(1) Une vive impulsion fut donnée
au
monachisme et à la vie religieuse par les deux grands Ordres
mendiants,
(Ordines Mendicantium), les Franciscains et les Dominicains, qui
prirent naissance au XIIIe siècle.
Ils parurent à une époque critique,
où la chrétienté restait déprimée par la faillite des croisades et
troublée par les hardiesses des hérétiques, et comme il arrive aux
médecins énergiques, l'infusion d'un sang neuf qu'ils lui firent leur
valut un prodigieux succès.
François d'Assise et Dominique ne se
ressemblaient guère. « Le premier, dit David Schaff, était le plus
simple et le plus aimable des saints monastiques, le second était
froid
et austère. François était un apôtre évangélique. Dominique un fondé
de
pouvoir ecclésiastique. L'un vécut pour sauver les âmes, l'autre pour
hisser l'Eglise sur des corps pantelants d'hérétiques... L'un était
tendre, l'autre dur comme un marteau-pilon » (Vol. V, 1re partie, p.
381). Ils se rencontrèrent au moins à trois reprises, et la question
de
fondre leurs organisations en une seule se posa, mais heureusement
sans
aboutir.
Les Franciscains et les Dominicains
se distinguèrent des Ordres précédents par quelques traits saillants.
Ils eurent un plus grand rayonnement social. prêchant
au
peuple, bienveillants pour les indigents. Ils créèrent des «
fraternités » laïques, qui permettaient aux fidèles de pratiquer les
vertus ascétiques, tout en exerçant leur profession. Ils s'adonnèrent
à
l'enseignement. Les Franciscains, infidèles à l'esprit de saint
François, qui avait réprimandé Pierre Staccia pour avoir ouvert une
école à Bologne, acquirent un grand renom, surtout à Oxford, par leurs
établissements d'instruction. Ils créèrent une école de théologie dans
un de leurs couvents à Paris en 1230, à la suite des Dominicains qui
avaient fondé en 1217 leur monastère de Saint-Jacques, et les deux
Ordres reçurent du chancelier de l'Université le droit de conférer des
degrés. À Paris, Oxford, Cologne et ailleurs, parurent de grands
scolastiques : chez les Dominicains, Albert le Grand, Thomas d'Aquin ;
chez les Franciscains, Bonaventure, Duns Scot, Roger Bacon. Parmi les
grandes personnalités religieuses, il faut citer encore, chez les
premiers, Eckart, Tauler, Savonarole; chez les autres, l'exégète
Nicolas de Lyre, les auteurs d'hymnes Thomas de Celano et Jacopone de
Todl.
Ce qui caractérise enfin ces deux
Ordres, c'est leur soumission absolue à la papauté, dont ils devinrent
les gardes du corps. Ils l'aidèrent à dominer les évêques et les rois
et à pourchasser l'hérésie. Grégoire IX chargea les Dominicains, en
1232, de pratiquer l'Inquisition, mais les Franciscains reçurent eux
aussi une part de ces cruelles fonctions. Les papes surent récompenser
leur fidélité en les comblant de privilèges (2)
dont ils étaient avides (3),
et en les défendant contre le clergé séculier, dont ces moines
usurpaient les droits, écoutant les confessions et donnant l'absolution.
Ils les protégèrent
aussi contre l'Université, indignée de leur insoumission et de leur
arrogance (4).
Quand Guillaume de Saint-Amour, professeur à Paris, critiqua leur
mendicité et leur hypocrisie, dans son traité Les Périls des derniers
Temps (De Periculis novissimorum Temporum), Alexandre IV, dans sa
bulle
du 5 octobre 1256, déclara ce livre « tout à fait pernicieux et
détestable » et le fit brûler. Guillaume fut privé de sa chaire et il
se retira en Franche-Comté, où il mourut.
L'histoire de François d'Assise, père du mouvement
franciscain, est restée longtemps voilée de légendes. Le grand ouvrage
(5)
de Lucas Wadding, qui l'a racontée, avec celle de son Ordre jusqu'en
1540, n'utilise pas assez les sources anciennes. Les Bollandistes (6)
n'ont guère publié que la Vita prima de François, écrite par Thomas de
Celano, et la Légende des trois Compagnons (7).
L'étude de ce saint extraordinaire
et de son temps a intéressé des historiens tels qu'Ernest Renan (8)
et d'autres, mais elle n'a pris tout son essor qu'avec les savants
travaux d'un merveilleux écrivain, Paul Sabatier. Sa Vie de saint
François d'Assise, parue en 1893 et suivie
par de sensationnelles découvertes de manuscrits et par de
remarquables
publications, la Collection d'Études et de Documents sur l'Histoire
religieuse et littéraire du Moyen-Age et les Opuscules de critique
historique, a remis en lumière la vraie figure du Poverello et ramené
à
lui la fervente curiosité du grand public et des érudits. Des colonnes
toujours plus nombreuses de pèlerins sont venues envahir la
Portioncule
et Saint-Damin, « poursuivant, selon l'expression de Paul Sabatier,
l'ombre de saint François ». D'autre part, au témoignage de
l'historien
danois Johannès Jorgensen, « lés remarquables travaux de Lempf, Van
Ortroy, Lemmens, Mandonnet, Minocchi, Goetz, Tilemann, Boehmer, des
Pères Felder et Edouard d'Alençon, de Sechnürer, etc., tout cela est
né, ou du désir de suivre et de compléter Sabatier, ou de l'obligation
de le réfuter » (9).
La mort l'a empêché de rédiger l'édition refondue qu'il préparait,
mais
sa veuve, aidée par Arnold Goffin, franciscanisant belge, en a publié
une qui est définitive, complétée par des Études inédites extraites de
ses papiers (10).
Quelles sont les sources dont nous
disposons à l'heure actuelle pour reconstituer l'histoire de saint
François ?
Il y a d'abord ceux de ses écrits
qui nous sont parvenus (11).
Signalons
en premier lieu ses hymnes : son Cantique du Soleil ou Hymne
des Créatures (12)
que, d'après Célano, il chanta sur son lit de malade ; sa laude
(louange) du Seigneur (Laudes Domini), transcription de l'oraison
dominicale, suivie d'un chant de louange contenant des passages
bibliques, exécuté par les frères de la Portioncule en punition de
leur
bavardage ; sa laude des vertus de là Vierge, poème dont
l'authenticité
est attestée par Célano et par des expressions bien franciscaines
telles que les invocations à la « sainte dame Pauvreté » ou « à notre
soeur l'Humilité » ; la laude de Dieu (Landes Dei), un des trois
autographes qui nous restent de saint François. Elle figure sur le
revers d'un parchemin où il avait écrit une Bénédiction pour le frère
Léon, en l'an 1224, pendant leur séjour sur le mont Alverna. Ce
disciple porta cette Bénédiction sur lui jusqu'à sa mort (14 novembre
1271), et elle est restée au couvent franciscain (Sagro Convento)
d'Assise. Cette laude, qu'on peut lire, à demi effacée, dans le beau
reliquaire d'argent où elle a été placée, consiste en une série
d'épithètes adressées à Dieu : Tu es fortis, tu es magnas, tu es
altissimus. etc. (13).
Parmi ses écrits en prose, il reste quelques prières, des lettres (14),
en
particulier celle ad omnes Custodes, retrouvée à Volterre par Paul
Sabatier (15), les
deux Règles de
l'Ordre celle de 1221 et celle de 1223 (16),
des « admonitions » (effusions
spirituelles), et enfin son Testament, dont le style et la pensée sont
bien franciscains et dont l'authenticité est prouvée par des citations
de Célano, de Grégoire IX et de la Légende des trois Compagnons.
Venons-en à une source de renseignements bien plus
riche, les biographies de saint François.
On y a reconnu quatre groupes
successifs. Le premier s'appuie sur la Vita prima du saint, de Thomas
de Célano, admis dans l'Ordre vers 1214 après avoir été custode
(custos, supérieur de couvent) en Allemagne. Écrite « sur l'ordre du
glorieux pape Grégoire IX » et approuvée par lui en 1229, elle est un
témoignage sincère et ému, malgré l'élégance de son style parfois
recherché (17).
Elle a servi de base à la Légende de Julien de Spire, ancien maître de
chapelle, parue vers 1231 (18).
Un second groupe est constitué par
deux biographies auxquelles a participé le frère Léon, grand ami et
secrétaire de saint François : la Légende des trois Compagnons et la
Vita secunda de Célano. Elles sont issues du désir exprimé, en 1244,
par le « chapitre général » franciscain de Gênes, inquiet de
l'altération qu'avait subie l'esprit primitif de l'Ordre, de
rassembler
les souvenirs inédits du maître. Crescent de
Jesi, général d'alors, reçut une collection d'anecdotes envoyées du
couvent de Greccio (dans la vallée de Rieti), par les frères Léon,
Rufin et Ange Tancredi. Une lettre-préface (19),
datée du 11 août 1246, nomme les
collaborateurs Masséo et Jean, et explique que ce recueil était
simplement une gerbe de traits épars, un bouquet de fleurs, indication
en désaccord avec le contenu de la Légende, qui est une vraie
biographie. Sur les dix-huit chapitres, huit racontent la jeunesse et
la conversion de François, et les dix autres sa carrière, sa mort et
sa
canonisation.
Certains passages de la Légende,
cités par Wadding et absents du texte qui nous est parvenu, ont donné
lieu à la suggestion de Paul Sabatier que ce texte n'était qu'une
partie d'un ouvrage plus étendu. Elle a été confirmée par la
découverte
de presque tous les éléments qui manquaient. En étudiant le manuscrit
(Paris 1509) d'une compilation franciscaine (20),
écrite vers 1345 (imprimée à
Venise en 1504), ce savant a trouvé 118 chapitres différents du reste
en style et en esprit, visiblement rédigés par des témoins oculaires
(nos qui cum ipso fuimus), dans lesquels il crut reconnaître Léon,
Ange
et Rufin. Puis, par un heureux hasard, il les a retrouvés réunis dans
un manuscrit (n° 1743) de la Bibliothèque Mazarine, à Paris,
originaire
du couvent de Namur, intitulé Speculum perfectionis fratris minoris.
La
Légende des trois Compagnons a pu être reconstituée approximativement
par deux érudits italiens, Marcelin da Civezza et Théophile
Domenichelli (Rome, 1899), à l'aide d'une vieille traduction italienne
du XIVe siècle contenant de nombreux passages (tu Speculum
perfectionis (21).
Quant à la Vita secunda de Célano,
elle est une adaptation, en beau style, parue en 1247, de la Légende
des trois Compagnons, qui avait été remise à ce frère pour en faire un
livre (22).
On y trouve des éléments inédits qu'il tenait sans doute de ces
compagnons (23).
Il reste aussi de Célano, un complément le Traité des Miracles (de
François), rédigé à la demande de Jean de Parme (24).
Il contient des traits touchants,
tels que la visite de Jacqueline de Settesoli au lit de mort de
François.
Une troisième tradition est
représentée par la Legenda S. Francisci (Legenda major), écrite par
saint Bonaventure, général des Franciscains, sur l'invitation du
chapitre général de Narbonne (1260). Après s'être rendu à Assise et
avoir consulté le frère Léon et un autre, il fit une compilation des
Vies antérieures en y ajoutant quelques traits (25),
et en adoucissant l'idéal primitif
de pauvreté absolue. Le chapitre de Pise (1263) l'approuva et décida
la
destruction des autres Légendes. La plus visée fut la Vita secunda de
Célano (dont deux manuscrits seulement ont survécu), ainsi que la
partie de la Légende des trois Compagnons qui y correspondait. La
première partie de ce dernier écrit, de même que la Vita prima, furent
moins maltraitées parce qu'elles parurent moins propres à surexciter
les esprits.
Passons au groupe du Speculum
perfectionis découvert par Paul Sabatier. Ses principaux éléments
viennent des rouleaux (rotuli) de parchemin où frère Léon avait écrit
«
maintes grandes choses » (multa magnalia) de son maître, ainsi que des
feuillets (shedulae) de souvenirs (26).
Il semble avoir été rédigé pour
peindre le vrai François. Sabatier, s'en tenant à la date (1227)
inscrite sur le manuscrit de la Mazarine, y voit la plus ancienne
biographie du saint (27). Au
Speculum se trouvent rattachés,
dans quelques manuscrits, les Actus beati Francisci et Sociorum ejus (28),
mieux
connus sous le titre italien de Fioretti, collection de récits
très précieux qui rapporte des paroles et des actes des frères
Bernard,
Masséo, Rufin, Léon et de la sÏur sainte Claire. Le plus célèbre est
celui de l'entretien de François avec Léon sur « la joie parfaite ». À
ces souvenirs des « anciens frères » (antiqui fratres) s'ajoutent des
chapitres sur Égide et d'autres Franciscains postérieurs. De ce groupe
dépend aussi la Legenda antiqua, compilation rédigée par un
Franciscain
des provinces de la mer Baltique, ancien élève d'Avignon, avec de
larges emprunts au Speculum et aux Fioretti (29).
Citons enfin le grand ouvrage de
Barthélemy de Pise, les Conformitates, longue série de parallèles
entre
le Christ et saint François. C'est une étude critique de toutes les
sources existantes, commencée en 1385 et approuvée par le chapitre
général de Pise (1399).
François Bernardone naquit à Assise
vers l'an 1182 (30).
Son père était marchand d'étoffes. Sa jeunesse fut dissipée, mais il
sut rester affable et poli (Légende, 3). Il se montra passionné pour
la
chevalerie et libéral pour les pauvres, et sa mère, lui sentant de la
noblesse d'âme, disait : « J'espère bien, s'il plaît à Dieu, qu'il
deviendra un bon chrétien. » Il partît un jour fort bien équipé, pour
guerroyer aux côtés du fameux Gauthier de Brienne, mais, dès le
premier
soir, il s'alita fiévreux et il dut revenir à Assise. Pâle et les
traits tirés, cruellement déçu, car il se croyait destiné à devenir «
un grand prince », il errait dans la campagne, sourd aux appels de ses
anciens compagnons de fête. Un jour, pourtant, il parut leur céder. Il
les invita à un somptueux festin. Mais, après une course folle dans
les
rues, ils s'avisèrent de son absence et finirent par le trouver perdu
dans un rêve. « Il songe à prendre femme », dit une voix ». - « Oui »,
répliqua-t-il avec un sourire mystérieux, « une femme plus belle, plus
riche, plus pure que vous ne sauriez vous l'imaginer » (Légende, 7 ;
Vita prima, 7). Il rechercha encore plus la solitude,
et
il fut tendre pour les pauvres gens. À Rome, au cours d'un
pèlerinage, désireux de connaître l'indigence et ses angoisses, il
emprunta les haillons d'un mendiant et fendit la main toute une
journée
(Légende, 8-10). Un jour, rencontrant un lépreux, après un
commencement
de fuite il revint lui baiser la main, puis il visita la léproserie.
Une autre fois, tandis qu'il priait dans la chapelle de Saint-Damien,
près d'Assise, les yeux fixés sur un crucifix, il crut voir le visage
de Jésus s'animer et il perçut une douce voix. Alors son union
mystique
avec lui s'accomplit. Le devoir s'impose à lui de réparer l'édifice en
ruines. Il court à Foligno, y vend des étoffes et même son cheval, et
remet au pauvre prêtre de la chapelle l'argent qu'il vient d'obtenir.
À
partir de ce jour, « il s'est donné au Crucifié sans partage et sans
retour » (P. Sabatier, Vie, p. 76).
Bernardone, jugeant dangereuse la
vocation de cet enfant prodigue, le maltraita et le cita devant les
consuls de la ville mais son fils en appela à l'évêque, « le père et
le
seigneur des âmes ». Invité à rendre l'argent, il se dépouilla de ses
vêtements et les tendit comme une indemnité. Le père les emporta, hué
par la foule, et François partit, couvert d'un manteau donné par
l'évêque (Vita prima, 1-0). Des bandits le lui prirent, en le jetant
dans un fossé plein de neige. Il vécut, quelque temps d'aumônes,
admiré
par les uns, raillé par les autres. Au printemps de 1208, il termina
la
restauration de Saint-Damien, aidé par des volontaires qu'il
encourageait par ses chants joyeux. Puis il répara Sainte-Marie de la
Portioncule (petit lot de terre), appelée aussi Notre-Dame-des-Anges,
où la messe fut célébrée par un bénédictin de l'abbaye du mont
Subasio,
qui en était propriétaire. C'est là (le 24 février 1209, semble-t-il)
qu'il eut sa révélation irrésistible... Dieu, l'Eglise, Jésus, la
pauvreté, tel sera désormais son grand souci, son seul amour...
À partir de ce moment, il se montre
à Assise, vêtu d'un sarreau gris, un capuchon sur la tête et une corde
autour des reins, prêchant la paix avec Dieu, avec
les hommes et avec soi-même. On l'écoutait avec respect. Son premier
disciple connu fut Bernard de Quintavalle (Légende, Vita prima).
D'abord stupéfait, Bernard l'admira lorsque, l'ayant invité à coucher
dans sa chambre, il eut constaté qu'il avait prié toute la nuit
(Fioretti, 2). Au cours d'une consultation demandée aux Livres saints
dans une église, il tomba sur trois textes qui prescrivaient le
renoncement, et il se mit aussitôt à distribuer ses biens aux pauvres.
Pierre de Calane, savant juriste, leur ami, l'imita sur-le-champ.
Ils quittèrent Assise et se
construisirent, près de la Portioncule, un abri de feuillage. Le 23
avril, un homme de la ville, Égide, vint les y rejoindre. Il prouva
aussitôt sa bonne volonté en donnant à un indigent son beau manteau.
Il
fut une incarnation de l'esprit franciscain primitif, chaste et
désintéressé.
François et ses trois amis, auxquels
vinrent s'ajouter trois autres, prêchèrent la conversion dans la
région
d'Ancône. Ils mendiaient et rendaient des services. on les prenait,
pour des hommes des bois (silvestres homines), mais on se rassurait en
écoutant leurs chants joyeux. Puis leur chef les envoya en mission
deux
à deux. Ils recevaient assez souvent un mauvais accueil. On redoutait
leurs larcins ou la contagion de leur exemple. Ils étaient tournés en
ridicule, traînés sur le dos par leurs capuchons (Vita prima, 15 ;
Légende, 37-39). Pénibles épreuves, qu'ils supportaient avec
patience...
À Florence, Bernard et Égide,
d'abord mal reçus par un propriétaire, le désarmèrent par leur piété
et
leur attitude pleine de dignité (Légende, 38-41). Quant à François, il
évangélisa la vallée de Rieti à peu près païenne, se retirant souvent
dans une grotte déserte pour y prier. Il en sortait retrempé et
pleinement armé.
Pendant l'été de 1310 (Wadding,
Sabatier), François partit pour Rome avec onze frères, pour faire
approuver sa règle par Innocent III. Elle était très simple : elle
impliquait une vie conforme aux préceptes de l'Évangile. Le pape et
ses
cardinaux hésitèrent à
l'approuver, la trouvant trop dure. Mais, ému par une parabole
ingénieuse que François lui raconta, il lui accorda une autorisation
provisoire, non sans faire de son institution laïque une création
cléricale en le soumettant, lui et ses frères, à la tonsure. Repartis
joyeux en prêchant sur leur route, ils s'arrêtèrent quelques mois au
refuge de Rivo-Torto, près de la léproserie d'Assise. Quand on apprit
à
Assise l'approbation de sa règle, on voulut l'entendre, et, monté dans
la chaire de la cathédrale de Saint-Rufin, il remua les coeurs par ses
accents à la fois pressants et pleins de tendresse. Il réussit même à
réconcilier riches et les pauvres, très divisés.
Chassés de Rivo-Torto par un paysan
brutal, les frères revinrent à la Portioncule, qui leur fut cédée â
perpétuité. Ils y célébrèrent, dit Sabatier, « le culte de la pauvreté
». Elle fut pour eux « une fiancée ». Les membres de l'Ordre nouveau
reçurent de son fondateur le titre de Minoritae ou Frères mineurs
(Fratres minores) (31). Signalons
quelques nouveaux
disciples : Sylvestre et Rufin, adonnés à la contemplation, Masséo,
grand, beau, éloquent, très humble et toujours joyeux, Junipère ou
Genièvre, très obligeant, dont François disait : « Que n'avons-nous
tout un bois de génevriers comme celui-là ! » Il y avait aussi Jean,
surnommé « le simple », paysan inculte des environs d'Assise, qui, les
yeux fixés sur le maître, copiait tous ses gestes, et surtout Léon
d'Assise, venu vers 1211 (Sabatier), confesseur et secrétaire de
François, qui, par réaction contre son prénom, l'appelait « le petit
agneau de Dieu » (pecorella di Dio). Il fut et resta le chef de ses
disciples fidèles (Besse).
La plus touchante recrue de François
fut sainte Claire (32). Elle
aimait à s'appeler « La
petite plante (plantula) du
bienheureux père François ». Née à Assise en 1194 d'une famille noble,
elle avait été secouée par ses prédications. Elle vint lui ouvrir son
coeur et, le soir du dimanche 18 mars 1212, elle prit furtivement le
chemin de la Portioncule, et lui, simple diacre, reçut ses voeux et
coupa ses cheveux d'or.
Il la conduisit dans un monastère de
Bénédictines, où elle resta sourde aux menaces de son père et à ses
supplications. Elle entra ensuite dans un couvent moins proche, celui
de Saint-Ange, sur les flancs du Subasio. Quelques jours après, elle
vit venir sa sÏur Agnès, et après une scène affreuse où cette jeune
fille, entraînée par son père et quelques parents, injuriée et battue,
s'évanouit, elle la ramena au couvent. Une troisième sÏur, Béatrice,
vint plus tard les rejoindre.
François installa Claire et Agnès au
monastère de Saint-Damien, dont l'aînée devint abbesse en 1215. Elle
en
fit, selon son expression, « la tour fortifiée de la suprême Pauvreté
». Travail et mendicité, telle fut la règle de vie (forma vivendi) que
son maître écrivit pour elle. Elle s'y distingua par son extrême
humilité, sa bienfaisance et sa dévotion. Elle dormit longtemps sur un
morceau de cuir, portant une ceinture de poils rudes, et elle jeûnait
si durement que François dut l'obliger à manger chaque jour un peu de
pain. Elle refusa obstinément les biens matériels que son ami dévoué,
le cardinal Hugolin - qui devait être le pape Grégoire IX (1227) -
voulait lui donner.
Elle mourut en 1253 après quarante
et un ans d'une vie monacale, éprouvée par une très longue maladie et
par la fin prématurée de son maître, auquel elle avait voué une
tendresse à la fois discrète et passionnée. Deux jours avant sa mort,
elle obtint d'Innocent IV, « pour elle et pour ses soeurs, le droit
d'être pauvres et de le rester ». Elle s'endormit comme une sainte. «
Avec qui parles-tu ainsi ? » lui demanda
l'une d'elles. Elle répondit : « Avec mon âme ! » Puis elle ajouta : «
Et toi, ma soeur, ne vois-tu pas le Roi de gloire ? »
Le mouvement franciscain, qui prenait toujours
plus de force, fut encouragé par l'octroi d'une « indulgence de la
Portioncule ». François l'obtint, en 1216, du successeur d'Innocent
III, le vieillard bienveillant et désintéressé qu'était Honorius III.
Il lui fut accordé que quiconque entrerait dans cette église « bien
repentant et après s'être bien confessé, serait absous de toute peine
et de toute coulpe » un jour par an, à perpétuité.
L'habitude se prit de réunir à la
Portioncule, un jour à chaque Pentecôte, un « chapitre général »
mettant le maître en contact avec ses disciples. C'étaient des
réunions
d'édification, des retraites spirituelles. Celui de 1217 est connu par
son organisation des missions franciscaines en Italie et ailleurs.
Mais, peu à peu, l'idéal primitif s'altéra. Ces communautés libres,
devinrent un Ordre discipliné, sous l'action du cardinal Hugolin, son
protecteur, et du frère Elie de Cortone, puissant esprit et habile
organisateur (33).
François sentit douloureusement cette évolution, et au chapitre de
septembre 1220, il déclara qu'il n'avait plus « la force et les
qualités » nécessaires à la direction de sa grande « famille », et il
la passa à Pierre de Catane, qui devait mourir le 10 mars 1221.
En accord avec la décision de ce
chapitre de rédiger une règle nouvelle, François composa celle dite de
1221. Elle est très longue, d'une haute inspiration, mais imprécise.
La
dualité d'influences s'y montre : elle met à la tête de l'Ordre un
général assisté d'un conseil, mais l'idéal primitif de pauvreté y est
encore affirmé. Il l'est encore dans la règle de 1223, qui eut la
sanction papale, mais elle proclame
l'obéissance au pape et l'usage quotidien du bréviaire romain.
En 1224, François s'installa, avec
Léon et quelques disciples, sur le mont Alverne, dans le Casentin
(vallée supérieure de l'Arno), masse basaltique couverte de hêtres et
de pins. Après la fête de l'Assomption, il monta seul en un lieu
sauvage, où, selon l'expression des Fioretti, « il se plongea en Dieu
».
Le 14 septembre, après une demande
instante adressée au Christ de ressentir en son corps les souffrances
de la Passion, « il se sentit changé tout à fait en Jésus », et à la
suite d'une vision, celle d'un séraphin volant vers lui cloué sur une
croix, il découvrit sur lui les stigmates du Crucifié (34).
Il dut porter des bandages, que
Léon changeait. Rufin, qui lavait son linge, y remarqua du sang, venu
de la plaie du flanc droit.
Le 30 septembre, tout joyeux de ce
douloureux privilège, le stigmatisé quitta l'Alverne avec Léon, et,
monté sur un âne, il revint à la Portioncule. À peine arrivé, il se
mit
en route pour une mission parmi les lépreux, mais il dut s'arrêter,
épuisé, gêné d'ailleurs par une ophtalmie rapportée d'Égypte. Il se
retira dans sa hutte de branchages de Saint-Damien, que Claire lui
avait fait élever. C'est sur ce misérable grabat, et dans les
ténèbres,
qu'il composa « l'hymne joyeux du frère Soleil » (canticum fratris
Solis). Il y louait le Seigneur d'avoir donné le soleil, la lune et
les étoiles, le vent, l'eau, le feu
et la terre, qu'il traitait de « frères » et de « soeurs ».
En 1225, on le trouve à Rieti, où
Elie l'avait décidé là venir faire soigner ses yeux, traitement
douloureux, avec brûlures au fer rouge, et inutile, qu'il supporta
sans
souffrance (Speculum perfectionis, ch. 115). Il passa une partie de
l'hiver à Sienne, au doux climat. À la suite de violentes hémorragies,
on le ramena à Assise, en évitant Pérouse qui aurait pu s'emparer de
sa
personne.
Sa ville natale le reçut avec une
joie frénétique et intéressée, sentant que nul ne pourrait plus lui
enlever son saint, impatiente même d'avoir cette relique de première
grandeur. Pour plus de sûreté on l'installa à l'évêché, et l'on plaça
des gardes à l'entrée. Il fut soigné par Léon, Ange, Rufin et Masséo.
Il y souffrit beaucoup à la pensée de l'altération de son Ordre, et il
dicta une lettre touchante adressée à tous ses membres, pour être lue
à
l'ouverture des chapitres.
Il eut la joie de réconcilier
l'évêque, l'irritable Guido, avec le podestat d'Assise. Transporté
dans
sa chère Portioncule, « il alla vers la mort en chantant » (Vita
secunda, 3, 139). Il dicta son Testament (35),
document plein de spiritualité,
vénéré par les Franciscains demeurés fidèles à son idéal. Il y
commandait de ne rien ajouter et de ne rien retrancher à la règle. Il
reçut la visite d'une pieuse Romaine, Jacqueline de Settesoli, qui
resta près de lui jusqu'à son dernier soupir.
Sa vie s'acheva au milieu des
cantiques et des pieuses lectures. Il mourut le 3 octobre 1226 à la
nuit tombante. Son corps passa par Saint-Damien, où la douleur des
soeurs fut déchirante, puis il fut déposé dans l'église Saint-Georges.
Le 26 juillet 1228, Grégoire IX vint
à Assise présider la cérémonie de la canonisation et poser la première
pierre de la merveilleuse basilique gothique de saint François, en
contraste violent avec l'humilité du Poverello.
Ce qui fait la grandeur de saint
François, c'est un ensemble de
vertus à la fois surhumaines et familières, sérieux profond jailli
d'une conversion définitive, renoncement total qui ne s'est pas
démenti
un instant, amour tendre et pacifiant qui s'étendait jusqu'à tout ce
qui vit et souffre, même jusqu'aux choses inanimées, et l'invitait à
saluer un frère dans un agneau et dans la cigale une sÏur (36),
amour
des âmes surtout, qui le poussait à tout braver pour leur
apporter l'Évangile.
Il fut grand aussi par sa religion
toute spirituelle, ancrée en Jésus qu'il tâchait d'imiter jusque dans
sa Passion, plongée dans la prière où il s'attardait parfois durant
des
nuits entières, pour se retrouver le matin tout fortifié, prêt à
chanter sa joie.
Catholique, il l'a été en ce sens
qu'il s'est montré fils obéissant de l'Eglise, mais, selon le mot
d'Abel Bonnard, « il n'a aucune couleur cléricale » Ne parlait-il pas
fort librement du veuvage de sa Dame la Pauvreté, qui depuis le Christ
jusqu'à lui n'avait pas trouvé d'époux ? « Je veux, disait-il encore,
que mes frères soient des disciples de l'Évangile ! »
Toutes réserves, faites sur le genre
de vie qu'il adopta et les lacunes de son idéal, avouons qu'il donna
un
grand exemple salutaire. « Il a sauvé la religion, que perdait
l'Eglise
», déclare Machiavel (37). Il
fut, ainsi que ses frères, « un
sujet de consolation », dit avec soulagement le cardinal Jacques de
Vitry, de passage en Italie en 1216, très affligé par le spectacle de
la cour pontificale si absorbée par les affaires temporelles qu' « il
était presque impossible d'y parler des questions religieuses » (38).
Ajoutons
que la piété franciscaine façonna pour longtemps le
christianisme italien.
Après la mort de François, les deux tendances, l'une
stricte, l'autre large,
s'affrontèrent. Le conflit éclata au sujet du droit de propriété.
Grégoire IX, favorable à la seconde, accorda à l'Ordre la faculté de
collecter pour bâtir des couvents et faire des missions. Innocent IV y
ajouta, en 1245, la permission d'avoir des livres, des outils, des
maisons et des terres, à titre d'administrateur des dons reçus.
Les « stricts », ou « observants »,
« spirituels », « zélateurs » (zelanti), résistèrent. Elie de Cortone,
qui avait succédé au « général » Pierre de Catane, fut dur pour eux (39).
Il
expulsa le frère Léon, qui avait osé briser un vase de marbre
destiné à recevoir les contributions pour une grande église à ériger à
Assise sur les restes de saint François.
Influents sous Jean de Parme, devenu
général (1247-1257), les stricts furent vaincus par Bonaventure, qui,
dans sa Vie officielle du saint, passa sous silence son testament et
qui renforça la discipline. Leur mécontentement gronda en 1274, quand
ils apprirent que Grégoire X avait l'intention d'obliger l'Ordre à
être
propriétaire. Il y eut des incarcérations, dont celle de l'écrivain
Ange Clareno, de la Marche d'Ancône (40).
Plus tard, une bulle de Nicolas
III, confirmant le décret de 1245 (celui d'Innocent IV), fut acceptée
par le général Bonagratia et ses deux successeurs, mais rejetée par
Pierre-Jean Olivi (mort en 1298) et le prédicateur observant Hubert
de Casal. Le premier, tout en
admettant l'usage de nécessité » (usas pauper), repoussait l'usage
modéré » (usus moderatus) revendiqué par les disciples larges, les «
Conventuels ». Après sa mort, Jean de Murro, général franciscain,
brûla
ses écrits et jeta ses partisans en prison. Comme on le verra plus
loin, les spirituels devaient reprendre l'avantage sous Clément V pour
être combattus ensuite par Jean XXII.
Les Frères mineurs déployèrent un
zèle d'évangélisation conquérant. En Allemagne (41),
il faut signaler l'activité (à
partir de 1221) de César de Spire, aidé par Thomas de Célano et
Jourdain de Giano. En Angleterre (42),
ils furent bien reçus (1224) et se
fixèrent à Londres, Oxford, Cambridge et ailleurs. Ils s'y tirent
apprécier par leurs prédications familières et par leur philanthropie
qui les poussait à visiter les quartiers les plus misérables, et ils y
fondèrent soixante-six couvents. Mais avec les honneurs et les terres
devait venir la décadence. Leurs collectes en faveur du trésor
pontifical les rendirent impopulaires. « Le pape, écrivait Matthieu
Paris, les a changés de pêcheurs d'hommes en pêcheurs de gros sous. »
Leurs maisons devaient être fermées sous Henri VIII.
Le troisième Ordre (Tiers-Ordre) de
saint François (43),
les Tertiaires ou Frères et soeurs de Pénitence (44),
se composa de laïques, hommes ou
femmes, mariés ou non, décidés à réaliser dans la vie sociale
l'idéal
monacal. Leur règle primitive, dite Regula antiqua (45),
en
treize chapitres, prescrivait sans esprit sectaire des exercices
ascétiques et religieux. Les femmes mariées ne pouvaient y être
admises
sans le consentement de leurs maris, et ceux qui avaient des familles
étaient tenus de prendre soin d'elles (VI, 6). L'Ordre fut reconnu par
le Saint-Siège en 1289, et modifié par Léon X qui le divisa en deux
classes : les séculiers et les réguliers. Il subsiste encore dans
l'Église romaine.
À côté de l'Ordre des Franciscains,
parfois en rivalité avec lui, grandit celui des Dominicains.
Domingo (Dominique), son fondateur (46),
naquit
en 1170 à Calaguera (Castille). Devenu chanoine après de fortes
études, il accompagna son évêque dans un voyage à Rome et en France
(1203) et, à Montpellier, il entra en rapports avec des moines
cisteriens chargés de convertir les Albigeois. Il forma le projet de
créer un Ordre de prédicateurs itinérants, à l'exemple des ministres
cathares. Il fut soutenu par le comte Simon de Montfort et Foulques,
évêque de Toulouse, qui lui donnèrent des châteaux et une partie des
dîmes. Après une campagne de prédications, il alla voir Innocent III,
qui l'encouragea non sans lui conseiller d'adopter une règle déjà
autorisée. Il choisit celle de saint Augustin, complétée par celle des
Prémontrés et adopta un vêtement noir
et blanc. Il aménagea, pour ses compagnons et pour lui, le couvent de
Saint-Romain à Toulouse, et, en 1216, il fit approuver par Honorius
III
son Ordre de « frères prédicateurs », chargés de la conversion des
hérétiques. Quatre ans plus tard, après une visite qu'il fit à
François
d'Assise, il résolut de lui imposer la pauvreté évangélique (47).
Dès 1217, les filiales commençaient
à surgir. Dominique fonda un couvent de femmes à Madrid et un couvent
d'hommes à Séville. Le premier monastère ouvert à Paris dans la maison
dite « de Saint Jacques », parce qu'on y avait hébergé des pèlerins
allant à Compostelle, valut aux dominicains de France le nom de «
Jacobins ». Les « frères prédicateurs » s'abattirent aussi sur
l'Allemagne et l'Angleterre (48).
À Bologne, dont le vaste couvent
était devenu la résidence de Dominique, se tint, en 1221, un «
chapitre
général » qui organisa l'Ordre à peu près comme celui de saint
François. Il fut divisé en « provinces », sous la direction d'un
magister generalis, élu par le chapitre général qui pouvait le
destituer, et soumis directement au pape. Dominique mourut en 1224 et
fut inhumé dans l'église du couvent de Bologne. Il devait être
canonisé
par Grégoire IX en 1233.
À sa mort, l'Ordre comptait soixante
couvents, répartis dans huit provinces auxquelles quatre autres
vinrent
s'ajouter. Elles furent régies par les « Constitutions de 1228 » (49).
Le
but de l'Ordre fut défini ainsi : prédication et salut des âmes (50).
On
imposa aux prédicateurs une forte préparation : quatre ans d'études
philosophiques et
théologiques et même un supplément de trois années. En 1238, le
canoniste Raymond de Pennaforte, troisième général de l'Ordre, donna à
cette règle sa forme définitive. Dominique avait exigé la pauvreté, et
sa dernière exhortation l'avait prescrite en même temps que la charité
et l'humilité, mais ses successeurs, tout en continuant à mendier, ont
moins pratiqué cette vertu que les Franciscains, et l'on constate
qu'une bulle d'Honorius III (1216) leur reconnaissait le droit de
posséder.
Cet Ordre est étroitement lié à
l'Inquisition. Son fondateur s'y consacra, et, d'après Dante, il fut «
bon pour ses amis, cruel pour ses ennemis ». Il s'était adjoint pour
sa
tâche une milice, composée d'hommes et de femmes mariés ou
célibataires. Ce fut en 1232 que les « frères prédicateurs »
s'adonnèrent à l'Inquisition, dans le nord de la France, en Espagne et
en Allemagne, avec une rigueur qui coûta la vie à plusieurs d'entre
eux. Ils furent appelés de bonne heure « dominicains », et l'on fit
même le jeu de mots domini canes (chiens du Seigneur), qu'Honorius III
confirma en leur donnant pour emblème un chien portant dans sa gueule
une torche enflammée (51). La
papauté récompensa leur zèle en
leur donnant le droit - réservé au clergé séculier - de confesser,
d'absoudre et d'imposer des pénitences, faveur qui amena des conflits
entre eux et les prêtres et même les magistrats.
Les Dominicains firent grand usage
du rosaire (rosarium), grand chapelet de quinze Pater et de cent
cinquante Ave Maria. D'après une légende, la Vierge avait ordonné à
Dominique de s'en servir pour la conversion des hérétiques. Bien que
Léon XIII lui ait attribué cette pratique, il y a lieu d'observer avec
le franciscain Holzapfel que les Constitutions de 1228, dans
leur mention du culte de Marie,
ne la nomment pas. La première confrérie du rosaire devait être
fondée,
en 1475, par le fameux inquisiteur allemand Jacques Sprenger dans
l'église des dominicains de Cologne.
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