Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE TROISIÈME

LES DEVOIRS DU PÈRE ET DE LA MÈRE

suite 3

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Je ne prétends pas, assurément, qu'elles n'aient pas leurs tentations et leurs défauts. Sans parler même de celles dont le mauvais caractère nous donnera bien moins de plaisir que de chagrin et d'ennui, toutes auront besoin d'être reprises et corrigées. L'éducation aura ses jours néfastes, jours de brouillard, où le soleil cessera de briller. Les fronts s'assombrirent plus d'une fois; plus d'une fois, assis autour de la table de famille, on aura peine à échanger quelques mots, un malaise pèsera sur les jeunes et sur les vieux. Que voulez-vous? les douleurs de l'enfantement spirituel ont passé par là. Quoi qu'on fasse, on ne les supprime jamais, et quiconque a pris sa tâche au sérieux doit s'attendre à avoir le coeur serré et la bouche amère. Mais que de compensations aussi 1 Cette âme qui s'ouvre, qui se fait sérieuse, qui commence à se surveiller elle-même, qui se rapproche de son Dieu, qui se donne avec effusion à ses parents, cette âme qui lutte et qui, meurtrie, va chercher la guérison dans des bras aimés, n'est-ce pas qu'on se plaît à la suivre, à la guider, que si l'on souffre par elle, ou est bienheureux par elle aussi?

Il fait bon assister à l'éveil d'une âme où tout est innocence, pureté, tendresse, où l'imagination et la poésie se montrent déjà, où l'attrait des choses élevées se fait sentir. Les jeunes filles s'éveillent de très-bonne heure : c'est dire qu'on doit se mettre très-vite à les élever. Je n'oserais pas indiquer un âge avant lequel elles pourraient se passer de leur mère. On sent qu'ici l'éducation domestique, si nécessaire à nos fils, est bien plus nécessaire encore, Je ne passe pas devant un pensionnat de demoiselles sans protester au dedans de moi. Qu'elles suivent une école, à la bonne heure, il faut bien que leur esprit s'éclaire et toutes les leçons ne sauraient toujours leur être données à la maison; mais qu'on se sépare d'elles, qu'on les mette à Saint-Cyr, au couvent, dans un institut, que sais-je? il y a là quelque chose qui crie vengeance.
Je sais qu'il existe des cas exceptionnels et que la vie de pension est une ressource pour ces cas-là ; tâchons toutefois que l'exception ne devienne pas la règle. Les cas dont je parle sont très-rares, et nous avons l'air de l'oublier. Hélas, c'est encore la tentation du commode qui nous sollicite. Nous nous sommes débarrassés de notre fils, pourquoi ne pas nous débarrasser de notre fille? Ne sera-t-elle pas mieux instruite, mieux surveillée là-bas, au milieu de maîtresses et de maîtres plus savants que nous? D'ailleurs les exigences de notre situation ne nous imposent-elles pas ce sacrifice? Pouvons-nous nous lever d'assez bonne heure? Pouvons-nous mettre assez de régularité dans nos habitudes? Pour diriger et instruire, ne faudrait-il pas se gêner beaucoup? On se gêne donc très-peu, et l'éducation de la fille se borne, comme celle du fils, an payement de leurs trimestres. On ne saurait être père et mère à meilleur marché. Quand la jeune fille sera prête à sortir de pension, elle sera également prête à se marier. Autre façon de s'en défaire. De même que nous avons payé des trimestres, nous payons une dot. Et tout est dit, et nos devoirs sont remplis ; notre file n'est-elle pas établie ? Oui. Seulement elle n'a pas été élevée.

Les jeunes filles sont des plantes délicates, qui réclament des soins assidus et une chaude atmosphère. Une jeune fille est faite pour la vie intime, pour le foyer, pour le ménage ; et nous la jetons loin de nous, en proie à l'éducation indifférente des maîtres, au contact des premières venues! On sait ce que sont les conversations de pensionnaires. On sait de quoi on se préoccupe, ce qu'on cherche à entrevoir ou à deviner derrière ces murailles. Et quand cela ne serait pas, se figure-t-on une fille sevrée sans nécessité absolue des baisers de sa mère? La caserne, le phalanstère (les pensions sont toujours un peu cela), tiendront-ils la place du toit paternel?
J'aime à voir une jeune enfant placée dans le milieu que Dieu lui a préparé. Qu'elle soit riche ou pauvre, qu'elle reçoive beaucoup ou peu de leçons, il n'importe; son nid sera également doux, elle sera également à l'abri sous l'aile qui la protège. Si les parents comprennent leur mission, je suis tranquille.
Peut-être suit-elle une école : avant son départ, elle a eu ses premières caresses, elle a fait sa première prière, le déjeuner a été placé dans son petit panier.
Elle va, suivie du regard et des recommandations de ceux qui l'aiment. A son retour, elle trouve encore des bras ouverts. Qui l'interrogera ? Qui rectifiera ses idées ? Qui arrêtera dès sa naissance le mal causé par certaines camarades? Qui choisira les amies? Qui fera réciter les leçons" Qui corrigera les cahiers? Ah, vous le savez. Ainsi la jeune fille vivra d'une saine vie, à l'ombre, préservée des contacts grossiers, aux prises avec les difficultés et avec les devoirs. Elle apprendra à ouvrir son coeur, à rendre service, à se déranger; elle s'initiera aux détails du ménage; elle s'agenouillera chaque soir avec son père et sa mère, ses fi-ères et ses soeurs; des liens indestructibles se formeront, un doux bonheur se mettra à rayonner.
Vous pouvez laisser de côté tout ce qui a été écrit depuis Fénelon sur l'éducation des filles; pourvu que vous les gardiez à la maison, pourvu que là elles trouvent de l'amour, des soins et des prières, ne craignez rien, vous êtes sur la bonne voie. À vrai dire, le programme de l'éducation des filles est écrit d'avance dans l'histoire des femmes. Ces jeunes filles seront femmes un jour; à quoi seront-elles appelées alors ? Quelles vertus leur seront nécessaires ? Voilà la question qu'ont à se poser ceux qui ont la charge de les élever.
Et nous connaissons la réponse : en qualité de femmes, elles devront être le charme, la joie, l'âme d'une famille; elles auront à aimer, à supporter, à fortifier, à consoler; elles auront à prendre la plus grosse part des soucis et des labeurs de l'existence quotidienne; elles auront besoin d'énergie et souvent de courage ; qu'elles se marient ou non, leur rôle sera aussi grand et difficile que modeste et caché. On leur demandera de la grâce, de la bonté, de l'entrain; on sera plus exigeant envers elles qu'envers les hommes , on ne leur passera ni la mauvaise humeur ni les caprices; on ne leur passera rien. Mais aussi de quel respect attendri on les entourera, ces épouses, ces mères, qui auront accepté en plein leur carrière de dévouement ! Elles seront honorées et chéries, et ne le fussent-elles pas, car il est des coeurs de fer que rien ne touche, elles n'en auront pas moins rempli la plus belle tâche qu'une créature humaine puisse remplir ici-bas. Voilà ce qu'elles auront à faire; nous savons maintenant ce que nous avons à leur enseigner.

Avant tout, enseignons-leur la conscience; je veux dire, enseignons-leur à écouter la conscience. Donnons-leur un maître, un maître exigeant et qui ne les quittera plus. Connaissez-vous des enfants consciencieux ? Ils écoutent la voix du dedans, le témoin incorruptible de Dieu, qui parle en nous et contre nous ; ils ont, tout jeunes encore, des luttes Intérieures, de vrais remords, de touchants repentirs; ils n'obéissent pas seulement quand ou les voit, car leur premier surveillant c'est eux ; leur grande crainte n'est pas celle du châtiment ; le mal en soi, indépendamment de ses conséquences, les préoccupe et les effraye. Aussi voit-on apparaître dans ces coeurs-là des miracles de droiture, une sincérité d'or, une candeur d'enfant devant laquelle on s'inclinerait volontiers. Ils ne sont point impeccables; loin de là, il peut arriver que leurs fautes soient graves et nombreuses, car les âmes profondes sont souvent les plus agitées ; mais on sent, à l'heure même de leur chute, que le relèvement aura lieu. Quelle distance entre eux et tel autre enfant de conduite régulière et de caractère égal, qui connaît peu les tentations et qui ne connaît pas du tout sa conscience ! Chez celui-ci le grand ressort de la vie morale fait défaut; il pourra être d'un commerce aimable et éviter les graves écarts, il ne courbera jamais la tête devant un devoir.

Quand la conscience de notre enfant est éveillée, elle a un gardien. C'est le cas alors de la garder nous-mêmes de moins près et de mettre une part de liberté dans sa vie. Or ceci n'est pas un mince avantage.

Dès qu'il nous est permis d'en appeler à la réflexion, à l'effort personnel, à la détermination propre, nous marchons vers le but de l'éducation chrétienne. Elle ne se propose pas, en effet, de fabriquer des poupées se ressemblant toutes et faisant les mêmes gestes lorsqu'on presse les mêmes ressorts; elle aspire à former des caractères.

Ceci est vrai des filles comme des garçons; les femmes ne se passent pas plus aisément que les hommes de conviction, de résolution, de force, en un mot. Sans la vraie force elles n'auront jamais la vraie douceur, elles seront aussi incapables d'être le soutien que d'être le charme d'une famille. Mais l'énergie aura chez elles quelque chose de féminin, il le faut.
Et c'est un point encore où excelle l'éducation du logis. Seule, elle sait douer les jeunes filles de cette distinction suprême, de cet instinct des choses délicates, de ces antennes qu'un homme ne possédera jamais et que la femme élevée loin de sa mère possède rarement. Un pensionnat peut donner de bons principes, de bonnes manières; il arrive même que lorsque ce n'est pas une institution murée, lorsqu'on n'y reste pas trop longtemps, lorsque les relations d'une jeune fille avec les siens sont libéralement maintenues, lorsqu'elle se retrempe largement ensuite dans l'existence du foyer, elle retrouve tout ce qu'elle avait failli perdre. Elle aussi, elle sera gouvernée par le maître intérieur; loyale, forte, aimable, elle sera femme, dans le sens le plus complet et le plus exquis de ce mot.

Rien n'est simple comme une femme bien élevée; la grâce est féminine, l'affectation ne l'est pas. Aux yeux de cette candeur parfaite, de cette simplicité absolue qui pratique l'oubli de soi sans y penser, les questions qui se rapportent à la ligure ou à la toilette sont loin d'être aussi compliquées qu'on se l'imagine en général.
La beauté est belle, tout simplement. S'irriter contre la beauté, je tiens à le redire, anathématiser la beauté, c'est s'en prendre à un don de Dieu. Pourquoi la beauté, que nous admirons dans les oeuvres de Dieu, nous deviendrait-elle tout d'un coup indifférente ou odieuse lorsqu'il la met sur son gracieux visage ? Pourquoi forcer et fausser les choses ? Pourquoi. appeler le bien mal ? L'Écriture nous tient un langage très-différent : elle parle de la beauté des femmes, et ce n'est pas pour la maudire. Ceux qui la maudissent seraient surpris si je leur présentais ici les nombreux passages où elle est louée dans l'Ancien et dans le Nouveau Testament.
Ne nous laissons donc pas aller à cette fausse spiritualité qui renverse l'Évangile sous prétexte de le perfectionner. La beauté n'est pas plus un mal que la santé, que la force, que l'esprit, que le talent ou que la richesse. Faire un boit usage des dons de Dieu, résister aux tentations que nos privilèges font souvent naître, voilà notre métier de chrétiens ; ceci est tout autre chose que de souhaiter la maladie ou la laideur, que de transformer l'ignorance en sainteté et la pauvreté en vertu. Les apôtres ne nous ont point donné de tels exemples.

On peut être belle avec simplicité de coeur, sans feindre de l'ignorer on de s'en affliger, ou d'y être entièrement indifférente, être belle ainsi, c'est l'être deux fois. Quant aux jeunes filles et aux femmes dont l'état dans ce monde est d'être belles, de se faire regarder, de poser, de chercher l'effet, elles se dépouillent de leur vrai charme, elles descendent à un rôle dont la bêtise égale le danger. Leur âme y perd son élévation, sa retenue, sa distinction suprême, le saint rempart de respect qui les environnait est tombé. Leur coquetterie (je ne suppose rien de plus) est un grand abaissement.
La coquetterie n'entre pas dans les familles chrétiennes. Là tout est trop sincère, pour que les affectations, les prétentions puissent y vivre longtemps.
Sous l'oeil de sa mère, sous le regard de son Dieu, la jeune fille ne saurait adopter un rôle dépourvu de dignité. Les tendresses sérieuses qui font appel à son coeur ne laissent pas de place aux sentiments factices. Sa beauté est illuminée de candeur.
Est-elle laide? Elle l'est aussi avec simplicité. Elle sait que d'autres sont plus belles; elle les admire, elle ne dit pas, elle ne pense pas que ce soit chose indifférente. Ces éloges naïfs de la beauté ont dans sa bouche une bonne grâce touchante. Elle n'a ni illusions ni découragements. Ceux qui l'aiment telle qu'elle est lui ont appris à vivre dans la vérité; or la vérité seule fait du bien. Et voilà une jeune fille qui paraît, qui devient charmante; la splendeur du dedans se trahit. Vous connaissez ces globes d'albâtre au travers desquels rayonne une lumière; qui s'inquiète des détails extérieurs du globe? On ne voit que la douce clarté.

Au sein des familles chrétiennes, les questions de toilette ne sont pas plus difficiles que les questions de beauté. Se mal mettre n'est pas une vertu; j'ai presque envie de dire que c'est un vice. En tous cas, il y a là un oubli de ce que nous nous devons à nous-mêmes. Il est un soin de notre personne, une recherche de la saine élégance, qui s'accordent à merveille avec l'instinct du beau que Dieu a mis dans notre coeur.
Les jeunes filles bien élevées s'occupent de leur toilette avec simplicité (laissez-moi répéter encore ce mot, que rien ne remplacerait), elles s'en occupent, et ne s'en préoccupent pas. Ce devoir, car c'en est un, est relégué à son rang légitime. Qu'elles soient ou pauvres ou riches il n'importe, la véritable élégance tire parti de tout et elle s'inquiète peu de la splendeur plus ou moins grande des ajustements. Elle est élégante, l'ouvrière qui, vêtue d'étoffes communes, sait y mettre son goût, son adresse, son exquise propreté; elle n'est pas élégante, la dame à la mode qui marche surchargée de broderies et de bijoux, dont les robes coûtent de grosses sommes et ne durent que quelques jours, mais qui manque de distinction. « Ne pouvant la faire belle, je l'ai faite riche », ce mot d'un artiste de l'antiquité au sujet d'une de ses oeuvres, je serais tenté de l'appliquer à certaines femmes : ne pouvant être élégantes, elles dépensent beaucoup pour leur parure.

L'élégance est chose relevée, qui tient à l'âme et au sentiment de l'idéal. Une mère est chargée d'enseigner cela à sa fille. Par son propre exemple, par son comme il faut, par le soin irréprochable de sa mise, par son absence de recherche et d'ostentation, par son oubli d'elle-même, elle l'instruit mieux encore que par ses paroles. Elle met de la largeur dans ce qui concerne la toilette de sa fille, afin qu'elle soit en mesure de s'habiller selon sa condition et qu'elle y pense le moins possible. Si elle vient parfois à y penser trop, et cela arrivera, la mère l'avertit tendrement. Et ce qui ne l'avertit pas moins, c'est le milieu où elle vit. Là on approuve ce qui lui sied et on n'affecte pas de n'en rien dire ; pourtant on ne s'arrête pas longtemps à ce grave sujet. Si les misérables propos du monde venaient à absorber ses pensées, si elle était entraînée un moment à analyser et à comparer des toilettes, si les futilités sottes et malsaines lui montaient au cerveau, elle se sentirait reprise en rencontrant au logis un ensemble de choses sérieuses et bonnes : des tendresses, des devoirs, des travaux. La famille, quand elle est ce qu'elle doit être, combat victorieusement les tentations de la parure comme celles de la beauté.
Elle résout aussi sans trop de peine le problème de l'instruction. Pourquoi semble-t-il compliqué! Parce que l'esprit de système y a mis la main. Les mères sont peu systématiques de leur nature; elles cultivent de leur mieux l'intelligence de leurs filles, elles emploient les ressources qui sont à leur portée, elles ne se demandent pas si l'ignorance ne serait pas un bien, par hasard.
Et elles ont certes raison. il serait étrange de tout interdire à celles qui devront se mêler à tout, Est-il si difficile de rester humble lorsqu'on sait quelque chose? Quant à moi, c'est presque toujours chez les personnes qui ne savaient rien que j'ai rencontré l'orgueil, l'assurance, l'entêtement invincible.

Les intelligences éclairées vont à merveille avec les coeurs modestes. Tout sera perdu, selon vous, si l'instruction d'une jeune fille ne se borne pas aux leçons de musique, de dessin, de maintien et de religion ! Cela fait, qu'on les marie au plus vite!
Hélas, ce mince programme, accru de quelques éléments indispensables de grammaire, de calcul, d'histoire et de géographie, n'est guère dépassé que par des parents très-audacieux.
Il me semble qu'on pourrait se faire sans péril une idée moins frivole de la destinée des femmes et de leurs besoins intellectuels. Des femmes fort éclairées et même savantes ont été au nombre des plus aimables, des plus gracieuses, des plus féminines en un mot. Le seizième siècle et même le dix-septième sont là pour en témoigner.

Je ne demande pas qu'on apprenne le grec et le latin aux jeunes filles; je demande qu'on les accoutume à l'étude, à la réflexion, à l'effort intellectuel; qu'au lieu de ces lectures sans suite et sans but qui viennent remplir les intervalles laissés par le piano, on aborde avec elles les bons auteurs, qu'on les dirige, qu'on leur fasse rendre compte. Rien ne nous déshabitue du travail réel comme le désoeuvrement occupé. Les jeunes filles ne se croient point oisives lorsqu'elles parcourent à tort et à travers les volumes que l'indifférence des parents laisse parvenir entre leurs mains.
Les vraies mères ne permettront pas un tel gaspillage des trésors réservés à l'éducation. Chaque âge a son livre, qui est en quelque sorte écrit pour lui, qui peut être, qui doit être pour lui un événement. Arrivant à son heure, il sera le bienvenu, il produira des impressions ineffaçables. De quel droit priverions-nous nos enfants des ces joies immenses, de ces découvertes, de ces progrès? Pourquoi nous priverions-nous nous-mêmes du bonheur de nous associer en partie à ces jouissances de leur coeur et de leur raison ? Cette fête de l'esprit sera souvent troublée, sans doute; la lecture sérieuse a ses difficultés devant lesquelles votre fille s'arrêtera quelquefois lassée ou rebutée; ce que vous sentez vivement, elle le sentira quelquefois très-peu. Eh bien, c'est l'éducation, cela; c'est ainsi qu'on développe les besoins sérieux, les aptitudes, les capacités, l'activité; c'est ainsi qu'on prépare les vies utiles.
Je désire être bien compris. Je ne viens pas opposer programme à programme, je proteste contre le programme frivole. Vous mettrez là plus ou moins de langues, de mathématiques, de littérature, je ne m'en informe en aucune façon ; je vous supplie seulement de ne pas y mettre une culture tout extérieure, de petits talents, ce qu'il faut pour paraître et pour briller, avec un affreux pêle-mêle de demi-connaissances acquises au hasard et de lectures faites à bâtons rompus.

Les jeunes filles ont une âme; il semble, en vérité, que dans nos entraînements de mondanité futile nous ne nous en souvenions pas toujours. Il leur faut autre chose que des leçons d'agrément et quelques notions élémentaires enseignées à la hâte ; il leur faut l'étude, l'étude sérieuse, l'éducation de l'intelligence.
Quelle que soit l'étendue de l'instruction qu'on leur donne (et elle variera naturellement en raison des situations, des ressources, des aptitudes), il leur faut une mère qui mette de l'ordre dans leurs travaux, qui lise parfois avec elles, qui exige la réflexion et l'effort, qui dirige leur pensée vers les grands buts de la vie, vers le devoir, vers le perfectionnement moral, vers le service de Dieu.
Sous l'oeil d'une telle mère, la jeune fille apprendra peu ou beaucoup, je l'ignore; en tous cas, elle apprendra bien. Elle échappera aux misères de cette instruction qui n'a que l'apparence et qu'on a inventée tout exprès pour les femmes. Les méthodes superficielles ne sont bonnes pour personne, pas plus pour les femmes que pour nous ; celles qui en ont subi l'influence deviennent trop souvent incapables d'application. Une fois les derniers maîtres renvoyés, elles se hâtent de fermer leur éternel piano et elles se précipitent dans le vide absolu. Donner quelques ordres, faire et recevoir des visites, s'occuper de leur toilette, parcourir avec distraction l'ouvrage à la mode, assurer à leurs enfants une éducation semblable à celle qu'elles ont reçue, voilà le régime auquel elles se condamnent, je me trompe, auquel elles aspirent. Sous cette pompe pneumatique où l'air manque, elles parviennent à vivre tant bien que mal. Et cela va ainsi de génération en génération.
Sachons respecter assez les femmes pour ne pas les traiter de la sorte. Elles seraient peu reconnaissantes envers ceux qui recommandent les programmes en usage, si elles savaient leurs motifs. La plupart ne font pas aux femmes l'honneur de les prendre au sérieux. Qu'elles s'amusent, voilà toute leur destinée !

S'amuser! Et y a-t-il rien qui égale l'ennui du vide ? Quand on ne s'intéresse fortement à quoi que ce soit, quand on s'accommode d'une existence inutile, quand on tue le temps, il est impossible qu'on s'amuse beaucoup. Les vies mondaines sont bien lourdes à porter ; il y manque ce qui donne du prix aux journées, ce qui fait qu'on attend avec joie le lendemain : la marche en avant, l'esprit et le coeur occupés, le devoir accompli, les pauvres secourus, les nobles causes connues et aimées, l'idéal poursuivi dans tous les sens, le travail, en un mot, le saint travail, dont nul ne se passe impunément sur la terre.
« Qu'elles plaisent, » disait Rousseau. La formule, est brève et n'annonce pas une haute estime. En les, déclarant impropres à tout autre rôle, le philosophe si aimé des femmes au siècle dernier les dispensait naturellement des fatigues de l'étude. Reste à savoir s'il ne les privait point par là même d'une grande partie de ce qui fait qu'elles plaisent. Laquelle a le plus de charme, ou la femme qui mène la vie nonchalante du monde, qui ne sait parler que son langage, qui ne sort pas du cercle étroit de ses préoccupations, qui n'a dans sa tête que du vent et sur ses lèvres que des redites de salon et de gracieuses médisances, ou la femme qui sait quelque chose, qui s'intéresse à quelque chose, qui a des idées, qui comprend ses devoirs, qui se mépriserait elle-même si elle donnait son coeur aux vanités et si sa vie demeurait inutile? Je ne vois pas que Marie Stuart, Marguerite de Valois, Mme de Sévigné aient eu plus de peine à plaire parce que leur esprit était cultivé.

Jusqu'à quand nous obstinerons-nous à chercher dans des mutilations la solution de toutes les difficultés de la vie? - Dieu nous demande de l'aimer; n'aimons plus personnel Nous voulons être chrétiens ; ne soyons plus citoyens ! De graves vocations nous appellent; retranchons le mariage et la famille ! Une seule chose est nécessaire; supprimons le reste! Un seul livre est inspiré, brûlons les livres d'hommes! Il y a de l'Omar chez tous ceux qui raisonnent ainsi ; pour diminuer les tentations, on diminue la vie.
C'est commode, mais c'est insensé. Nous avons vu ce que l'Évangile pense d'un pareil système, lui qui ne rapetisse rien et qui sanctifie tout. Il ne va pas demander à l'ignorance le principe de la modestie et de la soumission des femmes; il s'adresse à leur conscience, il fait vibrer les cordes les plus élevées de leur coeur. Grâce à lui, elles pensent, elles savent, elles avancent dans la lumière, elles se préparent sérieusement aux luttes sérieuses de leur vocation, elles échappent au néant intellectuel du gynécée antique ou de la frivolité moderne, et en même temps elles recherchent l'ombre, elles aiment l'humble existence du foyer.
Pourquoi n'en est-il pas plus souvent ainsi? Parce que dans la plupart des familles en ne considère pas un instant ce qu'est la mission si grande que la jeune fille aura à remplir un jour. La façon dont on y envisage son futur mariage n'explique que trop bien l'éducation qui lui est donnée ; les moyens se proportionnent au but à atteindre.

Le mariage sera le terme naturel et presque nécessaire de l'éducation. Or, comme on n'est pas fâché d'arriver à la fin de sa tâche, on se hâte d'ordinaire, Nos filles n'ayant pas à entrer dans une carrière et à terminer des études professionnelles, on n'est pas arrêté par les obstacles qui retardent l'établissement de leurs frères. Aussi leur éducation, si imparfaite déjà, est-elle écourtée; nous en retranchons simplement les trois ou quatre années les plus utiles, les seules où l'intelligence eût été en jeu, les seules où elles eussent réfléchi, goûté, où elles eussent appris quelque chose. À part les exceptions, et il y en a, c'est entre dix-huit et vingt-deux ans qu'une Jeune fille devient autre chose qu'une écolière passive et ennuyée. Elle a dépassé les éléments, elle aborde les portions attachantes de ses études ; elle jouit, elle s'assimile; elle ne se borne plus à recevoir des leçons, elle pense; ce qu'on lui enseigne, alors, elle y prendra goût, elle continuera à s'en occuper. Ne nous étonnons pas si d'ordinaire elle abandonne tout en se mariant, si elle ferme ses cahiers, si elle ensevelit ses esquisses dans une armoire, si ses livres d'étude conservent à ses yeux le caractère de livres insupportables qu'on ne doit plus ouvrir désormais; on l'a arrêtée juste au moment où l'intérêt allait commencer; ni l'histoire, ni la littérature, ni l'art ne lui avaient encore rien dit qui fût capable de l'émouvoir.
Et remarquez que ceci exerce une influence rétroactive. Nous ne commençons jamais bien ce que nous savons ne pas pouvoir bien finir. L'éducation des jeunes filles devant rester incomplète, à quoi bon s'en occuper avec tant de soin? Pourvu qu'elles sachent ce qu'il est d'usage de savoir, à quoi bon se donner la peine d'approfondir? Un léger vernis rapidement étendu ne suffira-t-il pas ? Pour ce qu'elles 'feront un jour, à quoi leur servirait une instruction plus solide ? Tels sont les raisonnements qui se font tout seuls en nous, sans que nous nous en rendions compte; nos prévisions sont à la base de nos négligences. L'éducation des jeunes filles changerait de nature, le jour où l'échéance probable de leur mariage se fixerait pour notre esprit à vingt-deux ans, au lieu de se fixer à dix-huit ou à dix-neuf.

Mais laissons l'échéance, et voyons le mariage lui-même. Comment se présente-t-il le plus souvent à l'imagination de nos filles? Elles s'en font, par notre faute, une idée tellement fausse, que l'éducation entière en est viciée.
Leur mariage sera avant tout une émancipation plus de dépendance, elles seront dames, elles seront maîtresses d'elles-mêmes.
Il leur apparaît aussi comme la fin des leçons ; les maîtres seront congédiés et l'on aura son temps à soi. Elles sont très-peu nombreuses, en effet, celles qui, mariées, continuent à s'instruire, à s'élever, travaillant sur elles-mêmes, se sachant inachevées.
Le mariage, c'est une maison à tenir, c'est une position; parfois c'est moins que cela, une corbeille, un voyage en Italie.
Et l'on se hâte vers cet idéal sans élévation. Que peut être l'éducation, je le demande, dans les familles où règnent de telles idées ? Il s'agit, au fond, de gagner du temps, de traverser tant bien que mal quelques années d'adolescence, d'arriver au bout d'une tâche ennuyeuse. Les parents le pensent et ne se l'avouent pas, les enfants ne le pensent pas et la sentent, chacun devine d'instinct que, pour le mariage tel que le monde l'a fait, une honnête médiocrité suffira toujours. Une fois mariées, toutes les jeunes femmes se valent. Que leur faudra-t-il désormais? Un bon caractère, et qui ne se croit bon'! de l'esprit naturel, et qui n'a pas de l'esprit?

Il est des maisons, grâce à Dieu, où les choses se passent différemment. En y élevant une jeune fille, on y songe d'abord à son âme, son aine précieuse et immortelle. On songe aussi à sa mission terrestre, à son mariage probable; mais, loin d'éveiller des idées d'émancipation, d'oisiveté, de vie indolente et facile, le futur mariage rappelle aux parents et bientôt à la jeune fille elle-même qu'elle aura un jour à remplir de très-grands devoirs. La carrière qui s'ouvrira devant ses pas sera bien belle, et bien grave aussi ; elle pourra lut donner un bonheur immense, elle lui imposera de lourdes responsabilités ; en tous cas, son bonheur sera d'une nature élevée et réclamera d'énergiques efforts. un se prépare aux choses sérieuses.
De là ces éducations fortes et tendres où l'amour maternel accomplit ses miracles. De là ces caractères forgés pour la vie, cette empreinte ineffaçable du devoir, ces luttes contre l'égoïsme, ces complaisances aimables, cet oubli de soi, ce soin des autres. De là ces habitudes de travail, ces études commencées avec conscience et continuées avec joie, ces livres médités avec fruit, ces entretiens, ces confidences dont le foyer garde le secret, ces lectures attentives de la Bible, ces repentances et ces prières. De telles éducations sont des luttes; elles ont des labeurs pour tous, pour les parents et pour les enfants; mais elles ont des joies pour tous le progrès moral s'opère, l'affection grandit, les saintes intimités de famille se fondent, il se forme des liens que la mort ne brisera pas, il se prépare des forces que n'épuiseront pas les rudes combats de l'existence.

En attendant les combats, il y a du bonheur à la maison, du bonheur et de la gaieté ; l'obéissance à Dieu donne la paix, on se sent sur la bonne voie, on voit le but, on y marche, et on n'y marche pas seul; le présent est beau, l'avenir est plein de promesses, la jeune fille y va les yeux bien ouverts, aimée, gardée et confiante.
On ne la tient pas cloîtrée dans la famille. Elle a des amies; elle rencontre aussi des jeunes gens. Si ses parents choisissent ses relations, ils ont soin de ne pas les restreindre. Nous avons d'ordinaire en France les principes les plus timorés en ce qui touche aux rapports des jeunes filles et des jeunes gens.
À l'école déjà, taudis que l'Amérique et la Suisse, par exemple, y admettent sans danger aucun les enfants des deux sexes, nous tenons à les séparer, une école mixte est selon nous l'abomination de la désolation. Après l'école, c'est bien autre chose! Ce n'est pas nous qui autoriserions les jeunes gens à accompagner le soir nos filles jusqu'à la porte du logis, comme cela se passe dans plusieurs contrées allemandes, qui ne s'en trouvent pas plus mal.
J'avoue ma préférence pour le système des Anglais, des Américains et des Allemands. Le grand air et te soleil vont bien à l'éducation de la famille. La vraie pureté est celle du coeur; rien n'est modeste comme une Jeune fille qui vit à l'air libre et sait tendre la main aux amis de son frère. Si elle rencontre beaucoup de jeunes gens, aucun d'eux ne fera événement pour elle; le moment venu, elle sera capable de choisir.

Nos jeunes filles ne choisissent pas; elles acceptent en aveugles le choix que nous avons fait à leur place. Au lieu de borner notre rôle aux conseils, à l'influence, et quand il le faut au veto, nous les marions, le mot n'est pas trop fort. Comment n'en serait-il pas ainsi? À part les hommes qu'elles ont aperçus en passant dans un salon, elles n'en connaissent aucun, elles n'ont entretenu avec aucun, les simples et innocentes relations de la camaraderie, du jeu, des promenades à la campagne; celui que nous leur présentons est en quelque sorte le seul qu'elles aient vu de près. Notre éducation mondaine aboutit donc à des mariages arrangés, qui viennent, à l'époque voulue, clore la période des leçons et proclamer une émancipation précoce en vertu d'un dernier acte d'autorité.
Ces mariages-là sont le digne couronnement de notre système général d'éducation. Mariage et éducation, cela se tient de près dans la destinée des jeunes filles; aussi se marient-elles d'une façon bien différente au sein des familles qui ont pris la peine de les élever. Les éducations fortes sont, nous l'avons vu, les éducations libérales ; quand on a formé le coeur de sa fille, on peut se fier à elle; comme une amie, elle prend graduellement sa place dans les délibérations du foyer. Et sur le sujet qui l'intéresse le plus elle ne serait pas consultée! Il ne saurait en être ainsi. On cause avec elle de ce sujet comme des autres, simplement, sans fausse pruderie; elle s'en entretient avec sa mère, à coeur ouvert ; tendrement avertie, mise en mesure de comparer et de choisir, sachant ce qu'elle fait, assurée de l'assentiment de ceux qui veillent sur elle, elle accomplit, en y mettant toute sa raison et tout son coeur, l'acte suprême qui fixe son avenir.

Voilà comment des parents chrétiens achèvent ce qu'ils ont commencé et placent en d'autres mains, en des mains sûres et aimées, le dépôt que Dieu leur avait remis. Si nous nous demandons quel est le trait saillant de cette éducation et de ce mariage, nous ne trouverons qu'un terme pour rendre notre pensée : sincérité. Ici tout est vrai ; le factice n'est pas seulement réprouvé, il est impossible.
On se chérit du meilleur de l'âme, on se le dit, on se caresse, on est aimable pour sa fille, on sent parfois que c'est une chose ravissante de l'élever et que la douceur de la tâche l'emporte infiniment sur ses difficultés si réelles ; mais on repousse avec horreur les flatteries fades que nos poètes ont mises à la mode. Notre fille ne sera pas l'ange du foyer, elle sera mieux que cela, notre enfant, très-imparfaite encore et très-précieuse.

Que la vérité fait de bien ! Vous connaissez ces éducations rusées, où tout est combiné pour sur les jeunes filles presque à leur insu, où on ne leur dit rien carrément, où l'habileté consiste à exploiter leurs défauts mêmes, leur vanité, par exemple, pour les pousser dans le bon chemin. Et vous connaissez aussi ces femmes rusées, qui savent « prendre » leur mari, qui n'abordent de front aucune des difficultés de la vie, qui excellent à tourner les obstacles, à tirer parti des circonstances, à cacher leur jeu, et qui ne poursuivant du reste aucun but coupable, déploient une souplesse infinie dans le choix des moyens. Elles évitent les frottements, elles cèdent à propos, sauf à regagner plus tard le terrain perdu; car leur volonté, qui se cache toujours et n'en est pas moins souveraine, aime à s'exprimer par la bouche des autres, et le jour où elles font enfin ce qu'elles désirent, if leur convient de soupirer en victimes résignées mon mari le veut.
La sincérité dans l'éducation ne forme point de pareilles femmes. Si vous avez du goût pour les natures flexueuses, si les principes et les convictions vous font peur, adressez-vous ailleurs, je vous le conseille; mais si vous sentez la valeur des âmes loyales, qui résistent au besoin, qui sont trop fières pour mentir, qui sentent qu'il vaut mieux affliger qu'abaisser, et qui, fidèles à outrance, savent déplaire parfois à ceux qu'elles aiment, si le bonheur élevé est celui qui vous tente, cherchez alors de ce côté-là.

Nous connaissons maintenant dans leur ensemble les devoirs que les parents ont à remplir. Un mot, un grand mot, les résume : éducation. Nous avons vu ce qu'il suppose de tendresse, de dévouement, de vigilance journalière, de support, de fermeté.

Qu'il s'agisse des filles ou des garçons, des pauvres ou des riches, l'éducation a ce caractère constant qu'elle n'est ni une méthode ni un ensemble de procédés, qu'elle ne peut se formuler en théorie, qu'un manuel supportable de l'éducation ne s'écrira jamais (1) ; elle est une influence, un air que nos enfants respirent, le souffle vivifiant du foyer.
Et voilà pourquoi l'éducation ne se délègue pas nous pouvons faire donner des leçons à nos enfants, nous ne pouvons pas les faire élever. Si la maison paternelle est mondaine, ils seront mal élevés ; si nous les exilons loin d'elle sans maintenir avec force l'action permanente de la famille (2), ils ne seront pas élevés du tout.
Si nous les élevons, quelles que soient d'ailleurs nos ressources d'enseignement au dehors, écoles, collèges ou maîtres particuliers, les moyens à employer pour réussir dans notre oeuvre sont d'une simplicité telle, que les coeurs des pères et des mères ne sauraient manquer de les découvrir. Rappelons-les en peu de mots.
Le premier moyen, c'est d'aimer nos enfants ; le premier enseignement de la famille, c'est la tendresse. Il faut que leurs grands amis soient à la maison. Sans nous abaisser, sans prendre le rôle de camarades, sans pratiquer la mauvaise égalité, sans compromettre notre dignité et le respect qui nous est dû, nous nous lierons étroitement avec nos enfants. Vous la connaissez cette affection d'une nature spéciale, pleine de charme, de délicatesse et de profondeur, cette affection croissante et parfois intime, qui s'établit entre les parents et les enfants.
Elle ne naît que dans les vraies éducations, lorsque la famille n'a pas renoncé à son rôle. Elle est un des plus beaux dons que nous puissions faire à nos fils et à nos filles; elle est aussi une des joies les meilleures que nous puissions recevoir d'eux.

Nous n'oublierons pas, c'est un de nos devoirs, de rendre notre intérieur aimable. Il faut que nos enfants se trouvent bien à la maison; il le faut, car s'il en était autrement, si leurs meilleurs moments ne se passaient pas près de nous, s'ils n'aspiraient pas à la réunion de famille comme à la fête et au couronnement de la journée, il manquerait quelque chose d'essentiel au développement de leur coeur. Nous leur devons de la gaieté, la jeunesse en a besoin. Cela vaut un effort; nous serions tentés souvent de nous laisser aller à notre humeur, de multiplier et de faire durer les orages domestiques; prenons-y garde, les orages prolongés ne font pas de bien.
Non, l'éducation grondeuse n'est bonne pour personne, ni pour les jeunes ni pour les vieux; elle crée des habitudes maussades; elle fait qu'on redoute les heures de réunion, au lieu de les désirer; elle fausse quelquefois les caractères, car les enfants qui vivent dans l'appréhension constante des scènes sont portés à dissimuler certains faits; une crainte presque servile remplace la soumission filiale et l'ouverture de coeur disparaît.

Cependant les bons parents sont ceux qui grondent, c'est une règle à peu près sans exception; mais autre chose est la sévérité bienfaisante qui reprend le mal et ne pactise jamais avec lui, autre chose une succession non interrompue de reproches, une irritation à l'état chronique. La fermeté a en elle je ne sais quoi de vigoureux et d'élastique qui ne nous permet pas de languir dans les bas-fonds d'un mécontentement découragé. Fortement repris, fortement aimés, nos enfants trouvent le port après la tempête et goûtent la sécurité du vrai pardon.
Ainsi la faiblesse est exclue en même temps que l'humeur noire; on tâche de ne faire ni des esclaves ni des enfants gâtés, on fait des hommes.
Oeuvre magnifique et difficile; nous n'y réussirons qu'à la condition de veiller sur nous-mêmes et de compléter un peu notre propre éducation en vue de l'éducation de nos enfants. Il est bien des choses, par exemple, que nous ne devons pas dire devant eux.

Sans vouloir pousser trop loin le système des précautions et quoique convaincu qu'un régime de vérité leur est avant tout nécessaire, qu'il importe de les habituer graduellement à la vie telle qu'elle est et de ne pas les rendre semblables aux plantes de serre chaude qui ne supportent pas le grand air, je pense cependant que nous leur rendrions un triste service si nous ne ménagions pas les transitions. Leur organisation délicate serait froissée par le brusque contact de certains objets, leur foi naissante ne survivrait peut-être pas à l'assaut, de certains doutes brutalement présentés. Quand nous sommes en famille, nous n'avons le droit ni de poser toutes les questions, ni de discuter tous les problèmes, ni de raconter toutes les histoires, ni de lire tous les livres. Combien de livres, d'ailleurs honnêtes (nous n'en lirions pas d'autres), qui renferment des récits, des idées, des expressions propres à corrompre peut-être de jeunes imaginations !

Respectons jusqu'au scrupule, jusqu'à l'excès cette innocence des enfants, cette fleur de pureté des adolescents, ces saintes fiertés d'une candeur qui 'ignore elle-même et que rien ne doit ternir. Quand nous avons banni de notre conversation ce qui est positivement mauvais, nous croyons que cela suffit, et nous nous trompons; à côté du mauvais il y a le grossier. On ne saurait croire combien une certaine distinction de langage et de pensées contribue à relever le niveau général de la famille. Les hermines évitent, dit-on, les endroits fangeux; on peut, sans tomber dans l'afféterie, observer une réserve de bon goût et ne pas toucher à la boue.
Nos enfants rencontreront plus tard ces choses, mais il est bon qu'ils sentent que chez eux on ne les admet pas. Le comme il faut s'acquiert auprès des parents, par la vue habituelle de ce qui est noble, par l'exclusion de ce qui est bas. Le comme il faut ne s'enseigne pas et les règles n'en sont tracées nulle part : il se communique, il se gagne si j'ose parler ainsi. Et n'allez pas croire que ce soit une acquisition sans valeur, il se rattache à l'ensemble de l'éducation, c'est-à-dire à cette influence mystérieuse et toute-puissante que la famille exerce sur nous.
La famille ne nous enseigne pas autrement la complaisance, l'accomplissement aimable des devoirs de détail, le sacrifice de nos convenances. Cet apprentissage incomparable de la vie était là, tout préparé pour nous et autour de nous, au moment où nous sommes nés. Il y avait de vieux parents à soigner et à amuser, des malades à visiter, du bien à faire; il y avait des frères et des soeurs à supporter dans leurs brusqueries, des dérangements à accepter, des services à rendre. Notre famille s'est bien gardée, si elle a compris sa tâche, de nous épargner ces petites tribulations; elle n'a respecté ni nos aises ni même notre travail; elle nous a interrompus, elle nous a fait lever de notre chaise, elle nous a donné des commissions, et nous avons de la sorte appris sous le toit paternel ce que nous n'aurions jamais appris ailleurs.
Mais c'est assez; peut-être ne me suis-je arrêté que trop longtemps dans ce doux intérieur où l'on est si sérieux et si heureux, où s'accomplit loin du bruit du monde la plus grande oeuvre qui se fasse sur la terre. Il m'attire, et volontiers je m'y attarde un peu. C'est si beau, de vrais parents en présence du vrai devoir ! lis se sentent faibles, que sont-ils pour de telles choses ? Forger des caractères, armer des coeurs pour les luttes, les douleurs et les joies de la vie, préparer des âmes pour l'éternité, qui leur donnera cela? À quelle source iront-ils puiser assez d'énergie, assez de sagesse, assez de persévérance, assez de largeur, je ne dis pas assez d'amour? Voyez-les à genoux, le secret, de l'éducation est là. Le soir, quand leur nichée. est endormie, ils s'entretiennent encore avec leur père céleste, qui est aussi le père de leurs enfants.
De telles prières sont entendues, Je ne dis pas qu'on, vole toujours de ses yeux l'exaucement préparé là-haut, mais la fidélité des parents chrétiens a de grandes promesses. Peut-être, après eux, le fils qui a mis tant d'amertume dans leur vie rencontrera-t-il, une grâce imprévue. S'il lui était donné de remonter jusqu'aux causes, il verrait, bien loin en arrière, deux époux prosternés auprès d'un berceau.
L'action des prières dure longtemps. L'autorité des pères et des mères dure longtemps aussi. Sans doute il est un âge où elle ne s'exerce plus de la même façon; elle n'en subsiste pas moins, dans les bonnes, dans les vraies familles. Ne leur demandez pas, à elles, quel est le terme précis de l'éducation, quelle est l'époque de l'émancipation définitive, quel est le moment où le fils a le droit de dire : Je ne dépens plus en rien de mon père.
Il y a une indépendance indispensable; il y a une douce dépendance, dépendance volontaire, que maintient l'habitude du respect. Aucun de ceux qui en ont senti le charme ne me démentira, si j'affirme que parmi les déchirements qui se font en nous lorsque notre père nous est retiré, un des plus douloureux est celui que produit cette pensée : Je ne dépens plus que de moi.

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1 Si je ne crois guère aux procédés et aux méthodes, si je pense qu'ici, comme partout, la vie produit sa forme, que le vrai traité d'éducation, en un mot, c'est la famille, cela ne m'empêche pas certes de respecter les auteurs de traités d'éducation. Plusieurs ont leur place marquée, et à juste titre, dans l'estime du genre humain.
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2 J'ai vu cette action se maintenir d'une façon admirable au sein de telle famille pauvre, que les circonstances forçaient de se séparer d'un enfant à l'âge où il avait encore grand besoin d'être dirigé. Ce fils, mis en service peut-être dans un pays éloigné, était suivi jusque-là par tant de recommandations touchantes, par tant de tendresses, de sollicitudes et de prières, on mettait si bien à profit la moindre occasion de lui écrire ou de le revoir, il sentait si bien qu'on lui gardait sa place au foyer et il était si heureux de consacrer à ses parents ses premières économies, que l'éducation, on peut le dire, se poursuivait et s'achevait à distance. Le père et la mère n'avaient rien délégué à personne ; ils avaient rempli leur tâche autant qu'il leur avait été donné de le faire. En pareil cas, Dieu bénit.
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