Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE TROISIÈME

LA FEMME

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Dans cette première partie, on le sait, je cherche à faire connaître les éléments essentiels de la famille. Par une marche qui s'est imposée à moi, j'ai été conduit à aller de la famille au couple, et maintenant je vais du couple à l'un des deux membres qui le composent.
Il m'est impossible, en effet, de ne pas voir qu'il y a quelqu'un ici dont l'influence anime tout et embellit tout. L'autorité, la direction sont ailleurs; mais le charme est là; le principe de vie, l'élément essentiel de bonheur sont là. Je comprends qu'on ait pu s'écrier en exagérant un peu : « La famille c'est la femme. »
À Genève, lorsque je traitais ce sujet en présence d'une assemblée d'hommes, j'avais le droit de leur dire à peu près ceci : « Nous sommes entre nous, et je puis vous parler à coeur ouvert de ce que valent les femmes, du bien qu'elles nous font, de leur influence si précieuse; vous n'en raconterez rien à la maison. » Maintenant, je ne saurais oublier que quelques femmes daigneront peut-être me lire ; et toutefois, qu'importe ? La vérité n'est-elle pas la vérité? Ce que je pense sincèrement, dois-je craindre de l'exprimer sérieusement?

Il n'est pas inutile de l'exprimer : le mépris des femmes, ce caractère des civilisations inférieures, ne craint pas de se produire au milieu de nous. Sans imiter précisément les sauvages, qui battent leurs femmes, leur imposent les travaux pénibles et se promènent les bras croisés comme des êtres supérieurs, nous conservons encore bien des traces de notre rudesse première; non-seulement certaines inégalités ne sont pas effacées de nos codes, mais certains orgueils bêtes (je ne trouve pas d'autre terme) n'ont pas toujours disparu de nos moeurs. On voit des hommes qui parlent avec dédain de l'intelligence féminine, et ces hommes ne sont pas les plus intelligents de tous. Prenons garde! Le respect des femmes est une des bases nécessaires de la famille et de la société. Ôtez cela, il ne vous reste que l'homme grossier, l'homme qui ne se gêne plus. En voyant jusqu'où il descend alors, on comprend, certes, la parole de l'Écriture : « Il n'est pas bon que l'homme soit seul. »
Ai-je besoin de le dire, respecter les femmes, ce n'est pas les appeler à une place qui n'est point la leur. Leur vocation, sans être inférieure, tant s'en faut, est subordonnée; il importe qu'elle le soit : quiconque voudra la mettre plus haut la mettra plus bas. Ils n'ont pas compris la grandeur de ce rôle, auquel rien ne peut se comparer sur la terre, ceux qui songent follement à leur en conquérir un autre. Les femmes-hommes ne seraient pas moins déplaisantes que les hommes-femmes; les femmes-hommes, ce serait moins, beaucoup moins, que de vraies femmes, bien féminines.

On a parlé de l'émancipation des femmes. La sublime invention! Nous pouvons juger des résultats qu'elle amènerait en consultant l'impression que nous font éprouver les femmes dont la parole et l'attitude ont perdu leur charme de modestie et de douceur, les femmes qui commandent, qui méconnaissent l'autorité du mari, les femmes politiques, les femmes docteurs, les femmes qui traitent et tranchent les questions, qui décident du sort des empires, qui au besoin feraient un plan de campagne.
Déjà la voix de bien des femmes affecte les intonations masculines, bien des femmes tendent à adopter presque un costume d'homme; et à la façon dont elles vous abordent, vous regardent, vous tendent la main, ou serait tenté d'oublier ce qu'on leur doit, comme elles semblent oublier ce qu'elles se doivent à elles-mêmes. Ce ne sera là, espérons-le, qu'une aberration passagère. Mais si l'on y ajoutait le droit de voter dans les élections (ils viennent d'essayer aux Antipodes), le droit de professer dans les chaires, et qui sait? de prêcher à l'église, on aurait décidément résolu le problème d'abaisser la femme autant que possible.

Sa vocation légitime est si belle! L'Évangile a su marquer avec tant de délicatesse divine sa position véritable ici-bas ! Il a si bien su la relever sans la déplacer! Lorsque j'entre sous le toit de cette famille nouvelle dont nous avons vu la formation, sur qui se fixent mes yeux? Il n'y a pas d'hésitation possible : voici quelqu'un qui tient pour ainsi dire dans ses mains la destinée commune; personne ici ne fera autant de bien, ou, hélas, autant de mal.
La femme est là dans son royaume. Si l'homme est le chef de la famille, la femme est la souveraine du ménage. Et que de choses dans cet humble mot! C'est la réunion intime autour du foyer; c'est la félicité sous sa forme la plus simple et la plus vraie; c'est l'influence exercée sans bruit sur le mari, sur les enfants, sur les serviteurs; c'est la puissance infinie de la tendresse, de la vigilance journalière, de l'exemple, de la causerie intime; c'est la poésie du coeur venant se mêler à notre prose; c'est le regard de tous relevé vers Dieu ; c'est un coin du ciel, un coin bleu, apparaissant au travers des brumes.
Elle est le centre aimable et bienfaisant de la famille. Elle exerce une attraction à laquelle personne ne pourrait, ne voudrait échapper. Chacun se serre autour d'elle, et là où elle manque, la famille entière semble se dissoudre. L'homme isolé a rarement le goût du chez soi, et d'ordinaire une dispersion morale s'opère lorsque la mère a disparu. La mort du père entraîne aussi de bien graves conséquences, pas celle-là cependant : auprès de la veuve le foyer demeure, les enfants y restent groupés; on pleure, mais il y a encore une famille.

Je ne connais qu'un mot qui explique cela. Dieu a donné à la femme le charme. Le charme! qui sondera tout ce qu'expriment ces cinq ou six lettres? La femme comprend les choses autrement que nous, par intuition, par élan du coeur; elle a moins de raisonnements et plus de sympathies. Aussi voyez-la à l'oeuvre. Elle amortit les chocs, elle concilie les différends, elle arrange les difficultés, elle met de l'huile dans les rouages. Ce n'est rien et c'est tout; un mot, un regard, et les dispositions hostiles s'effacent, les roideurs s'assouplissent, on se trouve bien ensemble, et cela paraît très-simple, et souvent on ne devine pas la douce main qui agit sans se montrer.
Ou plutôt, on ne la devine que le jour où, par l'effet d'une indisposition, d'une absence, cette place-là demeure vide. Alors tout devient morne; alors il fait froid dans la maison; alors les repas sont tristes qu'ils étaient animés et joyeux. Pourquoi ces longs silences? Pourquoi ces conversations qui sont des dissertations? Pourquoi ce malaise général? Le charme a disparu.
Il reparaîtra demain, après-demain, et tout se ranimera en un instant, comme une vallée plongée dans l'ombre qu'illumine un rayon de soleil. Mais les pauvres maisons où la femme ne se montrera plus, et les maisons, plus pauvres encore, où la femme a méconnu sa mission, oh, qui dira leur misère! Hommes, enfants, ils sont là comme éperdus, cherchant en vain ce quelque chose que rien ne remplace. S'il y a eu une vraie femme, une vraie mère, son souvenir continuera peut-être ce qu'elle avait commencé; s'il y a un vrai père, il fera beaucoup pour les siens ; et toutefois il est une oeuvre que la femme seule est capable d'accomplir; sans elle, la maison sera toujours menacée par l'ennui, par la sécheresse des rapports, par la vulgarité, par la grossièreté peut-être.
On ne se passe pas du charme. Il faut qu'elle soit là au milieu des siens, la confidente universelle, celle qui met chacun à l'aise et vers laquelle accourt, c'est son droit, quiconque a une plainte à exhaler, une difficulté à résoudre, un parti à prendre, une inquiétude à dissiper, une douleur à adoucir.

La femme n'est pas seulement le charme de la famille, elle est aussi, dans beaucoup de cas, sa conscience et sa dignité.
Nous avons un peu, nous autres hommes, une conscience à gros grain. Parfois les femmes nous accusent de ne pas en avoir du tout. C'est que la délicatesse des appréciations nous fait défaut, nous n'examinons pas les questions à la loupe, et ce qui est menu nous échappe.
Ce n'est pas toujours un mal; nous évitons ainsi la maladie des scrupules, à laquelle les femmes sont sujettes; nous marchons d'un pas plus ferme, et notre pensée se complique moins. Je rie suis pas lâché de faire cette remarque en faveur de l'homme; il a aussi sa grande mission dans la famille; et précisément parce qu'ils sont doués de qualités diverses, les deux époux se complètent l'un l'autre.
Mais si la femme a trop de scrupules, elle nous tient en éveil, nous qui n'en avons pas assez. Si la femme se repent trop et trop souvent., disposée qu'elle est à chercher bien vite le côté fâcheux de tout acte accompli et de toute résolution arrêtée, elle n'en est que plus propre à troubler une sécurité qui n'est certes pas sans péril. Qui ne se les rappelle, ces circonstances où un mot de la mère de famille est venu poser pour nous une question morale que nous n'avions garde de soulever? Nous nous sommes peut-être irrités d'abord, ces questions-là sont si importunes! Et puis, nous avons réfléchi; interrogée, notre conscience a parlé, et nous avons rendu grâce à celle qui nous avait imposé de la sorte un ennui ou un sacrifice.
Ces sacrifices ne sont point perdus; rien ne contribue à notre perfectionnement comme ces retours sur nous-mêmes qui nous amènent à modifier notre conduite en vue du devoir. La femme est donc, en un sens très-réel, la conscience de la famille.
Qu'elle soit sa dignité, la chose est si claire que je n'aurai point à y insister. Loin d'elle, nous cessons de nous contraindre; nous tombons plus ou moins dans l'état ignoble qu'on nomme le sans-gêne.

Le sans-gêne a ses degrés; il est telle vie de club ou de café qui nous rend incapables de figurer désormais dans la bonne compagnie : l'idée seule de faire un peu de toilette, de remplir un devoir de politesse, de veiller sur nous pendant une heure, de faire effort pour soutenir une conversation, l'idée seule de modifier un moment nos habitudes débraillées nous cause un insurmontable effroi.
Il est un sans-gêne aussi qui, tout en conservant les usages des gens bien élevés, se donne carrière par le parti pris de ne plus veiller sur l'élévation des pensées et des sentiments. La discipline intérieure se relâche; on ne se permettrait pas de graves excès; quant aux nuances, quant aux détails, on renonce à s'en inquiéter, la vulgarité envahit tout.
La femme est destinée à nous préserver d'un tel malheur. Sa présence n'arrête pas seulement les propos grossiers. Elle n'a pas seulement pour effet de forcer chacun à veiller sur ses manières et sur sa tenue; elle agit encore sur la tenue de l'âme, si j'ose m'exprimer ainsi. Il y a en elle quelque chose de si exquis, ses antennes morales sont douées d'une sensibilité si vive, que le bas et le vulgaire, où qu'ils soient, la frappent et la choquent instinctivement. Elle lit en nous, et nous le sentons, et nous éprouvons le besoin de nous mettre d'accord, autant que possible, avec la merveilleuse distinction de cette nature.

C'est l'idéal que je peins, ai-je besoin de le rappeler? Je montre la femme telle qu'elle doit être. Son coeur est corrompu comme celui de l'homme, et comme lui elle ne peut remplir son vrai rôle qu'en vertu d'un changement radical, d'une nouvelle naissance. Loin d'être un instrument de progrès et de bonheur pour les siens, la femme peut être, hélas, la source des grands désordres et des infortunes extrêmes. Sans parler même de l'entière dépravation, il y a dans la mondanité, dans la légèreté, dans la sécheresse de coeur telle qu'elle se produit parfois chez la femme, un principe délétère auquel rien ne résiste autour d'elle. Non, la femme n'est pas toujours le centre aimable et bienfaisant de la famille ; non, elle n'est pas toujours le charme de la famille; non, elle n'est pas toujours la conscience et la dignité de la famille.
Et pourtant, ce que j'ai écrit est vrai, je n'en rétracte pas une ligne. La vérité idéale, c'est encore la vérité. Il importe de la contempler sous cet aspect, elle nous apparaît alors avec toute sa beauté, avec toute sa fécondité, elle nous attire et nous fait du bien.
Quel rôle que celui de la femme! quelles facultés que celles dont elle est douée pour l'accomplissement de sa vraie mission! Ah, qu'elle ne se plaigne pas de son lot. Il n'en est pas de plus magnifique sur la terre. Être la providence visible de tous les siens, être leur lumière, leur joie, leur bonne grâce, être la dépositaire de tous les bonheurs élevés, ce n'est pas peu de chose. Faut-il du courage, elle en a. Faut-il des compassions, elle en a. Elle relève ceux qui tombent, elle les relève en les aimant, en leur pardonnant, en leur disant la vérité. Comme elle la dit alors, la vérité! Avec quelle suave délicatesse, avec quels ménagements pleins d'amour, avec quelle pureté fidèle! Comme elle évite d'humilier ! Comme elle est attentive à ne pas pallier le mal ! Comme les plaies se ferment sous sa main pieuse!
Je ne veux pas anticiper : je m'attache à considérer dans sa généralité le rôle de la femme au sein de la famille; ce qui concerne spécialement l'épouse ou la mère viendra plus loin. Comment oublier cependant ici que chaque génération, pendant les premières années, lui appartient d'une façon exclusive ? Et comment mesurer la profondeur, la durée, l'influence indestructible de ces premières in pressions? Arrive-t-il un moment dans la vie où l'on ait entièrement oublié ce qu'on avait appris sur les genoux de sa mère? Je dis plus, arrive-t-il un moment dans la vie où l'on cesse de s'instruire auprès de sa mère? Au sein de La vraie famille, cette action-là ne cesse jamais.
Telle est la place que Dieu a préparée pour la femme. Épouse et mère, elle a devant elle la plus grande mission qui puisse se rêver ici-bas. Vous vous rappelez ce splendide portrait qui termine le livre des Proverbes :
« Qui est-ce qui trouvera une vaillante femme? Son prix surpasse de beaucoup les perles... Elle fait du bien tous les jours de sa vie, et jamais de mal... Elle tend sa main à l'affligé et avance ses mains au nécessiteux.
Elle ne craint point la neige pour sa famille; toute sa famille est vêtue de vêtements doubles... Son mari est honoré aux portes, quand il est assis avec les anciens... Elle ouvre sa bouche avec sagesse et la loi de la charité est sur sa langue. Elle contemple le train de sa maison et ne mange point le pain de paresse. Ses enfants se lèvent et la disent bienheureuse, son mari aussi, et il la loue en disant : « Plusieurs filles ont été vaillantes, mais tu les surpasses toutes. La grâce tombe et la beauté s'évanouit, mais la femme qui craint l'Éternel sera celle qu'on louera; donnez-lui des fruits de ses mains, et que ses oeuvres la louent aux portes. »

Ceci est la femme avant Jésus-Christ. Quelques traits se sont atténués et comme assouplis sous l'influence de l'Évangile, la hiérarchie des devoirs s'est modifiée çà et là, l'expression de la femme a pris, ce me semble, plus de tendresse et plus de douceur; cependant le fond subsiste, la vérité révélée grandit et ne change pas. Aujourd'hui encore, quiconque aura considéré la sainte vocation des femmes dans la famille, l'oeuvre journalière qui les attend, les fardeaux qui vont charger leurs épaules, reconnaîtra avec l'auteur des Proverbes que de toutes les vertus qu'exige un tel rôle la plus nécessaire, C'est la vaillance.

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