Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !
DEUXIÈME PARTIE
DEVOIRS PARTICULIERS DES MEMBRES DE LA FAMILLE

CHAPITRE PREMIER

LE DEVOIR ET LA FAMILLE

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Ce premier chapitre ne sera pas long, mais je tiens à l'écrire. Il y a entre la famille et le devoir un rapport si intime, qu'il vaut la peine de le signaler. fermement.
Affaiblissez la notion du devoir, et vous verrez ce qui vous restera de la famille ! Vous n'aurez plus qu'une association rabaissée, où des deux parts on a apporté sa personne de son argent, pour essayer de tirer bon parti de la vie. Peut-être y aura-t-il en outre (c'est le cas le plus favorable) une inclination réciproque, qui durera ce qu'elle pourra durer, autant l'amour est indestructible lorsqu'il s'unit sous le regard de Dieu à la pensée du devoir, autant est éphémère celui qui ne repose pas sur cette base.

Dans ces familles (il n'en manque pas qui ne donnent au devoir qu'une place secondaire), on fera ses affaires, on aura ses plaisirs, on verra du monde, on suivra une carrière, on préparera celle des enfants. Admettons qu'il y ait là une certaine moralité, qu'aucun désordre rave ne vienne tout bouleverser, on mènera une de ces existences à la glace dont nous avons le tort immense de nous contenter trop souvent. Dieu, qui nous a préparé les joies du foyer, nous appelle à autre chose qu'à végéter les uns à côté des autres, sans vives tendresses, sans nobles ambitions et sans progrès. Le convenable est un pauvre régime, et l'on ne va pas loin en fait de bonheur, lorsqu'on se contente de l'estime et des égards. De quoi s'agit-il alors? D'éviter la maison, et ce problème-là, posé depuis longtemps par nos sociétés corrompues, a été depuis longtemps résolu. On réussit à ne pas se voir, à être époux le moins possible, père ou mère le moins possible, enfant aussi le moins possible. Il existe pour tout cela des machines préparées et fort ingénieuses : des collèges, des bureaux, des visites innombrables, de prétendus plaisirs qui ont le mérite de tuer le temps, des dîners, des réunions et des théâtres. Ainsi on arrive, tant bien que mal, au bout de la journée, au bout de l'an, au bout de la vie, et j'ai bien le droit d'ajouter au bout de la famille, car ces familles qui ont à peine vécu ne sauraient se survivre, l'éternité n'entre pas dans de telles relations.
Ainsi, le grand côté de la famille ne se révèle jamais, elle est et demeure quelque chose de banal, de prosaïque. Il faut passer par là et on y passe. La famille est une institution! une magnifique institution! la base des sociétés! on soutiendra des thèses en l'honneur de la famille ; ou courra à la défense de la famille ; mais les défenseurs de la famille en useront peu pour leur propre compte et n'auront pas entrevu un seul moment peut-être les biens infinis qu'elle sait donner.

Ah, la famille est autre chose qu'une institution, qu'une garantie de l'ordre politique, ou, si l'on veut, de l'ordre moral. Elle est autre chose qu'un moyen régulier de transmettre son nom et sa fortune; elle est autre chose qu'une maison convenablement tenue, sorte de club privé où nous sommes sûrs de trouver notre couvert mis, le feu allumé, une conversation de notre goût et le moyen de dépenser le temps que nous laissent nos affaires.
Ceux qui n'y voient que cela ont oublié d'y mettre le devoir.
En entrant dans cet intérieur, le devoir le transfigure. Voici les grandes affections, et les grands bonheurs, et les grandes aspirations, et les grands développements, et la grande poésie qui y pénètrent avec lui.
Au contact du devoir, la famille s'échauffe et s'éclaire. Et comme le devoir s'éclaire aussi au contact de la famille! Nous avons ici des découvertes à faire sur un sujet très-rebattu et très-mal connu. N'est-il pas vrai que l'idée du devoir nous attire peu? Nous savons que cela est vénérable et bon, mais que cela puisse être agréable, nous ne l'imaginons guère ; nous ignorons d'ordinaire les séductions du devoir.
Rien ne les révèle comme la famille. Est-ce bien encore le devoir du catéchisme, celui qui se lie à toutes les joies? Oui, c'est lui ; seulement la vie telle (pie Dieu l'a faite nous l'enseigne mieux que le catéchisme, elle le, revêt de sa vraie beauté.
M. Cousin a fait un livre sur le vrai, le beau et le bien. Ce livre est écrit depuis longtemps dans l'expérience des familles. Là on croit même que les trois mots employés par M. Cousin ne suffisent pas ; le bien n'est pas seulement beau, il est doux, il enfante la joie, il mène au bonheur.

Cette question du bonheur, qui se pose partout quoi qu'on fasse et que j'ai cherché moi-même à aborder directement une fois, la voici donc qui se présente de nouveau à moi sous une forme nouvelle, sous la forme du devoir. Connaissez-vous un plus noble rapprochement? Oui, suivons-la dans son existence journalière, la famille chez laquelle nous sommes entrés: il y a là des devoirs pour tous, de rudes tâches à remplir, un labeur incessant à poursuivre afin de se rendre utile et aimable ; eh bien, nous ne découvrirons pas un effort qui n'enfante une joie ; plus nous avancerons dans l'austère apprentissage de la vie, plus notre chemin se fera lumineux, et nous verrons alors abonder et surabonder les félicités intenses, profondes, sanctifiantes, que la famille banale ne soupçonne même pas.
Le devoir et l'amour se sont rencontrés ; ou, si vous l'aimez mieux, l'autorité et la liberté ont trouvé leur conciliation providentielle. Le problème de la société politique coïncide par sa base avec le problème de la famille.

Je m'arrête; il suffit de ces quelques mots pour montrer que l'étude des devoirs était notre début obligé. Nous entrons ainsi par la grande porte dans notre sujet. Le devoir va marcher devant nous et nous éclairer; à sa lumière, nous apercevrons les vrais rapports que Dieu a fondés entre les divers membres de la famille, nous contemplerons leurs tendresses, leurs joies, leurs douleurs, la communauté de leurs efforts, leur solidarité puissante et bénie, leur marche vers les sommets de l'existence> vers le but suprême, vers l'éternité.

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