Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE QUATRIÈME

LES JOIES DE LA CONSCIENCE

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Si le coeur et l'intelligence ont leurs joies, la conscience a les siennes, les meilleures de toutes, et sans lesquelles les autres ne seraient pas. Un moment J'ai pensé à les omettre; ne sont-elles pas sous-entendues à chaque page de mon livre et n'ai-je pas assez parlé du devoir? Eh bien, non, je n'en ai pas assez parlé; Il faut absolument que la conscience ait son chapitre à elle, à elle seule, parmi les joies de la famille.

Et qu'on ne s'y trompe pas, je ne viens point célébrer le bonheur des gens satisfaits d'eux-mêmes.
À voir certains contentements, les vers du Misanthrope reviennent à la mémoire :

Parbleu, je ne vois pas, lorsque je m'examine
Où prendre aucun sujet d'avoir l'âme chagrine.

et pour conclure:

Je crois qu'avec cela, mon cher marquis, je crois
Qu'on peut, en tout pays, être content de soi.


Il y a de par le monde bien plus d'Acastes qu'on ne l'imagine. Et ce qui n'est pas moins triste, nous-mêmes, qui nous moquons des Acastes, nous sommes tentés souvent de prendre nos vertus au grand sérieux, d'estimer très-haut nos mérites, nos progrès, et de nous frotter les mains en pensant que nous valons quelque chose.

Le bon sens, au défaut de l'Évangile, devrait nous défendre de ces bouffées de sot orgueil. Quel est l'homme qui, s'étant examiné, a pu être content de lui ? Là, sérieusement, cela arrive-t-il? Du premier regard ne voyons-nous pas les privilèges dont nous jouissons, la responsabilité exceptionnelle qui pèse sur nous, nos fautes, nos récidives, nos entraînements plus qu'à demi volontaires, notre ingratitude envers Dieu, notre sécheresse envers les hommes, enfin l'égoïsme colossal qui reparaît toujours et partout ? Les plus humbles ne le sont guère et il ne faudrait pas s'aviser de nous dire sur notre compte le mal que nous nous disons à nous-mêmes.
Mais les joies de la conscience n'ont rien de commun avec le contentement de soi. Ils le savent ceux qui marchent dans le bon chemin. Ils sont heureux, plus heureux que je ne saurais le dire, de se sentir là ; et jamais peut-être ils n'ont mieux compris leur indignité personnelle.
Ceux qu'étonnerait un tel contraste n'ont sans doute pas assez réfléchi sur le rôle que remplit la règle à l'égard de nos bonheurs. Être dans la règle, travailler, aimer dans la règle, c'est une jouissance pure et incomparable. La légitimité de nos sentiments ajoute immensément à leur grandeur. Nos vraies joies ne se passent pas de sécurité morale. Lorsque la sécurité morale s'ajoute à la joie, il en naît une harmonie où notre âme se repose avec délice.
Qu'elle est bonne cette pensée : ma félicité est approuvée de Dieu, mes liens sont des liens éternels, cette famille qui m'entoure n'est pas une création passagère que les circonstances ont faite, et que d'autres circonstances déferont; tout ceci est dans l'ordre ; il ne s'agit plus que d'aimer mieux ceux que j'aime et de ne pas mêler tant de souillures aux grâces dont je suis comblé !

Ainsi les joies de la conscience sont loin d'exclure l'humiliation et le repentir. Ce qu'elles excluent, je vais le dire.
Elles excluent d'abord les fausses joies. Nous aimons, hélas, le fruit défendu. « Les eaux dérobée sont douces, » a dit l'Écriture. Mais après la douceur vient l'amertume, l'épée se tient là, la menace est sur nos têtes ; ce n'est pas la conscience seule qui est troublée, c'est la joie. Demandez à ceux qui se proclament heureux et dont le regard dément les paroles.

Après nous avoir délivré des faux plaisirs, les joies de la conscience nous délivrent des fausses peines. Comment pourrions-nous, lorsque nous avons contemplé les réalités idéales, prendre en dégoût la vie, et soupirer avec désespoir? Le dégoût de la vie ! Ce mal-là est inconnu aux vraies familles. On y marche dans un chemin trop lumineux, on y avance trop évidemment vers le but, on y est trop serré les uns contre les autres, on y a trop à faire et trop à aimer, pour se plaindre de ses déceptions et soupirer à la manière des désoeuvrés. Les vraies douleurs subsistent là, nulle part elles ne sont plus poignantes et plus profondes ; les douleurs imaginaires s'en vont. La conscience donne la main au bon sens

J'ai prononcé tout à l'heure un mot qui peint à lui seul les plus vives joies de la conscience : avancer vois le but. La famille chrétienne avance, il lui est pour ainsi dire impossible de rester immobile ; par elle les âmes sont en travail, la lutte contre le mal est engagée, l'éducation personnelle se poursuit.
Et cela a lieu en dépit de notre indignité. Nos fautes ne cessent d'entraver le mouvement; toutefois il s'accomplit. Après nos chutes nous nous relevons, ou plutôt nous sommes relevés, des bras chéris s'enlacent autour de nous et nous soutiennent, des prières fidèles ne cessent d'appeler sur nous le secours sans lequel nous succomberions.

Connaissez-vous ces fleuves qui commencent par un filet d'eau ? Ils vont, et en allant ils grossissent ; chaque vallée leur apporte un affluent, chaque bassin leur amène une rivière. Ainsi avance la famille ; chaque devoir l'accroît, chaque combat contre le mal lui donne des forces ; elle grandit en tendresse, en sanctification, en bonheur. Elle grandit aussi en sincérité, ne l'oublions pas; ceci est l'oeuvre maîtresse de la conscience (1). Les membres de la famille sont faibles, très-faibles ; la famille, qui vient de Dieu, est revêtue de puissance. Chez elle le bien amène le bien, l'amour enseigne l'amour, le sacrifice enseigne le sacrifice, la joie enseigne la joie. - Et toute joie est douce, quand la conscience est joyeuse.

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1 La sincérité. J'y reviens toujours, car rien n'est plus en péril. Nous avons poussé si loin les habiletés du langage, qu'il est devenu possible de mettre à son gré le oui ou le non derrière chaque mot. Je citerai pour exemple ce qui sa passe çà et là dans nos débats religieux. - Voyez les protestants; tandis qu'autrefois la rude droiture huguenote ne fléchissait à aucun prix, nous voyons, en Angleterre, en Allemagne, en France, des hommes, d'ailleurs honorables, retenir chacun des termes consacrés : divinité de Jésus-Christ, salut.. prière, autorité de la Bible, tout en niant ce que ces termes expriment. -
Voyez les catholiques ; tandis qu'autrefois le grand Arnaud passait sa vie à refuser d'avouer, contre sa conscience, que les cinq propositions fussent dans Jansénius, tandis qu'alors la tradition, jansénite produisait une école d'austère sincérité, nous voyons tel évêque d'un caractère élevé prendre une à une les déclarations de l'Encyclique, et les commenter si bien, qu'au bout d'un moment le texte s'est évaporé dans le commentaire.
Tout cela se fait avec loyauté, je n'en doute pas, mais aussi avec ce degré de souplesse inconsciente qui apparaît dans, les siècles sophistes, lorsque deux choses viennent à s'y rencontrer, la passion de l'homme et la dextérité de l'écrivain. Chacun de nous, ardent à sauver sa cause, serait capable de céder à la tentation que je signale. Tous nous avons besoin de rapprendre la vérité. - Ce sera l'oeuvre de la famille.
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