Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE SIXIÈME

LES JOIES DU BON ORDRE

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Ne quittons pas l'atmosphère fortifiante et saine où nous sommes entrés. Voici des esprits occupés, des existences nourries, des âmes heureuses ; nous voici en présence de cette douce chose pour laquelle toutes les langues du monde ont trouvé des mots non moins doux : le chez soi, le coin du feu, le home. Et nous avons acquis la certitude que cet asile de paix, ce nid délicieux, est préparé pour toutes les classes de la société humaine. Pourvu que la famille soit là,, riches et pauvres peuvent goûter des joies égales. Pas une seule joie qui tienne à l'opulence, ou même à l'aisance. Partout les conditions morales occupent la première place, et sur ce point il n'y a pas de privilège sur la terre, pas plus que pour l'amour de Dieu et le pardon par Jésus-Christ.

Ce n'est pas que le bonheur n'ait ses conditions matérielles aussi ; mais elles sont accessibles à tous. Dans une cabane de village, dans l'étroit réduit perché au plus haut étage d'une maison de ville, le bon ordre peut apporter ses joies. On n'achète à prix d'argent, Dieu merci, ni la propreté, ni cette grâce qui transforme un intérieur, qui le rend aimable et aimé.

Ne vous est-il jamais arrivé de visiter successivement deux demeures : l'une proprette, mignonne, où tout est à sa place, où tout reluit, où circulent l'air et le jour quoique la fenêtre soit étroite, où l'odeur du dîner est appétissante quoique les mets ne soient pas nombreux, où la table bien nettoyée invite à s'y asseoir ; l'autre sordide, négligée, où il n'y a pas une place qui soit bonne, où l'air n'entre pas, où les odeurs nauséabondes s'accumulent, où la poussière et la boue ont élu domicile, où le balai ne fait jamais son office, où l'eau et le savon semblent inconnus? La première n'est pas plus riche, elle est souvent moins riche que la seconde.

Vous avez pu comparer également deux familles dont la situation est pareille. Et quelle différence néanmoins! Chez l'une, la mise est toujours gracieuse, chacun s'efforce de plaire et y parvient, le mobilier est simple, plus que simple, mais à force de soins et de bon goût on prévient les détériorations ; vraiment on voudrait habiter là et l'on s'y trouverait bien. Chez l'autre, on se néglige, on est dégoûtant les jours ordinaires, sauf à se mettre avec recherche aux grands jours ; on a des meubles de luxe, une sorte de salon, et rien n'est entretenu, tout se dégrade. Laquelle de ces familles possède les conditions matérielles du bonheur? Laquelle fera des économies? Laquelle fera des dettes ? Laquelle sera en mesure aux jours de la maladie" Laquelle tombera alors dans l'abîme ?
J'insiste sur ce point : le bonheur et ses conditions matérielles. Il ne se passe jamais du bon ordrela vie de famille ne se maintient pas sans cet indispensable attrait. L'amour conjugal lui-même, c'est Grandisson qui l'a dit, résiste difficilement à l'absence de propreté. Être bien chez soi, rentrer volontiers chez soi, rêver de son coin du feu quand on est ailleurs, aspirer à l'heure où l'on sera là, près des siens, entouré de leur amour, admirer, je dis mieux, respecter le génie aimable qui met sa trace sur tout ce qu'il touche, quelle fête de chaque jour ! Oui, chaque jour ramène un plaisir pareil, et c'est une de ces choses dont on ne se lasse pas, et chaque jour on revient faire ses provisions de force et de paix.

Comment s'y prennent-elles ces visiteuses chrétiennes sous les pas desquelles les plus hideux repaires des villes anglaises subissent une magique transformation ? Elles ne rebâtissent ni ne réparent; que font-elles donc? Elles nettoient, pesez la valeur immense d'un tel mot. Elles nettoient et apportent, avec l'Évangile, des habitudes de travail, d'ordre et de propreté. Un rayon a percé les ténèbres; déjà la famille est en train de renaître ; soyez tranquilles, elle amènera la joie.
La famille et la joie vont ensemble. Où la ménagère a passé, ou s'en aperçoit. Ce sont des riens, et ces riens donnent à la chambre un air de fête. Il est une économie que la femme la plus économe n'admettra jamais, l'économie du pot de fleurs qui sourit à la fenêtre, du vase où les primevères cueillies le dimanche reprennent vie pour rappeler à la famille des plaisirs goûtés en commun.

Au moment où j'écris ces lignes, j'ai devant mes yeux un délicieux petit tableau de M. Van Muyden. Une jeune ouvrière est assise sur une chaise dans la plus modeste des chambres. Sa fenêtre est ouverte et laisse entrer de gais rayons. Ses fleurs sont là, près d'elle. Son chat joue; son enfant dort au fond du berceau. Elle travaille ; son aiguille diligente, dont on devine le prompt mouvement sur la toile, accomplit l'oeuvre de la journée. Le mari est absent ; mais on sent qu'il va venir et qu'il se hâtera, car il n'y a rien ici qui ne convie au bonheur. Le bonheur ! Il est dans chaque détail ; il est, j'en suis certain, sur cette gracieuse figure que la coquetterie du peintre ne nous montre guère» afin de nous forcer à la deviner.
Tout est humble, tout est caché, comme ce visage, et pourtant tout sourit, parce que tout est dans l'ordre. M. Van Muyden a peint une idylle.

Les familles qui ont le bon ordre finissent souvent par avoir aussi l'aisance. Je l'ai déjà dit et je tiens à le redire, car cela aussi a sa valeur.
Parmi les joies du bon ordre comment ne pas signaler celle-là: les ressources accrues, les conditions matérielles du bonheur plus complètes et plus solides, l'avenir des enfants préparé? L'économie produit les épargnes; parfois on devient propriétaire, comme à Mulhouse, et l'on finit par être tout à fait chez soi, dans sa maison et dan& son jardin.
La vraie famille y réussit d'ordinaire. Par les devoirs qu'elle enseigne et par l'attrait qu'elle exerce, elle arrache aux tentations ruineuses ceux de ses membres qu'elles menaçaient d'entraîner. Elle se détourne d'un luxe de mauvais aloi.
Toutes les positions sont honorables, et c'est pour cela que toutes devraient être ouvertement acceptées.
Pourquoi aurions-nous honte de notre état? Chacun dû nous a près de lui quelqu'un qui est plus riche que lui et qui vit autrement que lui. Si j'essayais de vivre à la façon de M. de Rothschild, je serais bientôt sur la paille.

C'est aux pères et surtout peut-être aux mères de famille à veiller sur l'invasion des dépenses exagérées. Lorsqu'au lieu d'économiser pour les mauvais jours, nous épuisons l'abondance des jours favorables, lors, que nous nous établissons sur un pied impossible à maintenir, nous marchons nécessairement à notre mine. Vienne une maladie, vienne la faillite d'un banquier, vienne un chômage, vienne une crise d'une nature quelconque, nous tomberons sur-le-champ, et très-bas.

Le luxe est une des sources du paupérisme. Or, le paupérisme est un mal affreux. Il amène ces situations extrêmes, où l'on cesse de se respecter, où l'on s'abandonne, où l'intempérance alterne avec les privations, où enfin la mendicité apparaît et où la charité éperdue se sent prise de découragement.
C'est en vue de tels périls que la famille nous a été
Là est constitué, de la main de Dieu même, le plus sûr, le plus indestructible des abris. là on s'appuie et on se soutient. Là on trouve ces joies du bon ordre, aussi nécessaires à l'âme que le pain l'est au corps. Là on acquiert la dignité et l'indépendance.
On y devient économe ; économe, mais non avare, je tiens à faire en terminant mes réserves expresses sur ce point. Qu'il s'agisse de riches ou de pauvres, tout s'abaisserait, les bonheurs et les affections, le présent et l'avenir, le jour où ce sentiment ignoble, l'amour de l'argent, aurait mis sa froide empreinte sur la famille. Avec l'amour de l'argent le coeur se resserre, la piété se glace, la compassion s'éteint, le vrai trésor se voile, le regard descend vers la terre et s'y fixe. Puis viennent les inquiétudes, les désespoirs, et les ravissements, non moins funestes.

Hélas, avouons-le, la famille est un prétexte d'avarice : il s'agit des nôtres, de notre femme, de nos enfants ! - Elle est le prétexte, et avant tout la victime. Aussi sûrement, plus honteusement que les vices qui dissipent, le vice qui entasse la démolit à pièce. Mais la famille chrétienne est chargée de faire bonne garde, de combattre l'un et l'autre adversaire, de manier ces armes de justice « qui se tiennent de la main droite et de la main gauche. » Économe sans avarice, elle maintient le bon ordre, et le bon ordre maintient la joie.

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