(1) Après le court pontificat
du
successeur de Boniface VIII, Benoît XI, dominicain digne et
conciliant,
qui mit fin au conflit avec Philippe le Bel, le conclave, réuni à
Pérouse, ne put s'accorder sur un nom qu'au bout de onze mois. Le
parti
français l'emporta par l'élection de Bertrand de Got, archevêque de
Bordeaux (1305). Le nouveau pape, Clément V, après avoir tenu sa cour
à
Bordeaux, puis à Poitiers et à Toulouse, finit par se fixer, en 1309,
en Avignon, tout près du Comtat Venaissin dont la papauté avait hérité
en 1229 de Raymond, comte de Toulouse. Alors commença le séjour appelé
Captivité de Babylone qui dura près de soixante-dix ans (1309-1376).
On
compta dans cette période sept papes, tous Français, dont les
cardinaux
furent, en grande majorité, de leur nationalité.
Ce séjour fut une
« catastrophe », dit l'historien catholique Pastor.
Les papes d'Avignon embellirent la ville, mais ils la dépravèrent non
sans déconsidérer leurs fonctions. Simonie, népotisme et corruption,
opérations financières oppressives et indulgences pullulèrent au point
d'inspirer à un papiste convaincu, Alvarus Pelagius, l'écrit intitulé
Les Lamentations de I'Eglise (De Planctu Ecclesiae), et à Pétrarque
des
satires qualifiant Avignon de « troisième Babylone »
et d' « enfer sur la terre » (2).
De plus, pendant cet exil, l'Italie
tomba en décadence. Dans le nord, elle fut livrée aux factions et à
l'anarchie. Rome, déchirée par les dissensions des Caetani, des
Colonna
et des Orsini, se vida au point de ne plus compter, en 1370, que vingt
mille habitants. Ses églises perdaient leurs toits. Les immondices
empestaient les rues. Le mouvement artistique suscité par Giotto
s'était arrêté...
Clément V fut couronné à Lyon, en présence de
Philippe le Bel. Pendant la procession, la chute d'un vieux mur
précipita le pape de son palefroi et fit rouler sa tiare dans la
poussière. Plus pénible encore que cet accident fut la sujétion du
pontife au roi. Soumis à ses volontés, il lui donna l'absolution,
reconnut son indépendance temporelle, rétablit les deux Colonna dans
leur dignité de cardinaux et déclara innocent le principal auteur de
l'attentat d'Anagni, Guillaume de Nogaret. Mais la condamnation de
Boniface VIII, réclamée par Philippe le Bel, ne put être obtenue. Le
procès, retardé sans cesse par Clément V, ne commença qu'en 1310.
Accusé d'hérésie par de nombreux témoins, le pape défunt fut déclaré
non coupable par le concile oecuménique de Vienne (1311).
Le roi de France fut plus heureux
dans l'affaire des Templiers. Ce détrousseur des banquiers lombards et
des Juifs de France convoitait les biens de ces opulents chevaliers,
et, selon l'expression d'un historien, « pour avoir le miel,
il brûla les abeilles ». Devant la résistance de Clément V, il
fit arrêter tous les membres de l'Ordre, y compris le grand-maître
Jacques de Molay (13 octobre 1307). Le pape, cédant à ses instances,
finit par ordonner une persécution générale des Templiers (1308).
Légistes et inquisiteurs dominicains émirent cent vingt-sept
accusations. Ils leur reprochaient d'être hérétiques, de cracher sur
la
croix, de renier le Christ pour adorer l'idole Bafomet, de converser
avec les démons, de se livrer à des pratiques immorales.
À Paris, trente-six de ces
infortunés succombèrent aux tortures et cinquante-huit furent brûlés
(1310). Le concile de Vienne (octobre 1311) - le XVe oecuménique -
décréta un nouveau procès qui permît aux Templiers de se justifier (3),
mais
l'odieux Philippe le Bel y vint en personne avec un grand cortège,
et le pape effrayé et affligé prononça l'abolition de l'Ordre (22 mars
1312). Jacques de Molay, dont le cas fut examiné de nouveau deux ans
après, fut brûlé le 18 mars 1314, avant la fin de l'enquête. Il
assigna, dit-on, le roi et le pape devant le tribunal de Dieu dans le
courant de l'année. En fait, Clément V mourut le 20 avril,
inconsolable
d'avoir trempé dans ce crime, et Philippe le Bel périt six mois plus
tard au cours d'une chasse. Les biens des Templiers furent confisqués.
Leur maison à Paris, le Temple, devint une résidence royale, d'où
Louis
XVI devait aller à l'échafaud (4).
Clément V eut d'autres complaisances
pour Philippe le Bel : il lui consentit une dîme
ecclésiastique pour cinq ans et il créa vingt-trois cardinaux
français.
Il prêcha une croisade contre Venise qui s'était emparée de Ferrare,
propriété du Saint-Siège. On lui reproche aussi, à bon droit, son
népotisme et ses prodigalités. Il offrit le chapeau rouge à cinq de
ses
parents, dont trois en pleine jeunesse, et vida le trésor papal laissé
par Boniface VIII. Le scandale fut si grand que son successeur fut
amené à faire un long procès a quelques-uns de ses parents et à mettre
en prison le vicomte de Lomagne, sinistre débauché, jusqu'à ce qu'il
eût restitué les trois cent mille florins que son oncle, Clément V,
lui
avait remis.
Ce pape a été traité par Villani de
« licencieux, cupide et simoniaque » (Chronique, IX,
59). Il se compromit par son intimité avec la belle comtesse de Foix.
Par contre, il faut noter l'essor qu'il imprima aux missions en
Afrique, dans l'Inde et jusqu'en Chine où il créa en 1306, l'évêché de
Khambalik (Pékin) chez les Mongols. Il y nomma deux ans plus tard le
franciscain Jean de Monte Corvino, grand évangéliste itinérant. Jean
XXII devait favoriser ces missions et créer en Perse l'archevêché de
Sultanieh.
À sa mort, il y eut un interrègne de
vingt-sept mois. Le cardinal-archevêque de Porto finit par être élu (5)
sous le nom de Jean XXII (7 août 1316 - 4 décembre 1334). Fils
d'un cordonnier de Cahors, il
était petit, maigre et laid, avec une voix perçante, agité, prompt à
écrire (6),
théologien prétentieux, mais ignorant (au dire d'Ockam).
Signalons d'abord son intervention
dans le conflit franciscain. On s'en souvient (L. II, ch. VI), Jean de
Murro, général de l'Ordre, avait brûlé les écrits de Pierre Olivi, qui
repoussait l' « usage modéré » des biens, et jeté ses
partisans en prison. Le concile de Vienne (1311), qui examina ce cas,
s'abstint de condamner Olivi, et même Clément V donna raison aux
« Spirituels », en 1313, en n'accordant à l'Ordre que
l' « usage étroit » (arctus on pauper), et il leur
fit rendre leurs couvents. Mais Jean XXII, qui avait d'énormes
richesses (7),
les combattît dans sa bulle Sancta romana et universalis Ecclesia (30
décembre 1317). Michel de Cesena, général franciscain, prit leur
défense. Il y eut quelques martyrs brûlés à Marseille.
La controverse roula sur ce
point : Le Christ et les apôtres ont-ils pratiqué la pauvreté
absolue ? - Oui, répondaient Michel de Cesena, Ockam et
d'autres. - Non, répliquait le pape, qui alléguait les présents des
mages et la bourse commune tenue par Judas. Il trancha la question en
taxant d'hérésie l'opinion contraire (1323). Il alla même jusqu'à
concéder le droit de possession réelle. Les trois chefs des
« Spirituels », Cesena, Ockam et Bonagratia, furent
mis en prison, et ils n'en sortirent que cinq ans après, pour fuir
auprès du roi Louis de Bavière. Ils furent déposés, et les deux
premiers finirent par faire leur soumission (8).
Jean XXII entreprit de recommencer
la lutte contre l'empire. Après la mort d'Henri VII, de Luxembourg,
empereur d'Allemagne, Louis de Bavière, nommé par cinq électeurs (sur
Sept), se vit reprocher par le pape d'avoir négligé de lui demander la
confirmation de ce choix. Excommunié, le souverain déclara, à la diète
de Nuremberg (1323), l'empire indépendant de la papauté, et il accusa
son adversaire d'hérésie pour avoir condamné les
« Spirituels ». Il marcha sur Rome, et se fit
couronner empereur devant Saint-Pierre, en janvier 1327, par Sciarra
Colonna, représentant du peuple. Jean XXII fut déposé et brûlé en
effigie, et Jean de Corbara, « spirituel », élu
antipape. Louis de Bavière le couronna et l'évêque de Venise lui donna
« l'onction » (12 mai 1328), mais, trois mois après,
la populace chassait leur protégé à coups de pierres. L'empereur
lui-même dut se retirer, et, un peu plus tard, l'antipape, la corde au
cou, se soumit au pape légitime (1330). Ce dernier lança contre Louis
de Bavière, en 1334, une bulle d'une rare violence. La guerre continue
sous ses deux successeurs. Sous Benoît XII, la fameuse
« Constitution de Rense » (près de Mayence), votée
par les princes d'Allemagne et sanctionnée par la diète de Francfort
(1338), déclara fièrement que l'empereur ne dépendait que de ses
électeurs, mais plus tard, se sentant peu soutenu, Louis s'efforça
vainement d'apitoyer Clément VI et il finit par proposer sa soumission
(1343). Une bulle suprême (1346), atroce malédiction qui appelait sur
sa tête la foudre, la cécité et la perte de ses enfants, exigea son
remplacement (9).
On nomma Charles IV, fils de
Jean de Luxembourg, électeur de Bohême (10),
et, l'année suivante, l'empereur
déposé mourut.
Jean XXII se distingua par ses
aptitudes financières. Originaire de Cahors, ville de banquiers et
d'agents de change, il fit de la cour d'Avignon une vaste maison de
commerce aux marchandises bien étiquetées. Il légalisa la simonie que
Grégoire VII avait magnifiquement combattue. Fort de sa prétention
impudente que le pape, seigneur de la terre, est le maître absolu de
sa
maison, c'est-à-dire de l'Eglise, encouragé d'ailleurs par les abus de
certains de ses prédécesseurs (11),
il se réserva le droit de nommer
les hauts dignitaires sans bien vérifier leurs aptitudes (12).
Il
étendit aussi sa main rapace sur toutes les nominations et sur les
biens ecclésiastiques.
Dans deux bulles célèbres (1316 et
1331), il fixa le règlement financier (13).
Il créa des registres (14), tenus
par des
secrétaires, pour y marquer tous les paiements. Tout était taxé (15),
et
les redevances étaient plus lourdes que jamais. D'après Kirsch, la
confirmation des hauts prélats leur coûtait parfois un tiers de leur
revenu (16),
celle du petit clergé le frustrait de la moitié. Il y eut aussi des
taxes nouvelles, pour secourir la Terre Sainte ou pour reconquérir les
États de l'Eglise. Tout cet argent allait au trésor papal (17),
au
collège des cardinaux, et, en quantité moindre (c'étaient les
servitia minuta), au vaste troupeau des employés
ecclésiastiques : officiers subalternes appelés
« familiers » et plus tard
« secrétaires » du pape ou du sacré Collège,
« notaires » (copistes), portiers, etc., nuée
d'intermédiaires dont la voracité soulevait les protestations, car ils
éconduisaient les visiteurs du pape qui n'étaient pas bien munis
d'argent. Cette masse de revenus, d'ailleurs, était insuffisante, et
l'on vit des papes emprunter aux cardinaux, aux princes et aux
banquiers !
Ces scandaleuses exigences rendirent
impopulaire la papauté d'Avignon. À ces plaintes s'ajouta le
mécontentement des Italiens et des Allemands, qui voyaient Jean XXII
embellir la nouvelle ville pontificale et élever à la pourpre une
majorité de Français. Disons enfin qu'une opinion exprimée par lui
dans
un sermon prêché le Jour des Morts (1331), où il les disait privés de
contempler Dieu avant la Résurrection générale, lui fit beaucoup de
tort. Ces vues, déclarées
hérétiques par Ockam et Cesena, furent condamnées au concile de
Vincennes, convoqué par Philippe VI de Valois, et la rétractation du
pape au concile d'Avignon (décembre 1333) ne releva pas son autorité (18).
Un centre de protestation s'établit
à la cour de Louis de Bavière, où des polémistes plus hardis que Dante
s'en prirent à l'autorité spirituelle du Saint-Siège. Les premiers
coups furent portés par Ockam, tout frémissant encore de sa longue
captivité. De sa main lourde mais experte partirent deux traits,
c'est-à-dire deux traités, l'énorme Dialogue et les Huit questions (19).
En
voici les thèses principales. La papauté n'est pas indispensable à
l'Eglise ; le pontife, loin d'être infaillible, peut être
hérétique comme Pierre qui a judaïsé ou Libère qui était
arien ; un concile général peut aussi se tromper ; ce
n'est ni au pape ni à la hiérarchie que le Christ a confié le trésor
de
la foi, mais à l'Eglise (congregatio fidelium) qui ne s'identifie pas
avec l'Eglise romaine ; la plus haute autorité religieuse est
l'Écriture. Quant aux empereurs, ils tiennent leur puissance de leur
élection et non d'ailleurs.
Plus hardie encore fut la polémique
de Marsile de Padoue (20),
recteur de l'université de cette
ville et, depuis 1326, médecin de Louis de Bavière. Son Defensor pacis
(le Défenseur de la paix) est un traité magistral
(21),
dont Gerson admirait la solidité, la profondeur et l'érudition, et
d'une franchise qui annonçait celle de Luther (22).
Ajoutons, avec Döllinger, qu'on
peut y voir « une ébauche du système calviniste sur le pouvoir
et la constitution de l'Eglise » (23).
Pour Marsile de Padoue, la paix
est souvent troublée par l'ambition papale, et pour assurer l'une, il
faut réprimer l'autre. Le pouvoir temporel du Saint-Siège, qui est en
désaccord avec les Écritures (Matth.,
22, 21, est la source de
terribles maux.
Les prêtres, comme les autres
hommes, dépendent de la puissance civile, qui tient ses droits du
peuple. Quant au pouvoir spirituel du pape, il est usurpé,
l'obéissance
à ses décrets n'est pas nécessaire au salut, il n'a pas de prééminence
essentielle (24),
pas plus que Pierre, qui était évêque d'Antioche et non de Rome où sa
présence n'est pas prouvée. Ce qui le met en vue, c'est simplement sa
situation d'évêque de la vieille capitale de l'empire. Comme le
remarquait déjà saint Bernard, il n'a besoin ni de pompe ni de
richesse, et il doit imiter le renoncement du Maître. Le pouvoir
sacerdotal est également usurpé. La fonction de lier et de délier ne
doit être que la déclaration du jugement de Dieu, le seul
juge ; l'exercice de la discipline appartient à la
Congrégation des fidèles, comme le Christ l'a enseigné (Matth.,
18, 17). Les conciles généraux,
représentants suprêmes de la chrétienté, devraient compter des
laïques.
Le prêtre peut dénoncer l'hérésie, mais c'est le pouvoir civil qui a
la charge de la
réprimer, dans la mesure où elle nuit à la société. Dans l'Eglise, la
source de l'autorité est l'Écriture. En cas de désaccord sur le sens
d'un texte, le droit d'interprétation appartient à l'assemblée des
fidèles (communi concilio fidelium).
La réplique à ces vérités à la fois
audacieuses et incontestables ne se fit pas attendre. Jean XXII, en
1327, et l'université de Paris les condamnèrent. L'Italien Augustinus
Triumphus, dans sa Somme sur le Pouvoir ecclésiastique, prit la
défense
du pape en célébrant sa puissance illimitée. Mêmes extravagances dans
les Lamentations de l'Eglise du franciscain espagnol Alvarus Pelagius,
professeur de droit à Pérouse, puis évêque en Portugal. S'il y parle
avec amertume de la bureaucratie d'Avignon absorbée par le maniement
des florins, il encense le pape, image du Christ, source du salut et
maître du monde (25).
Le successeur de Jean XXII releva le prestige de
la papauté. Benoît XII (1334-1342), originaire du diocèse de Toulouse,
savant et consciencieux, réduisit la pompe de sa cour (26).
Sollicité d'enrichir sa famille,
il répondit que le vicaire de Jésus-Christ est, comme Melchisédek,
sans
généalogie. Il commença la construction du Palais des papes à Avignon,
véritable forteresse (27). Tout
autre fut Clément VI
(1342-1352), ancien archevêque de Rouen, issu de la noblesse française
(28).
Il mena une vie fastueuse et dissipée, comme Pastor le constate avec
tristesse (T. I, p. 76), et il
éleva douze de ses parents au cardinalat. Invité par une délégation
qui
comptait Pétrarque à ramener la papauté à Rome, il refusa. Il fit
d'Avignon la propriété des papes en l'achetant à Jeanne de Naples.
Signalons, sous son pontificat, avec la défaite accablante de Louis de
Bavière déjà racontée, la grandeur et la décadence du tribun Cola
(Nicolas) di Rienzo. Ce visionnaire éloquent, qui rêvait d'une Italie
libre et unie, réussit à enflammer les Romains. Élu seigneur de leur
ville (1347), il prit le titre de tribun et appela les cités de la
péninsule à secouer le joug de leurs tyrans. Au bout de sept mois, il
fut abandonné par la foule et excommunié par le pape. Il périt en 1354
dans un soulèvement populaire. Le pontificat de Clément VI fut troublé
par la Peste noire (29), qui en
1348-1349 ravagea l'Europe.
Cette fièvre affreuse et contagieuse, avec respiration fétide et
vomissements de sang, qui tuait en un jour ou deux, fit d'innombrables
victimes. À Marseille, on en compta 57.000 en un mois. L'Angleterre
perdit deux millions et demi d'habitants. La chrétienté trouva un peu
de réconfort dans les grandes fêtes du Jubilé de 1350, bien que, au
dire de Pétrarque, l'état de Rome, après ce fléau inouï et avec
l'absence du pape, fût si triste qu'un coeur de pierre en eût été ému.
Innocent VI (1352-1362), originaire
du Limousin, continuant l'oeuvre de Benoît XII, réduisit le faste de
la
cour d'Avignon. Il institua le tribunal de la Rota, avec vingt et un
« auditeurs » chargés de juger les procès soumis à la
juridiction papale. Sous son règne se distingua le cardinal Albernoz,
nommé administrateur de Rome. Ce grand homme d'État, admiré par
Gregorovius, rétablit l'autorité pontificale sur les petites
principautés anarchiques qui constituaient alors les États de
l'Eglise.
Il faut noter, par contre, la Bulle d'or par laquelle l'empereur
Charles IV régla les élections impériales. Il les réservait
à
sept électeurs sans même nommer le souverain pontife.
Guillaume de Grimoard, abbé du
couvent de Saint-Victor à Marseille, devenu pape sous le nom respecté
d'Urbain V (1362-1370), fut le premier pontife d'Avignon qui visita
Rome (30).
Sur l'invitation pressante de Pétrarque, il partit le 30 avril 1367,
et
son voyage fut triomphal (31).
Une flotte de soixante vaisseaux
vint le prendre à Marseille. Il fit son entrée à Rome, le 16 octobre,
sur un coursier blanc, escorté par deux mille ecclésiastiques. Il se
prosterna devant le tombeau de saint Pierre, et prit domicile au
Vatican. Il en fit restaurer les bâtiments et les jardins, et ordonna
aussi la réparation du Latran et de Saint-Paul. Rome reçut alors des
visiteurs illustres : Jeanne, reine de Naples, l'empereur
Charles IV et Jean V Paléologue venu pour réclamer assistance contre
les Turcs. En 1370, Urbain V, se sentant inquiet à Rome, repartit pour
Avignon malgré les objurgations de sainte Brigitte, la prophétesse du
Nord, en laissant aux habitants de la ville une lettre émue. Il mourut
le 19 décembre, aimé de tous et déjà honoré comme un saint.
Grégoire XI (1370-1378), très
Français de coeur puisqu'il donna le chapeau de cardinal à dix-huit de
ses compatriotes, fut contraint de ramener la papauté à Rome, où la
menace d'élire un antipape, faisant écho aux grondements de la révolte
en Italie, rendait sa présence nécessaire (32).
À Florence, on déployait
un drapeau rouge où était inscrit le mot « liberté »,
et cet esprit révolutionnaire, hostile au pouvoir temporel, gagnait
plusieurs villes. Rome pourtant restait fidèle au Saint-Siège. À ces
menaces s'ajoutaient les exhortations impérieuses de deux prophétesses
au franc-parler et au coeur fervent, qui devaient être canonisées.
Brigitte de Suède, venue au Jubilé de 1350 après la mort de son mari,
s'était adonnée aux dévotions et avait même eu des révélations.
Quand Urbain V s'était décidé à
regagner Avignon, elle lui avait prédit sa mort prochaine. Elle
écrivit
à Grégoire XI en termes pressants et même irrespectueux. Elle ne
craignait pas de dire que le pape « est pire que Lucifer, plus
injuste que Pilate, plus cruel que Judas », et de flétrir la
curie, « gouffre très profond d'une horrible
simonie ». Elle mourut sans avoir eu la joie, refusée aussi à
Pétrarque, de voir la papauté revenue à sa résidence tant de fois
séculaire. De son côté, Catherine de Sienne, la prophétesse
extraordinaire dont nous parlerons plus loin, écrivit lettre sur
lettre
à Grégoire XI, l'appelant « doux Christ sur terre »
et le sommant de sauver la chrétienté en retournant à Rome. »
Revenez vivement, lui disait-elle, comme un doux agneau. » En
1376, elle le vit à Avignon et acheva de de décider, et c'est à bon
droit que, dans le monument qui lui fut élevé à Rome deux siècles plus
tard, elle est représentée marchant à côté de lui.
Malgré la résistance des cardinaux
français et du roi Charles V, Grégoire XI partit le 13 septembre,
mais,
par suite d'une tempête au large de Marseille, il ne put faire son
entrée à Rome que le 17 janvier suivant. Il s'établit au Vatican,
devenu depuis lors la résidence papale. Son autorité fut reconnue peu
à
peu, et il mourut en 1378, respecté pour sa courtoisie et sa piété.
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