HUDSON TAYLOR
QUATRIÈME PARTIE
SHANGHAI ET LES
PREMIERS VOYAGES
1854-1855
(de vingt-deux
à vingt-trois ans)
CHAPITRE 25
Quelque chose de meilleur
août-octobre 1835
Une fois cet acte accompli, combien tout fut
facile! En revenant seul de la baie de Hangchow,
Hudson Taylor avait peine à croire qu'il
fût le même homme qui, si souvent,
avait été embarrassé par les
manifestations des foules excitées et
curieuses. Des quantités de gens le
suivaient toujours dès que l'on
reconnaissait en lui un étranger, et il. ne
lui était pas difficile de grouper un
auditoire pour lui annoncer l'Évangile. Mais
les éléments de désordre
semblaient avoir disparu avec son costume
européen. S'il désirait passer
incognito, il le pouvait, même dans les rues
les plus animées. Cela atténuait
naturellement la tension qu'il éprouvait de
se sentir seul en même temps que cela lui
donnait accès à une classe plus
éduquée et instruite.
N'étant plus suspecté
jusqu'au moment où son langage le
trahissait, il fut à même de juger des
choses qui l'environnaient d'une manière
plus juste, plus naturelle, et il put entrer en,
contact d'une façon toute nouvelle avec le
peuple. Maintenant, comme jamais auparavant, il
pouvait pénétrer les
préoccupations des indigènes et,
instinctivement, il commença à
s'identifier à ceux pour lesquels,
jusqu'alors, il n'avait été qu'un
étranger. Il était comme l'un d'eux,
maintenant. Il se vêtait, il vivait, il
mangeait comme eux. De cette manière, il
réussit à se nourrir plus facilement
et à meilleur compte. Aussi était-il
de plus en plus heureux de cette transformation qui
rendit le voyage du mois d'août
particulièrement intéressant.
Huitième Voyage (24-31
août 1855)
Retournant à Shanghaï par des lieux
qu'il n'avait pas encore visités, il vit de
nouvelles contrées dont il put observer de
façon plus exacte les caractères et
les besoins.
J'ai quitté le Dr Parker hier
soir, écrivait-il le 28 août à
un ami à Hull, et suis maintenant seul pour
la première fois, dans l'intérieur,
en costume chinois. J'ai vu de beaux panoramas et
ai voyagé au milieu d'une population rude.
Comme j'aurais aimé que vous vissiez leur
reconnaissance pour les secours médicaux !
Hommes et femmes, vieux et jeunes, tous semblaient
heureux de les recevoir. Bien des
préjugés sans fondement contre les
étrangers sont tombés. Naturellement
on reconnaît que je suis un étranger
dès que je commence à
parler...
Je ne crois pas vous avoir dit
que le soir précédant mon
départ de Shanghaï j'ai pu obtenir une
maison dans la ville indigène pour un loyer
tout à fait raisonnable. Déçu
à maintes reprises, j'avais perdu tout
espoir d'en trouver une lorsque, juste au moment
où je me disposais à envoyer mes
effets à Ningpo avec le Dr Parker, le
Seigneur m'ouvrit providentiellement le chemin. Je
puis être reconnaissant, car je pensais
rester sans feu ni lieu pour quelque temps. Comme
il est vrai que les interventions de Dieu sont
réservées à quiconque est
réduit à la dernière
extrémité.
Quitter une maison et la
compagnie de deux familles pour vivre tout à
fait seul comportera sans doute des
épreuves, mais j'espère y trouver une
compensation dans l'étude de la langue et,
par conséquent., dans une plus grande
utilité. Joignez vos prières aux
miennes pour que je réalise une communion
plus étroite et constante avec Celui qui
n'oublie jamais les Siens. Puisse-t-Il accomplir Sa
promesse de grâce et bénir mes efforts
pour la conversion des pêcheurs. Oh ! marcher
sans reproche devant Lui, et être
employé pour détourner beaucoup de
Chinois des idoles et les amener à «
servir le Dieu vivant et vrai et à attendre,
des cieux Son Fils ».
Quant aux inconvénients du
costume chinois, Hudson Taylor s'en accommoda
aisément dès le début. Voici
la lettre qu'il écrivit à sa soeur
Amélie juste après avoir
quitté le Dr Parker :
Je veux t'écrire une lettre en
manière de surprise; car je sais que tu n'as
jamais reçu de lettre d'un homme ayant la
tête rasée et portant une longue
queue. Mais, pour que tu ne te perdes pas en
conjectures, il vaut mieux que je te dise tout de
suite que, jeudi dernier à onze heures du
soir, j'ai abandonné mes boucles au
coiffeur, teint mes cheveux d'un beau noir, et que
j'ai natté le lendemain matin une belle
queue avec mes propres cheveux et beaucoup de soie
pour l'allonger selon la mode chinoise. Puis,
vêtu en Chinois, je suis parti avec le Dr
Parker, qui se rendait à Ningpo, et l'ai
accompagné environ cent cinquante
kilomètres. Nous avons profité de ce
voyage pour évangéliser, et
maintenant que je reviens tout seul,
j'espère qu'il mesera encore plus facile de
distribuer des livres et de prêcher... Tant
que nous étions ensemble, on reconnaissait
que j'étais étranger, parce que je
lui parlais en anglais; mais aujourd'hui, tandis
que je parcourais les environs de Haiyen, personne
ne s'en doutait. Je ne fus remarqué que
lorsque je me mis à distribuer des livres et
à voir des malades. On
demanda naturellement à mes domestiques
d'où je venais, et la nouvelle se
répandit vite. Habillé de cette
façon, l'on n'est pas respecté autant
de prime abord que si l'on porte des
vêtements étrangers. Mais un peu de
médecine arrange tout, et c'est certainement
la plus grande ressource dans l'intérieur.
Les femmes et les enfants se montrent, je crois,
plus disposés qu'autrefois à venir se
faire soigner et, là aussi, le costume
indigène me sera utile.
Il revint ainsi à Shanghaï,
mais pour une existence inattendue ; son costume
élevait une barrière infranchissable
entre les Européens et lui et le rejetait
tout entier vers son peuple d'adoption. Il s'en
réjouit, à cause de son oeuvre, mais
sentit avec amertume le mépris des
Européens et la désapprobation des
missionnaires eux-mêmes. Mais plus il se
donnait aux Chinois, plus une joie nouvelle et
merveilleuse inondait son âme.
Le Dr Parker est à Ningpo,
écrivait-il à sa soeur au
début d'octobre, mais je ne suis pas
délaissé. J'ai une présence
sensible de Dieu avec moi comme je n'en avais
jamais fait l'expérience auparavant, et des
élans vers la prière et la vigilance
qui sont vraiment bénis.
Cependant le voisinage était loin
d'être attrayant, à l'intérieur
des murailles de la ville indigène. Les
arrangements qu'il avait faits étaient des
plus simples et lui procuraient juste le strict
nécessaire. La nourriture et la cuisine
chinoises l'éprouvèrent quelque peu
au début, surtout pendant la période
encore chaude. Puis il vivait au milieu d'une
population, très dense, qui n'avait aucune
idée de la plus élémentaire
propreté. Mais, à travers tous les
âges, « de même que les
souffrances de Christ abondent en nous, de
même la consolation. abonde en Christ »,
et la consolation - l'encouragement, comme on peut
le lire aussi -, surpasse de beaucoup la solitude
et le sacrifice.
Il avait commencé, le 17
septembre, sa vie solitaire dans sa nouvelle
maison, et trois semaines plus tard,
déjà, il écrivait à sa
mère pour lui parler de la plus grande joie
qu'il eût jamais eue. Ces trois semaines
avaient porté leur fruit. Un coeur si plein
de l'amour de Dieu doit éveiller chez les
autres la soif de ce qu'ils ne connaissent pas
encore. Les enfants de l'école le sentaient
; les curieux qui venaient aux réunions le
sentaient aussi ; de même les malades qui
remplissaient le dispensaire ; et, par-dessus tout,
Kuei-hua, son fidèle serviteur et
ami.
Ce dernier, bien instruit des
vérités de l'Évangile,
était depuis quelque temps un croyant
sincère; mais, maintenant, il ne
pouvait faire autrement que de
confesser le Dieu de son maître. Un matin,
avec le plus grand sérieux, il demanda au
jeune missionnaire de le baptiser. La joie d'Hudson
Taylor s'exprima dans sa lettre à sa
mère, datée du jour même
:
Le Seigneur avait déjà
opéré en lui un changement manifeste,
mais jusqu'aujourd'hui, il n'avait pas
demandé à être admis comme
membre de l'Église. je ne peux te dire la
joie que cela m'a causé... Mon âme,
béni l'Éternel, et que mon esprit se
réjouisse en Dieu mon Sauveur ! Si mon
oeuvre ici était finie, je sens que je
pourrais dire avec Siméon : « Seigneur,
laisse maintenant ton serviteur partir en paix, car
mes yeux ont vu ton salut. » Si une âme
vaut des mondes, maman, ne suis-je pas abondamment
récompensé ? Et toi, ne l'es-tu pas
aussi ?
Mais ce n'était pas le seul
encouragement qu'il eût à raconter
avant la fin de ce mois. Il reçut une lettre
de M. Berger qui, satisfait de l'emploi fait de son
premier don de dix livres sterling, le
répétait maintenant et s'engageait
à le renouveler tous les six mois, se
chargeant ainsi complètement de
l'éducation de Hanpan. De plus, il
écrivait très affectueusement,
exhortant le jeune missionnaire à attendre
de grandes choses de Dieu, et joignait encore
quarante livres sterling à utiliser comme il
le jugerait le plus indiqué.
C'est avec un sentiment solennel de la
bonté de Dieu qu'Hudson Taylor semble avoir
pesé tous ces événements
à la lumière du passé et dans
l'attente de l'avenir. Comme il s'était
réjoui d'avance de cette première
conversion d'un païen ! Comme il avait
souffert du manque de ressources nécessaires
au développement de son activité! Et
maintenant, des âmes lui étaient
données, non seulement Kuei-hua, mais
peut-être bientôt un ou deux autres de
ses auditeurs ; et ce généreux ami
d'Angleterre avait de plus en plus de sympathie
pour l'oeuvre à laquelle il se sentait
appelé lui-même. Tout cela
était si beau! Dieu était à
l'oeuvre.
Ce que serait l'avenir, il ne pouvait le
dire. Mais déjà le Seigneur faisait
mieux que de, le dédommager pour tous les
projets qu'il avait dû abandonner et pour
toutes les épreuves subies! Et le message de
M. Berger lui allait droit au coeur :
« Ouvre ta bouche toute grande,
et je la remplirai. » Oui, Dieu ne
connaît pas d'obstacles. Si nous attendons
beaucoup de Lui, nous ne serons certainement pas
déçus.
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