédule -
s'écrie : c'est Lui!...
Combien de morts nous
réapparaissent et nous montrent des
blessures, blessures que nous leur avons faites
inconsciemment ou qu'ils ont reçues pour
nous. Nous découvrons, trop tard encore, les
cicatrices de martyres endurés à
notre intention. Que de pères, de
mères, de bien-aimés, dont nous
ranimons le passé de souffrance! Et nous
entendons leur voix nous dire : « C'est pour
toi que j'ai usé mes forces, que mon corps
t'a donné goutte à goutte sa vie et
son sang. Garde au moins un peu de mon souvenir et
songe que ton bonheur, ton bien-être
présents sont faits de mon agonie
d'autrefois ».
Qu'est-ce que ressusciter des morts?
C'est se survivre dans les autres en leur laissant
un exemple béni capable de
renouveler leur vaillance, d'alimenter longtemps
les sources d'énergie qui jaillissent des
profondeurs de leur être.
Quand Jésus va quitter pour
toujours ses disciples, il leur apparaît
encore et le Ressuscité souffle sur eux son
esprit : le Saint-Esprit.
Il y a ainsi des morts qui s'en vont en
laissant 'avec un adieu suprême, un esprit ;
et il y a des vivants qui ne vivent que grâce
au souffle bienfaisant, aux effluves spirituels
qui, sans cesse, montent d'une grande
mémoire. Que de morts il faudrait ainsi
chercher pour expliquer bien des vivants. Des
baleines venant de l'Invisible attisent aujourd'hui
des coeurs, embrasent des consciences. Nous ne
sommes donc pas seuls quand nous poursuivons le
bien, le vrai, le juste, quand nous accomplissons
un acte de glorieux héroïsme ou un
prodige obscur d'endurance au malheur. Des souffles
s'exhalent de la tombe : ce sont des
ressuscités qui travaillent par nous et en
nous.
Avons donc confiance : Celui qui a
ressuscité 'le Seigneur Jésus ne nous
laisse pas non plus dans la poussière du
néant. Mais il demande à nos coeurs
de l'aider à faire plus souvent le grand
miracle. Ceux qui revivent, ce sont ceux qui ont
aimé ou
qui se font aimer ; car, dît saint Jean,
celui qui n'aime pas demeure... et demeurera dans
la mort.
O Dieu, Dieu de Jésus, Dieu des
renouveaux de la Nature, Dieu des
résurrections incessantes, toi qui
sèmes la vie, dans les espaces infinis des
mondes sans jamais te lasser, dis-nous en ce jour
de Pâques, que tu n'es pas le Dieu des morts,
mais le Dieu des vivants.
O Père, immense foyer des
âmes, source de l'Esprit immortel, dans nos
pauvres coeurs si souvent ravagés par le
deuil ou écrasés par des puissances
de mort, viens souffler le réveil qui
renouvelle et vivifie le courage chez les
désespérés! Et sur la pierre
de nos tombeaux, fais luire, en ce jour, comme un
rayon béni, la grande espérance du
revoir dans l'Au-delà.
Lecture: ÉSAïE,
42.
Un lumignon qui fume encore 1 C'est un
flambeau qui s'éteint, une lampe qui baisse,
une lumière qui agonise. C'est
peut-être un pauvre petit ver luisant
blessé ou un gigantesque soleil qui
s'obscurcit dans l'infini.
Qu'importe! C'est de la clarté
qui va disparaître ; et, en tous cas, chez un
être humain, c'est la conscience d'avoir un
jour rayonné et de finir à
présent dans la nuit.
Jésus a rencontré de ces
lumignons qui exhalaient leur dernière lueur
; et il s'est appliqué à en ranimer
la suprême étincelle.
Dans des âmes assombries par la
honte ou le malheur, il ravivait le sentiment du
devoir, de la dignité humaine, de la vie
susceptible encore de renouveau et
d'espérance.
Il y a un évangile que nous ne
connaîtrons jamais, hélas! C'est celui
des confidences qui ont dû être faites
à Jésus, après l'invitation, par lui adressée, à
tous les travaillés et chargés, de
venir à sa rencontre.
J'imagine que des mots comme ceux-ci,
dont le Seigneur semble avoir été
prodigue : Prends courage! Va en paix! et qui
étaient la conclusion de tant d'entretiens
intimes, n'ont pu être prononcés
qu'après de longs
tête-à-tête avec de pauvres
êtres ayant découvert, au grand
guérisseur d'âmes, le tréfonds
d'un passé de misère et de
souffrances cachées.
Et c'est alors que le Christ soufflait
sur eux - car il y a des souffles qui rallument
comme il y a des souffles qui éteignent - et
il faisait soudain surgir une nouvelle
clarté du lumignon fumant encore.
Et c'est ici qu'il faut rapprocher
l'attitude du divin Maître de la nôtre.
Éteindre des lumignons! c'est une de ces
oeuvres démoniaques que nous
flétrissons de nos invectives les plus
indignées... Et pourtant, est-ce que nous ne
nous complaisons pas, trop souvent, dans cette
triste besogne de - faiseurs de nuit?
Ne vous est-il pas arrivé de
traiter avec une sévérité
outrageante, un malheureux qui retombait dans la
même faute ou le même vice? Certes,
votre sévérité était
juste ; mais la parole de, mépris qui
l'accompagnait, avec l'affirmation d'une
déchéance sans espoir,
était-elle bien à sa place sur des
lèvres chrétiennes? C'était un
souffle brutal qui éteignait un
lumignon.
Ne vous est-il pas arrivé de
rompre, avec une froideur déconcertante, ou
une violence inouïe., les liens qui vous
unissaient à un vieil ami, alors que
celui-ci vous affirmait, malgré tous ses
torts, son désir de rentrer en grâce
auprès de vous et de reconquérir
votre estime?
C'était le souffle qui
éteignait bientôt le lumignon.
Ne vous est-il pas arrivé de
répondre avec impatience ou ironie à
l'enfant qui vous regardait de ses grands yeux
clairs et confiants? de tourner en ridicule sa
crédulité naïve, ses
interrogations ingénues?
C'était le souffle brutal qui
éteignait la flamme naissante du
lumignon.
Ne vous est-il pas arrivé, jeunes
gens ou jeunes filles de faire sentir à un
maître d'hier, à des parents
vieillissants, à des aïeuls sur le
point de disparaître, que leurs avis
étaient superflus, leurs expériences
surannées? À un maître,
à un guide spirituel, qui vous a
donné tous les beaux enthousiasmes de sa
foi, tous les dévouements de son long
ministère, que l'âge arrive, que la
retraite est proche ? À un artiste jadis aimé et
vanté, que son talent baisse, qu'il faut
faire place aux jeunes? À un simple artisan,
à une pauvre ouvrière, autrefois
habiles en leur métier, que leur main
s'alourdit, qu'ils ne peuvent plus fournir la
même tâche et qu'ils sont plus ou moins
finis 9 Ne vous est-il pas arrivé, à
vous, maris et femmes qui, depuis de longues
années peut-être, avez fondé un
foyer, de vous faire sentir mutuellement que les
beaux jours d'antan sont passés ; que
l'affection se relâche ; qu'il ne reste plus
dans les cendres de ce foyer qu'une bien fugitive
étincelle, capable de s'envoler au moindre
souffle de désaccord?
Ah! dans mille détails de la vie
quotidienne, souvenons-nous des faiseurs de nuit !
Souvenons-nous, chrétiens et
chrétiennes, 'qu'il suffit d'un mot, d'un
regard, d'un geste, d'un silence, pour
éteindre le lumignon qui fume encore. Ne
nous rendons jamais coupables de ce crime impie que
le poète appelait : « L'assassinat
d'une clarté » et demandons au Christ,
dans une communion toujours plus étroite
avec son âme compatissante et si
délicatement humaine, le secret qui consiste
à faire jaillir d'un pauvre coeur qui sombre
dans la nuit, l'éclair d'un dernier
rayon!
Avez-vous remarqué qu'on
représente toujours
Jésus et ses disciples
auréolés d'un cercle de
lumière? Ce symbole est plein
d'enseignement. Il y a des êtres qui, par
leur regard, leur physionomie, leur
personnalité tout entière, semblent
dégager du rayonnement, de la clarté,
de la sérénité. Ils sont comme
lumineux et projettent comme du soleil sur tous
ceux qui s'approchent d'eux ; et il en est d'autres
d'où émane de l'ombre ; ils font de
la nuit sur leur passage. Ne soyons pas de ces
derniers ; imitons les autres ; semons la joie, la
vie, la clarté autour de nous, ranimons de
la lumière, du courage, de
l'espérance chez les autres ; en un mot,
traçons devant nous et laissons
derrière nous un sillon de lumière.
Nous serons ainsi des imitateurs, de vrais
disciples du divin Maître qui rallumait, sans
jamais l'éteindre, le lumignon qui fume
encore.
O Dieu, ce que tu demandes de nous,
chrétiens, c'est que nous soyons ici-bas des
semeurs de lumière et non des faiseurs de
nuit. Hélas! que de fois, nous avons
méconnu ce bel idéal! Que de fois
nous avons été coupables de notre
manque de coeur, de charité, de
pitié, de pardon. Que de fautes nous avons
commises dont le remords nous poursuit quand nous
descendons dans les souvenirs du passé et que nous
examinons, sous
ton
regard, ces tristes vestiges de notre conduite
envers nos frères. Nous avons fait couler
des larmes, nous avons découragé des
êtres qui nous étaient chers, nous
avons tué des amitiés, des
affections, des dévouements, éteint
de bons sentiments par méchanceté
consciente, préméditée, comme
aussi par indifférence, par
incompréhension de ceux que nous aimions et
qui surtout nous aimaient.
Ah! ne nous laisse pas tomber à
l'avenir dans de pareilles fautes et donne-nous le
désir sincère, non pas seulement de
les éviter, mais aussi de les réparer
s'il en est temps encore ; nous te le demandons au
nom de Celui qui partout jetait de la
lumière autour de lui et disait :
« Je suis la lumière du
monde ».
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