Nous avons vu ce qui se passe dans la famille
lorsque Dieu est là; voyons maintenant ce
qui se fait par elle. Ceci est immense; aucun
levier moral n'agit ici-bas avec une pareille
puissance. La vraie famille, je le dis sans
emphase, est chargée de relever
l'humanité.
Voici des sociétés
d'évangélisation qui se fondent
toutes seules, qui ne demandent rien à
personne et qui ne publient point de rapports.
Voici des Églises, je puis bien les nommer
ainsi avec les apôtres (1),
des
Églises qui annoncent Christ du matin au
soir, par le seul fait qu'elles existent. Voici une
oeuvre universelle, incessante, qui puise ses
forces en elle-même, que rien ne peut
arrêter. Elle atteint partout; elle
s'installe à la ville, au village, dans
l'atelier ; ici elle est savante, là elle
est ignorante, elle parle patois, elle se met
à la portée des plus humbles. Les
méthodes sont simples et les
procédés peu dispendieux : Les
Écritures ouvertes sur une petite table et
lues avec respect, une prière que l'un
prononce et que les autres redisent au fond de leur
coeur, quelques âmes unies par une sainte
tendresse, des vies qui se déploient dans
les conditions du bonheur élevé, il
n'en faut pas davantage.
Considérez une de ces maisons
autour desquelles il y a comme un rayonnement de
foi vivante et de charité. Nous ne nous en
approchons pas impunément, et toutefois nous
aimons à nous en approcher ; nous nous
trouvons si bien dans son voisinage, à
portée de sa
lumière et de sa chaleur! Ce n'est pas une
prédication que nous rencontrons là,
C'est une contagion.
Contagion bienfaisante et que rien ne
peut remplacer sur la terre. Il faut qu'on
prêche l'Évangile, mais il faut
surtout qu'on le pratique; il faut qu'on l'annonce,
mais il faut surtout qu'on le fasse aimer ; il faut
qu'on le démontre, mais il faut surtout
qu'on le montre.
Et c'est en cela qu'excelle la famille
chrétienne, malgré ses
inévitables imperfections. La vie selon
Dieu, la vie en Dieu, se produit chez elle comme
nulle part ailleurs, sans étroitesse, sans
affectation, j'ajouterais volontiers, sans
préméditation et sans parti-pris.
C'est une vie, c'est-à-dire ce qu'il y a de
plus spontané ici-bas.
On ne se défie pas de la vie.
Vis-à-vis d'un docteur, nous nous mettons en
garde; vis-à-vis des sympathies naïves,
du sérieux qui se manifeste simplement, du
bonheur qui ouvre la main pour répandre ses
trésors nous sommes
désarmés.
Nous avons vu ce que devient la foi
religieuse dans la famille, ce qu'elle y
revêt de vigueur, de
charme, de beauté. La famille nous apporte
trop de leçons humiliantes, trop d'occasions
de rentrer en nous-mêmes et de nous repentir,
elle met trop d'obstacles devant nos plans, elle
nous impose trop de sacrifices, elle brise trop
sûrement nos despotismes, elle crée
à notre usage un apprentissage trop habituel
du renoncement, pour fabriquer des
docteurs.
Qui pourra mieux qu'un membre d'une
'vraie famille parler de la religion de support et
d'amour? Qui parlera mieux du péché?
Qui racontera mieux les douleurs que Dieu envoie et
les consolations qu'il prodigue? Qui décrira
mieux ses grâces et les joies ineffables que
l'on goûte à son service ? Le Sauveur
a fondé la grande
évangélisation, le jour où il
a dit :
« Faites luire votre lumière
devant les hommes. »
Quand la lumière luit, les plus
légers deviennent attentifs. Rencontrer des
heureux, chose étrange ! Comment ne pas se
poser alors des questions sérieuses ? De
tous les spectacles que la terre peut
présenter, le plus grand, le plus
inexplicable assurément, c'est une vraie
famille, une famille unie. qui marche dans la
sanctification,
qui pleure avec espérance, qui se
réjouit avec actions de grâces.
L'humanité ne fait pas par elle-même
de tels miracles ; ici est le doigt de
Dieu.
Le monde demande des miracles et il a
raison. Une religion sans miracles, un
christianisme qui produit des vies triviales, cela
ne peut pas ramener les consciences. Sortons de la
trivialité, la vraie famille nous remettra
sur la voie du miraculeux et de l'idéal.
Elle le fera, parce qu'elle exigera beaucoup de
nous.
L'Évangile nous l'a donnée
ou rendue ; ou, avec lui, et c'est un de ses plus
beaux caractères, on n'est jamais au bout ;
nous n'avançons un peu qu'à condition
de tomber souvent, et toujours devant nous
s'étend une longue route qui nous reste
à parcourir. Je n'ai pas encore
rencontré un chrétien qui fût
arrivé.
Le moment semblerait venu de
décrire les moyens qu'emploie une famille
chrétienne pour répandre autour
d'elle la connaissance du salut. Mais à quoi
bon? Le premier moyen, nous l'avons vu, c'est elle,
c'est sa vie. Pour ceci comme pour
l'éducation, j'aime mieux ne pas entrer dans
les questions de méthodes. Où la vie
existe, elle se fait ses méthodes, elle
trouve son chemin.
Et ses méthodes sont d'autant
meilleures, qu'elles lui appartiennent plus
directement, qu'elles jaillissent de source. Les
parents qui demandent à un traité
comment ils doivent s'y prendre pour élever
leurs enfants, et les familles chrétiennes
qui s'informent de la marche à suivre pour
propager l'Évangile, sont également
dans le faux.
J'en dirai autant des oeuvres de
bienfaisance. Toute famille digne de ce nom,
qu'elle soit pauvre ou riche, fera du bien autour
d'elle, cela est certain ; mais elle ignorera, je
l'espère du moins, les
procédés officiels de la
charité; elle ne fera pas ce qu'il faut
faire, mais ce que son coeur lui dit de faire. Le
coeur est un grand maître, et
l'expérience, d'ailleurs, ne tardera pas
à lui venir en aide. Une famille charitable
sait bientôt sur ce point tout ce qu'il
importe de savoir.
Rien n'est touchant et gracieux comme de
la voir à l'oeuvre. Y a-t-il un pauvre
malade dans le voisinage? Chacun tient à lui
venir en aide; le père et la mère
arrivent les mains pleines de consolations et de
secours ; le jeune garçon demande la
permission de lire auprès du lit ses plus
belles histoires et de montrer ses plus belles
estampes; tous donnent quelque chose, jusqu'au
petit enfant qui apporte une fleur.
Et c'est ainsi que la charité
cesse d'être l'aumône. Secourir sans
aimer, ce n'est pas secourir; aimer sans secourir,
ce n'est pas aimer; aimer en secourant, aller au
pauvre en frère, serrer la main où
l'on met quelque chose, s'inquiéter de
l'âme en pourvoyant aux besoins du corps,
relever au lieu d'abaisser, voilà ce qui
gagne les coeurs. La famille a l'art de donner;
elle fait la charité d'un regard, d'une
prévenance aimable, d'un peu de superflu;
elle ne se plaint point de rencontrer beaucoup
d'ingrats.
Ne prescrivez pas aux familles le
chiffre de leurs dons; elles ont une conscience qui
devient plus scrupuleuse en avançant, et
chaque année, lorsqu'elles arrêtent
leur budget, il est un article de dépense
(et de joie) qu'elles éprouvent le besoin
d'accroître. Ne rédigez pas à
l'usage des familles la liste des occupations
charitables auxquelles elles doivent initier leurs
enfants; cette initiation s'accomplit
d'elle-même, il n'est personne, jeune ou
vieux, au sein d'une vraie famille, qui se sente le
droit de vivre inutile et inactif. Si la famille
est une société
d'évangélisation, elle est aussi un
comité de bienfaisance, et le meilleur de
tous.
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