Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE DEUXIÈME

LES JOIES DU COEUR

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De la première page à la dernière de mon travail, je parle des joies du coeur. Il n'y a donc pas à y revenir longuement ici ; mais pouvais-je omettre ce chapitre et qu'aurait-on pensé de mon énumération des joies de famille, si la meilleure avait fait défaut?

Entre la joie d'aimer et la joie d'être aimé, il serait peut-être malaisé de choisir. Au reste, à quoi bon? Il n'y a pas à faire un choix ; elles marchent ensemble, ou du moins elles se suivent de près et finissent d'ordinaire par se joindre. Quiconque aime, sera aimé ; les exceptions sont bien plus rares qu'on ne l'imagine.
J'ai dit « la joie d'aimer, » et tout à l'heure je disais « le devoir d'aimer. » C'est ainsi que nos devoirs se changent en joies. Ce que nous avions prévu au nom des principes, nous allons le voir en constatant les faits.
Aimer est une grande chose. Tant que l'égoïsme règne en nous, nos attachements demeurent égoïstes comme nous-mêmes; nous nous aimons dans les nôtres; nous aimons notre nom, nos intérêts, notre honneur ; nos enfants sont une continuation de notre personne; leur bonne conduite est une glorification de notre influence. D'ailleurs la vie commune nous a liés, nous avons pris, comment dirai-je ? des habitudes d'affection; les choses sont réglées de la sorte, cela est entré dans l'arrangement de notre vie.
L'égoïsme a la vie dure ; il subsiste parfois tout entier à côté d'une passion violente ; il est des goûts, des entraînements, qui n'impliquent pas le moins du monde le don de soi.
Mais lorsque nous nous sommes donnés, lorsque l'égoïsme a reçu le coup de mort, alors naissent pour nous les joies du coeur. Nous appartenons désormais à ce Dieu si tendre qui nous ouvre les bras ; nous apprenons chaque jour, au contact de la famille, le support, le pardon, le dévouement qui ne calcule point. Maintenant, délivrés de nous-mêmes, nous respirons à l'aise; aimer c'est un affranchissement.

Pour la première fois, nous connaissons la vie, la bonne vie, la vie libre et heureuse; nous commençons à sentir qu'il vaut la peine de vivre. Vaudrait-il la peine, sans cela?
Dès ce moment, nous avons un coeur, nous marchons vers un but, nos devoirs s'agrandissent et s'élèvent, tout grandit et s'élève autour de nous. Nos tendresses se font confiantes, ce qui ne vent pas dire aveugles. Oh non, il ne s'agit pas d'un amour vague, qui s'offre indifféremment à tous, sans préférence et sans choix. La mort de l'égoïsme n'entraîne pas celle du bon sens, tant s'en faut; au contraire, en cessant de penser à nous, nous devenons plus capables d'apprécier les autres. Ces âmes d'or, où n'habite plus la moindre préoccupation personnelle, aiment autrement ceux qui leur plaisent que ceux qui ne leur plaisent pas. Si elles n'ont plus ni mesquines jalousies ni froissements capricieux, elles souffrent des blessures que fait l'ingratitude. Mais attendez, elles ont en elles une chaleur qui fond les glaces et qui amollit les duretés. À la joie d'aimer, elles ajouteront bientôt celle d'être aimées.
Et alors, au milieu du vaste monde, il y aura une retraite toute parfumée d'idéal; au milieu du désert, il y aura une oasis. Je les vois encore les bouquets de palmier que nos yeux contemplaient longtemps d'avance, lorsque sur nos dromadaires nous parcourions les solitudes embrasées du Sinaï. Pourquoi cette verdure au milieu des rochers ? Parce que les sources ont jailli. Il ne s'agit que de faire jaillir les, sources. Voyageurs de la vie, elles sont là partout, sous vos pieds. Vous qui vous plaignez de votre famille, qui prétendez que la douce tendresse, que l'eau vive vous fait défaut, avez-vous creusé, creusé profondément et courageusement? Vous qui dites qu'on ne vous aime pas, avez-vous aimé ?

Nos amis ont leur place marquée parmi les meilleures joies de la famille. On nous cite sans cesse les amis de l'antiquité ! On semble croire que l'Évangile, parce qu'il a développé d'autres affections, a supprimé celle-là !
Ah, s'il était question de lui donner une place qui n'est pas la sienne, ou si sous son nom on prétendait exalter les relations les plus futiles, les simples rapports de société ou d'habitude, nous résisterions certes, nous inquiétant peu de savoir ce que les hommes de Plutarque avaient coutume de faire en pareil tas. Mais pour les vraies amitiés, celles qui se sont choisies devant Dieu, elles nous sont plus précieuses aujourd'hui qu'elles ne l'ont jamais été ici-bas.
La famille en a besoin, de ces amis qui sentent comme elle, qui pensent comme elle, qui aspirent avec elle aux choses bonnes. Par eux, elle a connu des plaisirs purs, des jours radieux, qui laissent une trace ineffaçable dans ses souvenirs. Avec eux, elle a ri, elle a pleuré, elle a prié. Elle les a trouvés fidèles aux heures difficiles ; leurs sympathies étaient toujours prêtes; les premiers ils venaient, et le serrement de leurs mains, à défaut de paroles, disait tout ce que les coeurs avaient soif d'ouïr. Nos amis nous ont fait du bien; nous nous sommes entr'aidés sur la route étroite; nous avons marché ensemble vers le même but. Sur notre attrait réciproque un rayon d'idéal n'a cessé de briller; ils nous voient, cela est certain, plus beaux que nous ne sommes. Eh bien, cela même a maintenu le niveau de, l'amitié. Les vulgarités ne l'ont pas marquée de leur empreinte ; elle a habité les hauteurs, les régions de lumière et de poésie.

Et quelle simplicité, quelle vérité dans notre affection ! Il nous serait impossible de faire une phrase, de prononcer ou même de concevoir une parole affectée. Nous sommes sûrs les uns des autres; nous sommes sincères les uns envers les autres. Les avertissements qui nous étaient nécessaires, nos amis nous les ont apportés, avec cette douceur qui désarme, avec cette délicatesse qui devine tout
Grâce à ses amis, la famille sort d'elle-même sans cesser d'être elle-même. Ses joies se sont accrues. Elle en donne, elle en reçoit; c'est un compte qui ne se règle jamais. Chacun pense qu'il a plus reçu que donné, et personne ne se trompe. Il est doux de devoir à ceux qu'on aime. Heureuse famille!1 Heureux amis !

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