Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Deux jours avec « Lui »

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Quand les Samaritains eurent entendu le récit de la femme qui, disait-elle, avait rencontré le Messie près du puits de Jacob, ils vinrent vers Jésus et le prièrent de s'arrêter quelque temps au milieu d'eux. Il demeura là pendant deux jours. Deux jours avec Jésus! c'est bien peu, et c'est beaucoup.

Vous savez quelle profonde impression, quelle trace inoubliable peut laisser la visite d'un ami sous votre toit pendant deux jours. Il y a des moments où nous sommes angoissés par quelque grave résolution à prendre ; affectés par quelque douloureuse épreuve ; en proie à quelque dépression physique ou morale. Nous nous sentons seuls ; nous manquons de ressort pour la lutte ou pour l'action; en un mot, nous aurions besoin de conseils, de directives, de réconfort, et nous finissons par nous écrier : « Ah ! si un tel était la! s'il pouvait venir me voir, ne fût-ce que pendant un jour ou deux! » Et nous prenons la plume, nous écrivons un mot à cet ami et... il vient.

Sa visite est courte, mais il est entré dans notre maison, ou mieux dans notre âme Alors, tout s'est illuminé, s'est simplifié, s'est transfiguré. Et, quand il part, nous avons changé totalement de mentalité, de manière de voir, nous nous sentons remis sur pied et d'aplomb.

Petite expérience souvent faite. Tantôt nous avons éprouvé les bienfaits de cette influence d'un hôte de passage, dans notre vie ; tantôt nous avons été, nous-mêmes, les agents plus ou moins conscients de cette heureuse intervention dans la vie des autres. Que de miracles on peut faire en descendant, pendant deux jours, chez un ami! Que de bénédictions on peut retirer d'une rapide visite qu'on reçoit!
Alors, je pense tout naturellement, à ce petit mot de l'Évangile : Ils le prièrent d'entrer chez eux et il y demeura pendant deux jours.

Oui, Pendant deux jours, supposez que vous ayez donné accès en vous, au divin Maître. Voici le soleil qui se lève ; au moment du réveil il va établir avec vous le plan de la journée et vous donner le mot d'ordre. Vous partez au travail avec lui ; il vous aide à accomplir votre tâche en vous insufflant courage et bonne humeur, confiance et fidélité dans les moindres choses. Avec vous, il revient s'asseoir à la table de famille. Sa présence en chasse les conversations oiseuses ou médisantes, l'esprit de critique ou de discorde. Il est le compagnon de vos promenades ou de vos songeries solitaires ; Il préside à vos lectures, aux entretiens de la veillée ; Il pénètre de son inspiration, vos pensées et vos actes ; Il devient le conseiller de toutes vos décisions, le mystérieux témoin de vos insomnies ; Il pose sa main calmante sur votre front chargé de soucis ou sur le mal qui vous torture. Et supposez que, comme envers un visiteur ami, vous n'ayez d'autre préoccupation que de satisfaire à tous ses désirs, de rester en communion avec toutes ses pensées, vous sentirez bientôt les effets salutaires d'une pareille présence.

Votre caractère, vos habitudes en seront profondément modifiés. Que de douceur, de bonté, de patience, d'indulgence, de foi sereine, de bonne volonté envers tous, d'initiatives heureuses et généreuses, vous aurez à inscrire à votre actif pendant ces deux jours passés avec « Lui ».

Vous comprendrez alors ce que signifient ces mots : vivre en chrétien. Être chrétien, dans toute l'acception du terme, c'est bien difficile, impossible même, serions-nous enclins à dire! Et nous aurions raison ; car, au fond, cette expression n'a guère de sens pour nous : notre vie spirituelle est si incohérente et intermittente! Pour lui donner un peu de cohésion et de continuité, il faut commencer par de courts et faciles essais. On ne joue pas la symphonie d'un grand Maître sans avoir assoupli ses doigts par des gammes ; en tout, il faut un apprentissage et d'humbles débuts.

Commencez donc par vivre avec Lui pendant deux jours ; mais pleinement, sincèrement. Peu à peu, le contact se fera plus intime et plus continu. Vous ne pourrez plus vous passer de cette présence et de cette puissance inspiratrices. L'hôte de passage des deux jours vous deviendra indispensable. C'est vous-mêmes qui le retiendrez, comme les disciples d'Emmaüs, en lui disant : « Reste avec nous!... ». Et il restera ; il restera définitivement, car il l'a promis. N'a-t-il pas fait cette déclaration : « Demeurez en moi et je demeurerai en vous? ».

Nous avons pris l'habitude, depuis quelques années, de consacrer une journée à une oeuvre ou à un souvenir ; que ne prenons-nous la ferme résolution de consacrer, de temps à autre, dans notre vie intime, une journée au Christ? L'expérience vaut d'être tentée: essayons.

O notre Dieu, nous avons bien souvent, dans notre vie, si pleine de soucis, d'angoisses, d'épreuves, de souffrances morales ou physiques; le sentiment d'être seuls pour lutter et rester debout ; nous avons si souvent l'impression de notre impuissance à traverser les heures difficiles sans perdre courage, parce que personne n'est auprès de nous pour nous tendre les mains ou nous aider à marcher sur la route aride de l'existence! Et cependant, il nous suffirait de regarder vers Celui qui a dit : « Venez à moi, vous tous, les travaillés et les chargés et je vous soulagerai ; je ne vous abandonnerai pas, je donnerai du repos à vos âmes; je serai avec vous tous les jours, jusqu'à la fin ». Cette présence invisible du Christ, il suffit de l'invoquer pour qu'elle vienne et nous rende force, courage et espoir. Pourquoi nous privons-nous de son secours? Apprends-nous à chercher cet ami, cet inspirateur de notre âme, à lui dire dans les moments obscurs, comme les disciples d'Emmaüs : « Reste avec nous, car voici la nuit » et ayant fait l'expérience du réconfort que nous pouvons tirer de cet hôte divin dans nos coeurs, nous t'en bénirons en nous écriant comme il le faisait lui-même alors qu'il sentait peser sur lui l'abandon de ses disciples et le lourd fardeau de la vie : « je ne suis pas seul ; quelqu'un de plus grand que moi est en moi et avec moi ».


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La joie des autres

 

ROMAINS, XII, 15.

Il y a certains préceptes du Christ et de ses apôtres qui constituent ce que l'on pourrait appeler un filon de stoïcisme chrétien.

Choisissons, aujourd'hui, ce mot de saint Paul aux Romains : Soyez dans la joie avec ceux qui sont dans la joie. Il s'agit de prendre part au bonheur des autres, de communier pleinement dans leur joie. Simple petit devoir de morale vulgaire et courante, allez-vous dire! Maxime élémentaire de civilité puérile! Est-ce que la joie n'est pas instinctivement communicative? Qui donc aurait le mauvais goût de passer, comme un trouble-fête, dans un milieu où éclate, où rayonne l'expression d'une saine allégresse? Et si nous ne sommes pas tout à fait dans la note vraie, au moment même, si nous ne vibrons pas franchement, naturellement, à l'unisson des âmes que nous coudoyons, rien n'est plus facile que de donner le change! Avec un peu de tact et d'à propos, avec un peu de ce qu'on appelle du vernis de politesse, avec ce petit répertoire d'expressions élégantes, avec cette monnaie d'hypocrites formules, sur le bon aloi de laquelle nul ne se trompe, mais qui a cependant cours admis dans la meilleure société, il est toujours possible de faire bonne figure et de se tirer d'embarras. Nous aurons donc, le plus aisément du monde, des accueils prévenants et des sourires aimables pour toutes les joies d'autrui.

Vous le croyez? Méfiez-vous. Vous allez voir s'agrandir et se compliquer ce prétendu petit devoir comme la goutte d'eau qui devient un monde sous la lentille du microscope. Élevons-nous par degré, dans cette courte étude morale.

Soyez dans la joie avec ceux qui sont dans la joie.
Autour de vous, voici des êtres aimés un essaim : bruyant d'enfants ou de jeunesse la vie déborde en eux ; ils ont des chants sur les lèvres, des sonorités de rires et de propos insouciants ; vous, au contraire, vous êtes, par tempérament ou par circonstance, d'humeur chagrine et solitaire. Vous jetez alors avec impatience une de ces paroles sévères qui ont le funeste secret de ramener immédiatement le calme, c'est-à-dire de figer l'entrain et de tarir la gaieté. À vous la victoire! Vous avez rétabli impérieusement, tyranniquement, la quiétude nécessaire à votre isolement morose, à votre songerie égoïste ou simplement à votre sieste.
Voici de pauvres vieux, aïeuls respectables du foyer qui, d'une voix chevrotante, avec un pâle sourire d'extase pour des choses lointaines et disparues, entament, pour la centième fois, la monotone antienne de leurs antiques souvenirs. Et vous, d'un mot tranchant, vous imposez le silence avec un ton moqueur ou autoritaire! Sans avoir la charité patiente d'écouter, comme de l'inédit, les répétitions de la caducité, vous soufflez brutalement sur cette pauvre petite flamme qui remontait joyeuse des profondeurs d'une mémoire assoupie!
Oh ! ne sentez-vous pas que c'est un crime de projeter ainsi son ombre sur du bonheur? d'éteindre un éclair de joie dans l'oeil candide d'un enfant ou dans l'oeil obscur d'un vieillard ?

Soyez dans la joie avec ceux qui sont dans la joie!
Devoir de mansuétude encore et de tact indulgent quand on se trouve dans certains milieux ou la gaieté se traduit et se trahit en formules un peu massives, en réjouissances un peu pesantes. Nous affichons alors un dédain de supériorité d'esprit, un affinement exagéré de manières, d'éducation, vis-à-vis de pauvres gens, de braves gens qui ont fait tout leur possible pour nous prouver leur cordialité et leur désir de se dévouer pour nous.

Ah! le froissement cruel qu'on inflige souvent aux simples en leur faisant sentir, par des airs de réserve, d'ennui apparent, qu'on est d'un autre monde, que leur société nous offre peu d'attrait! Combien de tristesse on peut verser dans des coeurs d'humbles par le dédain avec lequel on reçoit une hospitalité, une prévenance, une surprise préparées par eux avec l'attente d'un émerveillement de notre part !
Non, n'attristons pas ces joies naïves en posant à la supériorité de l'intellectuel sur l'ignorant, du citadin sur le paysan, du civilisé sur le barbare.

Savoir se faire tout à tous comme dit saint Paul, c'est savoir - pourvu qu'elle soit saine et honnête - communier sans mépris, sans orgueil, sans attitude distante, avec la joie du vulgaire, alors même qu'elle manque d'atticisme ; c'est accomplir une obligation sociale, parfois difficile, mais pourtant bien douce, quand on y met toute sa conscience et tout son coeur.

Soyez dans la joie avec ceux qui sont dans la joie!
Devoir plus pénible encore et qui devient même un petit supplice dans le for intérieur de certains être incapables de se soustraire à la morsure de jalousie. Il s'agit d'aller porter, par exemple, ses félicitations à un voisin, à un ami, à un collègue, un confrère, un concurrent. L'un d'eux vient d'être l'objet d'un avancement, d'une distinction honorifique, d'un coup de la chance ou, de la fortune. Ah! les mots de mensonge qu'il faut balbutier avec un sourire! L'arrière-goût d'amertume que laisseront à la gorge ces charmantes insincérités ! Ah ! les petites cartes d'éloges hypocrites, de compliments forcés qu'il faut écrire avec bonne grâce, mais qu'on formule avec rancoeur!

Certes, on ne se confesse pas aisément de ces petits états d'âme infâmes ; volontiers on enfouit la bassesse de tels sentiments dans les cryptes de l'inavouable ; et pourtant cela est vrai, cela existe et même chez nous. Car, si on ne laisse pas monter au plein jour l'âpreté de ces jalousies méchantes, on la transpose, consciemment ou inconsciemment, en apitoiement sur soi-même ; et on se soulage en l'enfermant dans des phrases comme celle-ci : « Ce n'est pas moi qui aurais cette chance ; ce n'est pas à moi qu'un pareil bonheur est réservé ! »

Qu'il est donc difficile de se réjouir à plein coeur, sans jalousie, sans arrière-pensées mélancoliques, de la joie des autres ! À la lumière de la réflexion morale, voilà que ce devoir se révèle comme immense, comme supposant une haute maîtrise de soi-même ; et l'on ne peut prétendre, à le réaliser, dans toute sa plénitude, qu'avec l'aide de Celui qui nous promet les secours de son esprit.

O notre Dieu, apprends-nous à ne pas nous enfermer, nous complaire dans nos tristesses, mais à savoir faire un effort courageux sur nous-mêmes pour ne pas en imposer l'impression démoralisante aux autres par nos plaintes et nos doléances continuelles ; pour ne pas assombrir et troubler leur joie. Ah 1 certes, il est difficile, il est parfois bien dur de refouler dans nos coeurs les sanglots qui les oppressent. Mais souvenons-nous que c'est un devoir chrétien que nous devons nous efforcer d'accomplir, et que la plus belle victoire qu'on puisse remporter sur soi-même, c'est d'oublier sa peine pour s'associer au bonheur des autres.


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Debout les âmes !

 

PSAUME 42.

J'aime cette singulière apostrophe du Psalmiste à lui-même ; ce reproche plein d'affectueuse compassion adressé à cette mystérieuse compagne qui loge en son organisme physique : « Mon âme ! ma pauvre âme, pourquoi t'abats-tu? ».

Il est donc vrai, qu'au fond de nous-mêmes, l'Inspirée, la Divine, cette puissance aux ardeurs enthousiastes, aux emballements d'idéal, dont les ailes de flamme nous emportent si souvent vers les cimes et nous font planer en plein azur, peut se fatiguer, s'alourdir, trébucher, s'effondrer dans une chute lamentable? Il est donc vrai qu'à certaines heures, l'être de volonté et de raison, dont elle était le soutien et l'entraîneuse, peut se trouver, comme un voyageur désarçonné dans le désert, et qui se penche sur sa pauvre monture exténuée, gisante, essayant de la ranimer, de la remettre debout par un mot d'encouragement? Mon âme! ma pauvre âme! pourquoi t'abats-tu ?...

Ah! s'il fut jamais une époque caractérisée par des défaillances de l'âme, ou plus simplement du moral - suivant une expression qui a pris cours - c'est bien la nôtre. Soumis à d'effroyables épreuves, nous marchons dans un chemin d'angoisses et d'espérances où nous faisons des prodiges d'efforts pour nous maintenir dans la confiance et nous remettre sur pied quand nous glissons dans du découragement.

Qui pourra dénombrer les âmes abattues?
Pensez à tant de braves gens appauvris ou ruinés, que les difficultés de la vie, avec les enchérissements incessants, les menaces de restrictions, les privations déjà subies, anémient, déconcertent, affolent ! Pensez à tant de foyers en détresse où l'initiative, l'énergie de la mère de famille s'épuisent dans un travail excessif, dans la gêne et la souffrance quotidiennes, tandis que la vaillance, l'endurance de l'homme s'exaspèrent dans la recherche du travail introuvable! Pensez à tant de malades qui constatent, chaque jour un peu plus, les conséquences navrantes de leurs souffrances ; à tant de veuves ou d'orphelins, tant d'intérieurs, pour qui la vie n'est que le supplice d'un souvenir de bonheur ; à tant de vieux parents qui n'ont plus d'autres perspectives que de maintenir une vie qui s'éteint!

Âmes abattues, quelles réponses et que de réponses vous pourriez faire à ceux qui vous poseraient l'interrogation du Psalmiste!

Et pourtant, l'heure n'est pas aux affaissements, aux apitoiements des âmes sur elles-mêmes, si respectables, si dignes d'intérêt soient-ils.
S'il est un cri de ralliement qu'il faille faire retentir, c'est celui-ci : DEBOUT, LES ÂMES! Une pensée doit dominer tous les sentiments d'égoïste douleur et de découragement trop personnel : c'est celle de l'Apôtre : Nul de vous ne vit pour soi-même! et il faut la faire sienne aussi bravement, aussi clairement que nos héros d'hier se répétant, dans la mêlée, la contre-partie de ce même passage de saint Paul : Nul de nous ne meurt pour soi-même.

S'écrouler dans son désespoir, c'est entraîner souvent, du même coup, ceux qui s'appuient sur vous, soit du bras, soit du regard. Nous ne songeons pas assez que nous nous soutenons les uns les autres. Une âme qui s'abat, c'est un trou qui se creuse dans un rang où l'on marche de front ; la ligne tout entière est compromise et peut être enfoncée par cette seule défaillance. Et voilà pourquoi, aux heures graves, chacun doit réagir, se raidir pour rester debout.

Je dirai donc à ceux qui, grâce à Dieu, n'ont pas encore été touchés d'une façon trop directe ou trop cruelle dans leurs intérêts ou leurs affections, et qui, malgré cela, chancellent, par manque de patience et de confiance, démoralisant les autres : donnez l'exemple de la fermeté, de l'entrain, par votre accomplissement du devoir journalier. Le devoir envisagé comme un service obligatoire de chacun au profit de tous et de tous au profit de chacun, voilà le mot d'ordre. S'il en est qui ne comprennent pas encore cette consigne, qu'ils s'inspirent de cette belle parole de Kant, applicable, à plus d'un égard, à la génération actuelle mieux qu'à toute autre : « je dormais, je rêvais, je croyais que la vie n'était que beauté ; je me suis éveillé et j'ai vu qu'elle est DEVOIR ».

Et je dirai ensuite à ceux qui portent dans leur coeur la cicatrice toujours saignante d'une grande épreuve : n'allez pas répétant : « je ne suis plus rien, je ne puis plus rien. Votre devoir, c'est le plus impérieux et le plus noble : debout, pour le devoir de Sympathie! Dans ce domaine, personne mieux que vous ne peut réussir. Quelle autorité et quelle influence, quand on peut aller vers les souffrances des autres en leur criant : « J'ai souffert comme vous et c'est pourquoi je puis souffrir avec vous! » Quel gage de sincérité dans la compassion, quand on peut ajouter, comme Jésus à Thomas : « Tu doutes? mets ta main dans mon côté et, en retirant tes doigts tachés de sang, tu verras bien que j'y porte une plaie ».

Ne t'abats donc pas, ô pauvre âme! Qui que tu sois, redresse-toi, reste debout et marche dans le Devoir et la Sympathie. Au front qui s'abaisse dans la tristesse, l'ombre de la terre; au front qui se relève dans la foi, la lumière du ciel. Il y a deux hommes qui doivent rester debout afin de rayonner sur les autres : c'est l'homme de la conscience et l'homme de la douleur, car ils portent tous deux une auréole divine.

O notre Dieu, tu es la source du courage, de la vaillance et du relèvement, car tu es la force qui redresse, la puissance de salut qui nous remet debout à l'heure des défaillances et du désespoir. Descends donc dans notre coeur, souvent las de la vie et qui ne sait plus trouver la source de la patience, de la confiance, de l'idéal. Penche-toi sur nous ; tends-nous la main, relève-nous, dis à notre âme : « Relève-toi, ne crains rien ! » Toi qui nous donnes et qui nous continues la vie, accorde-nous à la fois le pain quotidien du corps et le pain spirituel de notre âme. Et apprends-nous à prier pour les autres, car c'est en pensant à autrui qu'on trouve le meilleur moyen de s'oublier soi-même.


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L'oubli et le souvenir

 

2 COR. IV.

L'oubli et le souvenir. Avez-vous parfois songé aux rôles contraires et pourtant complémentaires de ce défaut et de cette qualité qui caractérisent la mémoire?

L'oubli est une défaillance de notre cerveau, c'est entendu. Pourtant qui sait si, en fin de compte, il ne faudrait pas le bénir comme une grâce du ciel, au lieu de le déplorer comme une lacune de notre organisation psychique ?

Supposez l'effroyable supplice de notre être physique et moral, si tout ce qui vient le frapper de l'extérieur, émotions, sensations, s'y fixait pour toujours avec l'acuité du premier choc, l'intensité de la première minute. Nous ne pourrions pas supporter bien longtemps cet état de surexcitation et de sursaturation. Dans une existence où tout notre passé resterait pour ainsi dire présent, s'accumulerait, jour après jour, heure après heure, à la façon d'une neige tombant sans répit et sans jamais fondre, nous succomberions bien vite sous le faix écrasant!

Mais, doucement, le temps accomplit son oeuvre; il élague, il estompe, il efface dans les souvenirs. Il ne laisse qu'une ligne d'un paysage, un trait d'une lettre, un mot d'une phrase, un peu de cendre d'une fournaise, un regard d'une vie, un soupir d'une bouche aimée...
Et il faut qu'il en soit ainsi parce que l'actualité nous réclame sans cesse. Au mystérieux tableau noir qu'est notre âme, des choses nouvelles doivent s'inscrire. Demain est là qui attend ; hier et aujourd'hui doivent lui laisser la place, parce que la vie est une perpétuelle révélation. De là, la nécessité, par une main invisible, d'effacer pour qu'une autre main, invisible aussi, inscrive encore du nouveau.

Le rôle de l'oubli est donc plus providentiel peut-être, en tout cas plus bienfaisant que nous ne nous l'étions figuré jusqu'ici. Qui dira son action salutaire dans les fortunes adverses et les douloureuses épreuves! Les grands malheurs de l'humanité prise en masse ou les grands malheurs de chacun de nous pris individuellement subissent ce bienfaisant effacement par l'oubli et c'est pour cela que nous pouvons durer.
Depuis que les hommes luttent contre les forces de la nature, que d'abîmes se sont entrouverts sous leurs pas! Que de frôles esquifs chargés de rêves et d'amour ont fait naufrage! Mais oublieux des agonies d'hier et des désastres du passé, de nouvelles barques sortent toujours des ports...

Cependant voici le miracle : l'oubli n'est jamais total en nous; il a pour frère inséparable le souvenir.

Le souvenir! Vous êtes-vous parfois arrêté à la beauté de composition, d'étymologie de certains mots? Souvent les mots sont des oeuvres d'art auxquelles ont collaboré, avec amour, les pauvres imaginations du passé. Ils sont parfois d'une expression saisissante et d'une plénitude de sens qui fait qu'on tombe en extase devant eux au moment de les employer. Ainsi en est-il de ce mot souvenir. Le souvenir ! Quelque chose qui vient 'd'en dessous. D'où cela ? On ne sait pas ; de ces mystérieuses profondeurs, de ces réserves insoupçonnées, enfouies dans les arcanes de l'inconscient! Et cela remonte soudain comme une source, comme une de ces belles fleurs aquatiques qu'on voit tout à coup s'épanouir à la surface d'un lac.
Ils étaient en nous, les souvenirs, et nous ignorions leur présence. Qui les a éveillés, remués, appelés à la lumière? Personne ; il suffit d'un rien et le souvenir jaillit, activant le battement joyeux de notre coeur ou mouillant de larmes nos yeux.
Or, le souvenir, c'est presque toujours de la réalité qui s'épure, de la vulgarité qui s'idéalise. Il y a en nous un merveilleux artiste en retouches : nous lui fournissons des éléments quelconques, il les transmue en matière précieuse ; nous lui livrons des portraits humains, il en dégage des lignes divines.
Nous en avons fait maintes fois l'expérience. Le souvenir d'un bonheur ou d'une peine se nuance et s'auréole de teintes qui n'existaient pas dans les circonstances et les événements d'où naissent ces réminiscences. Le souvenir de ceux qui nous quittent ne correspond plus à leur image exacte ; dans la résurrection qui s'opère, apparaît un être spirituel que nous n'avions pas su voir du temps où il vivait près de nous.

Le souvenir est donc l'associé de l'oubli ; à eux deux ils font un triage : le premier collectionne pour l'éternité, tandis que le second jette au néant pour toujours. Et quand on y regarde de près, on constate ceci : de notre mémoire sort la vision des choses matérielles, alors qu'y subsiste et s'y précise la vision des choses spirituelles.

Ainsi se confirme le mot de l'apôtre : Ce qui est visible n'est que pour un temps, mais l'invisible est éternel.

Et ce travail inconscient du souvenir qui, lentement, fait remonter en nous des beautés spirituelles, tandis que s'effacent les laideurs des réalités d'ordre matériel, nous prouve qu'en dernière analyse, l'être humain est une âme, avant même que d'être un corps et qu'il travaille toujours, par l'esprit et pour l'esprit, dans le domaine des choses invisibles, à créer des réalités qui ne passent pas, qui vivent autant que nous et qui subsisteront toujours.

Il y a là un grand enseignement à retenir c'est que dès maintenant nous créons des choses invisibles et éternelles ; c'est que dès ici-bas, c'est déjà au triomphe de la partie divine de nous-mêmes que nous assistons ; et il faut bénir l'oubli comme il faut bénir le souvenir, puisque le premier désencombre la vie des visions matérielles trop inférieures, tandis que l'autre dresse, toujours plus haut dans la lumière, les vraies réalités du monde de l'esprit.

O notre Dieu, dans notre pauvre existence éphémère où tant de souvenirs s'accumulent et nous obsèdent, dont nous ne tirons le plus souvent que des impressions de tristesse et de découragement en songeant à tout ce qu'ils représentent de ruines d'espérances, de rêves morts, d'affections disparues, de choses et d'êtres évanouis pour jamais, apprends-nous à découvrir ce qui peut et doit subsister. Apprends-nous à chercher la trace lumineuse et bienfaisante des heures de bonheur, ce que nous pouvons en extraire pour notre âme, de valeur morale et spirituelle. Apprends-nous à nous souvenir de nos bénédictions d'hier pour avoir des coeurs reconnaissants et apprends-nous à nous souvenir aussi de nos erreurs, de nos fautes, de nos ingratitudes, pour en acquérir de l'expérience, du repentir et pour en faire surgir de bonnes résolutions qui transformeront notre volonté, notre caractère pour l'avenir que tu nous réserves encore. Que de nos malheurs, de nos épreuves, nous sachions retirer également des leçons de confiance et de résignation chrétiennes.
Tous nos jours ne sombreront pas alors dans l'abîme du passé mort ; nous saurons en extraire de la force et de la lumière pour mieux comprendre notre vie d'aujourd'hui et pour mieux la consacrer à ton service dans l'esprit de notre divin Maître.


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Sceptre ou étoile

 

Je le vois, mais dans l'avenir ;
Je le contemple, mais dans le lointain
Un Sceptre sortira de Jacob ;
Une étoile montera d'Israël.
(NOMBRES XXIV, 17)

Noël! Il y a, dans cette charmante et paisible scène de la crèche, l'histoire d'une grande espérance, les accumulations d'une expérience millénaire : c'est le point d'aboutissement de l'idéal messianique en Israël.

Sceptre ou Étoile, entre ces deux mots oscille la notion de Messie. Le peuple de Dieu croit à l'avenir, croît à la vie. Il attend, du mystérieux effort combiné des formes vivantes à naître et de l'Esprit qui les pénétrera, la révélation suprême des postulats de sa conscience et de sa foi. Une personnalité inconnue surgira un jour ; elle incarnera en elle le Messie. Mais que de retouches successives dans l'ébauche de cette vision! Car Israël la voit, mais vaguement ; il la contemple, mais dans les lointains. Ce Messie, sera-t-il Sceptre ou Étoile? c'est-à-dire puissance dominatrice montant de la terre, ou rayonnante splendeur descendant du ciel ? Tout est là.

Trois étapes bien marquées se retrouvent dans l'évolution de l'idée messianique ; on peut les résumer en trois mots : Force, justice, Bonté.

Voici d'abord l'idéal de la Force : le Messie sera le guerrier porte-glaive, le conquérant rouge de sang devant lequel nulle puissance ne pourra subsister. Puis, on incline vers l'idéal de justice. La force régnera, mais grâce au terrible justicier qui, tenant ses assises, fera' comparaître tous les ouvriers d'iniquités pour les anéantir du seul souffle de sa bouche. Enfin l'esquisse se précise ; et voici le grand prophète qui trace le portrait définitif : Le Messie, ce sera l'homme de douceur et de douleur ; le Sauveur d'âmes, plein de pitié, qui prendra sur lui nos infirmités, qui n'écrasera point le roseau froissé, qui n'éteindra pas le lumignon fumant encore.
Quelle distance parcourue dans le domaine spirituel! Que de progrès réalisés dans l'état de ces grands inspirés!...

Dirai-je que le même processus dans l'idéal se répète toujours à travers l'histoire? Les Nations, les Églises, les Individus passent par les mêmes phases.

Sceptre ou Étoile, toutes les aspirations, chez les peuples modernes, comme chez les âmes d'aujourd'hui, s'expliquent par la dualité de cette vision qui apparaît, sur l'écran de l'actualité, tantôt avec sa première forme, et tantôt avec sa seconde.

Les peuples ont cru à la force et y croient encore. Armements formidables, sous prétexte de défense, mais non toujours sans arrière-pensée d'agression ! Hélas ! nous savons ce que cela coûte et ce qu'il en coûte quand se déchaîne le fléau de la guerre. Aussi, instruits par le spectacle des effroyables hécatombes, arrivons-nous au second stade des expériences d'Israël : la justice. Les nations s'organisent en société, sous l'égide de cette austère protectrice. Mais la justice, malgré les balances qui sont l'attribut de son prestige plus que de son autorité, est obligée de garder un glaive à son flanc pour faire respecter ses arrêts. Et l'on pense alors, avec mélancolie, à ce que pourrait faire un peu plus de Christianisme dans ce concert des grandes nations civilisées. Malheureusement l'étoile du Christ est encore trop bas sur leur horizon.

Les Églises, elles aussi, ont parcouru ou parcourent la même voie dans la poursuite de leur rêve messianique. Le Christianisme a caressé l'espérance d'imposer, par la force, le joug d'une domination temporelle ou d'une tyrannie dogmatique en s'appuyant sur le bras séculier. Après la faillite d'un pareil idéal, révoltant les consciences asservies, il a renoncé à la manière forte des inquisitions et des dragonnades. Les Églises essaient maintenant de s'installer sur le second plan, plus élevé, de la justice, en entrant généreusement en collaboration avec les porte-paroles des grandes revendications sociales. Mais qu'elles prennent garde! Elles ne doivent pas oublier qu'il faut aller plus haut, jusqu'au divin Maître, car elles risqueraient de se compromettre avec des partis outranciers qui soufflent la haine de classes, Les Églises ne doivent pas perdre de vue la vision du Crucifié qui, dans son rêve de solidarité et de fraternité universelle, nous invite à la paix par la fusion de toutes les distinctions sociales autour de sa table sainte et de sa croix d'amour.

Et quant à chacun de nous, ne la refaisons-nous pas individuellement, cette expérience d'Israël ? Nous commençons tous par mettre notre confiance dans la force. Dominer, imposer son « moi » par l'intransigeance de ses idées ou l'ascendant d'une volonté inflexible ; écraser, s'il le faut, tous les obstacles pour affirmer sa personnalité et atteindre les buts de son ambition, c'est le premier idéal qu'on ait, en entrant dans la vie. Et puis, après les déceptions et les défaites de l'égoïsme autoritaire, on se replie sur l'idée de justice, on parle de. son droit méconnu ; on en appelle à la conscience des honnêtes gens et l'on sort de la vie active avec amertume et rancoeur. C'est la crise où sombrent souvent le sens moral et le sentiment religieux. Et pourtant, c'est l'heure du Christ ; les sceptres sur lesquels on s'appuyait se brisent, mais l'étoile du Fils de l'Homme se lève. À ses rayons s'éclaire un nouvel aspect de la vie fait de renoncement à soi-même, de bonté compatissante, de persévérance joyeuse dans le sacrifice pour des rédemptions collectives. Et quand nous en arrivons à comprendre ce qu'a de fécond cet idéal, nous sommes bien près de pouvoir dire, comme André à son frère Simon-Pierre : « Nous avons trouvé le Messie ».

O notre Dieu, tu connais notre destinée et nous, nous l'ignorons. Entre tes mains repose le secret de notre avenir. Délivre-nous des préoccupations, des angoisses inutiles pour en percer l'insondable mystère.
Apprends-nous à regarder au jour présent que tu nous donnes de voir et de vivre. Là sont des joies, des espérances, des obligations, des tâches immédiates.
S'acquitter en fidèle serviteur, en chrétien confiant et courageux, de notre devoir, de tous nos devoirs, tel est le mot d'ordre que tu nous donnes au matin de chaque journée. Et nous te remercions, ô notre Père, d'avoir su ménager pour nous, dans ta sagesse infinie, les révélations successives de ta volonté au cours des jours, plus ou moins nombreux, que tu nous donnes de passer ici-bas.

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