Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE DEUXIÈME

LES DEVOIRS DES ÉPOUX

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L'apôtre Paul ayant à exposer aux Éphésiens les devoirs des époux, les résumait ainsi :
« Femmes, soyez soumises à vos maris comme au Seigneur. »
« Maris, aimez vos femmes comme Christ a aimé l'Église. »

De l'application de ces deux préceptes découle l'union telle que Dieu l'a voulue.
Soumission, amour, intimité, telle est donc la division naturelle de notre sujet.

Il faut un chef à la famille. Pas d'hésitation sur ce point : l'autorité du mari est nettement établie par l'Écriture; elle ne permet pas que la femme aspire à une situation qui ne saurait lui convenir, elle lui montre sa dépendance comme l'idéal auquel elle doit aspirer. Ainsi sont écartés d'emblée tous les mauvais désirs, toutes les ambitions contre nature, tous les conflits que fait naître l'indétermination des pouvoirs. La femme chrétienne ne peut pas même imaginer une interversion des rôles, elle en aurait horreur, la subordination de son mari lui imposerait une souffrance, et, j'ose le dire, une humiliation personnelle.
Allons plus loin : Son amour a besoin de respect, il faut qu'elle sente près d'elle une main ferme. La main capable de diriger est la seule qui sache aussi protéger. Lorsque, par malheur, cette énergie virile fait défaut, lorsque le mari est sans volonté et sans décision, tout fléchit autour de lui, tout flotte au hasard, chacun a vaguement la conscience d'un désordre; seules, les situations vraies sont bienfaisantes. Être appuyé, être gouverné, cela est sain. Combien de pauvres femmes, auxquelles il n'a manqué que de trouver un chef dans leur mari ! Elles l'auraient mieux aimé, mieux estimé, s'il avait résisté à leurs caprices, redressé leurs idées fausses, exigé le sacrifice des habitudes mauvaises ou périlleuses. Combien d'enfants auxquels il n'a manqué que de trouver un chef dans leur père ! Sa molle tendresse les a perdus; sa vigueur les eût préservés du mal; elle n'eût pas seulement prévenu certains écarts, elle eût gravé au fond de leurs âmes le principe de l'obéissance, elle leur eût fait comprendre le devoir.

Mais laissons les enfants, il me suffit en ce moment de considérer les époux, Là, l'importance d'une autorité réelle se manifeste dès le premier jour, elle est une des conditions fondamentales de la tendresse, de la félicité, du progrès. Il y a une hiérarchie dans le mariage. C'est, au reste, ne l'oublions pas, une hiérarchie entre égaux ; l'homme voit dans sa femme « une aide semblable à lui. » Ainsi l'harmonie des devoirs se maintient : l'autorité est pénétrée d'affection, l'obéissance est unie à la dignité.
Une telle obéissance a sa grandeur. La femme qui la considérerait comme un joug compromettrait à la fois et son propre bonheur et celui de tous les siens. Qu'elle est noble, au contraire, la position de la femme soumise, aimant son rôle, joyeuse d'obéir et d'obéir par amour ! Quelqu'un que je ne veux pas nommer a dit : « L'amour assujettit notre liberté morale sans la détruire. »
La famille ne renferme point d'esclaves. Ceux qui tendraient à transformer la soumission des femmes en servitude, ont sans doute oublié leurs mères. Je connais peu de choses plus belles et plus douces sur la terre que ce gouvernement domestique, quand il est ce qu'il doit être: le mari a la décision suprême, mais rien n'est décidé par lui qui n'ait été tendrement et sérieusement débattu à deux, - l'autorité qu'il exerce est bien plus reconnue par sa femme qu'affichée par lui.
Telles sont les merveilles de l'institution divine elle a concilié la soumission et la liberté. Affaiblissez l'une ou l'autre, vous tomberez dans un état misérable ; ce seront tantôt des tiraillements, des prétentions en lutte, des plaintes, des récriminations, et tantôt des chutes profondes. Plus d'union, plus de respect, je n'ai pas besoin d'ajouter plus d'amour. Que la femme l'emporte pour son malheur, ou que le mari réalise, pour son malheur aussi, ses pensées de despotisme, tous deux se sont abaissés, le mariage a fait place à une association bien différente, car le mariage est atteint dans son essence dès qu'on touche aux éléments qui le constituent ; il ne subsiste pas sans l'autorité et sans l'égalité.
Et qu'on ne se méprenne pas sur ma pensée, j'entends que les deux principes se maintiendront loyalement, ouvertement, en plein soleil. L'égalité rétablie par des voies souterraines, l'influence s'exerçant en dessous, la femme accomplissant à force de flexibilité et d'habileté ce qu'elle n'oserait faire d'une façon moins détournée, cela n'est ni digne ni bon. Les conseils de ce genre ont été trop souvent donnés aux femmes, trop souvent on leur a montré que les positions difficiles à emporter de front peuvent se tourner sans bruit, on leur a recommandé une douceur assez peu honorable, selon moi, car elle a le caractère d'une manoeuvre.

C'est là une morale de mauvais aloi, contre laquelle on ne saurait assez protester. Avant tout, soyons vrais. Je comprends certaines faiblesses, je comprends que des âmes aux prises avec ces difficultés que l'ambition traîne à sa suite finissent par se fausser, je comprends Mme de Maintenon proposant aux femmes les procédés dont elle a eu si souvent besoin elle-même, et leur apprenant que dans leur situation dépendante « la douceur est le meilleur moyen d'avoir raison. » Mais notre modèle est ailleurs et nous puisons nos inspirations à des sources plus hautes. Nous parlons ici de devoirs. Or le devoir ne transige pas, il ne se courbe pas pour se faire accepter. Le devoir de la femme est de reconnaître en plein, simplement, joyeusement l'autorité du mari; le devoir du mari est de reconnaître en plein, simplement, joyeusement l'égalité de la femme. Ainsi s'établira cette dépendance dans l'égalité dont le monde païen n'a jamais eu le moindre soupçon et qui forme la première assise du mariage selon l'Évangile.

Voyez nos jeunes époux de tout à l'heure : leur position respective s'est faite sans effort et sans embarras ; dès les premiers jours, chacun d'eux s'est senti à sa place, par cela seul qu'il prenait la place qui lui est assignée par l'Évangile. Chez eux l'autorité du mari est réelle, incontestée; mais ce n'est pas cette autorité cassante et à prétentions ridicules qui s'affirme incessamment afin que nul n'en ignore, c'est l'expression d'un accord profond et doux. Ils n'ont qu'une même âme et qu'une même pensée, comme ils n'ont qu'une même foi. De qui émanent en réalité les décisions? Je n'oserais affirmer que l'influence dominante ait toujours été celle du chef de la famille. Quelquefois, souvent peut-être (j'en risque l'aveu), la femme aura eu l'idée première, son instinct plus vif aura plus promptement saisi certains intérêts, certains devoirs, son sentiment aura prévalu. Eh bien, tant mieux, si ce sentiment méritait de prévaloir. Dieu n'a pas créé l'union si étroite du mariage, pour que chacun s'enferme chez soi, l'un gouvernant, l'autre rusant. Le mari assez sot pour gouverner de haut et sans consulter sa femme ne renoncera pas seulement, à beaucoup de lumières et à beaucoup de bonheur, il sera d'ordinaire l'exécuteur très-humble de la volonté même qu'il exclut avec fracas. Les maisons où l'autorité maritale est mise en grande évidence sont presque toujours celles où les femmes, tout en invoquant sans cesse cette autorité et en parlant de leur obéissance passive, règnent en souveraines absolues.
Je ne connais pas de spectacles plus répugnants que, celui-là. Voilà deux caractères qui s'abaissent comme à l'envi, l'un dans sa morgue doublée de faiblesse, l'autre dans la fausseté, inconsciente peut-être, de sa détestable habileté. Ah ! les choses se passent différemment dans la vraie famille. Tout y est confiance et droiture. Le mari n'a pas à y défendre une autorité, plus chère à sa femme qu'à lui-même; la femme n'a pas à y conquérir en se cachant une influence dont son mari connaît la légitimité et provoque l'action salutaire. Le dernier mot sans doute y appartiendra, en cas de dissentiment, à celui qui porte la responsabilité; mais les dissentiments sont rares entre gens qui se chérissent, qui se parlent à coeur ouvert, qui tiennent à marcher d'accord et qui prient. Quel charme dans leurs délibérations intimes ! Es ont tant de choses à se dire! Il y a tant de grosses questions à débattre ! Chaque jour en pose de nouvelles, et chaque jour aussi le conseil est assemblé ; on discute, on examine le pour et le contre, on s'anime peut-être, et l'on finit par s'entendre. Et c'est là qu'on apprend le mieux à se connaître, à s'aimer ; c'est là que l'union profonde fait du progrès.
L'union qui demeure à la surface ne saurait suffire. En retranchant les délibérations à deux, on retranche presque tout ce qui fait la sainte et puissante communauté du mariage. On vit l'un auprès de l'autre, sans se rencontrer, pour ainsi dire; on s'habitue à éviter les sujets sérieux ; on garde pour soi ses inquiétudes et ses plans d'avenir ; la vie de famille se fait banale. Elle devait être quelque chose de mieux.

Je suis toujours surpris de voir à quel point, sur bien des sujets, nous sommes demeurés classiques, dignes Imitateurs des Grecs et des Romains. Le gynécée antique est encore une sorte de modèle vers lequel nous tournons volontiers les yeux.
À Dieu ne plaise que je nie ce qu'il y a de distinctif dans le rôle de la femme ! Tandis que nous sommes appelés à la vie extérieure, elle est appelée à vivre auprès du foyer ; l'action politique, la direction des affaires, le travail du dehors pour l'entretien de la famille, cela nous concerne seuls. La vocation de la femme est tout autre; essayons de nous en rendre Compte.

On nous donne comme un axiome que cette vocation, humble, subordonnée, purement intérieure et domestique, ne doit avoir aucun contact avec le dehors ! C'est avec des généralisations hasardées et peu réfléchies comme celle-là que nous faussons les choses les plus simples. La règle que l'on pose ainsi comporte plus d'une exception importante. Quant à moi, je sais une autre règle qui ne comporte aucune exception : Il faut que la femme fasse en femme tout ce qu'elle fait, en femme, c'est-à-dire humblement, sans éclat, évitant d'attirer les regards.
Qu'une femme soit savante, je n'ai rien à objecter; mais la femme savante est un être désagréable, justement ridicule, et que nous livrons aux railleries de Molière.
Qu'une femme ait des convictions politiques, qu'elle s'intéresse en patriote aux destinées de son pays, que les questions posées dans le monde entier l'émeuvent par leurs grands côtés, je m'incline avec sympathie et respect; mais la femme politique ne m'inspire ni respect ni sympathie, et je crois que bien des gens sont de mon avis.
Qu'une femme ait des croyances religieuses très-accentuées et très-profondes, qu'elle ait aussi des croyances philosophiques et que les problèmes fondamentaux, aient été ou entrevus ou sondés par son regard, qui pourrait s'en indigner? Mais la femme docteur est une sorte de monstre appartenant aux deux sexes et n'ayant rien de ce qui fait le vrai mérite de l'un ou de l'autre.
Qu'une femme goûte vivement la littérature et les arts, qu'elle en parle avec entrain, avec grâce, avec modestie, elle ne sortira pas de son rôle; mais la femme bel esprit nous révolte et nous contriste, elle a cessé d'être femme, et nous n'accorderons jamais qu'elle soit spirituelle.
Je parlais de Molière tout à l'heure. Ou voit que ma thèse n'est pas la sienne. Si je déteste autant que lui la femme savante, je suis bien loin de souscrire aux anathèmes du bonhomme Chrysale. Qui ne se souvient de cette boutade admirable :

Nos pères sur ce point étaient des gens bien sensés
Qui disaient qu'une femme en sait toujours assez
Quand la capacité de son esprit se hausse
À connaître un pourpoint d'avec un haut-de-chausse.

Et bien des gens d'applaudir, aujourd'hui encore; c'est la théorie classique, c'est la tradition latine, recueillie et traduite en chansons en épigrammes, en éternelles railleries contre les femmes, par toute notre race gauloise élevée à l'école de l'antiquité. Molière sur ce point n'a fait que suivre le sentier battu, où Rabelais, Montaigne et tant d'autres avaient marché avant lui, où nous marchons après lui, nous qui ne trouvons point mauvais que Chrysale ajoute :

Oui, l'on sait tout chez moi, hors ce qu'il faut savoir;
On y sait comme vont lune, étoile polaire,
Vénus, Saturne et Mars, dont je n'ai point affaire,
Et, dans ce vain savoir, qu'on va chercher si loin,
On ne sait comme va mon pot, dont j'ai besoin.


Il faut protester contre cette énorme erreur et contre cette criante injustice. Autant nous devons tenir à n'altérer en rien le rôle modeste et retiré de la femme, le rôle que l'Écriture constate lorsqu'elle lui interdit de parler dans les assemblées de culte, autant nous devons nous rappeler que nos femmes sont nos compagnes, nos égales, douées de facultés aussi grandes sinon pareilles, chargées de l'éducation de nos enfants, appelées à s'associer à nous par le contact des idées comme par celui des sentiments et des intérêts.
L'ignorance ne donne pas toutes les vertus. elle crée souvent des natures bornées, sèches, cassantes et passablement orgueilleuses. Je connais des ignorantes avec lesquelles « le pot » de Chrysale aurait été fort compromis, et des femmes instruites qui s'entendent fort bien au ménage. La cuisine des femmes distinguées n'est pas la plus mauvaise, et leurs maisons ne sont pas les plus mal tenues. Y a-t-il rien d'accompli comme la femme qui sait beaucoup et ne le fait pas sentir, qui a des convictions et ne dogmatise pas, qui est au niveau de toute lecture, de tout entretien, et ignore elle-même sa supériorité, qui apporte à son mari, à ses enfants, à ses amis un riche tribut d'idées, et demeure simple, naturelle, totalement dépourvue d'affectation? Voyez-la assidue à ses devoirs, gouvernant sa maison, femme essentielle, femme de ménage, femme de pot-au-feu, et en même temps femme aimable, esprit cultivé et charmant, ce qui, à mon avis, ne gâte rien.
Tomberons-nous donc toujours dans la méthode païenne qui retranchait, au lieu d'adopter la méthode chrétienne qui sanctifie? Enfermer les femmes, c'est plus tût fait; mutiler, rogner, ôter les moyens d'instruction, interdire les développements, rien de plus facile. Le difficile et le beau, c'est de concilier l'instruction avec la réserve, les développements de tout genre avec la modestie féminine.

Vous ôtez aux femmes l'activité intellectuelle; savez-vous ce que vous avez fait? Vous les avez rejetées vers la frivolité, vers la mondanité la plus vaine, la plus sotte, la plus dangereuse. Tel est, notez-le, le résultat net des théories de Chrysale; elles ne font pas des ménagères, elles font des femmes évaporées, pour qui choisir une étoffe, effacer une rivale, briller dents un bal devient la grande affaire ici-bas. Elles sont bien remplies, en vérité, ces existences qui se composent de visites reçues et rendues, de soi-disant plaisirs dont on peut à peine soutenir l'ennui! Elles sont bien utiles à leur famille, ces femmes qui mettent leurs fils en pension et ont des institutrices pour leurs filles, parce que les devoirs du monde ne leur laissent pas une heure pour remplir d'autres devoirs, parce que, leur toilette faite, leurs billets écrits et leur tournée de salons accomplie, il ne leur reste ni temps ni force pour leur mari, pour leurs enfants, pour les pauvres, pour rien de ce qu'il y a de sérieux ici-bas! Chrysale a fait un beau profit en brûlant leurs livres, et sa maison en est vraiment mieux tenue!
Et toutefois, voici le fait étrange, Chrysale est content. Oui, les mêmes hommes qui condamnent l'instruction des femmes afin qu'elles gardent la maison, qu'elles surveillent le ménage et évitent le bruit, trouvent fort naturel que, désertant le ménage, elles fassent autant de bruit que possible, pourvu que ce soit sur le terrain de la mondanité. Il n'y a certes pas de mal à être belle; mais faire profession de beauté, c'est bien triste; et pourtant consultez sur ce point les contemporains de madame Récamier! Il est une saine élégance qui inspire le respect; mais la vie d'une élégante, qu'en faut-il penser? Cependant je ne vois pas qu'on s'en indigne beaucoup, si ce n'est quand il faut payer la couturière ou la marchande de modes. Ces existences-là sont acceptées, ce gaspillage du temps, des facultés, du bonheur domestique, cet oubli des devoirs, cette abdication de l'être moral, on admet tout cela.
Et l'on nous répète les épigrammes vieillies contre l'instruction des femmes, et l'on nous redit que la femme doit éviter tout de ce qui l'arracherait à l'obscurité providentielle de son rôle, tout ce qui lui ferait quitter le foyer, tout ce qui attirerait sur elle les regards !
Nul n'en est plus convaincu que moi. Aussi n'ai-je aucune sympathie, je dirais presque aucune indulgence pour les actes, quels qu'ils soient, par lesquels les femmes compromettent cette réserve qui est leur plus précieux ornement. Je ne leur pardonne pas de porter atteinte à leur charme, à leur bonne grâce, et pour tout exprimer en une parole, à leur caractère féminin.
Qu'elles restent femmes, et elles pourront avoir même un rôle extérieur. Dieu, qui les a appelées à verser leur sang pour l'Évangile, leur a confié alors le rôle extérieur de témoins courageux de sa vérité; courageuses et modestes, elles tombaient sur l'amphithéâtre; Blandine n'avait pas cessé d'être une humble femme, lorsqu'elle était livrée aux dents des bêtes féroces et aux regards d'une populace plus féroce encore.
Elle reste femme, celle qui va diriger une école, visiter des malades, consoler des mourants. Elle ne fait pas de bruit, elle évite peut-être les comités et les ventes charitables ; mais elle a une oeuvre extérieure à remplir, et elle la remplit. Pensez-vous qu'elle soit moins humble, moins réservée, moins femme, je répète le mot, parce que sa douce voix se sera fait entendre dans quelques pauvres cabanes et auprès de quelques lits de douleur?
Et le talent, et l'imagination, et la poésie, faudra-t-il les proscrire ? Dieu a confié des dons brillants à une femme, faudra-t-il étouffer tout cela? En avons-nous le droit? Ah ! mille fois plutôt l'étouffer, j'en conviens, que de compromettre la modestie, l'esprit doux et paisible, la sainte réserve. Mieux vaut un écrivain de moins qu'une femme-auteur de plus. Avant tout, préservons le foyer, ayons de vraies épouses, de vraies mères, de vraies familles.
Mais est-il donc impossible de rester femme, bien femme, et d'exprimer sa pensée? Lorsque la foi, l'amour et le talent se rencontrent, ne sauraient-ils rencontrer aussi l'humilité? Ces choses que les femmes seules savent dire, et il en est, personne ne nous les dira-t-il? Sur ce sujet de la famille en particulier, devons-nous renoncer à entendre celles par qui la famille existe?

Je me refuse le plaisir de traiter ces questions; il me suffit de les avoir posées. Pour moi, l'esprit, l'instruction, le talent, l'imagination ne sont ni des ennemis, ni des suspects, alors même qu'il s'agit des femmes. Je respecte, plus que je ne saurais le dire, l'humble femme, bien ignorante, qui dans son village remplit tous ses devoirs d'épouse, de mère, de voisine charitable, de chrétienne fidèle; et je respecte aussi l'humble femme (oui, humble, elle l'est autant que l'autre) qui, placée dans des conditions différentes et douée d'autres facultés, donne essor aux sentiments de son coeur, aux convictions de sa foi, aux créations de son imagination poétique, fuyant le bruit, évitant autant que possible de mettre en avant son nom, simple, hostile aux prétentions quelles qu'elles soient, plus étrangère au bel esprit mille fois que telle ignorante qui s'en fait accroire. Lorsque je vois une de ces femmes, assidues à leur tâche, amies de la retraite, aimables, répandant chez elles les saines et bonnes joies, occupées à soulager les misères, vaillantes, douces, heureuses d'avoir exprimé ce qu'elles avaient dans l'âme, plus heureuses encore d'aimer les leurs et de faire du bien autour d'elles, je sens que la vraie famille subsiste là.
N'excluons rien, que le mal; ne nous défions pas des grâces de Dieu. Et puis, n'oublions jamais que le devoir marche avant tout, avant le talent, avant les lumières, avant l'ignorance aussi.

L'Évangile nous met dans le vrai, parce qu'il nous met toujours en face du devoir. Comment admirer assez cette fermeté pleine de mesure avec laquelle les deux bases de la situation des femmes y sont posées : leur soumission, leur égalité! Nous n'en sommes plus ici aux vieilles railleries d'Euripide et d'Aristophane, si souvent depuis renouvelées des Grecs; nous n'en sommes plus à la célébration enthousiaste de la femme qui ne sait rien et qui s'occupe du pot-au-feu, nous n'en sommes certes pas davantage à l'adoration de la femme mondaine, ce dernier outrage, cet abaissement suprême après lequel il ne reste rien ni dans les têtes ni dans les vies condamnées à la frivolité et ait néant. L'Évangile nous traite mieux que le monde ; si j'osais, je dirais qu'il nous respecte davantage. Devant les deux époux il place une grande destinée, de nobles buts à atteindre ici-bas, un avenir éternel. Qu'ils fassent usage tous deux des dons que Dieu leur a confiés; appelés, le mari à une carrière plus extérieure, la femme à un rôle subordonné et soustrait aux regards, qu'ils marchent en s'entr'aidant, en s'unissant toujours mieux. Nous avons vu comment l'apôtre expose les obligations respectives des époux. S'il dit aux femmes : « Soyez soumises, » il dit ensuite aux maris : « Aimez. » Ce devoir-là explique l'autre.

L'amour est donc un devoir. Il nous est déjà apparu comme charme, comme bonheur, comme élément essentiel du mariage; en se montrant à nous comme devoir, il va nous imposer la nécessité (dont je me félicite) de nous répéter à son sujet; il y a des choses qui sont si bonnes à redire ! D'ailleurs, en disant les mêmes choses, nous les dirons autrement. Le point de Nue du devoir est presque nouveau en matière d'amour. Ainsi considéré, l'amour achèvera de prendre la place qui lui appartient. Sa beauté, sa sainteté, si souvent méconnues, éclateront à tous les yeux. Le monde peut railler l'amour, il sait bien peu ce que c'est. La Parole de Dieu l'honore; je me trompe, elle le commande, elle ne nous reconnaît pas le droit de ne point aimer.
Tant pis pour ceux que je scandalise peut-être en parlant ainsi 1 L'amour un devoir, lui qui est tout au plus une faiblesse, lui qui se relie aux instincts les moins élevés de notre nature, lui que la sagesse des philosophes savait fouler aux pieds et que la sanctification du chrétien doit à bien plus forte raison regarder du haut en bas! -Oui, l'amour, l'amour proprement dit, l'amour sans raffinements subtils et sans fausse spiritualité, cet amour-là est un devoir, le premier devoir des époux. Cet amour-là n'est pas seulement chrétien; il est une des gloires du christianisme. Rarement, bien rarement, l'antiquité païenne a entrevu de loin quelque chose qui lui ressemblait. Depuis que Jésus-Christ l'a révélé aux hommes, il a marqué de sa présence les époques morales et les contrées où l'Évangile exerce une véritable influence. Voulez-vous savoir, au contraire, à quel signe infaillible on reconnaît les siècles et les pays dépravés? On n'y trouve point d'amour. La femme n'est plus là; la famille n'est plus là; la galanterie, la débauche, ont pris la place des saintes tendresses ; on prostitue un des plus beaux noms qu'il y ait sur la terre, celui de l'amour. Le fait est qu'on ne s'aime point; la passion, même dans le vice, se fait rare alors; les coeurs se dessèchent, et ce qui domine, ce qui donne le ton, c'est la raillerie au sujet des femmes, l'ennui du mariage, le scepticisme revenu de tout.
Alors aussi la littérature reflète ce triste état social; vous chercheriez en vain un drame, un roman OÙ l'intérêt ne soit concentré sur des inclinations aussi peu profondes que peu avouables, quand cet intérêt ne se porte pas sur de simples questions d'argent ou de succès. Les grandes tragédies du coeur, si émouvantes et si pures, disparaissent des livres comme elles tendent à disparaître de la société. La mondanité, dans le sens le plus redoutable de ce terme, a tout envahi et tout stérilisé ; l'âme humaine est devenue incurablement frivole.
Et l'âme frivole est incapable d'amour. Il y a tant de sérieux, tant de profondeur en lui ! Il y a tant de grâce aussi et de fraîcheur ! Parmi les choses ravissantes d'ici-bas, la plus ravissante n'est-ce pas lui? La vue de deux jeunes gens amoureux a toujours éveillé en moi les idées les meilleures de pureté et de candeur ; les blasés, les corrompus sont incapables de pareilles émotions.
Dans l'amour vrai, dans celui qui est un devoir des époux, il y a de l'estime, de la confiance, des prières; et il y a aussi ce goût vif, ce puissant attrait, cette passion intense, qui remuent les profondeurs de notre être. Ceux qui, sous prétexte de haute spiritualité, prétendent réduire l'amour aux sentiments de l'âme, entrent dans une voie périlleuse. Ne soyons pas plus purs, je le répète, que ne l'est la parole de Dieu. L'ascétisme, qui veut perfectionner l'Évangile, nous fait descendre bien plus bas en aspirant à nous faire monter plus haut.
Notre pruderie suspecte s'alarme des expressions du Cantique des cantiques ! Et pourquoi Dieu ne nous aurait-il pas présenté, afin de les consacrer, les plus vives images de l'amour conjugal ? Entre nos jeunes époux qui s'aiment saintement elles s'échangent encore aujourd'hui et s'échangeront jusqu'à la fin des siècles, les paroles du Cantique : « 0 la plus belle d'entre toutes les femmes. » « Ton étendard sur moi, c'est amour. » « J'ai cherché celui qu'aime mon âme. » « L'amour est fort comme la mort. » Quand ces choses-là semblent ridicules ou quand elles paraissent impures, soyez sûrs que les moeurs publiques ont reçu une atteinte profonde. Les coeurs gâtés se scandalisent de tout.

Faute de comprendre que l'amour des époux est un devoir, un devoir de leur Jeunesse, un devoir de leur âge mûr, un devoir de leur vie entière, bien des familles tombent dans l'état vulgaire et prosaïque où le charme disparaît, où l'on cesse de se goûter, où il fait sombre et froid autour du foyer. Prenons-y garde, rien de bon ne se conquiert et ne se garde sans efforts ici-bas; pour avoir, pour conserver la vraie famille, il faut que nous maintenions le mariage tel que Dieu l'a fait. Or, Dieu, l'a fait avec de l'amour : « Maris, aimez vos femmes. »
Pourquoi ce commandement s'adresse-t-il particulièrement à l'homme? Il faut bien l'avouer, ceci n'est pas à notre gloire ; nous avons besoin, nous, que le devoir d'aimer nous soit prescrit en termes formels; nos coeurs sont un peu dépourvus de tendresse; d'ailleurs l'activité extérieure met dans nos existences des intérêts et des sentiments qui tendent sans cesse à y occuper trop de place. La femme ne court pas le même danger. « L'amour, disait Mme de Staël, n'est qu'un épisode dans la vie de l'homme; c'est l'histoire tout entière de la vie de la femme. » Si notre part est quelquefois meilleure, c'est que le devoir d'aimer se fait comprendre à nous, grâce à l'Évangile ; et le devoir d'aimer amène avec lui le bonheur d'aimer; l'amour, relevé, transfiguré, occupant le rang qui lui appartient, ne se laisse plus exclure par les préoccupations secondaires.
Au reste, le commandement d'aimer a été adressé aussi à la femme. L'apôtre Paul, écrivant à Tite, lui disait: « Apprends aux jeunes femmes à être sages, à aimer leurs maris. » Si le devoir dont je parle a dû être plus souvent rappelé à l'un des époux, il existe pour tous deux. Je n'insiste pas sur ce point, personne n'en doute.
Mais il est un autre point qui demande explication. L'amour des époux est une affection qui n'est pas seulement la première, elle est unique. Dieu l'a voulue telle, et quiconque oublie cela trouble profondément la loi de la famille.
Alors se produisent des luttes intestines (les plus douloureuses) ; nos tendresses sont aux prises, nos devoirs se heurtent; faute d'avoir mis à part l'affection unique, d'autres affections légitimes entrent en conflit avec celle-là.
Jour terrible que celui où l'on s'aperçoit qu'on n'est plus d'accord sur tout ! La place de la femme, celle du mari, cette place de l'intimité absolue et incomparable, a été envahie plus ou moins ; un père, une mère, un enfant, s'y sont glissés peu_ à peu. Et peu à peu aussi les coeurs se sont désunis. Ce n'est encore rien, le mal est réparable, pourvu qu'on s'y prenne à temps et qu'on veuille le réparer. Mais il s'agit de vouloir.

Vouloir faire sa place à notre femme, à notre mari, ce n'est pas chose commune, et j'ajoute que ce n'est pas toujours chose aisée. Il y faut de l'énergie et une prompte résolution, il y faut d'abord l'intelligence claire d'un devoir à accomplir. Ce devoir-ci ne s'accomplira pas sans effort, nous ne serons pas compris sur-le-champ; nous affligerons peut-être des êtres bien-aimés, qui trouveront mauvais de voir passer quelqu'un avant eux. Les parents ne savent pas toujours voir qu'en mariant leurs enfants ils ont renoncé à occuper le premier rang, qu'un autre est devenu leur confident et leur guide, que l'intimité des époux est exclusive de sa nature.
Lorsque les parents ne voient pas cela, lorsque le fils ou la fille sont obligés de le leur faire voir, il se produit un froissement douloureux. Mais cette douleur ne dure pas; les situations vraies ont leurs privilèges, et la première émotion passée, chacun ne tarde pas à sentir ce qu'ont de salutaire les rapports établis en conformité sincère avec l'institution divine. Il n'est pas question d'ailleurs de ne plus aimer nos parents ou de les aimer moins; notre tendresse et notre respect redoubleront au contraire et nous éprouverons le besoin de leur faire leur part bien large dans le bonheur nouveau qu'ils nous ont donné. Rien ne diminue; seulement quelqu'un est survenu qui a des droits d'un caractère unique; un sanctuaire s'est créé, et dans ce sanctuaire il n'y a place que pour deux.

Je vais plus loin : c'est à nous à faire accepter notre femme, notre mari, au sein de notre propre famille. Ceci exige aussi parfois de la vigilance, de la vigueur, une sorte de dignité conjugale. Notre intimité doit être enveloppée de respect; ne la laissons pas effleurer; si nous permettions certains propos, si certains sentiments méfiants ou hostiles se croyaient libres de se produire devant nous, nous commettrions une lâcheté et nous manquerions à un devoir.
Qu'on me permette de m'arrêter encore un instant sur cet aspect, ordinairement mal compris, de l'amour des époux.
Vous n'avez pas maintenu la hiérarchie des affections; celle qui devrait occuper une place à part, une place unique, se voit confondue avec plusieurs autres; que va-t-il arriver ? Ce qui vous semble naturel, à vous, ne saurait le paraître à votre compagne. Elle aurait trouvé fort simple que votre mère, par exemple, fût tendrement aimée; loin de vous pousser à l'aimer moins, elle voudrait qu'elle vous fût toujours plus chère, elle ne songe qu'à la vénérer avec vous, à l'environner avec vous de ses soins. Mais ou aime sa mère comme une mère et sa femme comme une femme; du moment où dans vos habitudes et dans vos préoccupations la première envahit le domaine qui n'appartient qu'à la seconde, où elle reçoit sa part des confidences réservées, le coeur de la femme s'alarme; un principe de désunion s'est glissé entre elle et vous.
Prenez garde, ces principes-là sont semblables à l'arbre qui pousse ses racines près d'une muraille. Tant qu'il est jeune, la muraille résiste, il se produit à peine de faibles lézardes; puis la crevasse augmente, et il vient un moment où l'arbre, par cela seul qu'on l'a laissé croître, renverse à ses pieds blocs et ciment. Les débuts de la désunion ne sont rien : Il ne s'agit que d'un sentiment sorti de sa place, qui a excité des alarmes et auquel vous n'avez pu vous associer tous deux. Ne pas s'associer en tout, c'est peu de chose, et c'est beaucoup , ne prenons à aucun prix notre parti d'un premier désaccord. Les premiers sont les plus graves, parce qu'ils ouvrent la vole et créent des habitudes. Hélas , on s'habitue fort bien à vivre ainsi à moitié séparés; on se dit que la lune de miel ne saurait toujours durer et que l'union passionnée du commencement doit faire place à des relations mieux pondérées. Et la crevasse va de la sorte s'agrandissant, et l'arbre grossit, et l'on découvre un beau jour que la muraille jonche le sol.

La jalousie que font naître de grossiers désordres n'est pas la seule qui puisse disjoindre les fortes assises du bonheur conjugal. Il est des familles bien réglées, honorables, enviées peut-être, et où la jalousie fait son oeuvre de mort. Les coeurs qui se donnent à plein veulent qu'on leur appartienne à plein aussi. L'union au rabais ne les contente pas et leur tendresse ne sait pas vivre dans l'atmosphère grossière qui convient à tant de gens Si vous prétendez avoir un vrai mariage, une vraie famille, et non ce que le monde entend par ces mots, renoncez au programme facile que rédige le monde: S'aimer au début, être convenable plus tard, garder chacun sa liberté, éviter les écarts et surtout les scandales. - Non, cela ne suffit pas vraiment; ce qui vaut beaucoup coûte quelque chose, et l'amour dont je parle est exigeant.
Non pas que ses exigences soient des raffinements des délicatesses alambiquées et qu'il faille être bien habile pour le contenter. Rien, au contraire, n'est simple et naïf comme lui; il vit de franchise, de loyauté, d'abandon. Mais il lui faut son droit; il sent, il sait que s'il n'est plus unique, il cesse d'être ce qu'il est.
Il y a telle famille (qui n'en connaît ?) où la passion d'une mère pour son fils a compromis l'avenir d'un jeune ménage; les choses n'étaient plus à leur place, le mari était relégué au second rang; on descend vite sur ces pentes-là. Ailleurs, et plus souvent peut-être, l'intervention indiscrète d'une mère auprès de sa fille a peu à peu séparé celle-ci de son époux ; le mari, qui se voyait de trop dans certains tête-à-tête, qui comprenait que les confidences n'étaient plus pour lui, se détournait toujours plus du foyer; l'intimité avait disparu, on tombait vite au niveau de ces unions vulgaires qui ne sont plus le mariage selon l'Évangile.
L'Évangile nous ordonne toutes les grandes ambitions. Ayons celles de l'amour et du bonheur. Ne nous contentons pas de peu. Aspirons à beaucoup, c'est le moyen de beaucoup donner; et c'est aussi le moyen de beaucoup avancer sur la voie du perfectionnement moral. L'amour, je le dis sérieusement, est un des plus énergiques agents de sainteté que Dieu ait mis sur la terre. Nous le verrons, à mesure que nous avancerons dans cette étude, si le niveau de notre amour conjugal et de notre bonheur de famille s'élève, le niveau de nos sentiments, de nos pensées, de nos actes, et, pour tout dire, le niveau général de notre vie, ne peut manquer de s'élever en même temps. Nous assisterons à un des plus nobles spectacles qu'il soit donné à nos yeux de contempler ici-bas, celui de la marche ascendante des âmes. La famille nous le présentera, par ses devoirs, par ses joies, par ses douleurs, par sa piété ; nous monterons avec elle, et nous reconnaîtrons alors toujours mieux que l'amour des époux est un devoir.
Qu'ils veillent donc sur leur trésor; nous ne conservons que ce que nous nous donnons la peine de garder. Que personne ne se croie à l'abri des malentendus, des froissements, des refroidissements que produirait sa négligence ou sa faiblesse. Appelé à choisir, sinon entre deux devoirs, du moins entre les prétentions de deux affections légitimes qui aspirent à la première place, personne n'est dispensé de faire ce choix douloureux mais salutaire, nécessaire devrais-je dire.

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