Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE DIXIÈME

L' IDÉAL

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En terminant la revue de nos devoirs, je tiens à signaler le trait général qui les unit : l'idéal.
C'est bien là ce qui domine tout. La famille n'est pas un fait médiocre ou vulgaire, et mon premier besoin peut-être, en lui consacrant cette étude, a été de lui restituer sa beauté. On nous fait des catéchismes sur la famille ; mais on la diminue, il me le semble du moins, on la diminue et on la dépoétise. Ses hautes ambitions, son action magnifique, son oeuvre de développement moral, ses félicités incomparables, ses exigences et ses secours, ses douleurs et ses joies, sa guerre et sa paix, je cherche cela et je ne le trouve point, ou je ne le trouve que dépouillé de cette grandeur austère, de ce charme sanctifié qui devraient frapper nos regards. On nous fait la famille bien moins désirable qu'elle ne l'est en réalité.

Il fallait d'abord montrer l'idéal dans le devoir. En général, c'est la dernière chose qu'on songe à idéaliser; et cependant elle n'est vraie qu'en devenant idéale, nous ne voyons nos devoirs tels qu'ils sont, que le jour où ils nous paraissent beaux et où nous commençons à les aimer.
L'Évangile nous enseigne cela. Lui seul a mis ici-bas le charme dans le devoir et l'attrait dans le sacrifice. La famille idéale procède de lui. Il la veut plus complète mille fois, plus passionnée, plus intelligentes, plus libre, plus énergique, plus aimable, plus heureuse, que notre âme en ses heures d'ambition extrême ne s'est permis de la rêver. Sur ce point comme sur les autres, il nous appelle à la perfection. Son doigt nous montre les grandes cimes : en haut ! les coeurs en haut! Vouloir beaucoup, chercher beaucoup, voilà le mot d'ordre des chrétiens.
Voilà ce qu'il devrait être, du moins ; car il leur arrive trop souvent de se satisfaire à meilleur marché. Monter est difficile ! Est-il si nécessaire de gravir les hauteurs ! En plaine ou sur quelque honnête colline qui nous mette un peu au-dessus du vulgaire, ne trouverons-nous pas tout ce qu'il nous faut ! Plus d'un raisonne ainsi, et, appliquant à la famille le principe de la sobriété des désirs, il efface de son programme la passion, chose mauvaise, l'amour, chose suspecte, la poésie, chimère, les vertus aimables, superfluité. De là l'austérité fausse, qui enfante l'étroitesse, l'impuissance et l'ennui. De là ces familles dépourvues de tendresses expansives, de bons rires, de développements intellectuels, ces familles chez qui ne circulent ni idées, ni vie, ni chaleur. On s'y estime, on s'y aime convenablement, on ne s'y trouve point mal; mais on ne craint pas d'aller ailleurs.

Quant au monde, il s'est fabriqué, nous l'avons vu, un type de la famille qui est bien plus rabaissé encore. Faire sa maison, placer ses enfants, veiller aux intérêts de la fortune et de la carrière; outre le bonheur que donne l'argent, aspirer peut-être à celui qu'assurent l'égalité d'humeur et la facilité de caractère ; s'arranger une existence commode et des habitudes peu gênantes; donner peu, exiger peu, attendre peu, se contenter enfin de la médiocrité dont parle le sage, telle est sa règle.
Mais la vraie famille existe, Dieu merci ; elle proteste contre les usurpateurs de son nom. Voyez-la: la vie quelle mène, les progrès qu'elle accomplit, les consolations qu'elle apporte, les joies qu'elle procure en disent plus que tous les raisonnements. Oui, voyez-la; elle ne se passe pas, elle, de l'idéal. Il y a une poésie de la famille, grand sujet qui réclamerait un livre et auquel je ne puis consacrer que quelques lignes. Si Platon, poète lui-même cependant, a chassé les poètes de sa République, il a obéi en la faisant à l'instinct de sa haine pour la famille ; quand on a supprimé les maris et les femmes, les pères et les mères, quand on a immolé au communisme le plus ignoble la conscience, la pudeur, les affections, les libertés, l'individu tout entier, quand on a installé l'État trônant solitaire sur les ruines de notre dignité et de notre tendresse, il serait insensé de laisser entrer un poète dans un tel milieu. Un poète, grand Dieu ! Et que chanterait-il ? Et qui le comprendrait? Et, si on le comprenait, de quelles secousses intérieures tressaillerait la prose socialiste? Un poète ! Mais aux accords de sa lyre, Pâme humaine, cette rêveuse impénitente, ne pourrait-elle pas aspirer de nouveau à quelque chose qui serait le mariage, les enfants, la famille? Platon a eu raison de proscrire Homère.

Quant à nous, maintenons avec un soin jaloux la poésie du foyer. Malheur à qui ne vise pas haut! Les vastes aspirations sont le secret des âmes puissantes et victorieuses. Au lieu de nous baisser au niveau des faits, travaillons à relever les faits au niveau des principes.
On ne trouve que ce qu'on cherche. Avons-nous cherché un idéal? Avons-nous, dès que notre coeur s'est éveillé, placé sur une pensée de mariage nos meilleures espérances de bonheur? Avons-nous, de. puis, savouré les joies de la famille? Et plus loin, plus haut, avons-nous entrevu des joies meilleures, une intimité plus profonde, une association plus douce encore sous le regard de Dieu ? En ce cas, nous ne nous arrêterons pas à moitié chemin.
Que si, au contraire, nous avons pris, comme tant d'autres, le parti philosophique du bonheur facile, nous trouverons ce que nous avons cherché, moins que cela bien souvent. Notre route, qu'elle monte ou qu'elle descende, a coutume de nous mener plus loin que nous ne comptions aller.

Notez que l'idéal seul est réel. Seule la poésie nous montre (par éclairs) la vérité ; nous ne voyons la vérité que quand nous avons entrevu l'idéal. Où est le vrai, sinon dans l'idéal, lorsqu'il est question de l'amour divin? Où est le vrai, lorsqu'il s'agit de nos devoirs? Où est le vrai, lorsqu'il s'agit de nos tendresses, de nos bonheurs, de nos espérances? Où est le vrai, lorsqu'il s'agit du ciel 7 Qui ne sent que, pour peindre les horizons célestes, nos couleurs ne sont jamais ni assez lumineuses ni assez idéales?

La famille idéale est donc la vraie famille. J'aurais trompé mes lecteurs, si je ne leur avais pas montré celle-là; j'aurais méconnu sa mission si je l'avais rapetissée. Elle est plus belle que nos plus beaux songes.

Telle elle est, et telle nous la voulons. Ne nous y trompons pas: derrière la modération menteuse et paresseuse de nos désirs, j'aperçois les besoins réels qui réclament leur satisfaction. Notre égoïsme s'efforce de leur imposer silence; n'importe, l'instinct de l'idéal déposé en nous proteste, à ses heures. Quoi qu'on fasse, nous aspirons toujours au par delà. L'infini nous échappe, mais le fini nous blesse, le fini est contre nature. Dans la sainteté comme dans le bonheur, nous sentons qu'on n'est jamais au bout, qu'après le bout il y aura quelque chose; conviction indestructible de notre âme, qui seule donne sa grandeur à la morale, son sens à la vie, et, j'ose le dire, à l'éternité.

La famille est placée sur ce ferme terrain; elle contemple et poursuit l'idéal. Qui est satisfait, je le demande, dans ces demeures envahies par les bonheurs vulgaires? Les plus prosaïques ne se contentent pas de la prose ; ils s'ennuient, ils cherchent ailleurs. Et ils cherchent en vain ; après les affaires, après les plaisirs, après les visites, après les fêtes, ils cherchent encore; ou, ce qui est pis, ils se fatiguent et s'asseyent sans plus chercher. C'est bien là cette eau dont Jésus parlait ait bord du puits de Jacob : « Celui qui boit de cette eau aura encore soif. »
Bien des gens n'en conviendront pas. À les entendre, ils sont heureux, autant du moins qu'on peut l'être ici-bas; ils ne souhaitent rien de plus; surtout ils ne souhaitent pas l'idéal. L'idéal, à quoi cela sert-il!
À quoi sert la poésie ? À quoi servent les fleurs? À quoi servait le parfum de grand prix versé par une main prodigue sur les pieds du Sauveur? Demandez à Judas Iscariote! Le vase de parfum, c'est l'idéal; à l'heure où quelque chose de pareil s'exhale, il y a de la joie au ciel, et je ne crains pas d'ajouter de la joie sur la terre, la joie la meilleure, la plus intense, la plus pure qu'il nous soit donné de ressentir.
Tant que nous nous en tiendrons au raisonnable nous déraisonnerons. Le raisonnable, le reçu, l'autorisé, ne sauraient nous suffire. Pour avoir assez, il faut avoir trop. Si nos familles n'ont que le nécessaire, c'est-à-dire le médiocre, nos familles mourront de faim. Mais viennent les aspirations plus hautes, vienne un souffle de poésie et d'idéal, aussitôt le foyer se transfigure, les yeux se relèvent, la soif des choses nobles et belles se fait sentir. Nous marchons « de force en force, » selon l'admirable expression du Prophète.
Je ne l'ignore pas, en parlant d'idéal à propos de la famille et du mariage, je soulève contre moi la colère de ceux qui vivent depuis des siècles sur de vieilles préventions, de vieilles railleries, de vieux scepticismes. Ils sont nombreux, ils ont le verbe haut, ils s'appuient sur une tradition non interrompue.
Eh bien, j'invoque, moi aussi, une tradition; je prétends être aussi vieux qu'eux. Plus vieux même, car la famille idéale apparut un moment en Éden avant la chute. Combien ont duré ces heures d'innocence, ces heures dorées du matin de la terre et de l'humanité? La Genèse ne nous le dit pas ; elle se contente de rapporter la première parole du premier époux, parole ravie et tendre : « Celle-ci est os de mes os et chair de ma chair. » Pour moi, je pense que le génie de Milton a bien deviné, quand, nous conduisant sous les ombrages radieux du Paradis terrestre, il nous fait entendre les sons les plus passionnés et les plus doux que notre terre ait entendus.
D'autres sons, tristes, désolés, ont éclaté bientôt, la chute a amené ses lâchetés, ses crimes et ses corruptions; cependant l'ironie n'a commencé que plus tard. L'amour conjugal demeure, d'un bout à l'autre de la Bible, une chose si belle et si grande, que les compassions divines à l'égard de l'homme ne cessent d'emprunter cette image pour se faire comprendre, à notre coeur.

Comment la famille, attaquée par le divorce, par la dureté et par la corruption des moeurs, s'est relevée à la voix de Jésus-Christ, je n'ai pas à le répéter ici. La femme a repris son rang, l'éducation a repris son sérieux, l'amour a reparu parmi les hommes. De là, cette note grave et attendrie qui traverse les temps modernes. Le paganisme antique ne la connaissait pas (1). L'entendez-vous? Aux jours les plus obscurs de l'ère chrétienne, elle continue à vibrer; et aujourd'hui des littératures entières, chez les peuples du Nord surtout, nous émeuvent en traitant sans cesse ce sujet si vieux et toujours jeune : l'amour, le mariage, la famille.
Voilà ma tradition ; il en est une autre, je le sais.
Le paganisme a été moins vaincu qu'on ne le dit pendant les premiers siècles de notre ère; il s'est transformé, il est entré dans le christianisme pour le 'perdre. S'il y a introduit alors ses religions d'État, ses croyances formalistes et héréditaires, parfois ses dieux même, installés sous de nouveaux noms dans des sanctuaires nouveaux, il y a apporté aussi, cela va de soi, son scepticisme en matière de famille.
En même temps que l'individualisme chrétien succombait, la famille chrétienne allait s'abaissant. On s'en aperçoit, rien qu'à lire les Pères. Le mariage apparaît là comme un état médiocre; ses grandeurs sont niées; ses souffrances, ses périls, ses ridicules sont décrits avec une verve amère qui rappelle la Grèce et Rome.
Cette veine sceptique et railleuse ne s'est plus perdue depuis. Elle parcourt tout le Moyen-âge, elle éclate avec une vivacité sans pareille dans les livres de la Renaissance. On sait si l'esprit gaulois s'est donné carrière! De Rabelais à Molière en passant par Montaigne, un long rire éclate chez nous, rire triste, où il y a plus de moquerie que de gaîté. Après Molière comme avant, nous rions des maris et du mariage, nous nous souvenons de nos études; héritiers de la culture latine, nous continuons ce qu'avaient commencé nos maîtres, ce que l'antiquité classique nous a enseigné.

Voilà les deux traditions. Ici le Christianisme, là le Paganisme (2) ; ici la foi au bien, là sa négation; ici l'idéal, là le trivial ; ici la poésie, là la raillerie. Où est la vérité? Faut-il monter ou descendre? Que réclament les besoins profonds de nos coeurs? J'ai cherché à résoudre cette question. En étudiant les devoirs de la famille, c'est-à-dire ses grandeurs, je crois avoir montré ce qu'elle est dans le plan de Dieu. Quand nous aurons, en outre, contemplé ses joies et ses douleurs, nous serons en mesure de choisir décidément entre les quolibets de Plaute et les promesses de l'Évangile.
Les partisans de la tradition païenne ont une ressource et ils en useront : l'idéal, selon eux, peut apparaître quelquefois sur la terre, mais à titre d'exception; il est des situations privilégiées qui admettent la beauté, la poésie du mariage; il y a des hasards heureux, des chances rares ; on peut tomber sur un caractère délicieux, sur mie âme expansive et élevée ; cela arrive. d'accord : la famille idéale est un accident !
Il serait étrange que le christianisme, cette religion démocratique dans le sens excellent du mot, qui a proclamé et établi toutes les grandes égalités, eût omis la plus importante, l'égalité des familles.
Eh bien, non, il n'en est rien. À tous il impose les mêmes conditions, à tous il ouvre les mêmes perspectives. - Soyez riche, doué d'un caractère facile, uni à une femme d'un caractère non moins facile, ayez l'instruction, l'intelligence, si vous n'êtes pas chrétien et homme de famille, vous ne vous élèverez jamais au-dessus du bonheur vulgaire, vous n'entrerez jamais dans les sanctuaires qu'ouvre la clef d'or, dans l'intimité absolue, dans le dévouement, dans le travail à deux, dans les luttes du progrès moral, dans les vigilances bénies de l'éducation des enfants et de l'éducation personnelle, dans les joies de la tendresse et de la prière. Soyez pauvre, ayez à combattre chez vous et chez une autre vous-même les aspérités d'une nature malheureuse vivez dans les conditions les moins favorables, privé des ressources dont jouissent les esprits ouverts et cultives, si vous êtes chrétien et homme de famille (je dis, l'un à l'autre), vous aborderez les régions brillantes de l'idéal, vous serez poète, vous connaîtrez l'infini des jouissances et des espérances, vous aurez, au travers des combats et des larmes, une félicité qui tient du ciel.

Depuis que je regarde autour de moi, je n'ai pas rencontré une seule exception à cette règle : ni une famille idéale en dehors des deux conditions dont j'ai parlé, ni une famille remplissant ces conditions et qui ne connût pas l'idéal. Et qu'il est beau, l'idéal, lorsqu'il resplendit dans les lieux bas ! Et qu'il est admirable, le bonheur, lorsqu'il illumine une cabane, peut-être un lit de maladie ! Qu'elle est grande la famille selon l'Évangile, lorsqu'elle met le charme et la grâce où ils faisaient Primitivement défaut, lorsqu'elle nous prend par la main, qu'elle nous conduit pas après pas dans un chemin qui n'était pas le nôtre, lorsqu'elle nous apprend à adoucir nos aspérités, à détester notre mauvaise nature, à lutter contre nous-mêmes corps à corps, à penser aux autres, à nous oublier, à nous donner, à écouter ce qu'ont à nous dire chaque jour et nos devoirs, et nos fautes, et nos joies !
Défions-nous de l'exception. Le plus souvent elle n'est qu'un prétexte, inventé par notre inertie; nous aimons, en nous voyant dépassés, à prétendre que certaines gens ont du bonheur; nous ne voulons pas voir l'effort là où nous voyons le succès. - L'effort humble et que Dieu bénit est à la base de tout bonheur véritable. L'exception est rare ici-bas, car partout, partout absolument, il y a des difficultés, des épines et des larmes; partout, et ce mot devrait suffire, partout est le péché; partout le progrès s'achète, et s'achète ce qu'il vaut; partout aussi les grâces d'en haut sont offertes; partout la famille idéale est possible, car c'est la famille selon Dieu.
Je ne veux soutenir aucun paradoxe, et je connais, je l'ai déjà dit, des situations extrêmes qui feraient hésiter ma foi si je ne savais que mon Père céleste proportionne les secours aux besoins, qu'il est plus juste que nous mille fois, et plus compatissant, et qu'il aime les déshérités de la vie plus que nous ne pouvons le concevoir.
Mais, à part les cas extrêmes, je ne saurais assez protester contre la théorie qui réserve aux gens de loisir le privilège des félicités de famille. Les gens de loisir? Et où sont-ils, s'il vous plaît? Je prétends être un travailleur, aussi occupé que le paysan à sa charrue ou que l'artisan dans son atelier. Et si vous voulez parler des malheureux qui effectivement sont gens de loisir, qui ne font rien, qui tuent le temps, soyez tranquilles, ce n'est pas de ce côté qu'on prendra les devants en matière d'idéal. La prose la plus obstinée, la plus encroûtée, c'est celle des gens de loisir.

Ailleurs, on travaille; et, travail pour travail, celui qui consiste à se réformer et à se vaincre, celui qu'exige la vraie famille, est le plus rude auquel l'homme puisse se livrer ici-bas. Où est ce saint travail, là est l'amour. L'amour chrétien fait des miracles. N'avez-vous jamais vu comme le soleil idéalise ce qu'il touche, un désert, une campagne vulgaire, une masure, des haillons? Vous ouvrez les fenêtres, le soleil entre, quel prodige! C'est la même chambre, ce sont les mêmes meubles, et cependant tout est transformé. L'amour chrétien n'est pas moins puissant : il entre chez le plus misérable, et il lui apporte des trésors; il amène avec lui le devoir, l'esprit de support et de sacrifice, il amène les intérêts élevés, les fortes sympathies, et fait asseoir auprès du foyer la poésie, cette folie trois fois sainte.

Aujourd'hui la poésie nous quitte; elle s'en va, en chemin de fer; peut-être s'arrêtera-t-elle là où ne pénètrent pas les locomotives, à la frontière de quelque pays sauvage. En attendant, nous des pays civilisés, prenons garde, on ne se passe pas impunément de poésie. Or, il en est une que nous pouvons garder et fixer chez nous : la poésie du foyer.
À quoi la reconnaît-on? Vous le savez comme moi.
Il ne s'agit pas de formes, on de mots, ou d'exaltations, ou d'affectations, loin de là; il s'agit de la réalité la plus simple et la plus franche, de la tendresse qui, sous le regard de Dieu, unit le mari et la femme, les parents et les enfants.
Elle est passionnée. Elle est profonde; on peut dire, en parlant d'elle, que ce qu'elle exprime vaut moins encore que ce qu'elle sent.
Elle a des délicatesses touchantes. Elle veille sur la pureté de ceux qui lui sont chers; que dis-je? sur la fleur, sur le duvet, sur le velouté de leurs sentiments. Elle tient à la bonne grâce; elle n'affecte pas de dédaigner la beauté. Je crois vraiment qu'elle approuve d'un sourire la réponse de Mme de Sévigné à l'abbé Mousse : «En. attendant, ça n'est pas pourri, » Sans attacher trop d'importance à une chose qui doit pourrir un jour, elle prend simplement les avantages extérieurs comme un don que Dieu a fait à la femme, tomme un attrait qu'il a mis dans la famille et que nous n'avons pas le droit de mépriser.
Elle aime ces belles illusions qui se prolongent jusqu'au soir de la vie, ces admirations naïves qui ont leur source au meilleur de l'âme humaine et dont un sans-gêne grossier fait litière. Voyez-la, elle met dans le plus sombre réduit tout ce qui peut rendre joyeux et rendre bon; elle y met des consciences éveillées, des intimités touchantes, des pardons absolus des patiences à l'épreuve, des sacrifices et des dévouements; elle y met les vertus viriles, les vertus aimables, et ces délicatesses du coeur qui sont les fleurs embaumées du foyer; elle y met la gaîté, elle y met la sincérité, elle y met le progrès, elle y met le bonheur, elle y met le ciel.

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1 Peut-être faut-il excepter quelques accents d'amour vrai qui retentissent dans les plus anciens monuments de la littérature sanscrite. La famille semble encore exister en partie chez nos premiers ancêtres les Aryas ; après eux, cet idéal s'efface progressivement et disparaît. 
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2 Remarquez que, lorsque la révolte païenne s'introduit (pour être réfutée) dans les pages de l'Écriture, aussitôt le scepticisme en matière d'amour y paraît aussi. - « J'ai bien trouvé un homme entre mille, mais pas une femme entre toutes. » Ce cri brutal et désolé de 'Ecclésiaste nous fait encore tressaillir. 
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