Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE III

Le grand Schisme d'Occident et les Conciles réformateurs.

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La mort de Grégoire XI fut suivie d'un schisme (1) qui dura quarante ans, avec deux séries de papes rivaux (2), qui s'établirent les uns à Rome, les autres en Avignon, et qui s'excommuniaient entre eux.

Le 8 avril 1378, le conclave, réuni au Vatican, choisit Bartolomeo Prignano, archevêque de Bari. La nomination d'un pape italien, surprenante puisque, sur seize votants, ou comptait onze cardinaux français, était due au désaccord de ces derniers sur le choix d'un candidat et aux menaces de la foule déchaînée qui criait : « Nous voulons un Romain ou au moins un Italien ! » Elle avait commencé à piller le conclave quand un cardinal, paraissant à une fenêtre, lui jeta, selon l'usage le nom de l'élu : « Je vous annonce, une grande joie... Vous avez un pape : il s'appelle Urbain VI. »

Prignano était un chrétien austère, grand liseur de la Bible, mais il manquait de clairvoyance et de mesure. Il irrita les cardinaux en leur reprochant leur luxe et leur cupidité. Il s'aliéna ceux de France en refusant de prendre Avignon pour capitale. Tous, réunis à Anagni, le sommèrent d'abdiquer, sous prétexte que son élection, faite sous la menace populaire, était sans valeur.

Urbain VI répliqua, dans un document appelé le factum, qu'elle avait été régulière. Retirés à Fondi, sur le territoire de Naples, les cardinaux français nommèrent, sans opposition de la part de leurs collègues italiens, un homme politique léger et aux mains rouges de sang, Robert de Genève, fils du comte de cette ville, qui prit le nom de Clément VII (20 septembre 1378).

Urbain VI maintint ses droits, et, pour les renforcer, créa vingt-neuf cardinaux. La plus grande partie de l'Italie et l'Angleterre se déclarèrent pour lui, mais l'université de Paris, l'Écosse, l'Espagne et certaines régions de l'Allemagne soutinrent l'antipape. Le fait le plus saillant de cette lutte fut le meurtre, en 1382, de Jeanne 1re, reine de Naples, par Charles III de Durazzo de la maison royale de Hongrie, qui s'était emparé de son royaume avec l'appui d'Urbain VI.

La sévérité de ce pape, louable puisqu'elle chassait la simonie, mais (d'après Nieheim) plus dure que le granit, provoqua un complot de six cardinaux. Découverts, ils furent jetés dans une citerne, soumis à la torture (Nieheim, p. 91, 103 ss.) et plus tard exécutés, sauf un. Puis Urbain VI lança l'interdit contre Naples, dont il soupçonnait le roi, son protégé Charles de Durazzo. Attaqué à Rome, il dut fuir à Trani, d'où il gagna Gênes en bateau (1386). Pendant le trajet, l'équipage menaça de le conduire en Avignon, et il dut acheter sa liberté. Après l'assassinat de Charles, remplacé par son jeune fils Ladislas, il regagna Rome, où il ne tarda pas à mourir (15 octobre 1389). Quant à Clément VII, il ne fut guère, en sa résidence d'Avignon, qu'un serviteur du roi de France. Il le laissa taxer les biens de l'Eglise et y faire des nominations. Désireux de voir la paix rétablie, il proposa la réunion d'un concile général, en promettant d'abdiquer s'il reconnaissait son rival. Une apoplexie l'emporta le 16 septembre 1394.




Boniface IX (3), successeur d'Urbain VI, était bon administrateur, mais ignorant. « Il ne savait pas écrire, dit Nieheim, et même il chantait mal ». mais il savait compter, et « en fait d'avarice, il n'eut pas son pareil ». Il pratiquait la simonie et le népotisme, et il retira un large profit personnel du Jubilé célébré à Rome en 1400. Il rendit au Saint-Siège le grand service de lui soumettre toute la péninsule (à l'exception de Gênes). Sous son règne eut lieu un effort papal, infructueux d'ailleurs, pour terminer le Schisme. Le successeur de Clément VII (mort en 1394), Pierre de Luna, d'Aragon, personnalité énergique, qui prit le nom de Benoît XIII, proposa une rencontre avec Boniface IX, mais, mal vu à Paris, où l'on réclamait l'abdication des deux rivaux, il fut abandonné par ses cardinaux, assiégé et blessé. Tant d'infortune émut les Français, et le Parlement de 1403 reconnut de nouveau son autorité.

En 1407, Grégoire XII, second successeur de Boniface IX (mort en 1404), et l'antipape résolurent, après quelques hésitations et sous la pression de la chrétienté, de se rencontrer à Savone, sur le golfe de Gênes, pour essayer de faire cesser le Schisme. Benoît XIII, escorté par une garde militaire, arriva dans cette ville, mais Grégoire XII refusa de dépasser Lucques. Il était dominé, en effet, par ses parents et ses favoris qui redoutaient les effets de sa démission. L'année suivante, Benoît XIII, abandonné par la France, vint se réfugier à Perpignan. Neuf cardinaux de Rome, en accord avec quatre de leurs collègues d'Avignon, décidèrent la réunion d'un concile général à Pise pour le 25 mars 1409. Le pape et l'antipape répliquèrent en convoquant un concile, l'un à Ravenne on à Aquilée, l'autre à Perpignan pour le 11 novembre 1408.

Le Concile de Pise (1409) marqua une époque nouvelle. Très orthodoxe, puisqu'il proclama son adhésion à la foi catholique, il se montra audacieux sur le terrain ecclésiastique, en affirmant l'autorité suprême des conciles dans la direction de l'Eglise (4). Bien qu'il n'ait pas été oecuménique (5), il compta des hauts dignitaires en grand nombre.

Il commença par proclamer sa légitimité. Il établit dans l'esprit de Pierre d'Ailly et de Jean Gerson (6), le droit de l'Eglise de convoquer un concile, comme elle l'avait fait au 1er siècle. Il rappela que la conférence de Jérusalem avait été présidée non par Pierre mais par Jacques. Puis il s'occupa de la déposition du pape et de l'antipape, et les somma de comparaître le 15 avril au plus tard. Malgré l'apologie de Grégoire XII, présentée par ses amis, un réquisitoire en trente-huit articles, dirigé contre les deux pontifes, fut lu le 24 avril et développé par Pierre d'Anchorano, professeur de droit à Bologne, Pierre Plaoul, de l'université de Paris et par d'autres. Ils furent déposés le 5 juin comme « promoteurs de schisme, hérétiques notoires, coupables d'énormes crimes de parjure » (Héfelé, T. VI, 1). 1025 ss.). Puis les cardinaux élurent pape Philargi, archevêque de Milan, qui prit le nom d'Alexandre V. Il était franciscain, âgé de soixante-dix ans. Pendant ce temps, le concile convoqué par Grégoire à Cividale, près d'Aquilée, déclarait ce pontife chef légitime de la chrétienté, mais, Venise ayant reconnu Alexandre V, il s'enfuit déguisé en marchand. Quant au synode réuni par Benoît XIII à Perpignan, il se sépara sans résultat. Le concile de Pise trompa les espérances, car il ajourna la refonte des moeurs ecclésiastiques et il créa un troisième pape (7), mais il eut le mérite de faire échec aux prétentions exorbitantes du Saint-Siège et de préparer le concile réformateur de Constance.

Alexandre V mourut à Bologne le 3 mai 1410, sans avoir pu entrer à Rome. Il fut remplacé par un noble Napolitain, Balthazar Cossa, jurisconsulte habile mais sans moralité, qui prit le nom abhorré de Jean XXIII. D'après Nieheim, son biographe (8), qui exagère sans doute, au temps où il avait été cardinal-légat à Bologne deux cents femmes et jeunes filles avaient été les victimes de ses passions. Aidé par l'héritier de Jeanne de Naples, Louis d'Anjou, qui battit l'usurpateur Ladislas, (14 mai 1411), il put entrer à Rome, mais, avec sa mauvaise foi coutumière, il fit volte-face et reconnut ce dernier prince, et Grégoire XII, soutenu jusqu'alors par le roi de Naples, s'enfuit en Dalmatie.

Jean XXIII, sous la pression de l'université de Paris, convoqua le concile prévu pour le 12 avril 1412. L'assemblée, très réduite, dut se borner à décréter la mise an feu des écrits de Wyclif et elle s'ajourna à dix mois. En réalité, le concile ne fut annoncé que le 9 décembre 1413 pour le 1er novembre 1414, à Constance, après entente avec Sigismond, élu roi des Romains, qui, préoccupé de l'agitation causée par Jean Huss en Bohême, avait réclamé avec insistance cette convocation.




Ce concile (9), qui dura trois ans et demi (1414-1418), fut, dit Funk, « un Congrès de tout l'Occident ». Il compta trente-trois cardinaux, cinq patriarches, quarante-sept archevêques, et un nombre considérable d'évêques. seigneurs et représentants de souverains, et d'universités. Constance était en fête, encombrée d'étrangers, sillonnée de musiciens, d'acrobates et de danseurs, et si l'on en croit Jean Huss et Richental, citoyen de la ville, souillée par les excès (10). Jean XXIII fit une entrée solennelle sur un palefroi blanc, escorté par neuf cardinaux et six cents cavaliers. Plus brillante encore fut celle de Sigismond, roi de Hongrie, second fils de l'illustre Charles IV de Bohême, prince « adonné au vin et à la débauche », au dire de l'historien Aeneas Silvius, Piccolomini, « dépensier, faiseur de plans et versatile, porté à la colère et prompt au pardon.

L'attention se concentrait aussi sur sa femme Barbara, grande et belle, mais de réputation douteuse. sur le cardinal Pierre d'Ailly, le chancelier Gerson et Zabarella, jurisconsulte de Bologne.

Le concile, ouvert le 16 novembre 1414 dans la cathédrale, mit du temps à s'animer. Rassemblé pour réunir toute l'Église sous un seul pape, il se montrait indécis. En février, la proposition d'exiger la démission des trois papes, soutenue par Nieheim (11) et par Fillastre, auteur d'un Journal des délibérations du concile, gagna quelque terrain. Pour faire échec aux quatre-vingts délégués italiens qui défendirent Jean XXIII, on décida le vote par nations (France, Italie, Allemagne et Angleterre). Un traité d'un Italien sur les vices de ce pape précipita la crise. En mars 1415, il donne sa démission « pourvu que Benoît et Grégoire fassent de même » (12), mais le soulagement général se change en stupeur quand on apprend qu'il s'est enfui. Rattrapé à Brisach, il promet de revenir, mais, la nuit suivante, il descend du château par une échelle, déguisé en paysan. Repris, il fut confié par Sigismond au comte palatin.

Dans la quatrième et la cinquième sessions (6 avril et jours suivants), le concile se déclara oecuménique, et, avec une autorité qu'il prétendait tenir du Christ, il réclama l'obéissance de tous, même du pape, en ce qui touchait à la foi et à la réforme de l'Eglise. Cette doctrine cadrait avec celle que Gerson avait développée, le 23 mars, dans un sermon prêché devant l'Assemblée, et avec celle d'un traité anonyme, l'Union et la Réforme de l'Eglise, qui voyait dans le pape un simple fils d'homme, « argile tiré de l'argile » (limus de limo), capable de devenir « pire que le diable » (pejor quam diabolus), et justiciable du concile général dont les sentences sont sans appel. L'assemblée fit ensuite le procès du pape. Effrayant dossier ! Négation de la vie future, mensonges, pratique éhontée de la simonie, détournements de nonnes et de jeunes filles, sodomie, en tout soixante-dix chefs d'accusation... Ce monstre, trop longtemps toléré, fut déposé (29 mai 1415). Il se soumit et mourut quatre ans après.

Restaient Grégoire XII et Benoît XIII, qu'on appelait facétieusement, en jouant sur leurs noms latins, Errorius et Maledictus. Le premier démissionna dignement et devint légat à Ancône. Quant au second, il résista, même à Sigismond qui s'était déplacé pour venir lui parler. Du rocher de Peniscola, près de Valence d'Espagne, où il s'était réfugié, ce fantôme papal persista à braver le concile, et, déposé par lui (1117), resta intraitable. À sa mort (1424), quatre de ses cardinaux élurent pape l'un d'entre eux. Ce drame s'achevait en vaudeville...

Le 11 novembre 1417, dans la Bourse du Commerce, le concile nomma le cardinal Odo Colonna, qui choisit le nom de Martin V et prit dès le surlendemain la présidence de l'assemblée. Il s'occupa aussi du cas de Jean Huss, dont nous raconterons plus loin le procès et le supplice, ainsi que des réformes ardemment souhaitées. Mais les délégués étaient las de siéger et comme frappés d'impuissance. Ils laissèrent Martin V faire des accords séparés avec la France, l'Allemagne et l'Angleterre, moyen habile d'éluder une discussion générale qu'il redoutait. Le pape parla même d'une « constitution perpétuelle », qu'il avait décrétée en consistoire secret et qui défendait d'en appeler du Saint-Siège à une autre puissance. Heureusement, l'assemblée avait organise (trente-neuvième session, 9 octobre 1417) la convocation régulière des conciles. Le prochain devait avoir lieu cinq ans après, le suivant sept ans plus tard, et les autres de dix en dix ans. Enfin, le concile se sépara. Le pape partit en grande pompe (le 16 mai 1418), tandis que Sigismond s'en allait sans bruit, criblé de dettes. « La réformation de l'Eglise, dit l'abbé Fleury, à peine commencée, fut remise à un autre temps » (13).




Martin V, empêché par l'insécurité de Rome, ne put faire son entrée dans sa capitale que le 28 septembre 1420. Il la trouva dans un état lamentable. Les troupeaux paissaient dans les rues ; les loups s'étaient montrés au Vatican. Le pape rétablit la confiance et fit réparer le porche de Saint-Pierre et de Latran. Malheureusement, ce bienfaiteur de Rome fut un fléau pour la chrétienté. Ce restaurateur d'églises démolit l'oeuvre du concile, et, loin de travailler aux réformes, il pratiqua le népotisme et la simonie.

L'assemblée prévue pour l'année 1423 se réunit à Pavie, mais elle se contenta de condamner les vues de Wyclif et de Jean Huss. Pareil au sauvage repoussant du pied la pirogue qui l'a porté, Martin V cherchait à écarter le concile qui l'avait nommé. Enfin, pressé par l'opinion, il convoqua celui qui était prévu pour l'an 1431, mais il mourut peu de temps avant sa réunion. Son successeur, le Vénitien Eugène IV (1431-1447), intoxiqué lui aussi par l'autocratie, s'empressa d'oublier les promesses qu'il avait faites avant d'être élu, et il encloua la réforme de l'Eglise.

Le concile se réunit à Bâle le 7 mars 1431, et il dura jusqu'en 1449 (14). Parmi ses cinq cents membres se distingua le secrétaire du cardinal Capranica, Aeneas Silvius Piccolomini, qui devait devenir célèbre sous le nom de Pie Il (15).

Il eut pour tâche de continuer l'oeuvre réformatrice ébauchée à Constance et d'assurer le règlement pacifique du conflit de Bohême, consécutif au supplice de Jean Huss, mais il fut trop absorbé par sa lutte contre la papauté. Il fut soutenu par Piccolomini et le cardinal Nicolas de Cusa (ou de Cues), auteur d'un traité intitulé : Concordance catholique. Par contre, le dominicain Jean Turrecremata défendit l'infaillibilité papale dans sa Somme sur l'Eglise et son autorité. Eugène IV, mécontent de l'indépendance du concile, eut l'audace de le proroger à Bologne mais l'assemblée riposta par la déclaration solennelle de sa pleine souveraineté (15 février 1432). Sommé de comparaître, il dut capituler (Döllinger, Funk). Profitant de sa victoire, le concile restreignit le droit d'appel au Saint-Siège, supprima ses taxes sur les charges ecclésiastiques et la prière qu'on faisait pour lui dans la liturgie, et il réduisit le nombre des cardinaux à vingt-quatre.

Le pape vaincu s'efforça de ressaisir son autorité. Il tira parti de la démarche faite par diverses délégations de l'Eglise d'Orient venues pour négocier dans des conférences son union avec Rome. La majorité du concile ayant proposé pour lieu de réunion Bâle ou Avignon, la minorité, en accord avec le pape, vota pour Florence ou Udine. Eugène IV profita de ce différend pour « transférer » le synode à Ferrare (bulle du 18 septembre 1437). Les cardinaux quittèrent Bâle peu à peu, mais le concile, après des discussions véhémentes qui rendirent nécessaires des interventions armées, annula la bulle, suspendit le pape (24 janvier 1438) et finalement le déposa (25 juin 1439) comme « perturbateur de la paix, simoniaque, parjure, incorrigible, schismatique et hérétique obstiné » (16).

Pendant ce temps, le concile qui s'était ouvert à Ferrare le 8 janvier 1438 gagnait des adhérents. Charles VII soutint Eugène IV, bien que le synode de Bourges (1438) eût accepté les réformes votées à Bâle dans la Pragmatique Sanction, fondement des libertés gallicanes (17). Le pape obtint aussi l'appui de Frédéric III, second successeur de Sigismond (mort en 1437). Il dut ce grand succès à la défection de Piccolomini diplomate sans scrupules, devenu secrétaire de ce souverain. Il fit d'habiles concessions aux électeurs allemands et conclut avec eux « le Concordat des Princes » (1446) : il rétablissait les archevêques de Trèves et de Cologne qu'il avait déposés, reconnaissait la suprématie des conciles généraux et accordait à Frédéric III le droit de faire certaines nominations ecclésiastiques.

D'autre part, le concile de Bâle, maintenant ses prérogatives, avait élu pape Amédée, duc de Savoie (1439) ; mais, après avoir traîné une longue existence sans éclat, qui devait le faire traiter de "conventicules" par un concile ultérieur, il finit par reconnaître Nicolas V, successeur d'Eugène IV (mort en 1447), et il se sépara (25 avril 1449). Le pontife qu'il avait nommé fit sa soumission. « Les papes », dit Auguste Sabatier dans son très beau livre sur Les Religions d'autorité, « sans se dire explicitement infaillibles, auront désormais pour politique de se conduire en tout comme s'ils l'étaient » (1). 236). En attendant la démonstration était faite, éblouissante et triste. Malgré le zèle de ses meilleurs fils, l'Eglise se révélait impuissante à se réformer, jugulée par la papauté qu'elle s'obstinait à garder à sa tête. Ce grand vaisseau fait pour le large, rivé à la gondole pontificale, resta enlisé, comme dans une lagune, au sein de sa coupable routine. Pour faire revivre le christianisme évangélique, il n'y avait plus d'autre espoir que dans une Réformation indépendante de Rome, assez religieuse et assez hardie pour gréer un vaisseau neuf, propre à conduire les âmes au Christ (18).




Le Concile de Ferrare (19), transféré par Eugène IV à Florence (1439), puis à Rome (1442), est resté célèbre par ses délibérations sur l'union des Églises Grecque et Latine.

Le Schisme de 1053, aggravé par la conquête de Constantinople en 1204, n'avait pas empêché des efforts réciproques de rapprochement. Un accord avait été conclu par le IIe concile de Lyon (1274) avec une députation grecque, mais l'Eglise d'Orient l'avait rejeté. En 1369, l'empereur Jean visita Rome et répudia le Schisme, mais Constantinople ne l'approuva pas. En 1418, on vit à Constance des envoyés de Manuel Paléologue. Quatre ans plus tard, Martin V délégua le franciscain Antoine Massanus, avec un projet d'union en neuf articles. Les Grecs répondirent à cette avance en venant à Ferrare (1438). Leur délégation comprenait sept cents membres, dont l'empereur Jean VII Paléologue, fils de Manuel, le patriarche de Constantinople, les archevêques Bessarion de Nicée, Isidore de Kiev et Marc Eugène d'Éphèse. Du côté des Latins, on voyait Turrecremata et les cardinaux Cesarini et Albergati.

On commença par des questions d'étiquette. On donna aux Grecs des sièges aussi honorables qu'aux Latins, et Eugène IV promit de payer les frais de séjour de ses besogneux visiteurs, toujours prêts à accepter des aumônes. La première session commune eut lieu le 8 octobre 1438. Après de longs discours de Bessarion et d'un de ses collègues, une commission de dix Grecs et de dix Latins fut chargée de préciser les questions qui divisaient les deux Églises.

On en retint quatre : le mode de procession du Saint-Esprit, le purgatoire, l'eucharistie, la primauté de l'évêque de Rome. Les Grecs se montrèrent conciliants. Ils acceptèrent de penser que le Saint-Esprit procédait non seulement du Père, mais du Fils (filioque), en spécifiant que, pour eux, il s'agissait non pas de deux sources différentes, mais d'une seule, le Père étroitement uni au Fils (Tanquam ab uno Principio et Causà), en d'autres termes, « hors du Père à travers le Fils » au lieu de « hors du Père et du Fils ». Ils admirent la purification des âmes dans le purgatoire, mais en excluant toute idée de feu matériel. Ils consentirent à substituer à la doctrine, contenue dans leur liturgie, de la transformation du pain en corps de Christ opérée par l'Esprit, l'affirmation que c'est à la parole du prêtre que ce changement s'accomplit. Ils reconnurent « la primauté du pape sur le monde entier » avec cette clause : « selon qu'elle est définie par les actes des conciles oecuméniques et par les sacrés canons ». Ces articles furent réunis en un décret dithyrambique (manuscrit conservé dans la bibliothèque de Laurent à Florence). En voici le début : « Que les cieux se réjouissent et que la terre bondisse d'allégresse ! (Laetentur coeli et exsultet terra !) » Il fut signé dans cette ville le 5 juillet 1439 par cent quinze Latins et trente-trois Grecs. Il fut lu le lendemain dans la cathédrale, le texte grec par Bessarion et le texte latin par Cesarini, en présence d'Eugène IV qui célébra la messe. Il manifesta sa joie en promettant un appui militaire pour la défense de Constantinople.

À la grande stupeur du monde latin, toutes ces négociations et toutes ces dépenses furent stériles et tournées en dérision. L'Eglise d'Orient repoussa ces articles. Isidore de Kiev fut saisi et enfermé dans un couvent d'où il s'échappa pour gagner Rome, où le pape lui donna, ainsi qu'à Bessarion, le chapeau de cardinal. En 1443, les patriarches de Jérusalem, d'Antioche et d'Alexandrie osèrent rédiger une lettre qui traitait le concile de Florence de synode de brigands. L'union du Saint-Siège avec les Arméniens et d'autres groupes orientaux, fortement espérée, finit par échouer. Seuls les Nestoriens de l'île de Chypre, et, en 1516, les Maronites se rattachèrent à l'Eglise d'Occident.

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(1) Nieheim (mort en 1417), secrétaire papal (notarius sacri Palatii), témoin oculaire, De Schismate inter Papas et Antipapas (publié à Bâle en 1566 ; éd. Erler, Leipzig 1890) ; Maimbourg (jésuite), Rist. du grand Schisme d'Occ., Paris 1678 ; Héfelé, Conciles, T. VI et VII ; Gregorovius, Rome, T. VI, p. 494-611 ; L. Gayet, Le grand Sch. d'Occ., deux vol., Florence et Berlin, 1889-1890 ; F. Rocquain, La Cour de Rome et l'Esprit de Réforme avant Luther, trois vol., Paris 1893-1897 ; N. Valois, La France et le grand Sch. d'Occ., quatre vol., Paris 1896-1902, et La Crise religieuse du XVe siècle, le Pape et le Concile, deux vol., Paris 1909 ; P. Imbart de la Tour, Les Origines de la Réforme, trois vol., Paris 1905-1914 (cf. T. II, L. I, ch. 11) ; L. Salembier, Le grand Schisme d'Occ., Paris, 5e éd., 1920 ; Pastor, ouvrage cité ; Jean Guiraud, L'État pontifical après le grand Schisme, Paris 1896.
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(2) Voici cette double série. À Rome : Urbain VI, 1378-1389 ; Boniface IX, 1389-1404 ; Innocent VII, 1404-1406, Grégoire XII, 1406-1415 (déposé à Pise en 1409, démissionnaire à Constance en 1415, mort en 1417). À Avignon : Clément VII, 1378-1394 ; Benoît XIII, 1394-1409 (déposé à Pise en 1409, puis à Constance en 1417, mort en 1424).
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(3) Janssen, Papst Bonifatius IX, Fribourg 1904.
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(4) L'Enfant (huguenot réfugié à Berlin), Histoire du Concile de Pise, Amsterdam 1724.
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(5) Les Gallicans (Gerson, Bossuet) l'ont tenu pour valable.
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(6) Il s'inspirait de deux traités de Gerson, le De Unitate ecclesiastica et le De auferibilitate Papae ab Ecclesià (Droit de l'Eglise d'écarter un pape). D'après ce dernier ouvrage, l'Eglise n'a qu'un époux, le Christ, et son mariage spirituel avec le pontife romain n'est pas un sacrement et peut être dissous. Le concile général, qui relève du Christ, peut déposer un pape en vertu du pouvoir des clefs qui a été donné non pas à un seul apôtre mais à tous.
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(7) Voici la liste des papes issus du concile de Pise : Alexandre V (1409-1410), Jean XXIII (1410-1415), Martin V (1417-1431), reconnu par toute l'Eglise latine.
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(8) Nieheim, De Vità Johannis XXIII usque ad fugam et carcerem ejus et Invectiva in diffugientem Johannem XXIII.
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(9) Hardt. bibliothécaire allemand, Magnum cum Constantiense Concilium, six vol. Francfort et Leipzig 1696-1700 (on y trouve les deux ouvrages de Nieheim sur Jean XXIII, des traités de Nicolas de Clémanges, etc.) ; Ulrich von Richental, chroniqueur, témoin oculaire, das Concilium, éd, Buck, Tubingue 1882 ; Finke, Forschungen Quellen Zur Gesch. des Konst. Konzils, 1889, et Constanliensis, Munster, 1906.
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(10) Workman, Letters of Huss, p. 63. D'après le témoin Richental, sept cents femmes perdues étaient à la disposition des membres de l'assemblée.
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(11) Auteur d'un vigoureux traité sur la réforme de l'Eglise.
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(12) D'après un ms. découvert à Vienne par Finke, il avait offert de se retirer si on lui octroyait 30.000 guldens
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(13) Histoire ecclésiastique, Nîmes 1779, T. XIV.
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(14) Jean de Ségovie, cardinal espagnol, membre important du concile de Bâle, Hist. general. Basil. Concil. (éd. nouvelle, Vienne 1873) ; Concilium Basiliense, procès-verbaux publiés par Haller et Herre, sept vol. Bâle 1896-1910 ; Piccolomini, Commentarii de gestis concil. Basil. 1440, éd. Fea, Borne 1823. Historia Frederici III (tract. Ilgen, deux vol. Leipzig), et ses lettres, Briefweehsel, éd. Wolkan, quatre vol., Vienne 1909-1918 ; Abert, Eugenius Ill, Mayence 1884 ; Vansteenberghe, Le cardinal Nicolas de Cues, Paris 1920. 
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(15) Boulting, Aeneas Silvius, Londres 1908.
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(16) Mansi : Concilia, T. XXIX, p. 180.
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(17) Noël Valois. Hist. de la Pragm. Sanction... Paris 1906.
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(18) On voit toute la fausseté de la thèse soutenue par quelques historiens catholiques récents (Janssen, Denifle, Pastor, Gasquet, Imbart de la Tour, etc.), qui ont nié la nécessité de la Réformation du XVIe siècle.
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(19) Héfélé, Conciles, T. VII ; Pleyel, Die Politik Nikolaus V, Stuttgart, 1927.
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