Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE QUATRIÈME

LE DIMANCHE ET LA FAMILLE

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Dans ces maisons où Dieu habite, il est un jour qu'on peut appeler à bon droit le jour de la famille. Aucun terme ne saurait rendre son importance, le bien qu'il fait, le mal qu'il prévient, les bénédictions qu'il répand; par lui, les liens se resserrent, le bonheur s'affermit et se sanctifie. J'ai nommé le dimanche.

Le dimanche de l'Évangile et non le sabbat des pharisiens. - Les Anglais, qui nous sont très-supérieurs sur ce point et que nous ne devons critiquer qu'à la condition de leur rendre d'abord justice, les Anglais, qui accomplissent une grande oeuvre de charité sociale en plaçant chaque année de nouvelles classes de travailleurs sous la protection du dimanche, ont exagéré et par conséquent dénaturé en partie l'institution précieuse dont mieux que nous ils ont senti la valeur.
Le dimanche tel que Dieu l'a fait, est aussi simple, aussi excellent que la famille telle que Dieu l'a faite. Ce sont des oeuvres où se reconnaît à première vue la main de l'Ouvrier.

Dieu a mis deux éléments dans le dimanche : le repos et l'édification. - Or, le repos n'est pas l'inaction; nous nous reposons infiniment mieux du travail de la semaine lorsque nous nous accordons le dimanche des promenades et d'innocents plaisirs, que lorsque nous nous condamnons à l'immobilité absolue. - La multiplicité des services religieux n'est pas non plus l'édification ; celle-ci est active et non passive ; vivante, elle demande à réfléchir, à réagir, et l'audition trop prolongée est loin de favoriser son essor.
La définition du dimanche chrétien nous est donc donnée; il ne s'agit que de la prendre sans y rien changer. Faire bien large la part du recueillement, de la prière, des oeuvres charitables, du culte public, du culte domestique, du culte particulier; et, d'un autre côté, assurer le repos, d'abord par la suppression. consciencieuse de tout travail, ensuite par les distractions honnêtes, voilà la double règle qu'on doit s'efforcer de suivre dans les maisons où Dieu habite.
Il est plus aisé de blâmer l'excès honorable où l'Angleterre est tombée que de réformer notre propre façon Savons-nous nous recueillir le dimanche ? Savons-nous assurer notre repos, en écartant et les voyages, et les travaux de cabinet, et les correspondances accumulées? Savons-nous assurer le repos de nos domestiques, en évitant autant que possible l'emploi de la voiture, en simplifiant la préparation des repas, en renonçant aux invitations? Savons-nous assurer le repos de nos fournisseurs, en interdisant les achats ? Savons-nous assurer le repos des ouvriers qui travaillent pour nous, en stipulant que ceux qui bâtissent oui réparent nos maisons feront respecter le dimanche? Savons-nous assurer le repos de nos fermiers et de nos vignerons, en ne permet tant pas qu'on achève une récolte le dimanche ou qu'on entre dans les pressoirs? Je me contente de poser ces questions.
Ou plutôt, faisons mieux, allons visiter une famille qui a ses dimanches ; la vue de ce qui se passe chez elle nous en apprendra plus que toutes les questions posées et discutées.
Cette famille s'édifie. Dans la place libre que, fait la suspension absolue des occupations, elle met avant tout ses entretiens intimes avec Dieu; elle s'approche avec confiance et respect de l'hôte qui a daigné entrer chez elle. Que de choses elle a à lui dire ! Comme il est bon de donner du temps, une fois par semaine, aux pensées qui sont là sans doute les autres jours, mais auxquelles on ne saurait alors s'arrêter suffisamment ! Comme il est nécessaire de repasser dans son coeur les grâces qu'on a reçues, les fautes qu'on a commises, et de procéder à son examen de conscience!

Le culte public apporte aussi ses bénédictions précieuses ; on prie avec ses frères, avec eux on médite d'une façon plus approfondie une portion de l'Écriture.
Je n'ai pas à décrire le culte public, à dire les divers actes solennels et touchants qu'il nous appelle à accomplir. Il me suffit d'avoir montré comment par lui la famille chrétienne achève d'atteindre le premier but du dimanche, l'édification. Occupons-nous maintenant du second, bien important aussi, le repos.
Les travaux, grands et petits, ont été suspendus on a été sincère vis-à-vis de soi-même et on n'a pas remplacé les occupations de la semaine par celles réservées au dimanche. Si nous manquions de droiture dans l'obéissance au commandement, il ne nous procurerait plus aucun bien. Ici, la tentation de manquer de droiture est forte, et j'en sais quelque chose. On ne fait tort à personne; d'ailleurs il s'agit toujours d'affaires urgentes ; enfin ces affaires (de simples lettres peut-être) n'ont pas le caractère du travail ! - Il en résulte des dimanches encombrés, plus laborieux parfois que les jours ordinaires, des dimanches où nos forces ne se réparent pas, où notre âme ne s'épanouit pas, où notre famille ne nous possède pas. Dieu a voulu que le dimanche fût un vrai repos.

Sans tomber le moins du monde dans le pharisaïsme, sans renoncer certes ni au droit de lire ni à celui d'écrire à un parent ou à un ami, fa famille chrétienne se rappelle que ce jour lui appartient et elle ne se le laisse enlever sous aucun prétexte. Nous l'avons dit, pour que le repos soit complet il faut qu'il soit actif, et l'ennui nous fatigue au moins autant que le travail.

Le dimanche de la famille n'est pas ennuyeux du tout. C'est le jour des bonnes promenades. Que j'aime à les voir alors, ces heureuses familles qui échappent enfin à la ville, à l'atelier, et qui vont refaire leurs provisions d'air pur et de soleil ! Elles s'avancent sur les chemins bordés de haies, lentement; il faut bien attendre les petits; et ces petits ont les mains si chargées de bouquets ! Pas une fleur n'en réchappe. Que dis-je? Les plantes elles-mêmes sont enlevées de terre; le père a tiré son couteau, il a détaché habilement les racines avec la motte ; cela sera transplanté dans l'humble chambre, près de la fenêtre , cela sera soigné, arrosé, contemplé pendant la semaine; cela reprendra, n'en doutez point; et voici des boutons qui deviendront des fleurs, la mansarde aura son jardin.
Non, le bien qu'ils se font ainsi, ces braves gens qui savent avoir leur dimanche, rien ne saurait en donner l'idée. lis se voient à leur aise, non en hâte comme les autres jours où chacun court à sa besogne. Ils se disent les choses qu'on ne dit que quand on a du loisir, et ce sont les meilleures. Ils jouissent, ils se reposent.
Qui sait? Une surprise a peut-être été préparée. Ce panier mystérieux et que les enfants regardent du coin de l'oeil ne renfermerait-il point un goûter? Ne va-t-on pas s'arrêter, par hasard, au bord de ce ruisseau, sur cette herbe si riche en primevères, sous ces arbres, en face de la montagne ? Question émouvante, que les petits agitent entre eux sans oser la poser, et qui se résoudra dans un moment.

Hélas, il me vient ici un scrupule. J'ai parlé d'arbres, de haies, de fleurs. Est-ce qu'on nous laissera tout cela ? « Ôtez les arbres ! Taillez les haies à trois pieds du sol !» Ceux qui rédigent ces beaux règlements ont oublié, je pense, les promenades du dimanche. Ils ne songent qu'à une chose, à tracer des routes bien unies, bien nues, où l'on n'ait nulle part le désagrément de rencontrer de l'ombrage et des chants d'oiseau, où il soit, à la lettre, impossible de se promener. Vive la ligne droite et périssent les innocents Plaisirs de la famille! Eu voyant quels pays on est en train de nous faire, pays nivelés, raclés, assommants, je sens de grosses colères me monter au coeur. Moi qui ai vécu dans la vénération de l'École polytechnique, je me surprends à maudire les ingénieurs. Aujourd'hui ils font couper les arbres; dans vingt ans ils en planteront au bord des routes ; il est vrai que vingt ans plus tard, quand ces arbres commenceront à donner de l'ombre, ils les extermineront de nouveau. Nos pauvres promenades, que deviennent-elles au milieu de tout cela ? Les haies proscrites sont remplacées par des murs on a le plaisir de s'avancer entre deux murailles et de sortir de la ville sans découvrir la campagne, Mais que les ingénieurs prennent garde à eux! Une ligue formidable se prépare, les familles se mettront bientôt à réclamer. Et leurs exigences seront grandes : elles ne se contenteront pas des squares, des jardins publics, et de toute la nature artificielle des cités; il leur faudra en outre des chemins, de vrais chemins à travers champs, avec de vrais arbres, de vraies haies, de vrais nids, de vraies fleurs sauvages, pour se promener et se reposer le dimanche.

Comment dire tous les bienfaits du dimanche? L'âme se rassérène, l'essoufflement cesse, le recueillement devient possible, les relations de famille se détendent.

Dieu nous connaissait, lorsqu'il nous a préparé cet asile de paix. Au travers du travail fiévreux qui envahit de plus en plus notre vie, nous regardons avec délice vers les jours mis à part, où la terrible machine s'arrêtera. Je n'ai pas oublié ce qu'étaient pour nous les dimanches lorsque nous traversions le désert et la Palestine. Nous savions d'avance que tous les sept jours nous pourrions demeurer 'quelque part, ne pas abattre en grande hâte le matin les tentes dressées la veille au soir, laisser errer les chevaux ou les dromadaires, dormir un peu tard, fainéanter, lire, réfléchir, faire une large place à notre culte; cette certitude nous donnait des forces et de la joie pendant toute la semaine.
Étranges bienfaiteurs de l'humanité, ceux qui retranchent les haltes de notre voyage d'ici-bas ! N'ont-ils donc pitié ni de notre corps ni de notre âme? Supprimer le dimanche, ce gardien de la famille, rien n'est plus aisé peut-être ; mais supprimeront-ils les besoins de notre intelligence et de notre coeur? Le temps de penser, c'est quelque chose; on ne pense pas au milieu des fatigues et des préoccupations du travail. Le temps d'aimer, c'est quelque chose; je veux dire le temps d'ouvrir son coeur.

Les peuples sans dimanche courent grand risque de se dessécher. Il se crée là des existences haletantes, où l'on s'en tient au strict nécessaire ; or, les affections sont du superflu, comme chacun sait. Ce que devient alors la famille, il n'est pas difficile de le deviner. On lui a ôté ses repos, la débauche réclame les siens. Arrive enfin le nivellement industriel; la manufacture ne veut point d'obstacles et démolit les refuges; pour elle il n'y a pas de dimanches, pas plus qu'il n'y a de nuits ; de nuit et de jour, du 1er janvier au 31 décembre, ses feux sont allumés, ses machines marchent, il lui faut des hommes.
Contre elle les règlements et les inspecteurs seront une faible défense. Mais que le dimanche soit là, appuyé sur la famille et sur l'Église, alors le grand niveleur sera contraint de s'arrêter. S'arrêter, oh, que cela fera de bien ! S'arrêter cinquante-deux fois par année, s'asseoir, respirer, ne plus entendre le bruit des engrenages, se rappeler qu'on a une intelligence, et un coeur, et des gens à aimer !

Le travail même, qu'on le sache bien, ne se passe pas du repos des dimanches. Qui ne fait pas le dimanche, fait le lundi. Et nous aussi nous faisons le lundi , nous les ouvriers de la pensée. Nous travaillons mal, parce que nous nous reposons mal.
Un homme qui travaillait bien, M. de Montricher, l'éminent ingénieur qui a créé le canal de la Durance à Marseille, confiait un jour à l'un de ses amis le secret de son entrain et de son indomptable énergie : « Le samedi soir, je donne un tour de clef à mon cabinet, j'y enferme mes occupations et mes préoccupations; jamais je ne rouvre avant le lundi matin. »

N'admirez-vous pas la simplicité et l'harmonie des institutions divines? La famille et le dimanche se complètent, se protègent mutuellement; on ne parvient pas à les séparer sans mutilation. Heureuse la famille qui a ses dimanches! C'est son jour, je le répète, un jour de joie et de progrès, qu'elle attend, auquel elle aspire, dont elle se souvient quand il est passé. Elle s'y repose par l'adoration, par la charité pratique, par les plaisirs goûtés en commun. Son coeur s'est réjoui, son courage s'est relevé, ses forces se sont renouvelées, son regard s'est reporté vers les biens véritables ; elle a senti en elle la rencontre du divin et de l'humain. Dieu est là, chez elle; elle ne l'avait jamais si bien compris.

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