HUDSON TAYLOR
SIXIÈME PARTIE
MARIAGE ET OEUVRE A
NINGPO
1856-1860
CHAPITRE 31
Mes pensées ne sont pas vos
pensées
juillet-août 1856
En quittant M. Burns, Hudson Taylor ne pensait
pas s'absenter longtemps. Vu la saison chaude, il
avait besoin de changer d'air et ce voyage
s'accordait tout à fait avec les projets des
deux missionnaires. Mais quelles ne furent pas sa
surprise et sa tristesse lorsqu'il apprit, en
débarquant à Shanghaï, qu'un
incendie avait ravagé les bâtiments de
la Mission de Londres et que tout son
matériel était
détruit!
Qu'est-ce que cela pouvait signifier?
Pourquoi Dieu l'avait-il permis ? Jamais il n'avait
eu plus besoin de ses instruments et de ses
remèdes. Toute l'oeuvre à Swatow
semblait dépendre de leur activité
médicale. Et M. Burns qui
l'attendait!
À quoi servait-il de retourner
là-bas les mains vides? D'autre part,
comment remplacer tout cela à Shanghaï,
vu le prix exagéré de tous les
articles d'importation ? Faire venir d'Europe un
nouveau matériel demanderait six à
huit mois d'attente. La situation était
vraiment embarrassante et, comme il le raconte
lui-même, le jeune missionnaire était
plus disposé à dire avec Jacob :
« Toutes ces choses sont contre moi »,
qu'à reconnaître avec une foi joyeuse
que : « Toutes choses concourent au bien de
ceux qui aiment Dieu ».
Il ne lui restait donc qu'à faire
savoir à M. Burns ce qui était
arrivé et à retarder son retour
à Swatow jusqu'à ce qu'il ait pu se
rendre à Ningpo pour demander au Dr Parker
s'il était en mesure de l'aider. Si ce
dernier lui donnait seulement quelques
remèdes, il pourrait quand même se
mettre à l'oeuvre, après les
chaleurs. Aussi, espérant qu'il
réussirait, dans une certaine mesure,
à réparer ses pertes, Hudson Taylor
se mit en route pour la ville voisine.
Mais de nouveaux imprévus
surgirent. En temps ordinaire,
il lui aurait fallu trois ou
quatre jours pour se rendre auprès du Dr
Parker. Cette fois-ci, au bout de trois semaines,
il se trouva aussi loin du but que le premier jour.
Il avait, il est vrai, voulu faire de ce voyage une
tournée missionnaire, mais ce n'était
pas cela qui le ramenait, dépouillé
de tout, à son point de départ, sans
avoir atteint Ningpo ni même
communiqué avec le Dr Parker.
Il est intéressant de relever,
écrivait-il longtemps après, les
différents événements que
Dieu, dans Sa providence, fit concourir pour
m'empêcher de revenir à Swatow et
m'amener en fin de compte à m'établir
à Ningpo.
Tout cet été-là et
pendant les mois qui suivirent, il chercha avec
angoisse à comprendre les voies du Seigneur
à son égard. Il faut souvent peu de
chose pour déterminer l'orientation d'une
existence, et l'on ne s'aperçoit que plus
tard de l'importance de ce qui paraissait d'abord
n'être qu'un détail.
Comment Hudson Taylor eût-il pu
imaginer, par exemple, que le vol dont il fut
victime au cours de ce voyage servirait un jour
à délivrer, dans un moment de grandes
difficultés financières, la mission
qu'il devait fonder? Comment pouvait-il supposer
que l'écroulement de tous ses projets et la
privation d'une amitié précieuse
entre toutes amèneraient la
bénédiction souveraine de sa vie en
lui faisant rencontrer et en lui donnant pour
compagne celle qui était le mieux
préparée pour lui et pour son oeuvre
?
Mais c'est ainsi que Dieu nous guide. Il
a la main à la barre. Nous sommes conduits,
alors même que nous ne le sentons pas. Que
les portes s'ouvrent ou se ferment, cela ne vient
pas moins de Lui, en vue de notre bien et de
l'accomplissement de Ses desseins. Et nous
finissons par comprendre que les
bénédictions ne nous viennent pas
tant de ce que nous voulons faire que de ce que
Dieu fait pour nous, quand nous nous y attendons le
moins, pourvu que nous restions en communion avec
Lui.
Ce fut à Changan, dans son voyage
vers Ningpo, qu'Hudson Taylor fut
dépouillé de ses bagages. L'histoire
serait trop longue à raconter en
détail ; disons seulement que ses coolies et
son domestique portant ses effets et son lit
s'enfuirent, et que malgré de longues et
pénibles recherches, il ne put rentrer en
possession de ses biens. Il se
trouvait seul à la recherche des fugitifs,
dans une ville où il fut vite reconnu comme
étranger, ce qui l'exposa à de grands
périls. Ainsi, il ne put trouver à se
loger et passa la nuit du 5 au 6 août devant
un temple. Il dormit peu, comme en fait foi son
journal :
Je me couchai devant un temple, sur
des marches de pierre, et, mettant mon argent sous
ma tête comme oreiller, j'aurais
été vite endormi, malgré le
froid, si je n'avais entendu quelqu'un s'approcher
à pas de loup. C'était un mendiant,
comme il y en a tant en Chine et son intention
était sans aucun doute de me voler mon
argent. Sans bouger, j'épiai ses mouvements
et demandai à mon Père céleste
de ne pas m'abandonner dans cette heure critique.
L'homme s'approcha, me regarda un certain temps
pour s'assurer que je dormais (il faisait si noir
qu'il ne pouvait voir mes yeux fixés sur
lui) et se mit alors à tâter doucement
tout autour de moi. Je lui dis d'un ton très
doux, mais propre à lui faire comprendre que
je n'étais pas endormi du tout
:
- Que cherchez-vous
?
Il ne répondit rien et
s'en alla.
J'étais heureux de le voir
partir, et lorsqu'il eut disparu, je mis dans ma
manche toute la monnaie qui ne pouvait tenir dans
ma poche et appuyai la tête sur une pierre
qui faisait saillie. Je ne tardai pas à
être dérangé par l'approche de
deux autres individus. Je recherchai de nouveau la
protection de Celui qui était mon seul appui
et restai tranquille, comme
précédemment, jusqu'au moment
où l'un de ces hommes passa la main sous ma
tête, cherchant mon argent. Je leur demandai
alors ce qu'ils faisaient. Surpris d'abord, ils me
répondirent qu'ils allaient passer la nuit
devant le temple. Je leur demandai de prendre le
côté opposé, puisqu'il y avait
beaucoup de place, et de me laisser celui où
j'étais. Mais ils ne voulurent pas bouger.
Je me levai donc et m'appuyai, le dos au
mur.
- Vous feriez bien mieux de vous
coucher et de dormir, me dit l'un d'eux, autrement
vous ne pourrez pas travailler demain. N'ayez pas
peur, nous ne vous quitterons pas et nous
veillerons à ce qu'il ne vous arrive aucun
mal.
- Écoutez-moi, leur
répondis-je. Je n'ai pas besoin de votre
protection. Je ne suis pas Chinois et je n'adore
pas vos vaines idoles. J'adore Dieu. Il est mon
Père et j'ai confiance en Lui. je sais bien
ce que vous êtes et ce que vous voulez,
j'aurai l'oeil sur vous et je ne dormirai
pas.
Là-dessus l'un d'eux s'en
alla, mais pour revenir avec un troisième
acolyte. J'étais très inquiet, mais
demandai à Dieu Son secours. Une ou deux
fois l'un d'entre eux s'approcha pour voir si je
dormais.
Ne vous y trompez pas, disais-je,
je ne dors pas.
Un moment je laissai tomber ma
tête et aussitôt l'un de mes veilleurs
se leva. Je me redressai et dis quelques mots.
Comme la nuit avançait,
je me sentis très fatigué et, autant
pour me tenir éveillé que pour me
remonter le moral, je me mis à chanter
différents cantiques, à
réciter des passages de l'Écriture et
à prier... au grand ennui de mes compagnons
qui auraient donné je ne sais quoi pour me
voir cesser. Après cela, ils ne me
dérangèrent plus. Un peu avant le
point du jour, ils s'en allèrent et je pus
dormir un moment.
Dans la matinée de ce
même jour, il se rendit de nouveau à
la ville de Changan pour essayer de retrouver ses
bagages.
En route, écrivit-il, je
fus amené à réfléchir
à la bonté dé Dieu et me
rappelai que je n'avais pas prié pour
trouver une chambre la nuit dernière.
J'avais des remords aussi d'avoir été
si inquiet pour mes petites affaires, alors que je
m'étais si peu soucié de toutes les
âmes qui m'entouraient. Je m'approchai de
Dieu comme un pécheur, au nom du sang de
Jésus, et j'éprouvai qu'en Lui
j'étais accepté en grâce -
pardonné purifié, sanctifié -
et alors, combien je goûtai la grandeur de
l'amour de Jésus ! Je savais maintenant
mieux que jamais ce que c'est que d'être
méprisé et rejeté, de n'avoir
pas un lieu où reposer sa tête, et je
compris, mieux aussi qu'auparavant, la grandeur de
l'amour qui a poussé Jésus à
quitter Son séjour de gloire et à
souffrir ainsi pour moi, bien plus, à donner
Sa vie sur la croix. je pensai à Lui,
méprisé et rejeté par les
hommes, homme de douleur et connaissant la
souffrance. Je pensai à Lui lorsqu'il
était au puits de Jacob, fatigué,
ayant faim et soif, et pourtant, trouvant Sa
nourriture et Son breuvage dans l'accomplissement
de la volonté de Son Père, et je mis
en regard la faiblesse de mon amour. Je Lui
demandai Son pardon pour le passé et pour
l'avenir, la grâce et la force de faire Sa
volonté, de Le suivre de plus près et
d'être, plus que jamais tout à Lui. Je
priai pour moi, pour mes amis d'Angleterre et pour
mes frères de la mission. De douces larmes,
de joie et de douleur à la fois,
coulèrent librement; la route en fut presque
oubliée et j'arrivai à destination
sans m'en apercevoir.
Il ne trouva d'ailleurs pas ses
bagages et, après quelques nouvelles
péripéties, put rentrer par le bateau
à Shanghaï où il arriva,
très fatigué, le 9 août. Il fut
l'hôte du missionnaire Wylie, de la Mission
de Londres.
Ce fut ainsi, écrivit-il,
que se termina un voyage rempli de grâces,
mais aussi d'épreuves. Quoique la fin
fût très différente de ce que
je désirais, elle fut en grande
bénédiction pour moi.
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