Je ne prétends pas, assurément,
qu'elles n'aient pas leurs tentations et leurs
défauts. Sans parler même de celles
dont le mauvais caractère nous donnera bien
moins de plaisir que de chagrin et d'ennui, toutes
auront besoin d'être reprises et
corrigées. L'éducation aura ses jours
néfastes, jours de brouillard, où le
soleil cessera de briller. Les fronts
s'assombrirent plus d'une fois; plus d'une fois,
assis autour de la table de famille, on aura peine
à échanger quelques mots, un malaise
pèsera sur les jeunes et sur les vieux. Que
voulez-vous? les douleurs de l'enfantement
spirituel ont passé par là. Quoi
qu'on fasse, on ne les supprime jamais, et
quiconque a pris sa tâche au sérieux
doit s'attendre à avoir le coeur
serré et la bouche amère. Mais que de
compensations aussi 1 Cette âme qui s'ouvre,
qui se fait sérieuse, qui commence à
se surveiller elle-même, qui se rapproche de
son Dieu, qui se donne avec effusion à ses
parents, cette âme qui lutte et qui,
meurtrie, va chercher la guérison dans des bras
aimés, n'est-ce pas qu'on se plaît
à la suivre, à la guider, que si l'on
souffre par elle, ou est bienheureux par elle
aussi?
Il fait bon assister à
l'éveil d'une âme où tout est
innocence, pureté, tendresse, où
l'imagination et la poésie se montrent
déjà, où l'attrait des choses
élevées se fait sentir. Les jeunes
filles s'éveillent de très-bonne
heure : c'est dire qu'on doit se mettre
très-vite à les élever. Je
n'oserais pas indiquer un âge avant lequel
elles pourraient se passer de leur mère. On
sent qu'ici l'éducation domestique, si
nécessaire à nos fils, est bien plus
nécessaire encore, Je ne passe pas devant un
pensionnat de demoiselles sans protester au dedans
de moi. Qu'elles suivent une école, à
la bonne heure, il faut bien que leur esprit
s'éclaire et toutes les leçons ne
sauraient toujours leur être données
à la maison; mais qu'on se sépare
d'elles, qu'on les mette à Saint-Cyr, au
couvent, dans un institut, que sais-je? il y a
là quelque chose qui crie vengeance.
Je sais qu'il existe des cas
exceptionnels et que la vie de pension est une
ressource pour ces cas-là ; tâchons toutefois que
l'exception ne devienne pas la règle. Les
cas dont je parle sont très-rares, et nous
avons l'air de l'oublier. Hélas, c'est
encore la tentation du commode qui nous sollicite.
Nous nous sommes débarrassés de notre
fils, pourquoi ne pas nous débarrasser de
notre fille? Ne sera-t-elle pas mieux instruite,
mieux surveillée là-bas, au milieu de
maîtresses et de maîtres plus savants
que nous? D'ailleurs les exigences de notre
situation ne nous imposent-elles pas ce sacrifice?
Pouvons-nous nous lever d'assez bonne heure?
Pouvons-nous mettre assez de
régularité dans nos habitudes? Pour
diriger et instruire, ne faudrait-il pas se
gêner beaucoup? On se gêne donc
très-peu, et l'éducation de la fille
se borne, comme celle du fils, an payement de leurs
trimestres. On ne saurait être père et
mère à meilleur marché. Quand
la jeune fille sera prête à sortir de
pension, elle sera également prête
à se marier. Autre façon de s'en
défaire. De même que nous avons
payé des trimestres, nous payons une dot. Et
tout est dit, et nos devoirs sont remplis ; notre
file n'est-elle pas établie ? Oui. Seulement
elle n'a pas été
élevée.
Les jeunes filles sont des plantes
délicates, qui réclament des soins
assidus et une chaude atmosphère. Une jeune
fille est faite pour la vie intime, pour le foyer,
pour le ménage ; et nous la jetons loin de
nous, en proie à l'éducation
indifférente des maîtres, au contact
des premières venues! On sait ce que sont
les conversations de pensionnaires. On sait de quoi
on se préoccupe, ce qu'on cherche à
entrevoir ou à deviner derrière ces
murailles. Et quand cela ne serait pas, se
figure-t-on une fille sevrée sans
nécessité absolue des baisers de sa
mère? La caserne, le phalanstère (les
pensions sont toujours un peu cela), tiendront-ils
la place du toit paternel?
J'aime à voir une jeune enfant
placée dans le milieu que Dieu lui a
préparé. Qu'elle soit riche ou
pauvre, qu'elle reçoive beaucoup ou peu de
leçons, il n'importe; son nid sera
également doux, elle sera également
à l'abri sous l'aile qui la protège.
Si les parents comprennent leur mission, je suis
tranquille.
Peut-être suit-elle une
école : avant son départ, elle a eu
ses premières caresses, elle a fait sa
première prière, le déjeuner a
été placé dans son petit
panier.
Elle va, suivie du regard et des
recommandations de ceux qui l'aiment. A son retour,
elle trouve encore des bras ouverts. Qui
l'interrogera ? Qui rectifiera ses idées ?
Qui arrêtera dès sa naissance le mal
causé par certaines camarades? Qui choisira
les amies? Qui fera réciter les
leçons" Qui corrigera les cahiers? Ah, vous
le savez. Ainsi la jeune fille vivra d'une saine
vie, à l'ombre, préservée des
contacts grossiers, aux prises avec les
difficultés et avec les devoirs. Elle
apprendra à ouvrir son coeur, à
rendre service, à se déranger; elle
s'initiera aux détails du ménage;
elle s'agenouillera chaque soir avec son
père et sa mère, ses fi-ères
et ses soeurs; des liens indestructibles se
formeront, un doux bonheur se mettra à
rayonner.
Vous pouvez laisser de côté
tout ce qui a été écrit depuis
Fénelon sur l'éducation des filles;
pourvu que vous les gardiez à la maison,
pourvu que là elles trouvent de l'amour, des
soins et des prières, ne craignez rien, vous
êtes sur la bonne voie. À vrai dire,
le programme de l'éducation des filles est
écrit d'avance dans l'histoire des femmes.
Ces jeunes filles seront femmes un jour; à
quoi seront-elles appelées alors ? Quelles vertus
leur
seront nécessaires ? Voilà la
question qu'ont à se poser ceux qui ont la
charge de les élever.
Et nous connaissons la réponse :
en qualité de femmes, elles devront
être le charme, la joie, l'âme d'une
famille; elles auront à aimer, à
supporter, à fortifier, à consoler;
elles auront à prendre la plus grosse part
des soucis et des labeurs de l'existence
quotidienne; elles auront besoin d'énergie
et souvent de courage ; qu'elles se marient ou non,
leur rôle sera aussi grand et difficile que
modeste et caché. On leur demandera de la
grâce, de la bonté, de l'entrain; on
sera plus exigeant envers elles qu'envers les
hommes , on ne leur passera ni la mauvaise humeur
ni les caprices; on ne leur passera rien. Mais
aussi de quel respect attendri on les entourera,
ces épouses, ces mères, qui auront
accepté en plein leur carrière de
dévouement ! Elles seront honorées et
chéries, et ne le fussent-elles pas, car il
est des coeurs de fer que rien ne touche, elles
n'en auront pas moins rempli la plus belle
tâche qu'une créature humaine puisse
remplir ici-bas. Voilà ce
qu'elles auront à faire; nous savons
maintenant ce que nous avons à leur
enseigner.
Avant tout, enseignons-leur la
conscience; je veux dire, enseignons-leur à
écouter la conscience. Donnons-leur un
maître, un maître exigeant et qui ne
les quittera plus. Connaissez-vous des enfants
consciencieux ? Ils écoutent la voix du
dedans, le témoin incorruptible de Dieu, qui
parle en nous et contre nous ; ils ont, tout jeunes
encore, des luttes Intérieures, de vrais
remords, de touchants repentirs; ils
n'obéissent pas seulement quand ou les voit,
car leur premier surveillant c'est eux ; leur
grande crainte n'est pas celle du châtiment ;
le mal en soi, indépendamment de ses
conséquences, les préoccupe et les
effraye. Aussi voit-on apparaître dans ces
coeurs-là des miracles de droiture, une
sincérité d'or, une candeur d'enfant
devant laquelle on s'inclinerait volontiers. Ils ne
sont point impeccables; loin de là, il peut
arriver que leurs fautes soient graves et
nombreuses, car les âmes profondes sont
souvent les plus agitées ; mais on sent,
à l'heure même de leur chute, que le
relèvement aura lieu. Quelle distance entre
eux et tel autre enfant de
conduite régulière et de
caractère égal, qui connaît peu
les tentations et qui ne connaît pas du tout
sa conscience ! Chez celui-ci le grand ressort de
la vie morale fait défaut; il pourra
être d'un commerce aimable et éviter
les graves écarts, il ne courbera jamais la
tête devant un devoir.
Quand la conscience de notre enfant est
éveillée, elle a un gardien. C'est le
cas alors de la garder nous-mêmes de moins
près et de mettre une part de liberté
dans sa vie. Or ceci n'est pas un mince
avantage.
Dès qu'il nous est permis d'en
appeler à la réflexion, à
l'effort personnel, à la
détermination propre, nous marchons vers le
but de l'éducation chrétienne. Elle
ne se propose pas, en effet, de fabriquer des
poupées se ressemblant toutes et faisant les
mêmes gestes lorsqu'on presse les mêmes
ressorts; elle aspire à former des
caractères.
Ceci est vrai des filles comme des
garçons; les femmes ne se passent pas plus
aisément que les hommes de conviction, de
résolution, de force, en un mot. Sans la
vraie force elles n'auront jamais la vraie douceur,
elles seront aussi incapables d'être le soutien
que d'être le
charme d'une famille. Mais l'énergie aura
chez elles quelque chose de féminin, il le
faut.
Et c'est un point encore où
excelle l'éducation du logis. Seule, elle
sait douer les jeunes filles de cette distinction
suprême, de cet instinct des choses
délicates, de ces antennes qu'un homme ne
possédera jamais et que la femme
élevée loin de sa mère
possède rarement. Un pensionnat peut donner
de bons principes, de bonnes manières; il
arrive même que lorsque ce n'est pas une
institution murée, lorsqu'on n'y reste pas
trop longtemps, lorsque les relations d'une jeune
fille avec les siens sont libéralement
maintenues, lorsqu'elle se retrempe largement
ensuite dans l'existence du foyer, elle retrouve
tout ce qu'elle avait failli perdre. Elle aussi,
elle sera gouvernée par le maître
intérieur; loyale, forte, aimable, elle sera
femme, dans le sens le plus complet et le plus
exquis de ce mot.
Rien n'est simple comme une femme bien
élevée; la grâce est
féminine, l'affectation ne l'est pas. Aux
yeux de cette candeur parfaite, de cette simplicité
absolue qui
pratique l'oubli de soi sans y penser, les
questions qui se rapportent à la ligure ou
à la toilette sont loin d'être aussi
compliquées qu'on se l'imagine en
général.
La beauté est belle, tout
simplement. S'irriter contre la beauté, je
tiens à le redire, anathématiser la
beauté, c'est s'en prendre à un don
de Dieu. Pourquoi la beauté, que nous
admirons dans les oeuvres de Dieu, nous
deviendrait-elle tout d'un coup indifférente
ou odieuse lorsqu'il la met sur son gracieux visage
? Pourquoi forcer et fausser les choses ? Pourquoi.
appeler le bien mal ? L'Écriture nous tient
un langage très-différent : elle
parle de la beauté des femmes, et ce n'est
pas pour la maudire. Ceux qui la maudissent
seraient surpris si je leur présentais ici
les nombreux passages où elle est
louée dans l'Ancien et dans le Nouveau
Testament.
Ne nous laissons donc pas aller à
cette fausse spiritualité qui renverse
l'Évangile sous prétexte de le
perfectionner. La beauté n'est pas plus un
mal que la santé, que la force, que
l'esprit, que le talent ou que
la richesse. Faire un boit usage des dons de Dieu,
résister aux tentations que nos
privilèges font souvent naître,
voilà notre métier de
chrétiens ; ceci est tout autre chose que de
souhaiter la maladie ou la laideur, que de
transformer l'ignorance en sainteté et la
pauvreté en vertu. Les apôtres ne nous
ont point donné de tels exemples.
On peut être belle avec
simplicité de coeur, sans feindre de
l'ignorer on de s'en affliger, ou d'y être
entièrement indifférente, être
belle ainsi, c'est l'être deux fois. Quant
aux jeunes filles et aux femmes dont l'état
dans ce monde est d'être belles, de se faire
regarder, de poser, de chercher l'effet, elles se
dépouillent de leur vrai charme, elles
descendent à un rôle dont la
bêtise égale le danger. Leur âme
y perd son élévation, sa retenue, sa
distinction suprême, le saint rempart de
respect qui les environnait est tombé. Leur
coquetterie (je ne suppose rien de plus) est un
grand abaissement.
La coquetterie n'entre pas dans les
familles chrétiennes. Là tout est
trop sincère, pour que les affectations, les
prétentions puissent y vivre longtemps.
Sous l'oeil de sa mère, sous le
regard de son Dieu, la jeune fille ne saurait
adopter un rôle dépourvu de
dignité. Les tendresses sérieuses qui
font appel à son coeur ne laissent pas de
place aux sentiments factices. Sa beauté est
illuminée de candeur.
Est-elle laide? Elle l'est aussi avec
simplicité. Elle sait que d'autres sont plus
belles; elle les admire, elle ne dit pas, elle ne
pense pas que ce soit chose indifférente.
Ces éloges naïfs de la beauté
ont dans sa bouche une bonne grâce touchante.
Elle n'a ni illusions ni découragements.
Ceux qui l'aiment telle qu'elle est lui ont appris
à vivre dans la vérité; or la
vérité seule fait du bien. Et
voilà une jeune fille qui paraît, qui
devient charmante; la splendeur du dedans se
trahit. Vous connaissez ces globes d'albâtre
au travers desquels rayonne une lumière; qui
s'inquiète des détails
extérieurs du globe? On ne voit que la douce
clarté.
Au sein des familles chrétiennes,
les questions de toilette ne sont pas plus
difficiles que les questions de beauté. Se
mal mettre n'est pas une vertu; j'ai presque envie
de dire que c'est un vice. En tous cas, il y a là
un oubli de ce
que nous nous devons à nous-mêmes. Il
est un soin de notre personne, une recherche de la
saine élégance, qui s'accordent
à merveille avec l'instinct du beau que Dieu
a mis dans notre coeur.
Les jeunes filles bien
élevées s'occupent de leur toilette
avec simplicité (laissez-moi
répéter encore ce mot, que rien ne
remplacerait), elles s'en occupent, et ne s'en
préoccupent pas. Ce devoir, car c'en est un,
est relégué à son rang
légitime. Qu'elles soient ou pauvres ou
riches il n'importe, la véritable
élégance tire parti de tout et elle
s'inquiète peu de la splendeur plus ou moins
grande des ajustements. Elle est
élégante, l'ouvrière qui,
vêtue d'étoffes communes, sait y
mettre son goût, son adresse, son exquise
propreté; elle n'est pas
élégante, la dame à la mode
qui marche surchargée de broderies et de
bijoux, dont les robes coûtent de grosses
sommes et ne durent que quelques jours, mais qui
manque de distinction. « Ne pouvant la faire
belle, je l'ai faite riche », ce mot d'un
artiste de l'antiquité au sujet d'une de ses
oeuvres, je serais tenté de l'appliquer
à certaines femmes : ne pouvant être
élégantes, elles dépensent
beaucoup pour leur parure.
L'élégance est chose
relevée, qui tient à l'âme et
au sentiment de l'idéal. Une mère est
chargée d'enseigner cela à sa fille.
Par son propre exemple, par son comme il faut, par
le soin irréprochable de sa mise, par son
absence de recherche et d'ostentation, par son
oubli d'elle-même, elle l'instruit mieux
encore que par ses paroles. Elle met de la largeur
dans ce qui concerne la toilette de sa fille, afin
qu'elle soit en mesure de s'habiller selon sa
condition et qu'elle y pense le moins possible. Si
elle vient parfois à y penser trop, et cela
arrivera, la mère l'avertit tendrement. Et
ce qui ne l'avertit pas moins, c'est le milieu
où elle vit. Là on approuve ce qui
lui sied et on n'affecte pas de n'en rien dire ;
pourtant on ne s'arrête pas longtemps
à ce grave sujet. Si les misérables
propos du monde venaient à absorber ses
pensées, si elle était
entraînée un moment à analyser
et à comparer des toilettes, si les
futilités sottes et malsaines lui montaient
au cerveau, elle se sentirait reprise en
rencontrant au logis un ensemble de choses
sérieuses et
bonnes : des tendresses, des devoirs, des travaux.
La famille, quand elle est ce qu'elle doit
être, combat victorieusement les tentations
de la parure comme celles de la
beauté.
Elle résout aussi sans trop de
peine le problème de l'instruction. Pourquoi
semble-t-il compliqué! Parce que l'esprit de
système y a mis la main. Les mères
sont peu systématiques de leur nature; elles
cultivent de leur mieux l'intelligence de leurs
filles, elles emploient les ressources qui sont
à leur portée, elles ne se demandent
pas si l'ignorance ne serait pas un bien, par
hasard.
Et elles ont certes raison. il serait
étrange de tout interdire à celles
qui devront se mêler à tout, Est-il si
difficile de rester humble lorsqu'on sait quelque
chose? Quant à moi, c'est presque toujours
chez les personnes qui ne savaient rien que j'ai
rencontré l'orgueil, l'assurance,
l'entêtement invincible.
Les intelligences
éclairées vont à merveille
avec les coeurs modestes. Tout sera perdu, selon
vous, si l'instruction d'une jeune fille ne se
borne pas aux leçons de musique, de dessin,
de maintien et de religion !
Cela fait, qu'on les marie au plus vite!
Hélas, ce mince programme, accru
de quelques éléments indispensables
de grammaire, de calcul, d'histoire et de
géographie, n'est guère
dépassé que par des parents
très-audacieux.
Il me semble qu'on pourrait se faire
sans péril une idée moins frivole de
la destinée des femmes et de leurs besoins
intellectuels. Des femmes fort
éclairées et même savantes ont
été au nombre des plus aimables, des
plus gracieuses, des plus féminines en un
mot. Le seizième siècle et même
le dix-septième sont là pour en
témoigner.
Je ne demande pas qu'on apprenne le grec
et le latin aux jeunes filles; je demande qu'on les
accoutume à l'étude, à la
réflexion, à l'effort intellectuel;
qu'au lieu de ces lectures sans suite et sans but
qui viennent remplir les intervalles laissés
par le piano, on aborde avec elles les bons
auteurs, qu'on les dirige, qu'on leur fasse rendre
compte. Rien ne nous déshabitue du travail
réel comme le désoeuvrement
occupé. Les jeunes filles ne se croient
point oisives lorsqu'elles parcourent à tort
et à travers les volumes
que l'indifférence des parents laisse
parvenir entre leurs mains.
Les vraies mères ne permettront
pas un tel gaspillage des trésors
réservés à l'éducation.
Chaque âge a son livre, qui est en quelque
sorte écrit pour lui, qui peut être,
qui doit être pour lui un
événement. Arrivant à son
heure, il sera le bienvenu, il produira des
impressions ineffaçables. De quel droit
priverions-nous nos enfants des ces joies immenses,
de ces découvertes, de ces progrès?
Pourquoi nous priverions-nous nous-mêmes du
bonheur de nous associer en partie à ces
jouissances de leur coeur et de leur raison ? Cette
fête de l'esprit sera souvent
troublée, sans doute; la lecture
sérieuse a ses difficultés devant
lesquelles votre fille s'arrêtera quelquefois
lassée ou rebutée; ce que vous sentez
vivement, elle le sentira quelquefois
très-peu. Eh bien, c'est l'éducation,
cela; c'est ainsi qu'on développe les
besoins sérieux, les aptitudes, les
capacités, l'activité; c'est ainsi
qu'on prépare les vies utiles.
Je désire être bien
compris. Je ne viens pas opposer programme à
programme, je proteste contre le programme
frivole. Vous
mettrez
là plus ou moins de langues, de
mathématiques, de littérature, je ne
m'en informe en aucune façon ; je vous
supplie seulement de ne pas y mettre une culture
tout extérieure, de petits talents, ce qu'il
faut pour paraître et pour briller, avec un
affreux pêle-mêle de demi-connaissances
acquises au hasard et de lectures faites à
bâtons rompus.
Les jeunes filles ont une âme; il
semble, en vérité, que dans nos
entraînements de mondanité futile nous
ne nous en souvenions pas toujours. Il leur faut
autre chose que des leçons d'agrément
et quelques notions élémentaires
enseignées à la hâte ; il leur
faut l'étude, l'étude
sérieuse, l'éducation de
l'intelligence.
Quelle que soit l'étendue de
l'instruction qu'on leur donne (et elle variera
naturellement en raison des situations, des
ressources, des aptitudes), il leur faut une
mère qui mette de l'ordre dans leurs
travaux, qui lise parfois avec elles, qui exige la
réflexion et l'effort, qui dirige leur
pensée vers les grands buts de la vie, vers
le devoir, vers le perfectionnement moral, vers le
service de Dieu.
Sous l'oeil d'une telle mère, la
jeune fille apprendra peu ou beaucoup, je l'ignore;
en tous cas, elle apprendra bien. Elle
échappera aux misères de cette
instruction qui n'a que l'apparence et qu'on a
inventée tout exprès pour les femmes.
Les méthodes superficielles ne sont bonnes
pour personne, pas plus pour les femmes que pour
nous ; celles qui en ont subi l'influence
deviennent trop souvent incapables d'application.
Une fois les derniers maîtres
renvoyés, elles se hâtent de fermer
leur éternel piano et elles se
précipitent dans le vide absolu. Donner
quelques ordres, faire et recevoir des visites,
s'occuper de leur toilette, parcourir avec
distraction l'ouvrage à la mode, assurer
à leurs enfants une éducation
semblable à celle qu'elles ont reçue,
voilà le régime auquel elles se
condamnent, je me trompe, auquel elles aspirent.
Sous cette pompe pneumatique où l'air
manque, elles parviennent à vivre tant bien
que mal. Et cela va ainsi de
génération en
génération.
Sachons respecter assez les femmes pour
ne pas les traiter de la sorte. Elles seraient peu
reconnaissantes envers ceux qui recommandent les
programmes en usage, si elles
savaient leurs motifs. La plupart ne font pas aux
femmes l'honneur de les prendre au sérieux.
Qu'elles s'amusent, voilà toute leur
destinée !
S'amuser! Et y a-t-il rien qui
égale l'ennui du vide ? Quand on ne
s'intéresse fortement à quoi que ce
soit, quand on s'accommode d'une existence inutile,
quand on tue le temps, il est impossible qu'on
s'amuse beaucoup. Les vies mondaines sont bien
lourdes à porter ; il y manque ce qui donne
du prix aux journées, ce qui fait qu'on
attend avec joie le lendemain : la marche en avant,
l'esprit et le coeur occupés, le devoir
accompli, les pauvres secourus, les nobles causes
connues et aimées, l'idéal poursuivi
dans tous les sens, le travail, en un mot, le saint
travail, dont nul ne se passe impunément sur
la terre.
« Qu'elles plaisent, » disait
Rousseau. La formule, est brève et n'annonce
pas une haute estime. En les, déclarant
impropres à tout autre rôle, le
philosophe si aimé des femmes au
siècle dernier les dispensait naturellement
des fatigues de l'étude. Reste à
savoir s'il ne les privait point par là
même d'une grande partie de ce qui fait
qu'elles plaisent. Laquelle a le plus de charme,
ou la femme
qui
mène la vie nonchalante du monde, qui ne
sait parler que son langage, qui ne sort pas du
cercle étroit de ses préoccupations,
qui n'a dans sa tête que du vent et sur ses
lèvres que des redites de salon et de
gracieuses médisances, ou la femme qui sait
quelque chose, qui s'intéresse à
quelque chose, qui a des idées, qui comprend
ses devoirs, qui se mépriserait
elle-même si elle donnait son coeur aux
vanités et si sa vie demeurait inutile? Je
ne vois pas que Marie Stuart, Marguerite de Valois,
Mme de Sévigné aient eu plus de peine
à plaire parce que leur esprit était
cultivé.
Jusqu'à quand nous
obstinerons-nous à chercher dans des
mutilations la solution de toutes les
difficultés de la vie? - Dieu nous demande
de l'aimer; n'aimons plus personnel Nous voulons
être chrétiens ; ne soyons plus
citoyens ! De graves vocations nous appellent;
retranchons le mariage et la famille ! Une seule
chose est nécessaire; supprimons le reste!
Un seul livre est inspiré, brûlons les
livres d'hommes! Il y a de l'Omar chez tous ceux qui
raisonnent ainsi ; pour
diminuer les tentations, on diminue la vie.
C'est commode, mais c'est
insensé. Nous avons vu ce que
l'Évangile pense d'un pareil système,
lui qui ne rapetisse rien et qui sanctifie tout. Il
ne va pas demander à l'ignorance le principe
de la modestie et de la soumission des femmes; il
s'adresse à leur conscience, il fait vibrer
les cordes les plus élevées de leur
coeur. Grâce à lui, elles pensent,
elles savent, elles avancent dans la
lumière, elles se préparent
sérieusement aux luttes sérieuses de
leur vocation, elles échappent au
néant intellectuel du gynécée
antique ou de la frivolité moderne, et en
même temps elles recherchent l'ombre, elles
aiment l'humble existence du foyer.
Pourquoi n'en est-il pas plus souvent
ainsi? Parce que dans la plupart des familles en ne
considère pas un instant ce qu'est la
mission si grande que la jeune fille aura à
remplir un jour. La façon dont on y envisage
son futur mariage n'explique que trop bien
l'éducation qui lui est donnée ; les
moyens se proportionnent au but à atteindre.
Le mariage sera le terme naturel et
presque nécessaire de l'éducation.
Or, comme on n'est pas fâché d'arriver
à la fin de sa tâche, on se hâte
d'ordinaire, Nos filles n'ayant pas à entrer
dans une carrière et à terminer des
études professionnelles, on n'est pas
arrêté par les obstacles qui retardent
l'établissement de leurs frères.
Aussi leur éducation, si imparfaite
déjà, est-elle
écourtée; nous en retranchons
simplement les trois ou quatre années les
plus utiles, les seules où l'intelligence
eût été en jeu, les seules
où elles eussent réfléchi,
goûté, où elles eussent appris
quelque chose. À part les exceptions, et il
y en a, c'est entre dix-huit et vingt-deux ans
qu'une Jeune fille devient autre chose qu'une
écolière passive et ennuyée.
Elle a dépassé les
éléments, elle aborde les portions
attachantes de ses études ; elle jouit, elle
s'assimile; elle ne se borne plus à recevoir
des leçons, elle pense; ce qu'on lui
enseigne, alors, elle y prendra goût, elle
continuera à s'en occuper. Ne nous
étonnons pas si d'ordinaire elle abandonne
tout en se mariant, si elle ferme ses cahiers, si
elle ensevelit ses esquisses dans une armoire, si
ses livres d'étude conservent à ses yeux le
caractère de livres insupportables qu'on ne
doit plus ouvrir désormais; on l'a
arrêtée juste au moment où
l'intérêt allait commencer; ni
l'histoire, ni la littérature, ni l'art ne
lui avaient encore rien dit qui fût capable
de l'émouvoir.
Et remarquez que ceci exerce une
influence rétroactive. Nous ne
commençons jamais bien ce que nous savons ne
pas pouvoir bien finir. L'éducation des
jeunes filles devant rester incomplète,
à quoi bon s'en occuper avec tant de soin?
Pourvu qu'elles sachent ce qu'il est d'usage de
savoir, à quoi bon se donner la peine
d'approfondir? Un léger vernis rapidement
étendu ne suffira-t-il pas ? Pour ce
qu'elles 'feront un jour, à quoi leur
servirait une instruction plus solide ? Tels sont
les raisonnements qui se font tout seuls en nous,
sans que nous nous en rendions compte; nos
prévisions sont à la base de nos
négligences. L'éducation des jeunes
filles changerait de nature, le jour où
l'échéance probable de leur mariage
se fixerait pour notre esprit à vingt-deux
ans, au lieu de se fixer à dix-huit ou
à dix-neuf.
Mais laissons l'échéance,
et voyons le mariage lui-même. Comment se
présente-t-il le plus souvent à
l'imagination de nos filles? Elles s'en font, par
notre faute, une idée tellement fausse, que
l'éducation entière en est
viciée.
Leur mariage sera avant tout une
émancipation plus de dépendance,
elles seront dames, elles seront maîtresses
d'elles-mêmes.
Il leur apparaît aussi comme la
fin des leçons ; les maîtres seront
congédiés et l'on aura son temps
à soi. Elles sont très-peu
nombreuses, en effet, celles qui, mariées,
continuent à s'instruire, à
s'élever, travaillant sur elles-mêmes,
se sachant inachevées.
Le mariage, c'est une maison à
tenir, c'est une position; parfois c'est moins que
cela, une corbeille, un voyage en Italie.
Et l'on se hâte vers cet
idéal sans élévation. Que peut
être l'éducation, je le demande, dans
les familles où règnent de telles
idées ? Il s'agit, au fond, de gagner du
temps, de traverser tant bien que mal quelques
années d'adolescence, d'arriver au bout
d'une tâche ennuyeuse. Les parents le pensent
et ne se l'avouent pas, les enfants ne le pensent
pas et la sentent, chacun devine
d'instinct que, pour le mariage tel que le monde
l'a fait, une honnête
médiocrité suffira toujours. Une fois
mariées, toutes les jeunes femmes se valent.
Que leur faudra-t-il désormais? Un bon
caractère, et qui ne se croit bon'! de
l'esprit naturel, et qui n'a pas de
l'esprit?
Il est des maisons, grâce à
Dieu, où les choses se passent
différemment. En y élevant une jeune
fille, on y songe d'abord à son âme,
son aine précieuse et immortelle. On songe
aussi à sa mission terrestre, à son
mariage probable; mais, loin d'éveiller des
idées d'émancipation,
d'oisiveté, de vie indolente et facile, le
futur mariage rappelle aux parents et bientôt
à la jeune fille elle-même qu'elle
aura un jour à remplir de très-grands
devoirs. La carrière qui s'ouvrira devant
ses pas sera bien belle, et bien grave aussi ; elle
pourra lut donner un bonheur immense, elle lui
imposera de lourdes responsabilités ; en
tous cas, son bonheur sera d'une nature
élevée et réclamera
d'énergiques efforts. un se prépare
aux choses sérieuses.
De là ces éducations
fortes et tendres où l'amour maternel accomplit
ses
miracles.
De là ces caractères forgés
pour la vie, cette empreinte ineffaçable du
devoir, ces luttes contre l'égoïsme,
ces complaisances aimables, cet oubli de soi, ce
soin des autres. De là ces habitudes de
travail, ces études commencées avec
conscience et continuées avec joie, ces
livres médités avec fruit, ces
entretiens, ces confidences dont le foyer garde le
secret, ces lectures attentives de la Bible, ces
repentances et ces prières. De telles
éducations sont des luttes; elles ont des
labeurs pour tous, pour les parents et pour les
enfants; mais elles ont des joies pour tous le
progrès moral s'opère, l'affection
grandit, les saintes intimités de famille se
fondent, il se forme des liens que la mort ne
brisera pas, il se prépare des forces que
n'épuiseront pas les rudes combats de
l'existence.
En attendant les combats, il y a du
bonheur à la maison, du bonheur et de la
gaieté ; l'obéissance à Dieu
donne la paix, on se sent sur la bonne voie, on
voit le but, on y marche, et on n'y marche pas
seul; le présent est beau, l'avenir est
plein de promesses, la jeune
fille y va les yeux bien ouverts, aimée,
gardée et confiante.
On ne la tient pas cloîtrée
dans la famille. Elle a des amies; elle rencontre
aussi des jeunes gens. Si ses parents choisissent
ses relations, ils ont soin de ne pas les
restreindre. Nous avons d'ordinaire en France les
principes les plus timorés en ce qui touche
aux rapports des jeunes filles et des jeunes
gens.
À l'école
déjà, taudis que l'Amérique et
la Suisse, par exemple, y admettent sans danger
aucun les enfants des deux sexes, nous tenons
à les séparer, une école mixte
est selon nous l'abomination de la
désolation. Après l'école,
c'est bien autre chose! Ce n'est pas nous qui
autoriserions les jeunes gens à accompagner
le soir nos filles jusqu'à la porte du
logis, comme cela se passe dans plusieurs
contrées allemandes, qui ne s'en trouvent
pas plus mal.
J'avoue ma préférence pour
le système des Anglais, des
Américains et des Allemands. Le grand air et
te soleil vont bien à l'éducation de
la famille. La vraie pureté est celle du
coeur; rien n'est modeste comme une Jeune fille qui
vit à l'air libre et sait tendre la main aux amis
de son
frère. Si elle rencontre beaucoup de jeunes
gens, aucun d'eux ne fera événement
pour elle; le moment venu, elle sera capable de
choisir.
Nos jeunes filles ne choisissent pas;
elles acceptent en aveugles le choix que nous avons
fait à leur place. Au lieu de borner notre
rôle aux conseils, à l'influence, et
quand il le faut au veto, nous les marions, le mot
n'est pas trop fort. Comment n'en serait-il pas
ainsi? À part les hommes qu'elles ont
aperçus en passant dans un salon, elles n'en
connaissent aucun, elles n'ont entretenu avec
aucun, les simples et innocentes relations de la
camaraderie, du jeu, des promenades à la
campagne; celui que nous leur présentons est
en quelque sorte le seul qu'elles aient vu de
près. Notre éducation mondaine
aboutit donc à des mariages arrangés,
qui viennent, à l'époque voulue,
clore la période des leçons et
proclamer une émancipation précoce en
vertu d'un dernier acte d'autorité.
Ces mariages-là sont le digne
couronnement de notre système
général d'éducation. Mariage
et éducation, cela se
tient de près dans la destinée des
jeunes filles; aussi se marient-elles d'une
façon bien différente au sein des
familles qui ont pris la peine de les
élever. Les éducations fortes sont,
nous l'avons vu, les éducations
libérales ; quand on a formé le coeur
de sa fille, on peut se fier à elle; comme
une amie, elle prend graduellement sa place dans
les délibérations du foyer. Et sur le
sujet qui l'intéresse le plus elle ne serait
pas consultée! Il ne saurait en être
ainsi. On cause avec elle de ce sujet comme des
autres, simplement, sans fausse pruderie; elle s'en
entretient avec sa mère, à coeur
ouvert ; tendrement avertie, mise en mesure de
comparer et de choisir, sachant ce qu'elle fait,
assurée de l'assentiment de ceux qui
veillent sur elle, elle accomplit, en y mettant
toute sa raison et tout son coeur, l'acte
suprême qui fixe son avenir.
Voilà comment des parents
chrétiens achèvent ce qu'ils ont
commencé et placent en d'autres mains, en
des mains sûres et aimées, le
dépôt que Dieu leur avait remis. Si
nous nous demandons quel est le trait saillant de
cette éducation et de ce mariage, nous ne
trouverons qu'un terme pour rendre notre pensée :
sincérité. Ici tout est vrai ; le
factice n'est pas seulement réprouvé,
il est impossible.
On se chérit du meilleur de
l'âme, on se le dit, on se caresse, on est
aimable pour sa fille, on sent parfois que c'est
une chose ravissante de l'élever et que la
douceur de la tâche l'emporte infiniment sur
ses difficultés si réelles ; mais on
repousse avec horreur les flatteries fades que nos
poètes ont mises à la mode. Notre
fille ne sera pas l'ange du foyer, elle sera mieux
que cela, notre enfant, très-imparfaite
encore et très-précieuse.
Que la vérité fait de bien
! Vous connaissez ces éducations
rusées, où tout est combiné
pour sur les jeunes filles presque à leur
insu, où on ne leur dit rien
carrément, où l'habileté
consiste à exploiter leurs défauts
mêmes, leur vanité, par exemple, pour
les pousser dans le bon chemin. Et vous connaissez
aussi ces femmes rusées, qui savent «
prendre » leur mari, qui n'abordent de front
aucune des difficultés de la vie, qui
excellent à tourner les obstacles, à
tirer parti des circonstances, à cacher leur
jeu, et qui ne poursuivant du reste aucun but
coupable, déploient une
souplesse infinie dans le choix des moyens. Elles
évitent les frottements, elles cèdent
à propos, sauf à regagner plus tard
le terrain perdu; car leur volonté, qui se
cache toujours et n'en est pas moins souveraine,
aime à s'exprimer par la bouche des autres,
et le jour où elles font enfin ce qu'elles
désirent, if leur convient de soupirer en
victimes résignées mon mari le
veut.
La sincérité dans
l'éducation ne forme point de pareilles
femmes. Si vous avez du goût pour les natures
flexueuses, si les principes et les convictions
vous font peur, adressez-vous ailleurs, je vous le
conseille; mais si vous sentez la valeur des
âmes loyales, qui résistent au besoin,
qui sont trop fières pour mentir, qui
sentent qu'il vaut mieux affliger qu'abaisser, et
qui, fidèles à outrance, savent
déplaire parfois à ceux qu'elles
aiment, si le bonheur élevé est celui
qui vous tente, cherchez alors de ce
côté-là.
Nous connaissons maintenant dans leur
ensemble les devoirs que les parents ont à
remplir. Un mot, un grand mot,
les résume : éducation. Nous avons vu
ce qu'il suppose de tendresse, de
dévouement, de vigilance journalière,
de support, de fermeté.
Qu'il s'agisse des filles ou des
garçons, des pauvres ou des riches,
l'éducation a ce caractère constant
qu'elle n'est ni une méthode ni un ensemble
de procédés, qu'elle ne peut se
formuler en théorie, qu'un manuel
supportable de l'éducation ne
s'écrira jamais (1)
; elle est
une influence, un air que nos enfants respirent, le
souffle vivifiant du foyer.
Et voilà pourquoi
l'éducation ne se délègue pas
nous pouvons faire donner des leçons
à nos enfants, nous ne pouvons pas les faire
élever. Si la maison paternelle est
mondaine, ils seront mal élevés ; si
nous les exilons loin d'elle sans maintenir avec
force l'action permanente de la famille (2),
ils
ne
seront pas élevés du tout.
Si nous les élevons, quelles que
soient d'ailleurs nos ressources d'enseignement au
dehors, écoles, collèges ou
maîtres particuliers, les moyens à
employer pour réussir dans notre oeuvre sont
d'une simplicité telle, que les coeurs des
pères et des mères ne sauraient
manquer de les découvrir. Rappelons-les en
peu de mots.
Le premier moyen, c'est d'aimer nos
enfants ; le premier enseignement de la famille,
c'est la tendresse. Il faut que leurs grands amis
soient à la maison. Sans nous abaisser, sans
prendre le rôle de camarades, sans pratiquer
la mauvaise égalité, sans
compromettre notre dignité et le respect qui
nous est dû, nous nous lierons
étroitement avec nos enfants. Vous la
connaissez cette affection d'une nature spéciale,
pleine de
charme, de délicatesse et de profondeur,
cette affection croissante et parfois intime, qui
s'établit entre les parents et les
enfants.
Elle ne naît que dans les vraies
éducations, lorsque la famille n'a pas
renoncé à son rôle. Elle est un
des plus beaux dons que nous puissions faire
à nos fils et à nos filles; elle est
aussi une des joies les meilleures que nous
puissions recevoir d'eux.
Nous n'oublierons pas, c'est un de nos
devoirs, de rendre notre intérieur aimable.
Il faut que nos enfants se trouvent bien à
la maison; il le faut, car s'il en était
autrement, si leurs meilleurs moments ne se
passaient pas près de nous, s'ils
n'aspiraient pas à la réunion de
famille comme à la fête et au
couronnement de la journée, il manquerait
quelque chose d'essentiel au développement
de leur coeur. Nous leur devons de la
gaieté, la jeunesse en a besoin. Cela vaut
un effort; nous serions tentés souvent de
nous laisser aller à notre humeur, de
multiplier et de faire durer les orages
domestiques; prenons-y garde, les orages
prolongés ne font pas de bien.
Non, l'éducation grondeuse n'est
bonne pour personne, ni pour les
jeunes ni pour les vieux; elle crée des
habitudes maussades; elle fait qu'on redoute les
heures de réunion, au lieu de les
désirer; elle fausse quelquefois les
caractères, car les enfants qui vivent dans
l'appréhension constante des scènes
sont portés à dissimuler certains
faits; une crainte presque servile remplace la
soumission filiale et l'ouverture de coeur
disparaît.
Cependant les bons parents sont ceux qui
grondent, c'est une règle à peu
près sans exception; mais autre chose est la
sévérité bienfaisante qui
reprend le mal et ne pactise jamais avec lui, autre
chose une succession non interrompue de reproches,
une irritation à l'état chronique. La
fermeté a en elle je ne sais quoi de
vigoureux et d'élastique qui ne nous permet
pas de languir dans les bas-fonds d'un
mécontentement découragé.
Fortement repris, fortement aimés, nos
enfants trouvent le port après la
tempête et goûtent la
sécurité du vrai pardon.
Ainsi la faiblesse est exclue en
même temps que l'humeur noire; on tâche
de ne faire ni des esclaves ni des enfants
gâtés, on fait des hommes.
Oeuvre magnifique et difficile; nous n'y
réussirons qu'à la condition de
veiller sur nous-mêmes et de compléter
un peu notre propre éducation en vue de
l'éducation de nos enfants. Il est bien des
choses, par exemple, que nous ne devons pas dire
devant eux.
Sans vouloir pousser trop loin le
système des précautions et quoique
convaincu qu'un régime de
vérité leur est avant tout
nécessaire, qu'il importe de les habituer
graduellement à la vie telle qu'elle est et
de ne pas les rendre semblables aux plantes de
serre chaude qui ne supportent pas le grand air, je
pense cependant que nous leur rendrions un triste
service si nous ne ménagions pas les
transitions. Leur organisation délicate
serait froissée par le brusque contact de
certains objets, leur foi naissante ne survivrait
peut-être pas à l'assaut, de certains
doutes brutalement présentés. Quand
nous sommes en famille, nous n'avons le droit ni de
poser toutes les questions, ni de discuter tous les
problèmes, ni de raconter toutes les
histoires, ni de lire tous les livres. Combien de
livres, d'ailleurs honnêtes (nous n'en
lirions pas d'autres), qui renferment des
récits, des idées, des expressions propres à
corrompre peut-être de jeunes imaginations
!
Respectons jusqu'au scrupule,
jusqu'à l'excès cette innocence des
enfants, cette fleur de pureté des
adolescents, ces saintes fiertés d'une
candeur qui 'ignore elle-même et que rien ne
doit ternir. Quand nous avons banni de notre
conversation ce qui est positivement mauvais, nous
croyons que cela suffit, et nous nous trompons;
à côté du mauvais il y a le
grossier. On ne saurait croire combien une certaine
distinction de langage et de pensées
contribue à relever le niveau
général de la famille. Les hermines
évitent, dit-on, les endroits fangeux; on
peut, sans tomber dans l'afféterie, observer
une réserve de bon goût et ne pas
toucher à la boue.
Nos enfants rencontreront plus tard ces
choses, mais il est bon qu'ils sentent que chez eux
on ne les admet pas. Le comme il faut s'acquiert
auprès des parents, par la vue habituelle de
ce qui est noble, par l'exclusion de ce qui est
bas. Le comme il faut ne s'enseigne pas et les
règles n'en sont tracées nulle part :
il se communique, il se gagne si j'ose parler ainsi.
Et n'allez pas
croire que
ce soit une acquisition sans valeur, il se rattache
à l'ensemble de l'éducation,
c'est-à-dire à cette influence
mystérieuse et toute-puissante que la
famille exerce sur nous.
La famille ne nous enseigne pas
autrement la complaisance, l'accomplissement
aimable des devoirs de détail, le sacrifice
de nos convenances. Cet apprentissage incomparable
de la vie était là, tout
préparé pour nous et autour de nous,
au moment où nous sommes nés. Il y
avait de vieux parents à soigner et à
amuser, des malades à visiter, du bien
à faire; il y avait des frères et des
soeurs à supporter dans leurs brusqueries,
des dérangements à accepter, des
services à rendre. Notre famille s'est bien
gardée, si elle a compris sa tâche, de
nous épargner ces petites tribulations; elle
n'a respecté ni nos aises ni même
notre travail; elle nous a interrompus, elle nous a
fait lever de notre chaise, elle nous a
donné des commissions, et nous avons de la
sorte appris sous le toit paternel ce que nous
n'aurions jamais appris ailleurs.
Mais c'est assez; peut-être ne me
suis-je arrêté que
trop longtemps dans ce doux intérieur
où l'on est si sérieux et si heureux,
où s'accomplit loin du bruit du monde la
plus grande oeuvre qui se fasse sur la terre. Il
m'attire, et volontiers je m'y attarde un peu.
C'est si beau, de vrais parents en présence
du vrai devoir ! lis se sentent faibles, que
sont-ils pour de telles choses ? Forger des
caractères, armer des coeurs pour les
luttes, les douleurs et les joies de la vie,
préparer des âmes pour
l'éternité, qui leur donnera cela?
À quelle source iront-ils puiser assez
d'énergie, assez de sagesse, assez de
persévérance, assez de largeur, je ne
dis pas assez d'amour? Voyez-les à genoux,
le secret, de l'éducation est là. Le
soir, quand leur nichée. est endormie, ils
s'entretiennent encore avec leur père
céleste, qui est aussi le père de
leurs enfants.
De telles prières sont entendues,
Je ne dis pas qu'on, vole toujours de ses yeux
l'exaucement préparé là-haut,
mais la fidélité des parents
chrétiens a de grandes promesses.
Peut-être, après eux, le fils qui a
mis tant d'amertume dans leur vie rencontrera-t-il,
une grâce imprévue. S'il lui
était donné de remonter jusqu'aux causes, il
verrait,
bien loin en arrière, deux époux
prosternés auprès d'un
berceau.
L'action des prières dure
longtemps. L'autorité des pères et
des mères dure longtemps aussi. Sans doute
il est un âge où elle ne s'exerce plus
de la même façon; elle n'en subsiste
pas moins, dans les bonnes, dans les vraies
familles. Ne leur demandez pas, à elles,
quel est le terme précis de
l'éducation, quelle est l'époque de
l'émancipation définitive, quel est
le moment où le fils a le droit de dire : Je
ne dépens plus en rien de mon
père.
Il y a une indépendance
indispensable; il y a une douce dépendance,
dépendance volontaire, que maintient
l'habitude du respect. Aucun de ceux qui en ont
senti le charme ne me démentira, si
j'affirme que parmi les déchirements qui se
font en nous lorsque notre père nous est
retiré, un des plus douloureux est celui que
produit cette pensée : Je ne dépens
plus que de moi.
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