Dans cette première partie, on le sait,
je cherche à faire connaître les
éléments essentiels de la famille.
Par une marche qui s'est imposée à
moi, j'ai été conduit à aller
de la famille au couple, et maintenant je vais du
couple à l'un des deux membres qui le
composent.
Il m'est impossible, en effet, de ne pas
voir qu'il y a quelqu'un ici dont l'influence anime
tout et embellit tout. L'autorité, la
direction sont ailleurs; mais le charme est
là; le principe de vie,
l'élément essentiel
de bonheur sont là. Je comprends qu'on ait
pu s'écrier en exagérant un peu :
« La famille c'est la femme. »
À Genève, lorsque je
traitais ce sujet en présence d'une
assemblée d'hommes, j'avais le droit de leur
dire à peu près ceci : « Nous
sommes entre nous, et je puis vous parler à
coeur ouvert de ce que valent les femmes, du bien
qu'elles nous font, de leur influence si
précieuse; vous n'en raconterez rien
à la maison. » Maintenant, je ne
saurais oublier que quelques femmes daigneront
peut-être me lire ; et toutefois, qu'importe
? La vérité n'est-elle pas la
vérité? Ce que je pense
sincèrement, dois-je craindre de l'exprimer
sérieusement?
Il n'est pas inutile de l'exprimer : le
mépris des femmes, ce caractère des
civilisations inférieures, ne craint pas de
se produire au milieu de nous. Sans imiter
précisément les sauvages, qui battent
leurs femmes, leur imposent les travaux
pénibles et se promènent les bras
croisés comme des êtres supérieurs, nous
conservons encore bien des traces de notre rudesse
première; non-seulement certaines
inégalités ne sont pas
effacées de nos codes, mais certains
orgueils bêtes (je ne trouve pas d'autre
terme) n'ont pas toujours disparu de nos moeurs. On
voit des hommes qui parlent avec dédain de
l'intelligence féminine, et ces hommes ne
sont pas les plus intelligents de tous. Prenons
garde! Le respect des femmes est une des bases
nécessaires de la famille et de la
société. Ôtez cela, il ne vous
reste que l'homme grossier, l'homme qui ne se
gêne plus. En voyant jusqu'où il
descend alors, on comprend, certes, la parole de
l'Écriture : « Il n'est pas bon que
l'homme soit seul. »
Ai-je besoin de le dire, respecter les
femmes, ce n'est pas les appeler à une place
qui n'est point la leur. Leur vocation, sans
être inférieure, tant s'en faut, est
subordonnée; il importe qu'elle le soit :
quiconque voudra la mettre plus haut la mettra plus
bas. Ils n'ont pas compris la grandeur de ce
rôle, auquel rien ne peut se comparer sur la
terre, ceux qui songent follement à leur en
conquérir un autre. Les
femmes-hommes ne seraient pas moins
déplaisantes que les hommes-femmes; les
femmes-hommes, ce serait moins, beaucoup moins, que
de vraies femmes, bien féminines.
On a parlé de
l'émancipation des femmes. La sublime
invention! Nous pouvons juger des résultats
qu'elle amènerait en consultant l'impression
que nous font éprouver les femmes dont la
parole et l'attitude ont perdu leur charme de
modestie et de douceur, les femmes qui commandent,
qui méconnaissent l'autorité du mari,
les femmes politiques, les femmes docteurs, les
femmes qui traitent et tranchent les questions, qui
décident du sort des empires, qui au besoin
feraient un plan de campagne.
Déjà la voix de bien des
femmes affecte les intonations masculines, bien des
femmes tendent à adopter presque un costume
d'homme; et à la façon dont elles
vous abordent, vous regardent, vous tendent la
main, ou serait tenté d'oublier ce qu'on
leur doit, comme elles semblent oublier ce qu'elles
se doivent à elles-mêmes. Ce ne sera
là, espérons-le, qu'une aberration
passagère. Mais si l'on y ajoutait le droit de
voter dans les
élections (ils viennent d'essayer aux
Antipodes), le droit de professer dans les chaires,
et qui sait? de prêcher à
l'église, on aurait décidément
résolu le problème d'abaisser la
femme autant que possible.
Sa vocation légitime est si
belle! L'Évangile a su marquer avec tant de
délicatesse divine sa position
véritable ici-bas ! Il a si bien su la
relever sans la déplacer! Lorsque j'entre
sous le toit de cette famille nouvelle dont nous
avons vu la formation, sur qui se fixent mes yeux?
Il n'y a pas d'hésitation possible : voici
quelqu'un qui tient pour ainsi dire dans ses mains
la destinée commune; personne ici ne fera
autant de bien, ou, hélas, autant de
mal.
La femme est là dans son royaume.
Si l'homme est le chef de la famille, la femme est
la souveraine du ménage. Et que de choses
dans cet humble mot! C'est la réunion intime
autour du foyer; c'est la félicité
sous sa forme la plus simple et la plus vraie;
c'est l'influence exercée sans bruit sur le mari,
sur les enfants, sur
les
serviteurs; c'est la puissance infinie de la
tendresse, de la vigilance journalière, de
l'exemple, de la causerie intime; c'est la
poésie du coeur venant se mêler
à notre prose; c'est le regard de tous
relevé vers Dieu ; c'est un coin du ciel, un
coin bleu, apparaissant au travers des
brumes.
Elle est le centre aimable et
bienfaisant de la famille. Elle exerce une
attraction à laquelle personne ne pourrait,
ne voudrait échapper. Chacun se serre autour
d'elle, et là où elle manque, la
famille entière semble se dissoudre. L'homme
isolé a rarement le goût du chez soi,
et d'ordinaire une dispersion morale s'opère
lorsque la mère a disparu. La mort du
père entraîne aussi de bien graves
conséquences, pas celle-là cependant
: auprès de la veuve le foyer demeure, les
enfants y restent groupés; on pleure, mais
il y a encore une famille.
Je ne connais qu'un mot qui explique
cela. Dieu a donné à la femme le
charme. Le charme! qui sondera tout ce qu'expriment
ces cinq ou six lettres? La femme comprend les
choses autrement que nous, par
intuition, par élan du coeur; elle a moins
de raisonnements et plus de sympathies. Aussi
voyez-la à l'oeuvre. Elle amortit les chocs,
elle concilie les différends, elle arrange
les difficultés, elle met de l'huile dans
les rouages. Ce n'est rien et c'est tout; un mot,
un regard, et les dispositions hostiles s'effacent,
les roideurs s'assouplissent, on se trouve bien
ensemble, et cela paraît très-simple,
et souvent on ne devine pas la douce main qui agit
sans se montrer.
Ou plutôt, on ne la devine que le
jour où, par l'effet d'une indisposition,
d'une absence, cette place-là demeure vide.
Alors tout devient morne; alors il fait froid dans
la maison; alors les repas sont tristes qu'ils
étaient animés et joyeux. Pourquoi
ces longs silences? Pourquoi ces conversations qui
sont des dissertations? Pourquoi ce malaise
général? Le charme a disparu.
Il reparaîtra demain,
après-demain, et tout se ranimera en un
instant, comme une vallée plongée
dans l'ombre qu'illumine un rayon de soleil. Mais
les pauvres maisons où la femme ne se
montrera plus, et les maisons, plus pauvres encore,
où la femme a
méconnu sa mission, oh, qui dira leur
misère! Hommes, enfants, ils sont là
comme éperdus, cherchant en vain ce quelque
chose que rien ne remplace. S'il y a eu une vraie
femme, une vraie mère, son souvenir
continuera peut-être ce qu'elle avait
commencé; s'il y a un vrai père, il
fera beaucoup pour les siens ; et toutefois il est
une oeuvre que la femme seule est capable
d'accomplir; sans elle, la maison sera toujours
menacée par l'ennui, par la
sécheresse des rapports, par la
vulgarité, par la grossièreté
peut-être.
On ne se passe pas du charme. Il faut
qu'elle soit là au milieu des siens, la
confidente universelle, celle qui met chacun
à l'aise et vers laquelle accourt, c'est son
droit, quiconque a une plainte à exhaler,
une difficulté à résoudre, un
parti à prendre, une inquiétude
à dissiper, une douleur à
adoucir.
La femme n'est pas seulement le charme
de la famille, elle est aussi, dans beaucoup de
cas, sa conscience et sa dignité.
Nous avons un peu, nous autres hommes,
une conscience à gros grain. Parfois les
femmes nous accusent de ne pas en avoir du tout.
C'est que la délicatesse des
appréciations nous fait défaut, nous
n'examinons pas les questions à la loupe, et
ce qui est menu nous échappe.
Ce n'est pas toujours un mal; nous
évitons ainsi la maladie des scrupules,
à laquelle les femmes sont sujettes; nous
marchons d'un pas plus ferme, et notre
pensée se complique moins. Je rie suis pas
lâché de faire cette remarque en
faveur de l'homme; il a aussi sa grande mission
dans la famille; et précisément parce
qu'ils sont doués de qualités
diverses, les deux époux se
complètent l'un l'autre.
Mais si la femme a trop de scrupules,
elle nous tient en éveil, nous qui n'en
avons pas assez. Si la femme se repent trop et trop
souvent., disposée qu'elle est à
chercher bien vite le côté
fâcheux de tout acte accompli et de toute
résolution arrêtée, elle n'en
est que plus propre à troubler une
sécurité qui n'est certes pas sans
péril. Qui ne se les rappelle, ces
circonstances où un mot de la mère de
famille est venu poser pour nous
une question morale que nous n'avions garde de
soulever? Nous nous sommes peut-être
irrités d'abord, ces questions-là
sont si importunes! Et puis, nous avons
réfléchi; interrogée, notre
conscience a parlé, et nous avons rendu
grâce à celle qui nous avait
imposé de la sorte un ennui ou un
sacrifice.
Ces sacrifices ne sont point perdus;
rien ne contribue à notre perfectionnement
comme ces retours sur nous-mêmes qui nous
amènent à modifier notre conduite en
vue du devoir. La femme est donc, en un sens
très-réel, la conscience de la
famille.
Qu'elle soit sa dignité, la chose
est si claire que je n'aurai point à y
insister. Loin d'elle, nous cessons de nous
contraindre; nous tombons plus ou moins dans
l'état ignoble qu'on nomme le
sans-gêne.
Le sans-gêne a ses degrés;
il est telle vie de club ou de café qui nous
rend incapables de figurer désormais dans la
bonne compagnie : l'idée seule de faire un
peu de toilette, de remplir un devoir de politesse,
de veiller sur nous pendant une heure, de faire
effort pour soutenir une
conversation, l'idée seule de modifier un
moment nos habitudes débraillées nous
cause un insurmontable effroi.
Il est un sans-gêne aussi qui,
tout en conservant les usages des gens bien
élevés, se donne carrière par
le parti pris de ne plus veiller sur
l'élévation des pensées et des
sentiments. La discipline intérieure se
relâche; on ne se permettrait pas de graves
excès; quant aux nuances, quant aux
détails, on renonce à s'en
inquiéter, la vulgarité envahit
tout.
La femme est destinée à
nous préserver d'un tel malheur. Sa
présence n'arrête pas seulement les
propos grossiers. Elle n'a pas seulement pour effet
de forcer chacun à veiller sur ses
manières et sur sa tenue; elle agit encore
sur la tenue de l'âme, si j'ose m'exprimer
ainsi. Il y a en elle quelque chose de si exquis,
ses antennes morales sont douées d'une
sensibilité si vive, que le bas et le
vulgaire, où qu'ils soient, la frappent et
la choquent instinctivement. Elle lit en nous, et
nous le sentons, et nous éprouvons le besoin
de nous mettre d'accord, autant que possible, avec
la
merveilleuse
distinction de cette nature.
C'est l'idéal que je peins, ai-je
besoin de le rappeler? Je montre la femme telle
qu'elle doit être. Son coeur est corrompu
comme celui de l'homme, et comme lui elle ne peut
remplir son vrai rôle qu'en vertu d'un
changement radical, d'une nouvelle naissance. Loin
d'être un instrument de progrès et de
bonheur pour les siens, la femme peut être,
hélas, la source des grands désordres
et des infortunes extrêmes. Sans parler
même de l'entière dépravation,
il y a dans la mondanité, dans la
légèreté, dans la
sécheresse de coeur telle qu'elle se produit
parfois chez la femme, un principe
délétère auquel rien ne
résiste autour d'elle. Non, la femme n'est
pas toujours le centre aimable et bienfaisant de la
famille ; non, elle n'est pas toujours le charme de
la famille; non, elle n'est pas toujours la
conscience et la dignité de la
famille.
Et pourtant, ce que j'ai écrit
est vrai, je n'en rétracte
pas une ligne. La vérité
idéale, c'est encore la
vérité. Il importe de la contempler
sous cet aspect, elle nous apparaît alors
avec toute sa beauté, avec toute sa
fécondité, elle nous attire et nous
fait du bien.
Quel rôle que celui de la femme!
quelles facultés que celles dont elle est
douée pour l'accomplissement de sa vraie
mission! Ah, qu'elle ne se plaigne pas de son lot.
Il n'en est pas de plus magnifique sur la terre.
Être la providence visible de tous les siens,
être leur lumière, leur joie, leur
bonne grâce, être la dépositaire
de tous les bonheurs élevés, ce n'est
pas peu de chose. Faut-il du courage, elle en a.
Faut-il des compassions, elle en a. Elle
relève ceux qui tombent, elle les
relève en les aimant, en leur pardonnant, en
leur disant la vérité. Comme elle la
dit alors, la vérité! Avec quelle
suave délicatesse, avec quels
ménagements pleins d'amour, avec quelle
pureté fidèle! Comme elle
évite d'humilier ! Comme elle est attentive
à ne pas pallier le mal ! Comme les plaies
se ferment sous sa main pieuse!
Je ne veux pas anticiper : je m'attache
à considérer dans
sa généralité le rôle de
la femme au sein de la famille; ce qui concerne
spécialement l'épouse ou la
mère viendra plus loin. Comment oublier
cependant ici que chaque génération,
pendant les premières années, lui
appartient d'une façon exclusive ? Et
comment mesurer la profondeur, la durée,
l'influence indestructible de ces premières
in pressions? Arrive-t-il un moment dans la vie
où l'on ait entièrement oublié
ce qu'on avait appris sur les genoux de sa
mère? Je dis plus, arrive-t-il un moment
dans la vie où l'on cesse de s'instruire
auprès de sa mère? Au sein de La
vraie famille, cette action-là ne cesse
jamais.
Telle est la place que Dieu a
préparée pour la femme. Épouse
et mère, elle a devant elle la plus grande
mission qui puisse se rêver ici-bas. Vous
vous rappelez ce splendide portrait qui termine le
livre des Proverbes :
« Qui est-ce qui trouvera une
vaillante femme? Son prix surpasse de beaucoup les
perles... Elle fait du bien tous les jours de sa
vie, et jamais de mal... Elle tend sa main à
l'affligé et avance ses mains au
nécessiteux.
Elle ne craint point la neige pour sa
famille; toute sa famille est vêtue de
vêtements doubles... Son mari est
honoré aux portes, quand il est assis avec
les anciens... Elle ouvre sa bouche avec sagesse et
la loi de la charité est sur sa langue. Elle
contemple le train de sa maison et ne mange point
le pain de paresse. Ses enfants se lèvent et
la disent bienheureuse, son mari aussi, et il la
loue en disant : « Plusieurs filles ont
été vaillantes, mais tu les surpasses
toutes. La grâce tombe et la beauté
s'évanouit, mais la femme qui craint
l'Éternel sera celle qu'on louera;
donnez-lui des fruits de ses mains, et que ses
oeuvres la louent aux portes. »
Ceci est la femme avant
Jésus-Christ. Quelques traits se sont
atténués et comme assouplis sous
l'influence de l'Évangile, la
hiérarchie des devoirs s'est modifiée
çà et là, l'expression de la
femme a pris, ce me semble, plus de tendresse et
plus de douceur; cependant le fond subsiste, la
vérité révélée
grandit et ne change pas. Aujourd'hui encore,
quiconque aura considéré la sainte
vocation des femmes dans la famille, l'oeuvre
journalière qui les attend, les fardeaux qui
vont charger leurs épaules,
reconnaîtra avec l'auteur des Proverbes que
de toutes les vertus qu'exige un tel rôle la
plus nécessaire, C'est la vaillance.
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