Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE DEUXIÈME

L'ACTION DE L'ÉVANGILE DANS LA FAMILLE

-------

« Je me tiens à la porte et je frappe; si quelqu'un m'ouvre, j'entrerai chez lui; » voilà la parole du Seigneur. Qui ouvrira? Celui des habitants de la maison qui le connaît et qui l'aime, ne fût-ce encore que faiblement. Ce sera le père, ou la mère, ou un aïeul, ou, qui sait 7 un petit enfant, ou un domestique pieux; il n'importe, l'hôte divin est introduit et la vraie famille va commencer.

Mais ici comme partout ce que nous rencontrons d'abord, c'est l'obstacle, Vous vous rappelez cette famille de Nazareth où l'on s'écriait : « Il est hors de sens ! » Nos familles ont toutes entendu le même cri. La porte est à peine ouverte, que la discorde éclate, tantôt sourde et tantôt violente, le père contre le fils, et la fille contre la mère. Comment en serait-il autrement? l'Évangile, en nous touchant, nous met en division et en lutte contre nous-mêmes. Il ne serait pas l'Évangile, s'il ne nous troublait pas avant de nous rassurer, s'il ne nous faisait pas traverser la guerre avant de nous faire goûter la paix, si son oeuvre douloureuse de régénération ne précédait pas son oeuvre délicieuse de bonheur.
Mais ne nous décourageons pas, les divisions momentanées amèneront l'union durable; le jour viendra, et bientôt peut-être, où l'union de la famille reparaîtra, fondée sur une meilleure base. Nos tendresses alors, décuplées, centuplées, auront reçu le sceau de l'éternité.
Qu'on ne s'y trompe point d'ailleurs, je suis loin de recommander ici l'obsession pieuse, cette propagande harcelante et agressive qui poursuit, ou peu s'en faut, les conversions à main armée. Autre chose est la persécution morale, autre chose l'insistance de l'amour.

L'amour vrai a toutes les délicatesses; les procédés brutaux le révolteraient, il aurait horreur de violenter les âmes; il respecte la liberté de ceux qui lui sont chers, il veut les gagner et non les contraindre.

La contrainte qu'exerce l'Évangile (et elle est réelle, «Contrains-les d'entrer. ») a sa méthode à elle : elle part du coeur et va droit au coeur. Celle-là, elle s'impose, il faut la subir.. Heureux jour que celui où, libres et vaincus, résistant et nous donnant, contraints et gagnés, nous voyons pour la première fois notre péché et notre salut !
Nulle part cette douce et noble contrainte ne s'exerce mieux que dans la famille. Un membre gagné, tous le seront, la cognée est mise à la racine de l'arbre. « Le mari infidèle est sanctifié par la femme fidèle. » Celle-ci peut l'amener à Christ, «même sans parole. » Où l'argumentation échouerait, le sentiment se fait écouter; la vérité transformée en amour opère sans bruit ses conquêtes.

Le grand moyen, nous l'avons compris, c'est « d'orner la doctrine de Dieu notre sauveur. » Tant que la doctrine n'est qu'une doctrine, on la repousse aisément; mais qu'elle soit « ornée » que la vie se tienne là près d'elle, que les fruits recommandent l'arbre, et aussitôt l'Évangile trouve son chemin. Ayons de la droiture, ayons de la joie, ayons de la charité, ayons de l'humilité, ayons l'oubli de nous-mêmes, forçons notre famille à se demander d'où vient cet esprit doux et paisible, d'où viennent ces victoires remportées sur notre nature, d'où viennent ces vertus viriles, ces vertus aimables, et nous aurons beaucoup fait pour démontrer «notre foi. Lorsqu'une famille est amenée à se dire que l'un de ses membres est la joie de tous, la ressource et l'appui de tous, elle n'est pas loin de se demander si ses convictions, longtemps blâmées, ne seraient point, par hasard, l'explication de sa conduite.

L'histoire intime des familles pieuses aurait ici des mystères à nous révéler. En remontant, bien haut peut-être, on rencontrerait une humble et douce figure, une tante, une aïeule, courbée sur son tricot ou passant sa vie entre sa Bible et son rouet. Elle a été tourmentée dans son temps, un peu moquée, et tendrement aimée. Elle n'a pas prêché, et sa voix a été entendue.
Ce n'est pas que j'admette, le lecteur le sait bien, une sorte d'hérédité religieuse en vertu de laquelle nos enfants deviendraient chrétiens sans le savoir et sans le vouloir. Nul n'est dispensé de se convertir, la nouvelle naissance est la seule porte qui ouvre sur le royaume des cieux.
Et cependant il se transmet quelque chose des parents pieux à leurs enfants. Si la religion de ta famille a besoin de devenir la religion de l'individu, elle constitue toutefois un précieux privilège. Il y a un christianisme d'attente qui a son prix, car il amène à sa suite quelque chose de beaucoup meilleur, Les enfants acceptent comme vraies les doctrines qu'on croit autour d'eux ; ce n'est pas encore cette foi personnelle, la seule qui sauve et qui régénère, c'est déjà le germe d'où elle peut sortir un jour.

La Bible nous parle de bénédictions et de malédictions héréditaires; l'expérience nous les fait toucher du doigt. Nous sommes capables d'échapper aux, unes comme aux autres; néanmoins les unes et les autres se font sentir, les bonnes familles et les mauvaises ont leur tradition: qui ne les connaît? Nous respirons l'air de notre maison.

Si les Actes et les Épîtres nous parlent de familles entières baptisées, c'est-à-dire de familles entières converties, cela prouve à quel point s'exerçaient dans ce temps de ferveur les douces contagions de la foi. Elles s'exercent encore aujourd'hui, nous l'avons tous vu ; encore aujourd'hui des familles entières sont gagnées, cela arrive chaque jour. Comment n'en serait-il pas ainsi? La famille est une unité.

Peut-être un enfant sera-t-il l'instrument dont Dieu se servira. D'autant plus puissant qu'il est plus candide, d'autant plus écouté qu'il n'est pas docteur, il Ira devant lui, donnant essor aux émotions de son âme. L'Évangile, dans une jeune âme, a un charme particulier : cette vie naissante qui s'est déjà consacrée, qui parmi les fraîches illusions et les beaux enthousiasmes du matin s'est donnée à son Dieu, nul. â endurci soit-il, ne saurait rencontrer cela impunément. On a pu résister quelque temps ; puis vient une heure, l'heure de la maladie peut-être, l'heure du deuil, où quelques mots attendris d'une de ces bouches rieuses et sérieuses, où une courte prière, où un regard pénétré de tendresse suffisent pour fondre tout à coup les glaces de notre coeur.
En tous cas, le mot d'ordre du chrétien est simple: il lui faut toutes ces âmes, sans qu'il en manque une seule; il faut que la famille se retrouve au complet là-haut.
Ne vous semble-t-il pas que nous entendons la voix qui disait à Paul : « Je t'ai donné tous ceux qui naviguent avec toi ? » Ils naviguent avec nous, ceux qui vivent avec nous. Notre vie n'est-elle pas une traversée et ne cinglons-nous pas vers le port? Seigneur, donne-les-nous pour l'éternité ceux que tu nous as donnés ici-bas !
Nous voici bien loin de l'Être suprême. Le Dieu du déisme, exilé dans je ne sais quelles profondeurs sidérales, ayant créé, réglé et oublié le monde, le Dieu qui ne se révèle pas, qui n'agit pas, qu'on ne prie pas, qui n'exauce pas, ce Dieu-là ne vient pas habiter chez nous et se mêler aux moindres détails 'de notre existence journalière. Le Dieu de l'Évangile est un père ; il a les condescendances de la paternité.

Aussi, voyez ce que devient la piété dans les maisons où Dieu habite. On n'y connaît plus, on n'y comprendrait pas même cet à-peu-près religieux qui se contente de pratiques et de formes. On n'y connaît pas davantage cette religion du dimanche qui arrive le samedi soir et s'en va le lundi matin, cette religion qui a ses heures comme elle a ses jours, qui tient sa place parmi nos devoirs à côté de la correspondance et des visites, qui a soin d'ailleurs de s'incarner dans un homme, dans un pasteur, et devient une des spécialités d'ici-bas. Lorsque Dieu est chez nous, il se révèle à toutes choses; on pense avec lui, on travaille avec lui, on se réjouit avec lui, on pleure avec lui; et cela toute la semaine, toute la vie.
La solennité supprime en fait la piété, et, quand on ne parle à Dieu que des grandes affaires, on en vient bientôt à ne lui parler de rien. Ce n'est point parler à Dieu que de se mettre à genoux le moment venu, de parcourir péniblement le cercle des demandes convenues et convenables. Dans la famille où Dieu habite, la prière n'est plus l'acte, en quelque sorte officiel, qui s'accomplit, hélas, par acquit de conscience; elle est un entretien respectueux, confiant, de l'enfant avec son père.
Cet entretien constant, intime, n'empêche pas qu'il n'y ait (comment s'en passer?) des moments plus spécialement réservés à la prière et au recueillement. Puis vient aussi l'heure du culte de famille. Et ici je voudrais pouvoir exprimer une partie de ce que je sens, de ce que je sais.

Sans doute il est des familles pieuses qui, ci, raison de certaines circonstances, n'ayant pas commencé assez tôt, reculant peut-être devant une innovation qui serait un événement, obéissant enfin à des motifs que je n'ai garde de juger, dont point adopté jusqu'ici un usage dont elles ignorent l'importance et la douceur.

Sans doute il est d'autres familles qui, sans véritable piété, ont adopté cet usage. Jamais je ne donnerai un usage, à une forme, une place qui n'est pas la leur. Par elle-même, la forme, quelle qu'elle soit, ne saurait suffire. Il est des dévotions qui ne font aucun bien à l'âme. Il est des cultes de famille qui sont des péchés. Il se trouve, au bout de l'année, qu'on s'est réuni trois cent soixante-cinq fois, pour pécher trois cent soixante-cinq fois ensemble.
Mais lorsque ce culte est sérieux (malgré le mal qui s'y mêle toujours), lorsque la famille entière apporte là sa journée, lorsqu'aux heures d'angoisse elle s'unit dans une fervente supplication, lorsqu'aux heures de délivrance elle a de vraies actions de grâce, lorsque chacun met là silencieusement en commun ses tentations, ses chutes, son travail intérieur, alors des bénédictions sans égales se répandent sur la maison. C'est à ce moment surtout que nous comprenons, je me trompe, que nous sentons, la présence de Dieu dans la famille.
Laissez-moi citer un fait dont j'ai été plusieurs fois témoin. Les hommes les plus prévenus contre notre foi et en général contre l'Évangile, n'assistent pas sans émotion à notre culte de famille. Cet usage si simple a quelque chose qui remue le coeur ; il fait tomber bien des préventions. Ceux qui seraient peu sensibles à nos arguments, se posent à eux-mêmes des questions sérieuses quand ils entendent l'humble prière qui sort du coeur d'un père de famille qu'environnent sa femme, ses enfants et ses serviteurs.
J'ai nommé les serviteurs. Est-il nécessaire d'insister sur ce côté si grand du culte de famille, le lien qu'il établit entre les domestiques et les maîtres? Prier chaque jour ensemble, c'est entrer dans des relations d'une nature élevée. Dès lors il ne s'agit plus de gages seulement; on est de la même famille, on sert le même Dieu, on s'entr'aidera dans la bonne et la mauvaise fortune.
Croyez-moi, on ne restaurera pas la famille sans le culte de famille, pas plus que sans la restauration de la famille on ne résoudra les questions sociales. Qui nous empêche d'établir chez nous cet usage si simple et si bon? Essayons ; il y faut un peu de courage le premier jour, ensuite cela va tout seul. Le premier jour on hésite, on balbutie; qu'importe? Dieu nous entend; Dieu est dans la famille.

Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant