Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE II

Les Papes d'Avignon

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 (1) Après le court pontificat du successeur de Boniface VIII, Benoît XI, dominicain digne et conciliant, qui mit fin au conflit avec Philippe le Bel, le conclave, réuni à Pérouse, ne put s'accorder sur un nom qu'au bout de onze mois. Le parti français l'emporta par l'élection de Bertrand de Got, archevêque de Bordeaux (1305). Le nouveau pape, Clément V, après avoir tenu sa cour à Bordeaux, puis à Poitiers et à Toulouse, finit par se fixer, en 1309, en Avignon, tout près du Comtat Venaissin dont la papauté avait hérité en 1229 de Raymond, comte de Toulouse. Alors commença le séjour appelé Captivité de Babylone qui dura près de soixante-dix ans (1309-1376). On compta dans cette période sept papes, tous Français, dont les cardinaux furent, en grande majorité, de leur nationalité.

Ce séjour fut une « catastrophe », dit l'historien catholique Pastor. Les papes d'Avignon embellirent la ville, mais ils la dépravèrent non sans déconsidérer leurs fonctions. Simonie, népotisme et corruption, opérations financières oppressives et indulgences pullulèrent au point d'inspirer à un papiste convaincu, Alvarus Pelagius, l'écrit intitulé Les Lamentations de I'Eglise (De Planctu Ecclesiae), et à Pétrarque des satires qualifiant Avignon de « troisième Babylone » et d' « enfer sur la terre » (2). De plus, pendant cet exil, l'Italie tomba en décadence. Dans le nord, elle fut livrée aux factions et à l'anarchie. Rome, déchirée par les dissensions des Caetani, des Colonna et des Orsini, se vida au point de ne plus compter, en 1370, que vingt mille habitants. Ses églises perdaient leurs toits. Les immondices empestaient les rues. Le mouvement artistique suscité par Giotto s'était arrêté...




Clément V fut couronné à Lyon, en présence de Philippe le Bel. Pendant la procession, la chute d'un vieux mur précipita le pape de son palefroi et fit rouler sa tiare dans la poussière. Plus pénible encore que cet accident fut la sujétion du pontife au roi. Soumis à ses volontés, il lui donna l'absolution, reconnut son indépendance temporelle, rétablit les deux Colonna dans leur dignité de cardinaux et déclara innocent le principal auteur de l'attentat d'Anagni, Guillaume de Nogaret. Mais la condamnation de Boniface VIII, réclamée par Philippe le Bel, ne put être obtenue. Le procès, retardé sans cesse par Clément V, ne commença qu'en 1310. Accusé d'hérésie par de nombreux témoins, le pape défunt fut déclaré non coupable par le concile oecuménique de Vienne (1311).

Le roi de France fut plus heureux dans l'affaire des Templiers. Ce détrousseur des banquiers lombards et des Juifs de France convoitait les biens de ces opulents chevaliers, et, selon l'expression d'un historien, « pour avoir le miel, il brûla les abeilles ». Devant la résistance de Clément V, il fit arrêter tous les membres de l'Ordre, y compris le grand-maître Jacques de Molay (13 octobre 1307). Le pape, cédant à ses instances, finit par ordonner une persécution générale des Templiers (1308). Légistes et inquisiteurs dominicains émirent cent vingt-sept accusations. Ils leur reprochaient d'être hérétiques, de cracher sur la croix, de renier le Christ pour adorer l'idole Bafomet, de converser avec les démons, de se livrer à des pratiques immorales.

À Paris, trente-six de ces infortunés succombèrent aux tortures et cinquante-huit furent brûlés (1310). Le concile de Vienne (octobre 1311) - le XVe oecuménique - décréta un nouveau procès qui permît aux Templiers de se justifier (3), mais l'odieux Philippe le Bel y vint en personne avec un grand cortège, et le pape effrayé et affligé prononça l'abolition de l'Ordre (22 mars 1312). Jacques de Molay, dont le cas fut examiné de nouveau deux ans après, fut brûlé le 18 mars 1314, avant la fin de l'enquête. Il assigna, dit-on, le roi et le pape devant le tribunal de Dieu dans le courant de l'année. En fait, Clément V mourut le 20 avril, inconsolable d'avoir trempé dans ce crime, et Philippe le Bel périt six mois plus tard au cours d'une chasse. Les biens des Templiers furent confisqués. Leur maison à Paris, le Temple, devint une résidence royale, d'où Louis XVI devait aller à l'échafaud (4).

Clément V eut d'autres complaisances pour Philippe le Bel : il lui consentit une dîme ecclésiastique pour cinq ans et il créa vingt-trois cardinaux français. Il prêcha une croisade contre Venise qui s'était emparée de Ferrare, propriété du Saint-Siège. On lui reproche aussi, à bon droit, son népotisme et ses prodigalités. Il offrit le chapeau rouge à cinq de ses parents, dont trois en pleine jeunesse, et vida le trésor papal laissé par Boniface VIII. Le scandale fut si grand que son successeur fut amené à faire un long procès a quelques-uns de ses parents et à mettre en prison le vicomte de Lomagne, sinistre débauché, jusqu'à ce qu'il eût restitué les trois cent mille florins que son oncle, Clément V, lui avait remis.

Ce pape a été traité par Villani de « licencieux, cupide et simoniaque » (Chronique, IX, 59). Il se compromit par son intimité avec la belle comtesse de Foix. Par contre, il faut noter l'essor qu'il imprima aux missions en Afrique, dans l'Inde et jusqu'en Chine où il créa en 1306, l'évêché de Khambalik (Pékin) chez les Mongols. Il y nomma deux ans plus tard le franciscain Jean de Monte Corvino, grand évangéliste itinérant. Jean XXII devait favoriser ces missions et créer en Perse l'archevêché de Sultanieh.

À sa mort, il y eut un interrègne de vingt-sept mois. Le cardinal-archevêque de Porto finit par être élu (5) sous le nom de Jean XXII (7 août 1316 - 4 décembre 1334). Fils d'un cordonnier de Cahors, il était petit, maigre et laid, avec une voix perçante, agité, prompt à écrire (6), théologien prétentieux, mais ignorant (au dire d'Ockam).

Signalons d'abord son intervention dans le conflit franciscain. On s'en souvient (L. II, ch. VI), Jean de Murro, général de l'Ordre, avait brûlé les écrits de Pierre Olivi, qui repoussait l' « usage modéré » des biens, et jeté ses partisans en prison. Le concile de Vienne (1311), qui examina ce cas, s'abstint de condamner Olivi, et même Clément V donna raison aux « Spirituels », en 1313, en n'accordant à l'Ordre que l' « usage étroit » (arctus on pauper), et il leur fit rendre leurs couvents. Mais Jean XXII, qui avait d'énormes richesses (7), les combattît dans sa bulle Sancta romana et universalis Ecclesia (30 décembre 1317). Michel de Cesena, général franciscain, prit leur défense. Il y eut quelques martyrs brûlés à Marseille.

La controverse roula sur ce point : Le Christ et les apôtres ont-ils pratiqué la pauvreté absolue ? - Oui, répondaient Michel de Cesena, Ockam et d'autres. - Non, répliquait le pape, qui alléguait les présents des mages et la bourse commune tenue par Judas. Il trancha la question en taxant d'hérésie l'opinion contraire (1323). Il alla même jusqu'à concéder le droit de possession réelle. Les trois chefs des « Spirituels », Cesena, Ockam et Bonagratia, furent mis en prison, et ils n'en sortirent que cinq ans après, pour fuir auprès du roi Louis de Bavière. Ils furent déposés, et les deux premiers finirent par faire leur soumission (8).

Jean XXII entreprit de recommencer la lutte contre l'empire. Après la mort d'Henri VII, de Luxembourg, empereur d'Allemagne, Louis de Bavière, nommé par cinq électeurs (sur Sept), se vit reprocher par le pape d'avoir négligé de lui demander la confirmation de ce choix. Excommunié, le souverain déclara, à la diète de Nuremberg (1323), l'empire indépendant de la papauté, et il accusa son adversaire d'hérésie pour avoir condamné les « Spirituels ». Il marcha sur Rome, et se fit couronner empereur devant Saint-Pierre, en janvier 1327, par Sciarra Colonna, représentant du peuple. Jean XXII fut déposé et brûlé en effigie, et Jean de Corbara, « spirituel », élu antipape. Louis de Bavière le couronna et l'évêque de Venise lui donna « l'onction » (12 mai 1328), mais, trois mois après, la populace chassait leur protégé à coups de pierres. L'empereur lui-même dut se retirer, et, un peu plus tard, l'antipape, la corde au cou, se soumit au pape légitime (1330). Ce dernier lança contre Louis de Bavière, en 1334, une bulle d'une rare violence. La guerre continue sous ses deux successeurs. Sous Benoît XII, la fameuse « Constitution de Rense » (près de Mayence), votée par les princes d'Allemagne et sanctionnée par la diète de Francfort (1338), déclara fièrement que l'empereur ne dépendait que de ses électeurs, mais plus tard, se sentant peu soutenu, Louis s'efforça vainement d'apitoyer Clément VI et il finit par proposer sa soumission (1343). Une bulle suprême (1346), atroce malédiction qui appelait sur sa tête la foudre, la cécité et la perte de ses enfants, exigea son remplacement (9). On nomma Charles IV, fils de Jean de Luxembourg, électeur de Bohême (10), et, l'année suivante, l'empereur déposé mourut.

Jean XXII se distingua par ses aptitudes financières. Originaire de Cahors, ville de banquiers et d'agents de change, il fit de la cour d'Avignon une vaste maison de commerce aux marchandises bien étiquetées. Il légalisa la simonie que Grégoire VII avait magnifiquement combattue. Fort de sa prétention impudente que le pape, seigneur de la terre, est le maître absolu de sa maison, c'est-à-dire de l'Eglise, encouragé d'ailleurs par les abus de certains de ses prédécesseurs (11), il se réserva le droit de nommer les hauts dignitaires sans bien vérifier leurs aptitudes (12). Il étendit aussi sa main rapace sur toutes les nominations et sur les biens ecclésiastiques.

Dans deux bulles célèbres (1316 et 1331), il fixa le règlement financier (13). Il créa des registres (14), tenus par des secrétaires, pour y marquer tous les paiements. Tout était taxé (15), et les redevances étaient plus lourdes que jamais. D'après Kirsch, la confirmation des hauts prélats leur coûtait parfois un tiers de leur revenu (16), celle du petit clergé le frustrait de la moitié. Il y eut aussi des taxes nouvelles, pour secourir la Terre Sainte ou pour reconquérir les États de l'Eglise. Tout cet argent allait au trésor papal (17), au collège des cardinaux, et, en quantité moindre (c'étaient les servitia minuta), au vaste troupeau des employés ecclésiastiques : officiers subalternes appelés « familiers » et plus tard « secrétaires » du pape ou du sacré Collège, « notaires » (copistes), portiers, etc., nuée d'intermédiaires dont la voracité soulevait les protestations, car ils éconduisaient les visiteurs du pape qui n'étaient pas bien munis d'argent. Cette masse de revenus, d'ailleurs, était insuffisante, et l'on vit des papes emprunter aux cardinaux, aux princes et aux banquiers !

Ces scandaleuses exigences rendirent impopulaire la papauté d'Avignon. À ces plaintes s'ajouta le mécontentement des Italiens et des Allemands, qui voyaient Jean XXII embellir la nouvelle ville pontificale et élever à la pourpre une majorité de Français. Disons enfin qu'une opinion exprimée par lui dans un sermon prêché le Jour des Morts (1331), où il les disait privés de contempler Dieu avant la Résurrection générale, lui fit beaucoup de tort. Ces vues, déclarées hérétiques par Ockam et Cesena, furent condamnées au concile de Vincennes, convoqué par Philippe VI de Valois, et la rétractation du pape au concile d'Avignon (décembre 1333) ne releva pas son autorité (18).

Un centre de protestation s'établit à la cour de Louis de Bavière, où des polémistes plus hardis que Dante s'en prirent à l'autorité spirituelle du Saint-Siège. Les premiers coups furent portés par Ockam, tout frémissant encore de sa longue captivité. De sa main lourde mais experte partirent deux traits, c'est-à-dire deux traités, l'énorme Dialogue et les Huit questions (19). En voici les thèses principales. La papauté n'est pas indispensable à l'Eglise ; le pontife, loin d'être infaillible, peut être hérétique comme Pierre qui a judaïsé ou Libère qui était arien ; un concile général peut aussi se tromper ; ce n'est ni au pape ni à la hiérarchie que le Christ a confié le trésor de la foi, mais à l'Eglise (congregatio fidelium) qui ne s'identifie pas avec l'Eglise romaine ; la plus haute autorité religieuse est l'Écriture. Quant aux empereurs, ils tiennent leur puissance de leur élection et non d'ailleurs.

Plus hardie encore fut la polémique de Marsile de Padoue (20), recteur de l'université de cette ville et, depuis 1326, médecin de Louis de Bavière. Son Defensor pacis (le Défenseur de la paix) est un traité magistral (21), dont Gerson admirait la solidité, la profondeur et l'érudition, et d'une franchise qui annonçait celle de Luther (22). Ajoutons, avec Döllinger, qu'on peut y voir « une ébauche du système calviniste sur le pouvoir et la constitution de l'Eglise » (23). Pour Marsile de Padoue, la paix est souvent troublée par l'ambition papale, et pour assurer l'une, il faut réprimer l'autre. Le pouvoir temporel du Saint-Siège, qui est en désaccord avec les Écritures (Matth., 22, 21, est la source de terribles maux.

Les prêtres, comme les autres hommes, dépendent de la puissance civile, qui tient ses droits du peuple. Quant au pouvoir spirituel du pape, il est usurpé, l'obéissance à ses décrets n'est pas nécessaire au salut, il n'a pas de prééminence essentielle (24), pas plus que Pierre, qui était évêque d'Antioche et non de Rome où sa présence n'est pas prouvée. Ce qui le met en vue, c'est simplement sa situation d'évêque de la vieille capitale de l'empire. Comme le remarquait déjà saint Bernard, il n'a besoin ni de pompe ni de richesse, et il doit imiter le renoncement du Maître. Le pouvoir sacerdotal est également usurpé. La fonction de lier et de délier ne doit être que la déclaration du jugement de Dieu, le seul juge ; l'exercice de la discipline appartient à la Congrégation des fidèles, comme le Christ l'a enseigné (Matth., 18, 17). Les conciles généraux, représentants suprêmes de la chrétienté, devraient compter des laïques. Le prêtre peut dénoncer l'hérésie, mais c'est le pouvoir civil qui a la charge de la réprimer, dans la mesure où elle nuit à la société. Dans l'Eglise, la source de l'autorité est l'Écriture. En cas de désaccord sur le sens d'un texte, le droit d'interprétation appartient à l'assemblée des fidèles (communi concilio fidelium).

La réplique à ces vérités à la fois audacieuses et incontestables ne se fit pas attendre. Jean XXII, en 1327, et l'université de Paris les condamnèrent. L'Italien Augustinus Triumphus, dans sa Somme sur le Pouvoir ecclésiastique, prit la défense du pape en célébrant sa puissance illimitée. Mêmes extravagances dans les Lamentations de l'Eglise du franciscain espagnol Alvarus Pelagius, professeur de droit à Pérouse, puis évêque en Portugal. S'il y parle avec amertume de la bureaucratie d'Avignon absorbée par le maniement des florins, il encense le pape, image du Christ, source du salut et maître du monde (25).




Le successeur de Jean XXII releva le prestige de la papauté. Benoît XII (1334-1342), originaire du diocèse de Toulouse, savant et consciencieux, réduisit la pompe de sa cour (26). Sollicité d'enrichir sa famille, il répondit que le vicaire de Jésus-Christ est, comme Melchisédek, sans généalogie. Il commença la construction du Palais des papes à Avignon, véritable forteresse (27). Tout autre fut Clément VI (1342-1352), ancien archevêque de Rouen, issu de la noblesse française (28). Il mena une vie fastueuse et dissipée, comme Pastor le constate avec tristesse (T. I, p. 76), et il éleva douze de ses parents au cardinalat. Invité par une délégation qui comptait Pétrarque à ramener la papauté à Rome, il refusa. Il fit d'Avignon la propriété des papes en l'achetant à Jeanne de Naples. Signalons, sous son pontificat, avec la défaite accablante de Louis de Bavière déjà racontée, la grandeur et la décadence du tribun Cola (Nicolas) di Rienzo. Ce visionnaire éloquent, qui rêvait d'une Italie libre et unie, réussit à enflammer les Romains. Élu seigneur de leur ville (1347), il prit le titre de tribun et appela les cités de la péninsule à secouer le joug de leurs tyrans. Au bout de sept mois, il fut abandonné par la foule et excommunié par le pape. Il périt en 1354 dans un soulèvement populaire. Le pontificat de Clément VI fut troublé par la Peste noire (29), qui en 1348-1349 ravagea l'Europe. Cette fièvre affreuse et contagieuse, avec respiration fétide et vomissements de sang, qui tuait en un jour ou deux, fit d'innombrables victimes. À Marseille, on en compta 57.000 en un mois. L'Angleterre perdit deux millions et demi d'habitants. La chrétienté trouva un peu de réconfort dans les grandes fêtes du Jubilé de 1350, bien que, au dire de Pétrarque, l'état de Rome, après ce fléau inouï et avec l'absence du pape, fût si triste qu'un coeur de pierre en eût été ému.

Innocent VI (1352-1362), originaire du Limousin, continuant l'oeuvre de Benoît XII, réduisit le faste de la cour d'Avignon. Il institua le tribunal de la Rota, avec vingt et un « auditeurs » chargés de juger les procès soumis à la juridiction papale. Sous son règne se distingua le cardinal Albernoz, nommé administrateur de Rome. Ce grand homme d'État, admiré par Gregorovius, rétablit l'autorité pontificale sur les petites principautés anarchiques qui constituaient alors les États de l'Eglise. Il faut noter, par contre, la Bulle d'or par laquelle l'empereur Charles IV régla les élections impériales. Il les réservait à sept électeurs sans même nommer le souverain pontife.

Guillaume de Grimoard, abbé du couvent de Saint-Victor à Marseille, devenu pape sous le nom respecté d'Urbain V (1362-1370), fut le premier pontife d'Avignon qui visita Rome (30). Sur l'invitation pressante de Pétrarque, il partit le 30 avril 1367, et son voyage fut triomphal (31). Une flotte de soixante vaisseaux vint le prendre à Marseille. Il fit son entrée à Rome, le 16 octobre, sur un coursier blanc, escorté par deux mille ecclésiastiques. Il se prosterna devant le tombeau de saint Pierre, et prit domicile au Vatican. Il en fit restaurer les bâtiments et les jardins, et ordonna aussi la réparation du Latran et de Saint-Paul. Rome reçut alors des visiteurs illustres : Jeanne, reine de Naples, l'empereur Charles IV et Jean V Paléologue venu pour réclamer assistance contre les Turcs. En 1370, Urbain V, se sentant inquiet à Rome, repartit pour Avignon malgré les objurgations de sainte Brigitte, la prophétesse du Nord, en laissant aux habitants de la ville une lettre émue. Il mourut le 19 décembre, aimé de tous et déjà honoré comme un saint.

Grégoire XI (1370-1378), très Français de coeur puisqu'il donna le chapeau de cardinal à dix-huit de ses compatriotes, fut contraint de ramener la papauté à Rome, où la menace d'élire un antipape, faisant écho aux grondements de la révolte en Italie, rendait sa présence nécessaire (32). À Florence, on déployait un drapeau rouge où était inscrit le mot « liberté », et cet esprit révolutionnaire, hostile au pouvoir temporel, gagnait plusieurs villes. Rome pourtant restait fidèle au Saint-Siège. À ces menaces s'ajoutaient les exhortations impérieuses de deux prophétesses au franc-parler et au coeur fervent, qui devaient être canonisées. Brigitte de Suède, venue au Jubilé de 1350 après la mort de son mari, s'était adonnée aux dévotions et avait même eu des révélations.

Quand Urbain V s'était décidé à regagner Avignon, elle lui avait prédit sa mort prochaine. Elle écrivit à Grégoire XI en termes pressants et même irrespectueux. Elle ne craignait pas de dire que le pape « est pire que Lucifer, plus injuste que Pilate, plus cruel que Judas », et de flétrir la curie, « gouffre très profond d'une horrible simonie ». Elle mourut sans avoir eu la joie, refusée aussi à Pétrarque, de voir la papauté revenue à sa résidence tant de fois séculaire. De son côté, Catherine de Sienne, la prophétesse extraordinaire dont nous parlerons plus loin, écrivit lettre sur lettre à Grégoire XI, l'appelant « doux Christ sur terre » et le sommant de sauver la chrétienté en retournant à Rome. » Revenez vivement, lui disait-elle, comme un doux agneau. » En 1376, elle le vit à Avignon et acheva de de décider, et c'est à bon droit que, dans le monument qui lui fut élevé à Rome deux siècles plus tard, elle est représentée marchant à côté de lui.

Malgré la résistance des cardinaux français et du roi Charles V, Grégoire XI partit le 13 septembre, mais, par suite d'une tempête au large de Marseille, il ne put faire son entrée à Rome que le 17 janvier suivant. Il s'établit au Vatican, devenu depuis lors la résidence papale. Son autorité fut reconnue peu à peu, et il mourut en 1378, respecté pour sa courtoisie et sa piété.

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(1) Clementis V Regestum, éd. bénédictine, neuf vol., Rome 1885-1892 ; Giovanni et Matteo Villani, Chronica universalis, T. Vlll ss. ; E. Baluze, Vitae Paparum Avenoniensium, Paris 1693 (mis à l'Index), éd. Mollat, quatre vol., Paris 1914-1922 ; Pastor, professeur à Innshrück, Gesch. der Päpste seit dem Ausgang des M. A., dix vol., Fribourg en B., 1886-1926, trad. Furcy-Raynaud : Hist. des Papes depuis la fin du Moyen-Age, six vol. (jusqu'à la mort de Jules Ii), Paris 1888-1898 ; tract. nouvelle par Alfred Poizat, Plon, Paris ; Finke, Papstum und Untergang des Tempelordens, deux vol., 1907, G. Mollat, professeur à Strasbourg, Les Papes d'Avignon, Lecoffre, Paris 1924.
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(2) Robinson, Petrarch, New-York 1898, p. 87. 
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(3) Ce concile eut à s'occuper des Fraticelli (petits frères), Franciscains schismatiques, des Béguards et des Béguines. Il créa des chaires de langues orientales à Paris et ailleurs.
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(4) Leur innocence est reconnue par la plupart des historiens : Villani, Dante, et plus tard Guizot, Renan, Döllinger, Finke (ouvrage indiqué plus haut, T. I, p. 326 ss.). Cf. Lizerand, Le Dossier de l'Affaire des Templiers, Paris 1923. 
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(5) Lettres secrètes et curiales du pape Jean XXII relatives à la France, éd. Coulon, 1900 ss. ; Lettres communes de Jean XXII, éd, Mollat, trois vol., Paris 1904-1906 ; J. Guérard. Pontificat de Jean XXII, deux vol., Paris 1897-1903.
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(6) Il reste au Vatican 59 Volumes de ses bulles, etc.
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(7) A sa mort, sa fortune personnelle s'élevait, d'après Villani qui le tenait de son frère, banquier de la Curie. à dix-huit millions de florins d'or et à des joyaux estimés à sept millions de florins. Gregorovius l'appelle « le Midas d'Avignon ».
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(8) Les « Observants » retrouvèrent du crédit au XVe siècle, avec leurs prédicateurs Bernardin de Sienne et Jean de Capistrano. La lutte des deux partis franciscains devait se terminer en 1517, avec leur reconnaissance formelle par Léon X. Les « Modérés » eurent un « maître général » (magister generalis), et les « Stricts » un minister generalis totius ordinis Francisci, pourvu du droit de préséance.
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(9) Karl Muller, Der Kampf Ludwigs des Baiern.... deux vol., Tubingue 1879, T. II, p. 214.
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(10) Charles IV (1346-1378) fit de la Bohême une grande puissance Elle devint, par la Bulle d'or, le premier électorat de l'empire. Il l'agrandit par des acquisitions territoriales, et il fit de Prague une grande capitale avec une université célèbre (1348), Il obtint en 1376, pour son fils aîné Wenceslas, le titre de « roi des Romains ». Après lui, ce malheureux prince languit en prison, supplanté par un rival qui devait être remplacé par le second fils de Charles IV, Sigismond, élu empereur en 1411, que nous retrouverons au concile de Constance.
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(11) Sous Boniface VIII, sur seize sièges épiscopaux vacants en France de 1295 à 1301, une seule élection fut régulière.
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(12) Marsile de Padoue, qui dénonce ces « monstruosités », cite le cas d'un Français qui fut nommé archevêque de Lund, malgré son ignorance du danois, et revint au pays natal après avoir pillé son diocèse.
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(13) Tangl, Das Taxenwesen der papstlichen Kanzlei... Innsbrück 1892, p. 20 ss.
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(14) Ils figurent dans les Archives du Vatican, que Léon XIII a ouvertes aux chercheurs. Ils ont été utilisés par Tangl et surtout par Kirsch, professeur catholique à Fribourg (Suisse).
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(15) Kirsch, Die papstliche Kollektorien in Deutschland im XIVten lahrhundert, Paderborn 1894, et Die Finanzverwaltung des Kardinalkollegium im XHIten und XIV leu Iahrhundert, Munster 1896 ; Samarin et Mollat, La Fiscalité pontificale en France au XII" siècle, Paris 1905 ; Mollat, La Collation des Bénéfices ecclésiastiques sous les Papes d'Avignon, Paris 1921.
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(16) Le siège de Mayence était taxé 5.000 florins d'or.
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(17) Le revenu annuel du pape, sous Clément V et Jean XXII, a été évalué de 200.000 à 250.000 florins d'or.
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(18) Benoît XII devait condamner son hérésie.
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(19) Dialogus inter Magistrum et Discipulum et Octo quaestionum decisiones super potestate ac dignitate papali (publiés dans la Monarchia de Goldast, Hanovre 1610, T. II) 
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(20) Labanca, professeur à l'Université de Rome, Marsilio da Padova, Padoue 1882 ; Battaglia, Marsilio da Padova, Florence 1928.
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(21) Publié dans la Monarchia de Goldast (T. II). Cf. Emerton, The Defensor Pacis, Cambridge (Massachussets), 1920.
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(22) Il appelle Jean XXII « grand dragon et vieux serpent ».
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(23) Kirchengeschichte, 21 éd., 1843, T. II, p. 259.
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(24) Non plus sacerdotalis auctoritatis essentialis habel romanus episcopus quam alter sacerdos quilibet, sicut neque beatus Petrus amplius ex hac habuit ceteris apostolis (II, 14).
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(25) Voici quelques déclarations : Quod ei placet legis habet vigorem (I, 45), Ubicunque est papa, ibi est Ecclesia I, 31).
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(26) Lettres communes de Benoît XII, éd. Vidal, Paris 1905.
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(27) F. Digonnet, Le Palais des Papes en Avignon, Avignon 1907.
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(28) Lettres communes de Clément VI, éd. Deprez, Paris 1901.
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(29) Gasquet, The black Death, Londres 1908.
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(30) Lettres du pape Urbain V, éd. Lecacheux, Paris 1902 ; Albans, Actes anciens et Documents concernant le bienheureux Urbain V, éd. U. Chevalier, Paris 1897 (on y trouve les quatorze Vies de ce pape par divers auteurs anciens) ; Geo. Schmidt, Der histor. Werth der 14 alten Biographien des Urban V, Breslau 1907 ; E. de Lanouvelle, Urbain V, etc., Paris 1929.
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(31) Gregorovius en a fait le brillant récit (T. VI, p. 430 ss.).
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(32) Kirsch, Die Rückkehr der Päpste Urban V und Gregor XI..., Paderborn 1898, Léon Mirot, La Politique pontificale et le Retour du Saint-Siège à Rome.... Paris 1899.
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