Lecture : Luc
IV, 14-22.
À qui irions-nous, Seigneur ? Tu
as les paroles de vie éternelle.
(JEAN
6, 68).
Nous ne pouvons pénétrer
dans les âmes que par ce qui jaillit d'elles
ou par ce qui y tombe. Ce double moyen de
communication entre les hommes est échu
à la parole. La parole, c'est l'âme
qui se projette, c'est de la lumière qui
sort de nous ; la parole, c'est du grain que nous
semons et qui tombe dans le coeur d'autrui ; la
parole c'est un rayon qui émane de
nous-mêmes et qui va se refléter dans
un autre être comme une clarté dans un
miroir ou dans une source.
Or, on a dit du Christ : jamais homme
n'a parlé comme cet homme; lui seul a eu des
paroles qui durent en vie éternelle.
Voilà le témoignage des
contemporains. Et si vous écoutez, en effet,
parmi les grandes voix, celles qui retentissent le
plus haut, comme le plus doucement à travers
l'histoire ou la vie intime des hommes, vous
remarquerez que c'est encore et
toujours la voix de Jésus qui les
domine.
C'est lui qui parle aux foules, aux
nations, pour leur dicter sans cesse plus de
justice et de fraternité. C'est lui qui
parle dans le secret des âmes pour indiquer
à chacune son devoir et pour l'élever
dans le domaine de la spiritualité, de la
bonté, de l'idéal.
Essayons donc de découvrir
comment parlait le Christ, quelle était la
forme dont il revêtait le plus ordinairement
sa pensée.
D'abord, où parle Jésus?
On peut répondre, avec Jean, qu'il est la
parole incarnée ; il parle partout et sur
tout. Il parle en public, mais, comme les anciens
sages de la Grèce, il prolonge volontiers
ses entretiens avec ses disciples. Il parle
à un banquet, à une réunion de
famille, à la synagogue, sur une colline, au
bord d'un puits, devant un cercueil, sur la rive du
lac, parmi les bateliers, les pécheurs et
jusque sur la croix de son supplice. Les paroles de
Jésus ont cette particularité que,
malgré la traduction en langues modernes,
elles ont le don de se graver dans le coeur
à une profondeur que rien ne peut effacer.
Qui les a entendues une fois, ne peut plus les
oublier. À l'encontre de tant de discours
dont les échos se perdent, elles restent et
comme il l'a dit lui même :
le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne
passeront pas, car elles sont esprit et vie. Elles
ne supportent aucun changement, aucune retouche ;
retrancher ou ajouter, c'est les affadir, c'est les
dénaturer.
Les formes de la parole de Jésus
peuvent se ramener en somme au nombre de
quatre.
1° Il y a d'abord les petites
sentences, les aphorismes, préceptes courts,
formules bien frappées comme des
médailles. Ce sont, pourrait-on dire, des
grains de bon sens, des gouttes de lumière,
des condensations de vérités.
Exemples :
À chaque jour suffit sa peine.
Demain aura soin de ce qui le regarde.
Que votre oui soit oui.
Nul ne peut suivre deux Maîtres.
On ne met pas le vin nouveau dans de vieilles outres.
Un bon arbre ne peut porter que de bons fruits.
Rendez à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu, etc...
2 ° Les paraboles.
C'est le genre
préféré de Jésus. C'est
un récit fictif, une scène, un
tableau, une vérité morale ou
religieuse présentée sous une forme
pittoresque, quelquefois dramatique. Les paraboles
sont au nombre d'une quarantaine
dans l'Évangile. Citons les principales : le
Semeur, l'Enfant prodigue, la Brebis perdue, le Bon
Samaritain, le Pharisien et le Péager, et la
longue série des paraboles dites du Royaume,
destinées à nous faire comprendre la
lente mais sûre croissance de
l'idée.
3° Les discours. Jésus a
prononcé de longs discours. Nous en avons
l'assurance par certains vestiges assez
considérables qui nous ont été
conservés, comme le Sermon sur la Montagne
dans les synoptiques et les entretiens du
Cénacle dans l'Évangile de
Jean.
Toute la gamme des tons y est
représentée. À la foule, il
jette ses appels les plus pressants ; à ses
disciples, il dévoile les mystères de
tendresse de son coeur ; aux Pharisiens hypocrites,
il lance ses invectives indignées.
4° Enfin, Jésus nous
apparaît encore avec toute la
supériorité de la parole dans la
polémique, la discussion, la
répartie. Ici, il est tantôt
sérieux et attristé, tantôt
agressif ou ironique.
Dans les discussions avec ses
adversaires, tantôt il résiste, et
tantôt il attaque. Pour résister, il
cite des paroles de l'Écriture, pose des questions
embarrassantes
aux
casuistes du pharisaïsme et aux docteurs de la
Loi. Dans l'attaque, ses armes sont le coup droit,
l'accusation directe, l'apostrophe cinglante et par
dessus tout la réduction à l'absurde,
le dilemme, l'appel au bon sens et au bon coeur qui
ferment la bouche aux plus acharnés.
Il se dégage donc de cette parole
l'impression qu'elle tombe d'une hauteur surhumaine
et qu'elle reste toujours actuelle, dominant les
temps, les mentalités des races ou les
progrès du développement
humain.
Les premiers disciples du Maître
ne s'y sont pas trompés. Ils ont senti en
lui un révélateur qui était en
même temps une puissance de salut. Ses
paroles ont fait l'effet à tant de pauvres
êtres, perdus dans la nuit, de lumière
s'allumant sur leur tête pour les guider ; et
au-dessus de l'humanité en marche vers des
destins inconnus, elles subsistent encore
aujourd'hui comme les grandes constellations
immuables, seuls points fixes pour notre
orientation. L'homme ne vit pas seulement de pain,
a dit Jésus ; il vit de paroles, mais de
paroles qui sortent de la bouche de Dieu. Et ces
paroles-là, c'est lui qui nous les a
apportées, car ce sont des paroles de vie
éternelle que nulles autres ne pourront
jamais remplacer.
O Dieu, nous avons besoin chaque jour,
pour soutenir le dur combat de la vie, d'un mot qui
nous guide comme une lumière, qui nous
ravitaille de courage, qui nous relève dans
le malheur, qui nous console dans la
détresse, et dans le deuil ; d'un mot qui
nous dicte le devoir et entretienne en nous
l'espérance, la foi, l'idéal. Si ce
mot nous manque, si ce mot révélateur
nous fait défaut, nous restons dans le
silence, sans directives, désemparés,
désespérés, en proie aux
emprises du mal et aux puissances de mort.
Apprends-nous donc à aller puiser
cette parole de salut à la source divine
jaillie de l'âme même du Sauveur. Nous
y découvrirons toujours la
vérité susceptible de nous guider,
l'esprit de lumière, de patience, de
bonté capable de nous remettre debout et qui
nous permettra d'aller toujours plus loin avec
courage et toujours plus haut avec confiance, car
c'est en lui que résident les paroles de vie
éternelle.
MATTHIEU
VI, 9 à 13.
Que peut mettre, dans chacun des termes
de cette prière, le chrétien qui,
trop souvent, la répète comme une
vaine redite? Prenons l'une après l'autre,
ces diverses requêtes pour en sonder les
profondeurs. C'est une paraphrase que nous sommes
tous appelés à faire, car la
prière du Seigneur demande à
être complétée par notre
méditation personnelle, accrue de tous nos
progrès dans la foi.
Quelqu'un a dit que tout homme de coeur,
de foi ou de généreux idéal
devrait la répéter chaque jour en
fixant les yeux sur un planisphère, sur un
globe terrestre où se jouent les
destinées de l'humanité.
Notre Père!
O Toi, qui es le créateur des
mondes et des êtres, l'inlassable semeur de
la vie dans les gouffres de l'infini, nous te
saluons comme notre Père ; mais nous te
saluons aussi comme le
père des familles et des races. C'est en Toi
que nous, pauvres êtres
éphémères, nous avons la
sensation des durées. C'est en Toi que nous
avons quelques racines dans le passé. Tu es
le Père de nos pères ; le Dieu
d'Abraham, d'Isaac, de Jacob ; c'est en toi que
nous nous sentons, nous les vivants d'aujourd'hui,
leurs frères de misère et
d'idéal, sur la vieille souche de nos
ancêtres.
Notre Père qui es aux
Cieux!
Tu es aux cieux, et nous sommes sur la
terre. La distance est prodigieuse. Incommensurable
est ta grandeur ; insondable ta sainteté
devant notre petitesse et nos souillures! Mais nous
savons que de là-haut, tu nous suis pas
à pas. Te chercher, c'est déjà
te trouver ; car lever les yeux vers les
étoiles, c'est rencontrer la lumière
de ton regard dans notre nuit, et c'est aussi
entrevoir, dans les profondeurs de
l'au-delà, les demeures mystérieuses
où nous attendent nos chers
disparus.
Que ton nom soit
sanctifié!
Si tant d'êtres ou tant de choses,
en qui nous avions mis notre confiance, notre
estime, notre affection, nous ont cruellement
déçus et trompés, que du moins ton
nom, à toi, reste pour nous entouré
d'une auréole sacrée. Alors que nous
le prononçons ou l'entendons prononcer,
donne-nous l'impression bénie de
l'Ineffable, de ce qu'il y a de plus beau et de
plus doux dans le langage des hommes.
Que ton règne vienne!
Qu'il descende dans chacune de nos
âmes par l'influence de ton Christ, dont la
parole et l'Esprit doivent être toujours
mieux compris, toujours plus sincèrement
obéis ; mais qu'il descende sur le monde
entier pour changer, dans la masse humaine, la
haine en amour, les luttes - fratricides en
collaborations pacifiques, la race de Caïn en
fils du Royaume de justice et de
lumière!
Que ta volonté soit faite sur la
terre comme aux cieux!
Ah ! que s'organise, sur cette
planète, où tout est désordre
et discorde parmi les hommes, un peu de cette
harmonie merveilleuse que là-haut, nous
constatons sur nos têtes! Que les âmes
gravitent autour de toi, Père, dans ta
clarté, avec la régularité des
soleils dans l'infini! Que notre âme
douloureuse, tiraillée
par des forces contraires, apprenne à dire,
sachant que c'est là la sagesse de l'homme
libre et la liberté de l'homme sage : je
veux ce que tu veux ; je veux parce que tu
veux.
Donne-nous aujourd'hui notre pain
quotidien!
O Puissance de bonté
prévoyante, toi qui prends soin des lis des
champs, des oiseaux de l'air, qui mûris les
épis de nos moissons, qui donnes à
nos corps le pain suffisant de chaque jour. Nous
avons à lutter, à peiner, pour
gagner, dans cette existence compliquée
d'épreuves, les quelques parcelles de vivres
qui apaiseront notre faim ; apprends-nous à
réduire nos soucis, nos besoins, sans nous
exténuer dans la recherche des biens
superflus qu'on entasse inutilement : donne-nous
notre pain de chaque jour!
Pardonne-nous nos offenses, comme nous
les pardonnons à ceux qui nous ont
offensés.
Seigneur, tu nous as créés
pour vivre en commun dans de multiples groupements
; que toujours, dans ces milieux, nous
évitions de nous laisser aller à la
rancune, à la vengeance.
Répète-nous la parole du
Maître : qu'il faut pardonner jusqu'à
septante fois sept fois, nous ne ferons, en
agissant ainsi, que t'imiter un peu dans ta
miséricorde inépuisable à
notre égard.
Ne nous laisse pas tomber dans la
tentation.
Ne nous abandonne pas aux mille
influences perverses qui peuvent mettre à
l'épreuve notre capacité de
résistance dans la lutte morale ou physique.
Tu connais nos tares, nos faiblesses, ne permets
pas que nous soyons tentés au delà de
nos forces. Donne-nous le pouvoir de marcher sur
les serpents ; de sortir victorieux des luttes avec
nous-mêmes dans lesquelles nous succombons si
tu nous abandonnes.
... Et délivre-nous du
mal.
Ah! vers toi, nous levons nos bras
chargés de chaînes. Nous
étouffons sous les étreintes du
péché. Brise, détruis ce
cercle infernal, cette prison de Satan qui nous
enserrent. De l'Air! de la Lumière! de la
Vie! de l'Amour libérateur! Seigneur, aie
pitié de nous! Du fond de l'abîme,
nous crions vers toi... Délivre-nous du
mal!...
Ainsi se termine, dans les plus anciens
manuscrits, l'Oraison dominicale. C'est un cri
d'angoisse lancé vers le ciel, avec un geste
des mains crispées qui implorent. Les
siècles postérieurs ont pu
compléter la divine prière par
l'harmonieuse adjonction d'une doxologie ; en
réalité sa vraie fin, sa fin tragique
et qui reste en suspens, c'est cette poignante
supplication, cet appel au secours! jeté
vers l'infini, et que le Fils de l'Homme a voulu
faire jaillir du coeur de tous les hommes :
délivre-nous du mal!
Cependant, avec l'Église
universelle, avec tous les groupements de croyants
quelles que soient leur origine, leur organisation,
leurs doctrines ou leur histoire, nous
éprouvons le besoin d'exalter notre amour et
notre espérance en Celui que nous adorons au
nom du Christ. Et nous répétons, en
communion de coeur avec tous les chrétiens,
cette magnifique conclusion du Notre Père
qui est l'apologie sublime du Créateur des
mondes, de cette âme de l'Univers qui guide
ici-bas les hommes et les pénètre de
son esprit : C'est à toi qu'appartiennent,
dans tous les siècles, le règne, la
puissance et la gloire. Amen.
« La Foi est une ferme conviction des
choses qu'on espère, une absolue certitude
de celles qu'on ne voit point ».
« Si vous aviez de la Foi gros
comme un grain de sénevé, vous diriez
à ce sycomore : déracine-toi et
plante-toi dans la mer et il vous obéirait,
et vous diriez à cette montagne :
transporte-toi et elle se transportait. Grâce
à la Foi, rien ne vous serait impossible
».
« Pourquoi n'avez-vous point de
Foi. Pourquoi avez-vous peur, ô gens de
petite Foi ».
« Que le Dieu de
l'espérance, dit saint Paul, vous comble de
la joie et de la paix qui viennent de la Foi
».
« Revêtez-vous de la cuirasse
de la Foi ».
« Nous marchons par la Foi, non par
la vue ».
« Veillez, demeurez fermes dans la
Foi ».
« La victoire par laquelle le monde
est vaincu, c'est notre Foi ».
« Seigneur, augmente-nous la Foi
».
C'est de la Foi, que je voudrais vous
entretenir aujourd'hui, en prenant pour texte cette
demande des disciples à Jésus :
Seigneur, augmente-nous la Foi.
Certes, le mot est bien
décrié de nos jours il semble
naïf, enfantin, il sort peu à peu de la
circulation comme une vieille monnaie usée.
La Foi! c'est que ce terme a servi à tant
d'interprétations erronées. Essayons
de les rechercher, de les écarter et nous
verrons ensuite ce qu'il faut entendre par cette
sublime vertu que le Christ a exaltée comme
la puissance des puissances.
Il y a une foi dont le produit est
l'orgueil, le mépris des autres; cette foi
vaniteuse qui relève le front
dédaigneux du Scribe, du Docteur de la Loi ;
cette arrogance farouche qui pousse à dire
en jetant un regard suffisant au-dessous de soi,
vers la multitude ignorante, mais douloureuse :
« Cette foule grossière ne comprend pas
la loi » suivant l'expression des anciens
rabbins d'Israël. C'est cette foi, mère
de l'orgueil, qui fait jaillir, comme « Amen
» à toute prière, la phrase
impie du Pharisien : « je te rends
grâce, ô Dieu, de ce que je ne suis pas
comme le reste des hommes ».
Il y a une foi qui peut égarer
davantage encore, c'est celle qui nous
entraîne dans les tristes
régions où s'épanouit l'esprit
de fanatisme, de secte, de parti ; plante aux
feuilles rébarbatives,
hérissées d'aiguillons
vénéneux, à l'aide desquelles
on fait des clôtures et des haies
d'isolement. « Tu ne penses pas comme moi,
s'écrie-t-on, donc je t'exclus de mon
Église, de mon cénacle, de ma
chapelle ; je prononce sur toi l'interdit, je
repousse toutes tes avances, je me refuse à
toute collaboration avec toi ». Cette foi est
la plus terrible adversaire de cette conquête
moderne, si fragile encore : la liberté de
conscience.
Et enfin, il y a une foi qui ne
relève ni de l'orgueil, ni du fanatisme
oppresseur, mais de la timidité, de la
peur.
C'est elle qui vous met dans cet
état de transe singulière, où
l'on redoute tout progrès critique,
scientifique, historique, comme un ennemi ;
où l'on se croit obligé de tamiser la
lumière du dehors qui doit entrer dans le
sanctuaire ; où l'on se figure, à
chaque instant, qu'il faut dire à sa raison
: « Tu viendras jusqu'ici, tu n'iras pas plus
loin ». Ah! qu'ils sont à plaindre les
porteurs timorés d'une telle foi! et comme
leur attitude me rappelle celle de l'ombre falote
du poète, qui, dans l'effroi
perpétuel de voir s'éteindre un
lumignon, murmure ces vers :
- Je passerai comme un fantôme,
- Comme un spectre mystérieux,
- T'abritant derrière ma Paume
- De l'air, des souffles et des yeux!
Eh bien, non! ce n'est pas de cette foi que je
veux vous entretenir et vous munir. De ces
déviations, de ces caricatures dangereuses
de la grande vertu, sonnons nous-mêmes le
glas funèbre ; et, empruntant un mot connu
pour en annoncer la fatale et heureuse disparition,
ne craignons pas de dire : cette foi se meurt,
cette foi est mortel... tant mieux si elle
disparaît.
Heureusement, il est une Foi qui ne
meurt pas, qui ne peut pas mourir et qui, bien
plus, fait vivre. C'est de celle-là qu'il me
reste à vous entretenir. C'est elle qui doit
entrer dans le soubassement de toute
personnalité moderne qui veut
s'édifier sur un roc solide et en harmonie
avec tous les progrès du jour. La Foi que je
vous propose est une confiance. Il faut la placer
au point central de son être, au profond de
sa nature, comme fait aujourd'hui tout architecte
avisé qui, dans les demeures bien comprises,
loge au coeur même des fondations les appareils
générateurs de force, de chaleur et
de lumière.
Et je me hâte d'expliquer cette
idée de la Foi-confiance et non croyance,
car il y a là une distinction utile à
faire naître dans tout esprit qui
réfléchit.
Dès que nous prononçons ce
mot : la Foi, nous tombons presque infailliblement
dans le dogmatisme ; nous dressons, devant la
Raison, un bloc, une masse intangible,
répulsive et qui forme un tout sacré,
indivisible, de vérités religieuses :
en enlever une, c'est porter atteinte à la
solidité de l'ensemble.
Or, il est à remarquer que si les
apôtres, les docteurs de l'Église
emploient ainsi le mot d'une façon massive,
pourrait-on dire, en insistant sur son
caractère d'unité, que rien ne doit
désagréger, Jésus au
contraire, en parle dans un tout autre langage.
D'après lui, la Foi est une de ces
énergies colossales semblables à tant
d'autres au sein de la Nature et dont il nous
suffit de détourner une parcelle, de capter
un filet pour posséder immédiatement
une source prodigieuse de force, cent fois, mille
fois supérieure à nos
besoins.
Relisez l'Évangile et vous
constaterez en effet que Jésus emploie le
mot constamment dans un sens
partitif. Gens de petite foi! - Si vous aviez de la
foi gros comme une graine infime, vous
déplaceriez des montagnes. Ou bien il
parlera de la foi particulière à
chacun, celle qu'on s'est assimilée : va, ta
foi t'a sauvé, ou ta foi est grande. Et si
de temps à autre Jésus parle, au sens
général, de la Foi, il fait suivre le
mot d'un qualificatif : la Foi en Dieu, car c'est
là l'épanouissement complet de la
confiance totale en l'Univers.
Et alors, si nous redécomposons
les rayons de cette magnifique vertu dont le grand
foyer est, en quelque sorte, le coeur du
Père Céleste, nous les voyons
descendre, ruisseler, remonter, rejaillir entre le
ciel et la terre, entre les choses et les
êtres, car la Foi c'est de la confiance en
chacun, en tout et en tous. Oui, chaque
créature, si minime soit-elle, a sa goutte
de foi, qui réfléchit son Dieu, comme
chaque feuille a sa perle de rosée dans la
forêt matinale et réfléchit le
soleil.
La Foi! si nous savions la distinguer,
elle est partout dans l'Univers. Elle est dans le
germe qui aspire à sortir de terre pour
dresser sa tige verdoyante à la
lumière ; elle est dans l'astre formidable
qui répète, sans se lasser, les
splendeurs de l'aurore ; la Foi, elle est dans les
espèces qui poursuivent avec d'obscurs désirs, les
étapes de leur évolution cent fois
millénaire!
De l'homme, comme des choses, se
détachent, à chaque minute, des
gerbes de confiance. Et la goutte d'eau
peuplée d'infusoires, comme la colossale
nébuleuse charriant des mondes
répètent à leur façon,
ivres de vie et de confiance en la vie, la
prière du Seigneur : « Que ta
volonté soit faite sur la terre comme au
ciel ».
Alors, il est aussi absurde de dire que
cette foi-là peut mourir que de soutenir la
disparition prochaine du sentiment maternel dans le
coeur de la femme, ou de l'amour filial dans le
coeur de l'enfant.
Et ainsi, la Foi allégée,
débarrassée de toute entrave, ouvre
des ailes gigantesques. Elle échappe
à la prison des textes, au carcan des
formules, à l'enclos étouffant des
sacristies ou des conciles. Elle n'est plus la
propriété exclusive, bornée et
réservée d'une église ; elle
passe, emportant avec elle le soupir des
créations, l'hymne des Univers, le cantique
des humanités terrestres ou stellaires, la
clameur de tous les êtres réalisant
leurs destinées ; elle est le cri de
triomphe confiant de l'Esprit qui chevauche et
dompte la matière et lentement la
divinise!...
La vie est un effort constant et par
cela même une lente déperdition
d'énergie physique. Dieu n'a pas fait de
l'homme une oeuvre de durée. Il vient un
temps où le corps connaît la fatigue,
où l'épreuve s'abat sur nous.
Tantôt elle fond, comme l'oiseau de proie, et
déchire en un instant notre chair ;
tantôt elle s'installe à demeure, avec
des raffinements de lent bourreau pour se rassasier
de nos tortures. Et c'est par des cris de rage
impuissante ou par des blasphèmes que nous
l'accueillons, à moins que ce ne soit avec
la morne résignation, le silence
désespéré devant
l'inévitable. C'est alors qu'il faut
utiliser sa foi pour en extraire de la force et de
la résistance.
Va, vous répétera alors le
Christ, ta foi te sauvera. Et qui sait?
peut-être qu'un jour, victorieux de la
terrible visiteuse, vous pourrez prendre pour vous
cette parole, si souvent
répétée dans l'Évangile
: « Ta foi t'a guéri ! ».
O Dieu, nous avons besoin de croire en
nous-mêmes, pour agir, lutter, pour aimer,
pour souffrir. Nous avons besoin de croire à
la bonté et au secours des autres pour leur
tendre la main et nous appuyer sur eux. Nous avons
besoin de croire à notre destinée
particulière, à la marche au
progrès du monde pour garder de
l'espérance et surtout de croire en toi,
ô Père, source de toute puissance
vitale et de toute inspiration spirituelle ; et
c'est pourquoi nous te répétons la
prière des disciples à leur divin
Maître : « Seigneur, augmente-nous la
Foi! ».
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