HUDSON TAYLOR
SIXIÈME PARTIE
MARIAGE ET OEUVRE A
NINGPO
1856-1860
CHAPITRE 40
Ce que Dieu a fait
février-août 1859
Le 9 février, dans une chambre obscure,
Hudson Taylor était agenouillé au
chevet de sa femme mourante. Quelques semaines
auparavant, ils avaient fêté
joyeusement la nouvelle année. Se pouvait-il
maintenant qu'il perdît sa compagne? À
la suite d'un refroidissement, elle était
tombée gravement malade et était si
faible que les médecins
désespéraient de la sauver.
Tous les chrétiens de la ville
s'étaient réunis pour
intercéder pour elle, et le sentiment de ne
pas être seul à prier était un
puissant soutien pour le pauvre mari. Il observait
avec angoisse les tempes creusées de la
malade, ses yeux caves et ses traits
contractés, autant de signes que la mort
approchait. Hudson Taylor, comme un
naufragé, n'avait plus que la foi comme
planche de salut, la foi dans la suprême
Volonté qui, même alors, était
parfaitement sage, parfaitement bonne.
Agenouillé en silence, tout
à coup il sentit naître en lui une
nouvelle espérance. Il pensa à un
remède qu'il n'avait jamais essayé.
Il fallait l'avis du Dr Parker aussi vite que
possible! Mais vivrait-elle jusqu'à son
retour?
Il y avait environ trois
kilomètres jusque chez le Dr Parker,
écrivit-il plus tard, et chaque minute me
paraissait bien longue. En m'y rendant, je luttais
avec Dieu par la prière et le verset suivant
s'imposa à mon esprit avec force : «
Invoque-moi au jour de, la détresse : je te
délivrerai et tu me glorifieras. » Je
devins capable de m'y appuyer avec foi, et le
résultat fut une paix profonde et une joie
indicible.
Je n'avais plus le sentiment de
la distance. Le Dr Parker approuva le traitement
dont j'avais eu l'idée. Mais, en arrivant
à la maison, je vis au premier coup d'oeil
que le changement désiré
s'était produit sans qu'il fût besoin
de ce remède-là ou d'un autre.
L'abattement du visage avait fait place au calme
d'un tranquille sommeil et aucun symptôme
défavorable ne vint entraver la
convalescence.
Le Grand Médecin avait
passé par là. Sa présence
avait mis la mort en fuite. Sa main avait une fois
de plus amené la guérison.
Cette expérience de la
puissance du Seigneur et de ce qu'Il est prêt
à faire pour Ses enfants, en réponse
à leur prière, lorsqu'elle concorde
avec Son but, fut une des plus remarquables de la
vie d'Hudson Taylor, et le soutint plus tard dans
plus d'une crise.
Après cette dangereuse
maladie, ce fut un vrai réconfort pour eux
d'aller faire un bref séjour hors de la
ville, au nouvel hôpital du Dr Parker. Il
était terminé maintenant, avec
chapelle, dispensaire, maison d'habitation et
salles, tant pour les Européens que pour les
Chinois, le tout neuf et gai. Situé
près de la rivière, il était
dominé par une tour d'où l'on
jouissait d'une belle vue.
Il y avait déjà assez
de malades pour remplir la petite chapelle et
former le noyau d'une oeuvre très
intéressante. Rien n'était plus
encourageant que le spectacle de ce que le Dr
Parker avait pu effectuer en trois ans, à
force de courage et de persévérance,
et sans le secours de la société
missionnaire à laquelle il se
rattachait.
Quelle différence entre cette
réalisation et les projets qu'il formait
autrefois à Shanghaï avec Hudson
Taylor! Comme le Dr Parker devait se sentir
reconnaissant maintenant de ne pas y être
resté! Et, lorsque Hudson Taylor songeait
aux chrétiens de la ville et à celle
qui lui avait été donnée, puis
conservée en réponse à ses
prières, combien son coeur débordait
de gratitude et de louanges! Tout ce qu'ils avaient
espéré ou rêvé
s'était accompli et au delà ; leurs
plans s'étaient réalisés, mais
enrichis de bénédictions qu'ils
n'auraient jamais imaginées.
« Remets ta voie au Seigneur ;
confie-toi en lui... Prends ton plaisir dans le
Seigneur et il t'accordera les désirs de ton
coeur. »
Hier (28 février) nous avons
eu une heureuse journée, écrivait
Hudson Taylor, car notre domestique, qui est chez
nous depuis notre mariage, a été
baptisé et admis dans l'Église, de
même que la femme qui travaille pour Mme
Jones. Nous avons maintenant huit chrétiens
indigènes en communion avec nous, dont le
second (M Tsiu) a été baptisé
il y a eu hier une année. Vraiment, nous
pouvons dire avec reconnaissance « c'est Dieu
qui l'a fait » !
Au printemps, la famille Parker et
M. et Mme Taylor prirent quelques jours de vacances
dans les montagnes de l'Ouest, toutes fleuries
d'azalées, d'aubépines, de lilas, de
glycines et de violettes. Repos bien
nécessaire avant les fatigues d'un
été exceptionnellement chaud et
difficile. Le séjour à Ningpo fut
même dangereux, cette année-là,
vu la recrudescence de la haine à
l'égard des étrangers. Le motif en
était le scandale du trafic des coolies,
semblable au commerce des esclaves en Afrique.
jusqu'alors ses ravages s'étaient
bornés aux provinces du Sud. Mais,
maintenant, des hommes et des jeunes gens avaient
disparu dans la région de Ningpo,
enlevés et emmenés sur des vaisseaux
étrangers jusqu'aux plantations de Cuba et
de l'Amérique du Sud, d'où la plupart
ne devaient jamais revenir. Et ces violences
étaient d'autant plus regrettables que le
peuple y voyait un rapport avec les
hostilités qui venaient de se rallumer entre
la Chine et les puissances alliées
(1).
Les Taylor ne voulurent cependant
pas abandonner leurs convertis, guère moins
exposés qu'eux-mêmes. Et ce fut dans
ces conditions que naquit, le 31 juillet, leur
premier enfant, une petite fille pour laquelle ils
ne trouvèrent pas de nom plus doux et plus
vrai que celui de Grâce.
La température n'était
pas au-dessous de 400 ce jour-là, dans la
partie la plus fraîche de la maison ; la
semaine suivante, elle descendit à 31°,
à minuit, pendant un orage. Il y avait eu
des bagarres aux alentours les jours
précédents. Les cris de « Battez
les étrangers!... Tuez les diables
étrangers!... » avaient longtemps
retenti, mais personne n'avait essayé de
forcer leur porte, quoique cela eût
été bien facile.
C'était admirable ; mais plus
admirable encore était la paix
intérieure dont ne cessa de jouir la jeune
mère. « Quoi qu'il en soit, le Seigneur
est avec moi et me soutient. » C'était
bien là son expérience. Rien
n'entrava sa convalescence. Elle était si
consciente de la manifestation
de la grâce divine qu'elle n'eût pas
voulu être préservée de ces
épreuves qui lui révélaient de
nouvelles profondeurs du coeur de Dieu.
Le danger ne s'éloigna pas de
quelque temps. Ajouté à la chaleur
intense, il rendait la situation plus
pénible encore.
Nous sentons que nous vivons au
jour le jour, écrivait M. Jones qui
était aussi resté dans la ville. Le
peuple est assoiffé de revanche. Il confond
tout : les missionnaires, les commerçants,
le gouvernement ; la guerre et le trafic des
coolies. On a placardé des affiches
sanguinaires. Un des meneurs, dans toute cette
affaire, est un homme qui fournit aux mandarins des
baquets pour recueillir la tète des gens
décapités, ce qui se fait sur une
grande échelle...
Nous sommes au milieu de toutes
ces choses, avec femmes et enfants unis dans le
même péril. Mais nous nous reposons
sur Celui qui retient nos ennemis et dit : «
Jusqu'ici et pas plus loin » et qui nous
rappelle qu'Il ne nous laissera pas. Sa Parole
devient chaque jour plus précieuse à
nos coeurs et, même dans ces temps
d'afflictions, nous avons été
encouragés par quelques personnes qui
recherchent le chemin du salut.
Car l'oeuvre de Dieu se poursuivait,
plus profonde et plus forte par suite des
souffrances par lesquelles les croyants avaient
à passer. Le fermier Wang, par exemple, qui
avait été reçu dans
l'Église en août, était souvent
méprisé et insulté dans les
rues parce qu'il s'était joint aux
chrétiens. Quand on lui racontait que les
étrangers étaient en guerre avec son
pays et qu'ils obligeaient des hommes à se
battre contre leur propre empereur, il disait
:
- C'est sûrement une erreur.
Satan a aveuglé vos yeux. Ces missionnaires
ne font pas du tout la guerre. Ils
guérissent les malades, relèvent ceux
qui souffrent et nous enseignent le chemin du
bonheur éternel. Il ne peut arriver que du
bien de se joindre à eux.
Et l'on ne pouvait le
convaincre.
Pour ceux qui l'observaient, il
était clair qu'il connaissait
réellement le Seigneur.
- Je pense beaucoup au ciel et
à Jésus, disait-il un jour à
Hudson Taylor, le temps est si chaud.
- Certainement, répartit son
ami, attendant que Wang continuât.
- Vous voyez, reprit-il, j'ai
à faucher de l'herbe par ce soleil
brûlant, et parfois je ne sais pas comment je
pourrai poursuivre ce travail. Alors je pense
à Jésus - à Jésus et au
ciel - et mon esprit est en paix, et mon corps
trouve un tel repos que je puis faire ensuite
double travail. Oh! quelle différence en
toute chose, lorsqu'on pense à
Jésus!
Et les missionnaires
l'éprouvaient aussi.
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