HUDSON TAYLOR
TROISIÈME PARTIE
LES ANNÉES DE
PRÉPARATION - LONDRES ET VOYAGE
1852-1854
(de vingt à
vingt et un ans)
CHAPITRE 14
Lumière enfin
janvier-juin 1853
La joie qui résulta de ces
expériences contribua beaucoup à
ramener Hudson Taylor à une pleine
conscience de sa communion avec Dieu. Les premiers
mois à Londres n'avaient pas profité
à sa vie spirituelle, mais maintenant,
à mesure, que l'hiver s'écoulait, une
sève nouvelle de bénédictions
semblait monter dans son âme.
Je n'ai pas besoin que tu me dises
que tu as prié pour moi, écrivait-il
à sa mère en février. J'en ai
eu la certitude. Quoique par moment le ciel ait
semblé d'airain et que je me sois senti
abandonné, il m'a été
donné de saisir les promesses par la simple
foi, la foi « nue » comme dit
père... et je n'ai jamais eu de moments plus
heureux que dernièrement.
Les visites qu'il faisait à
Tottenham, le dimanche, lui furent très
profitables, spécialement les heures
passées dans la famille Robert Howard et
chez Mlle Stacey. Cette dernière avait le
talent de découvrir ce dont les gens avaient
besoin. Le jeune étudiant en
médecine, avec son caractère gai, sa
figure maigre, ses vêtements usés et
son amour ardent pour la Chine, toucha son coeur.
Elle le reçut chez elle maintes fois. Dans
son jardin, un magnifique cèdre donnait une
ombre délicieuse. Dans sa maison, elle avait
un salon de lecture où l'on semblait loin du
monde. Mlle Stacey vivait seule, mais recevait
beaucoup d'amis. Elle savait qu'Hudson Taylor
recherchait la tranquillité. Aussi
était-ce chose entendue que, chaque fois
qu'il était chez elle, le salon de lecture
et le cèdre lui étaient
réservés.
Autre changement utile : six mois
après son arrivée à Soho, il
obtint un poste d'assistant chez un médecin
de la Cité.
C'était une chose excellente pour
lui que de travailler de nouveau sous la direction
d'un homme compétent. Un sujet de
reconnaissance également
c'était de n'avoir à parcourir que
deux kilomètres jusqu'à
l'hôpital au lieu de six ou sept comme
auparavant. Il paraît avoir logé chez
son employeur, M. Thomas Brown. On est heureux de
l'entendre parler de repas en famille. Sa vie
était nécessairement fatigante. Il
travaillait chaque, matin à l'hôpital,
et le reste du temps pour le Dr Brown. Ce n'est que
le soir qu'il était libre pour
étudier. Ainsi, de toute façon, ce
changement fut à son avantage.
La Chine préoccupait son coeur,
ce printemps-là, et ses perspectives quant
à l'oeuvre qui l'attendait là-bas
devenaient plus précises.
Précédemment, à Barnsley et
à Hull, il lui avait semblé que
toutes les difficultés d'avenir
disparaîtraient le jour où il serait
envoyé par une Société de
mission. Il en venait maintenant à croire
que ce pourrait bien être le contraire. Il
comprenait mieux, à Londres, le
fonctionnement d'une Société avec les
statuts et les règlements qui lui sont
nécessaires, et il ne pouvait
s'empêcher de voir que, si d'une part, en
étant sous la direction d'un comité,
il retirerait certains avantages, notamment un
salaire, d'autre part, sa liberté d'action
pourrait être grandement bridée, de
telle sorte que les difficultés, au lieu de
diminuer, augmenteraient.
À cette époque, certains
événements qui se déroulaient
en Chine et dont l'écho lui parvenait en
Angleterre avivaient son désir ardent de se
vouer à l'oeuvre à l'intérieur
du pays. Telle avait toujours été son
intention, en dépit du fait que
l'intérieur de la Chine était
fermé aux missionnaires étrangers.
L'effort du Dr Gutzlaff de répandre
l'Évangile dans les provinces
éloignées s'était
terminé par un échec évident,
et les missions protestantes étaient
confinées strictement dans les ports ouverts
par les Traités. Mais, pour Hudson Taylor,
l'intérieur si vaste, si sombre, avec ses
millions qui n'avaient jamais entendu parler de
l'amour du Sauveur, criait au secours avec une
urgence et une insistance qui ne pouvaient
être méconnues. Et maintenant, en
raison de la tournure impressionnante des
événements qui se passaient en Chine,
son désir lui paraissait plus proche de sa
réalisation qu'il n'avait pu l'entrevoir
jusqu'alors.
Des nouvelles extraordinaires filtraient
des provinces de l'intérieur et
remplissaient l'Occident d'étonnement. La
révolte des Taï-ping, signalée
pour la première fois en 1850, avait pris
des proportions énormes sous la direction de
Hung Sin s'üen. Ayant pris
naissance dans le Sud de la Chine, elle
déferlait comme une vague sur les provinces
du Centre et prenait pied dans la plus grande
partie de la vallée du Yangtze, y compris la
ville fameuse de Nanking. Dans cette ville,
l'ancienne capitale de l'Empire, le nouveau chef
avait fixé le siège de son
gouvernement et regroupait ses forces pour marcher
sur Peking. Mais ce n'étaient pas seulement
les succès remportés par ce mouvement
qui éveillaient un intérêt
extraordinaire dans les pays chrétiens. Il y
avait dans cette révolte un caractère
qui ne s'était jamais rencontré
précédemment dans des circonstances
de ce genre.
Ce puissant soulèvement, qui se
produisait au milieu d'une nation païenne et
qui ne devait rien à une influence
étrangère, parut être un moment
une sorte de croisade ayant des bases nettement
chrétiennes. Son fondement était la
Bible - bien mal comprise, malheureusement, dans
ses enseignements spirituels. Les dix commandements
étaient la charte du nouveau régime.
L'idolâtrie sous toutes ses formes
était abolie d'une main impitoyable et
remplacée par l'adoration du vrai Dieu
vivant. Le dimanche était reconnu comme jour
de repos et de prière, et toutes les
restrictions furent levées quant à la
prédication de l'Évangile.
J'ai fait connaître les Dix
Commandements, écrivait le chef des
Taï-ping à l'unique missionnaire qu'il
connaissait, dans toute l'armée et tout le
reste de la population; j'ai ordonné qu'on
prie matin et soir. Ceux qui comprennent
l'Évangile sont encore peu nombreux. C'est
pourquoi j'ai estimé bon d'envoyer un
messager en personne auprès de toi, en paix,
pour te demander, frère aîné,
de venir et d'amener beaucoup de maîtres pour
aider à faire connaître la
Vérité et pour administrer le
baptême.
Ensuite, quand mon entreprise se
sera terminée avec succès, je
répandrai la doctrine partout dans l'Empire,
afin que tous reviennent au Seigneur et adorent le
vrai Dieu seul. C'est ce que mon coeur
désire ardemment.
Son attitude à l'égard des
nations occidentales était à peine
moins surprenante. Il fut défendu de fumer
l'opium et le chef des Taï-ping ne cacha pas
qu'il entendait faire cesser l'importation de la
drogue. Envers leurs « frères
chrétiens étrangers », ils
furent d'une cordialité entièrement
contraire à l'orgueil et aux
préventions des Chinois :
Le grand Dieu, disaient-ils, est le
père de tous ceux qui sont sous le ciel. La
Chine est sous Son gouvernement et Sa surveillance,
les nations étrangères
également. Il y a beaucoup de nations sous
les cieux, mais toutes sont soeurs. Pourquoi
maintenir cette habitude égoïste de
regarder une frontière ici ou une limite
là ? Pourquoi entretenir le désir de
se dévorer et de se détruire
mutuellement ?
En un mot, il semblait que la vieille
nature exclusive de la Chine et son système
païen allaient être balayés
devant la lumière et l'enseignement
chrétiens, et que tout le pays allait
s'ouvrir à l'Évangile. Le chef de la
révolte était probablement le seul
prétendant à un trône dont le
principal souci fût l'impression et la
diffusion des Saintes Écritures. Il
était si désireux que son peuple
possédât la Parole de Dieu qu'il
employa quatre cents hommes, à Nanking, sous
sa surveillance personnelle, pour imprimer et
relier divers livres de l'Ancien et du Nouveau
Testament. La version utilisée était
celle du Dr Gutzlaff, qui se fraya ainsi un chemin
jusque dans les parties les plus reculées de
l'Empire. La première page de chaque
exemplaire portait le titre : Nouvelle
édition, publiée dans la
troisième année de la Dynastie des
Taïping.
Les perspectives étaient donc
encourageantes et les coeurs chrétiens ne
pouvaient que tressaillir d'espérance et
attendre de grandes choses. Il n'était pas
surprenant qu'Hudson Taylor, comme beaucoup
d'autres, vît dans tout cela une action
divine. Ce que les rois et les gouvernements
n'avaient jamais pu faire, Lui, dans Ses voies
merveilleuses, n'était-Il pas en train de
l'accomplir rapidement? Mais combien immense
était la responsabilité qui reposait
sur l'Église, et comme elle était mal
préparée pour y faire face!
Il n'était pas étonnant
non plus, vu les événements qui se
déroulaient, qu'Hudson Taylor, bien qu'il
étudiât la médecine,
n'eût aucun désir de se borner
à une oeuvre purement médicale. Son
souhait était d'utiliser ses connaissances
en médecine plutôt pour l'aider dans
l'évangélisation des contrées
qui n'avaient pas encore été
touchées. C'était là l'oeuvre
à laquelle le Seigneur l'appelait. Il le
sentait dans le tréfonds de son âme.
Mais c'était une tout autre question de
savoir si la Société pour
l'Évangélisation de la Chine
l'approuvait.
À en juger d'après ses
règlements, la Société, de
toute façon entendait
avoir le contrôle absolu de tous les
mouvements de ses envoyés. On les
considérait comme des agents, et on leur y
on demandait de souscrire à des statuts qui
le rendaient perplexe par leurs nombreuses
exigences. À côté de cela, il
avait une conviction toujours plus forte dans son
coeur concernant l'oeuvre à laquelle il se
sentait personnellement appelé. La main de
Dieu était sur lui. Pour lui, c'était
le grand point, la considération
essentielle. Et si l'autorité du
Comité de Londres devait entrer aussi en
ligne de compte, comment concilier les deux
choses?
Il y a un point sur lequel mon
opinion n'est pas encore formée,
écrivait-il à sa mère le 5
avril. Si je passe mes examens, si je prends un ou
deux diplômes, que je parte pour la Chine et
y commence un travail médical aux frais, de
la Société, comment pourrais-je me
sentir libre de me séparer d'elle pour aller
dans l'intérieur, si je m'y sens
appelé ?
Il ne me semble pas qu'une oeuvre
médicale ou autre, toujours fixée
dans le même endroit, ait été
le moyen le plus employé par Dieu pour la
conversion de multitudes. Paul et les apôtres
de jadis, Wesley, Whitfield et d'autres qui ont
été utilisés largement par
Dieu dans les temps modernes, ont été
des prédicateurs itinérants. Je ne
suis pas du tout certain d'être dans le vrai
en adoptant une manière de faire
différente. Je serais reconnaissant d'avoir
ta pensée sur ces questions. Prie pour moi
afin que Dieu me dirige dans toutes mes
circonstances.
Je ne doute pas,
écrivait-il un peu plus loin, que les
règlements de la Société ne
soient raisonnables et nécessaires. Je
remarque aussi qu'après trois ans et demi je
puis être libre de, travailler d'une
façon indépendante si je le
désire. Mais, maman, serait-ce honorable, et
voudrais-tu que je prenne avantage d'une telle
situation ? Alors que la Société
aurait supporté les frais de mes
études de médecine et de mon envoi en
Chine et que j'aurais été
là-bas assez longtemps pour commencer
à devenir utile, approuverais-tu que je la
quitte ?
Puisque j'ai décidé
que telle sera ma voie, comment puis-je
honnêtement accepter son aide ? Y a-t-il une
probabilité que je puisse jamais rembourser
une pareille dépense ? Ces
difficultés me paraissent
insurmontables.
Il agissait certainement d'après
les principes que le Maître a
enseignés. Il s'asseyait pour calculer la
dépense avant de commencer à
bâtir. Ce serait une bonne chose que tous
ceux qui se destinent à la mission en
fassent de même aujourd'hui. Et, comme il
priait et examinait ce problème, il comprit
que sa situation actuelle aussi était
anormale. La Société supportait en
partie les frais de ses études
médicales. S'il les continuait et les
achevait, cela lui
coûterait plus de cent livres sterling.
Déjà il se créait des
obligations qu'il ne serait pas à même
d'acquitter sans manquer de fidélité
à ce qui devait être respecté
par-dessus tout : la volonté de
Dieu.
C'était une affaire
sérieuse, qui devait être
examinée immédiatement. Devait-il
partir comme cela, en laissant la
Société se méprendre
jusqu'à un certain point sur ses intentions
? Ou devait-il donner une franche explication et
courir le risque de perdre son appui ? Devait-il
abandonner tout de suite ses études de
médecine, alors qu'il était en train
de les achever, et préparer soi
départ pour la Chine comme missionnaire
indépendant?
Il est facile, aujourd'hui, de sourire
de ces scrupules qui peuvent paraître
exagérés. Mais, pour Hudson Taylor,
c'était une position plus embarrassante que
nous ne pouvons l'imaginer. Les
sociétés missionnaires étaient
comparativement peu nombreuses et
dispersées, et celle-ci était la
seule à laquelle il pouvait, comme
laïque, se rattacher. Des particuliers, en ce
temps-là, n'envoyaient pas et ne soutenaient
pas de représentants personnels, et il
n'était en communion avec aucune
église qui eût pu le soutenir.
Pratiquement cela revenait à dire qu'il
devait, ou devenir agent de la
Société pour
l'Évangélisation de la Chine, en se
soumettant à ses règlements, ou
partir par la foi en regardant au Seigneur pour
qu'Il subvienne à ses besoins. Le choix
devait être fait
immédiatement.
Ces problèmes retinrent son
attention pendant les mois d'avril et de mai. Il ne
pouvait laisser aller les choses à la
dérive, et moins encore agir sans être
sûr de la volonté de Dieu. Bien des
prières, dans ces belles journées de
printemps, auraient pu être mesurées
par la distance qu'il franchissait chaque jour
entre son domicile et l'hôpital. Mais quand
sonna l'heure d'aller de l'avant, il le fit sans
hésiter.
Pour ce qui est de l'École de
Chirurgie, écrivait-il à sa
mère en mai, j'ai écrit à M.
Bird pour lui exposer les raisons qui me paraissent
s'opposer à ce que j'y entre à leurs
frais. Il est nécessaire pour la bonne
marche de la Société que ses
missionnaires se soumettent au Comité de
direction... Leurs règlements sont
évidemment raisonnables et essentiels
à une organisation de ce genre. Mais, pour
moi, être enseigné à leurs
frais et être soumis à un
règlement signifierait que je me soustrais
à la direction personnelle de Dieu parce que
je deviendrais le serviteur de la
Société...
Si je suis guidé par Dieu
en partant, Il ouvrira mon chemin et me fournira
les moyens. Si un diplôme m'est
nécessaire, Il me fournira les moyens pour
cela aussi. S'il ne l'est pas, le temps et l'argent
seront bien mieux utilisés autrement. Et si
je ne suis pas appelé à partir, il
vaut bien mieux que je ne quitte pas
l'Angleterre.
Mais ne pense pas que, si je m'exprime
de cette manière, je sois dans le doute, car
je n'ai jamais eu de doutes à ce propos. Mon
esprit est gardé dans une paix parfaite,
fondée sur Celui qui est le Rocher des
siècles. J'ai joui ces temps d'un grand
repos intérieur, et bien souvent
j'expérimente la bonté de Dieu d'une
façon que je ne saurais exprimer.
Mais toutes ces préoccupations ne
distrayaient pas Hudson Taylor de ses devoirs
quotidiens et de ses soins à tous ceux qui
l'entouraient. Comme le Dr Hardey à Hull, le
Dr Brown découvrit bientôt qu'il avait
un assistant de valeur. Parmi les malades dont
celui-ci avait la charge, plus d'un eut l'occasion
de remercier Dieu de sa sollicitude, tant pour le
corps que pour l'âme. Car il ne cherchait pas
à esquiver ou à différer la
tâche suprême : amener les âmes
à Christ. Les inconvertis en Angleterre
étaient un fardeau sur son coeur au
même titre que les païens en Chine.
Toujours et partout, il était un gagneur
d'âmes.
À cette époque, il fut
l'instrument de la conversion d'un
incrédule. Rappelant plus tard cette
expérience, il écrivait :
Oh ! quelle joie ce fut pour moi de
voir cet homme se réjouir dans
l'espérance de la gloire de Dieu ! Il me
confessa que depuis quarante ans il n'avait jamais
été dans un temple, et qu'à
cette époque, cela avait été
uniquement pour son mariage. Maintenant, Dieu
merci, son âme souillée par le
péché est, j'ai tout lieu de le
croire, lavée, justifiée,
sanctifiée au nom de notre Seigneur
Jésus-Christ et par l'Esprit de notre Dieu.
Souvent, au début de mes travaux en Chine,
quand les circonstances me paraissaient contraires,
j'ai pensé à la conversion de cet
homme et ai été encouragé
à persévérer dans la
prédication de la Parole de Dieu, quel que
soit l'accueil des auditeurs.
Peu après, le chemin
s'éclaira soudain devant Hudson Taylor. Tout
avait paru obscur jusqu'alors, et
spécialement depuis qu'il avait écrit
à M. Bird au sujet de l'interruption de ses
études, il n'avait guère fait de
progrès. Il s'était livré
à la prière avec sérieux pour
être dirigé, désirant de tout
son coeur connaître la volonté de Dieu
et la faire. Et maintenant, la lumière
brillait tout à coup
d'une façon inattendue parce que l'heure
était venue et que, derrière les
événements, il y a, comme dit le
prophète, «un Dieu... qui travaille en
faveur de celui qui se confie en Lui
».
Dans le bureau de la
Société pour
l'Évangélisation de la Chine, un
secrétaire écrivait une lettre.
C'était le 4 juin, et les
événements se succédaient en
Chine avec une rapidité extraordinaire.
Depuis la conquête de Nanking, en mars, les
Taï-ping avaient brisé toute
résistance devant eux et envahissaient les
provinces du Centre et du Nord, au point que Peking
même était menacé. Rien,
semblait-il, ne pouvait sauver la dynastie
chancelante, à moins que les puissances
étrangères ne, se décidassent
d'intervenir. Le représentant britannique,
Sir George Bonham, après avoir fait une
visite à Nanking, avait envoyé un
rapport très favorable sur les
Taï-ping. « Les insurgés sont des
chrétiens », écrivait le North
China Herald, le 7 mai. Et le développement
religieux du mouvement semblait, en effet, marcher
de pair avec l'augmentation de sa puissance
(1).
Tout cela ne pouvait signifier qu'une
chose : si Peking tombait, c'en était fini
de l'isolement séculaire de la Chine et le
pays s'ouvrait à l'Évangile. Cette
possibilité, imminente comme elle
était, devint un puissant stimulant pour
l'oeuvre missionnaire. Partout les coeurs
s'enflammaient. Quelque chose devait être
tenté, et tout de suite, pour faire face
à cette si grande crise. Et, pour un temps,
l'argent afflua.
L'intérêt que l'on portait
à la révolte des Taï-ping et
l'espoir que, par la coopération sympathique
des nations chrétiennes elle pourrait amener
la conversion de multitudes au christianisme
étaient tels, qu'en septembre de cette
même année 1853, la
Société Biblique Britannique et
Étrangère décida de
fêter son jubilé en imprimant un
million de Nouveaux Testaments destinés
à la Chine, entreprise d'une envergure
presque incroyable pour l'époque.
À la lumière de ces
nouvelles circonstances, la Société
pour
l'Évangélisation
de la Chine révisa sa position. Son seul
représentant en Chine était le
missionnaire allemand Lobscheid, à l'oeuvre
près de Canton. Elle souhaitait depuis
longtemps lui procurer un compagnon de travail et
elle décida alors d'envoyer deux hommes
à Shanghaï, pour qu'ils fussent
prêts à toute
éventualité. L'argent ne constituait
pas une difficulté, car les entrées
de fonds avaient considérablement
augmenté depuis quelques mois, mais il
n'était pas aisé de trouver des
hommes qualifiés.
Ce fut donc au début de juin,
comme nous l'avons vu, que M. Bird écrivit
la lettre que voici à quelqu'un en qui le
Comité avait pleine confiance, le jeune
étudiant en médecine, Hudson Taylor.
CHER MONSIEUR,
Londres, le 4 juin, 1853.
Comme vous êtes tout
à fait décidé à aller
en Chine et à ne pas prendre vos
diplômes de chirurgien, je voudrais vous
suggérer affectueusement de ne pas perdre de
temps en vous préparant à partir.
À l'heure présente nous avons besoin
d'hommes réellement consacrés et je
crois que votre coeur est droit devant Dieu; vos
mobiles sont purs, aussi vous n'avez pas, à
hésiter à vous offrir... Le temps que
vous passeriez à apprendre l'ophtalmologie
ne serait-il pas passé d'une manière
plus profitable en Chine? Si vous jugez bon, de
vous offrir, je serais très heureux de
présenter votre demande au Comité.
C'est un pas important, qui demande beaucoup de
prières. Mais la direction vous sera
donnée...
Charles BIRD.
C'était un samedi
après-midi, et la lettre n'était pas
encore partie qu'Hudson Taylor frappait à la
porte de M. Bird. Surprise de part et d'autre,
suivie d'une longue et sérieuse
conversation. Depuis trois ans et demi le jeune
homme avait constamment pensé à la
Chine, et pourtant il était presque
écrasé à l'idée de
partir par le premier bateau. Et puis, il y avait
toutes ces questions d'avenir, ses réserves
à l'idée de se mettre au service
d'une société. M. Bird l'encouragea
avec une évidente sympathie. Hudson Taylor
rentra chez lui avec beaucoup de choses à
présenter au Seigneur.
Quelle différence avec son trajet
précédent. Le même soleil de
juin brillait sur les rues de Londres, mais le
jeune homme marchait dans un
monde nouveau, avec une large perspective ouverte
devant lui. Était-il possible que tous les
obstacles qui avaient barré sa route
jusqu'ici se fussent évanouis ? Non
seulement la Société consentait
à l'envoyer, mais elle le désirait.
Alors l'heure de Dieu devait être venue, et
il ne pouvait pas résister.
M. Bird a écarté la
plupart des objections et des difficultés
qui se présentaient à mon esprit,
écrivit-il à sa mère le
lendemain, et je pense que je ferais bien de me
rendre à ses conseils et de m'offrir tout de
suite au Comité. J'attendrai cependant ta
réponse et je compte sur tes prières.
Si l'on acceptait que je parte tout de suite, me
conseillerais-tu de venir à la maison avant
de m'embarquer? J'ai grande envie d'être avec
vous encore une fois, et je sais que vous aimeriez
naturellement me voir; mais je pense qu'il serait
presque plus facile de ne pas se revoir, avant de
se séparer pour toujours. Non, pas pour
toujours !
Je ne puis écrire
davantage, mais j'espère avoir bientôt
de tes nouvelles. Prie beaucoup pour moi. Il est
facile de parler de tout quitter pour Christ, mais
quand l'heure du sacrifice est là, il nous
faut toute Sa puissance.
Que Dieu soit avec toi et te
bénisse, ma chère mère, qu'Il
te donne de comprendre combien Jésus est
précieux afin que tu n'aies plus qu'un
désir : « Le connaître...
même dans la communion de ses souffrances.
»
Et il écrivait à sa soeur
:
Prie pour moi, ma chère
Amélie, pour que Celui qui a promis de
répondre à tous nos besoins puisse
être avec moi dans cette heure
pénible, quoique longtemps
désirée.
Lorsque nous regardons à
nous-mêmes, à la petitesse de notre
amour, à la pauvreté de notre
service, au peu de progrès que nous faisons
vers la perfection, quel rafraîchissement
pour l'âme de lever les yeux et de les fixer
sur Lui, de se plonger de nouveau dans la «
source qui est ouverte pour le péché
et l'impureté », de se souvenir que
nous sommes « acceptés dans le
Bien-Aimé » « qui nous a
été fait, de la part de Dieu,
sagesse, justice, sanctification et
rédemption ». Oh ! la plénitude
de Christ, la PLÉNITUDE de CHRIST!
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