Le brillant pontificat d'Innocent III (1198-1216),
qui éclipsa ses cinq prédécesseurs immédiats, marque l'âge d'or de la
papauté médiévale (1).
Avec lui, la théocratie s'est affirmée en théorie et en fait avec une
incroyable audace. couronnée par le succès. Personnalité impérieuse et
impériale, il nomma et déposa des rois, il fut l'animateur du IVe
concile de Latran (1215), il déclencha la quatrième croisade et mourut
en préparant la cinquième. Supérieur à Grégoire VII par de savoir et
le
tact diplomatique, il eut comme lui le caractère fort et une main de
fer.
Lothaire (c'était son nom), de la
famille des Conti Segni, avait été nommé cardinal-diacre à l'âge de
vingt-neuf ans par un de ses oncles, le pape Clément III. Sous le
pontificat de Célestin III qui lui était hostile, il se tint à
l'écart.
Ami des lettres et versé dans la théologie, il composa son traité, Le
Mépris du Monde (2),
fortement biblique, avec des menaces qui
rappellent les cadences terrifiantes du Dies irae, ainsi qu'un ouvrage
sur la messe (De Missarum mysteriis), où il esquissait déjà les
prétentions du Saint-Siège.
En 1198, à trente-sept ans, il fut
nommé pape à l'unanimité. Les fêtes de son couronnement furent
splendides. À Saint-Pierre, il reçut la tiare que Constantin avait,
disait-on, présentée à Silvestre, et ces paroles capiteuses furent
prononcées : « Sache que tu es le père des princes et des rois, le
maître du monde ! » Assis sur un palefroi blanc et enivré par ces
flatteries, Innocent Ill fut escorté par les autorités municipales
jusqu'au Latran, où il reçut la clef d'argent du palais et la clef
d'or
de la basilique. Il y eut ensuite un banquet où il se tint seul à une
table (Hunter, T. 1, p. 92 et s.).
À peine en fonctions, il s'applique
à exposer sa conception de la dignité papale. Dans sa fameuse lettre
du
12 novembre 1199 au patriarche de Constantinople T. 214, p. 758-765),
il déclare que tout, dans les cieux, sur la terre et en enfer, lui a
été soumis comme à Christ. Reprenant l'image de Grégoire VII qui avait
comparé le sacerdotium au soleil et l'imperium à la lune, il soutient
que c'est du premier que le second tire sa dignité, « de même que la
lune reçoit sa lumière du soleil » (sicut luna lumen suum a sole
sortitur). Le prêtre oint le roi, mais le roi n'oint pas le prêtre : «
celui qui oint est supérieur à celui qui est oint » (dignior est
unguens quam unctus). Il va plus loin. Il ravale le pouvoir civil par
cette formule : « Le sacerdoce procède d'une ordination divine, la
puissance royale sort d'une extorsion humaine » (sacerdotium per
ordinationem divinam, regnum autem per extorsionem humanam). Il
conclut
qu'il peut abattre les princes et mettre toutes les nations (universos
populos) sous l'interdit. Ces prétentions
hautaines sont souvent exprimées dans le Registre relatif aux affaires
de l'Empire, et les nombreuses lettres d'Innocent III à divers
souverains. Il enseigne aussi, dans sa lettre au patriarche de
Constantinople, l'impossibilité pour le pape de se tromper en matière
de foi.
L'état de l'Europe à cette époque encourageait cet
immense orgueil. Après la mort subite d'Henri VI (1197), l'empire
d'Allemagne était sans chef. Le nouveau pape, tirant parti du
sentiment
italien antigermanique. commença par délivrer Rome.
Le préfet, qui représentait
l'empereur, et le sénateur chef de la ville reconnurent son autorité.
Spolète, Assise, Pérouse et Ravenne, secouant aussi le joug étranger,
se rallièrent à lui. Florence, Sienne, Pise et d'autres cités, sans
aliéner leur liberté, lui accordèrent des privilèges.
En Allemagne, où Philippe de Souabe,
frère d'Henri VI, et Otton, neveu de Richard Coeur de Lion, avaient
été
élus l'un contre l'autre, il intervint, à la demande des deux rivaux,
et opta pour Otton, qui renonça à tout droit sur Naples, la Sicile et
les États de l'Eglise (1201). Philippe, d'abord vainqueur, fut
assassiné en 1208, et Otton reçut la couronne à Saint-Pierre de Rome
(1209), mais peu après, oublieux de ses promesses, il étendit son
pouvoir sur une partie de l'Italie. Innocent III n'hésita pas à
l'excommunier. Une assemblée de magnats le déposa (1211) et choisit
Frédéric, jeune fils d'un roi de Sicile. Ce prince fut appelé au trône
(décembre 1212) et généralement accepté, et, après la défaite d'Otton
à
Bouvines (1214), il fut couronné à Aix-la-Chapelle (1215) et reconnu
par le IVe concile du Latran. Il avait admis l'autorité du pape sur
les
États de l'Eglise et son droit de suzerain sur la Sicile.
Innocent III s'immisça, avec une
égale décision, dans les affaires des autres souverains. En réponse à
l'appel d'Ingeburge, princesse danoise, que Philippe-Auguste
avait
répudiée pour épouser la belle Agnès de Méranie, il mit la France
en interdit et obligea son roi à reprendre sa première femme. En
Espagne, à la suite d'un interdit de cinq ans, il contraignit un roi
de
Léon à renvoyer sa femme parce qu'elle lui était parente. Pèdre
(d'Aragon) et Sancho (de Portugal) reconnurent sa suzeraineté. Le pape
étendit son bras puissant jusqu'en Europe orientale : il couronna les
rois de Bulgarie et de Bohême, et il fonda, comme on le verra plus
loin, l'Empire latin de Constantinople.
En Angleterre, il eut un terrible
conflit avec Jean sans Terre (1167-1216), fils d'Henri II, qui avait
succédé en 1199 à son frère Richard 1er (3).
C'était un prince actif, mais
despotique et de triste moralité. « Il était, dit Hunt, faux,
vindicatif, abominablement cruel et scandaleusement immoral » (4).
Innocent
III entra en lutte avec lui au sujet de la nomination du
successeur de l'archevêque Hubert de Cantorbéry (mort en 1205).
Cassant
les élections de deux candidats rivaux, il consacra, en 1207, un
cardinal élu par les moines de cette ville présents à Rome, Étienne,
Langton, savant renommé, d'une haute valeur morale, qui devait exercer
sa charge jusqu'à sa mort (1228).
Cette audace impérieuse mit Jean
sans Terre hors de lui. Il chassa les moines de Cantorbéry et
confisqua
leurs biens. Menacé de l'interdit, il jura « par les dents de Dieu »
qu'il persécuterait le clergé. Mais la sentence d'Innocent III fit
tomber sur son pays un voile de deuil. Les églises furent fermées, les
cloches restèrent muettes, les services religieux cessèrent. Le roi
répliqua en confisquant les possessions du haut clergé et des
couvents,
et l'anathème personnel qui lui
fut décoché (en 1209) ne fit que doubler sa cruauté. En 1212, le pape
le déclara indigne de la royauté et le déposa, en déliant ses sujets
de
toute obligation d'obéissance. Inquiet des attaques de
Philippe-Auguste
et poursuivi par la haine de ses barons, qu'avaient exaspérés ses
taxes
arbitraires et ses libertés intolérables à l'égard de leurs femmes et
de leurs filles, Jean sans Terre se soumit (15 mai 1213). Cinq mois
plus tard, devant le cardinal Nicolas, il signa un acte « détestable
et
lamentable », selon l'expression de Matthieu Paris. Il abandonnait à
l'Eglise romaine le royaume d'Angleterre et d'Irlande. et en retour il
le recevait d'elle comme un « fief ». Il s'engageait, au nom de son
pays, à payer à perpétuité au Saint-Siège une redevance annuelle. La
victoire d'Innocent III était complète, mais cette humiliation devait
provoquer plus tard la résistance de l'évêque Robert Grossetête et
celle de Wyclif.
L'année suivante, par un contraste
inattendu, il devint le défenseur de Jean sans Terre dans sa lutte
contre les barons qui lui avaient arraché la Grande Charte (le 15 juin
1215). Ce document, d'une extrême importance, organisait en Angleterre
la justice et la levée des impôts et décrétait la liberté des
élections
ecclésiastiques. Le roi exaspéré fit appel à Innocent III. Le pape,
mécontent des barons qui ne l'avaient pas consulté, lui le suzerain,
et
n'avaient pas confirmé le voeu royal en faveur d'une nouvelle
croisade,
eut l'audace de relever Jean de son serment du 15 juin, en déclarant
que cette charte, « obtenue par la force », était « nulle et vide à
perpétuité ». Il dénonça, « comme pires que les Sarrasins », les
prélats qui soutenaient la cause de leur peuple, il lança l'interdit
contre les barons et suspendit Langton. Le conflit prit fin avec la
mort du pape (16 juin 1216) et celle de Jean sans Terre qui succomba
trois mois après, muni des sacrements de l'Eglise.
Signalons enfin l'activité déployée
par Innocent III au IV, concile de Latran (XIIe concile oecuménique).
Il l'avait convoqué dans le but de reconquérir la Terre
Sainte
et de réformer l'Eglise. On y vit rassemblés 71 archevêques, les
patriarches de Constantinople et de Jérusalem, 412 évêques, 800 abbés
et prieurs et les représentants des plus grands souverains de
l'époque.
Il y eut trois séances : les 11, 20 et 30 novembre 1215.
Ce concile condamna divers
hérétiques, dont il sera question plus loin : Joachim de Flore, Amaury
de Bène professeur à Paris, et surtout les Albigeois et les Vaudois,
et
il affirma la présence réelle de Jésus dans l'eucharistie en employant
pour la première fois le terme de transsubstantiation pour exprimer le
prétendu changement du pain et du vin un corps et en sang du Christ
(cujus corpus et sanguis, in sacramento altaris, sub speciebus panis
et
vini veraciter continentur, transsubstantiatis pane in corpus et vino
in sanguinem).
Notons encore ses soixante-sept
décrets ecclésiastiques et moraux. Il fixa le rang des sièges
patriarcaux, Rome en tête, interdit les Ordres monastiques nouveaux,
défendit aux clercs de tenir plus d'un « bénéfice », et leur
prescrivit
de fuir le théâtre, la chasse, le duel, la fréquentation des auberges
et l'inconduite. Il imposa à tous les fidèles la communion pascale et
la confession au moins une fois par an. Il décréta enfin une cinquième
croisade et en fixa la date au 1er juin 1217.
Innocent III fut, selon le juste
jugement de Gregorovius, « un homme d'État accompli, un prêtre d'un
haut esprit plein de ferveur religieuse, mais d'une ambition démesurée
et d'une effrayante force de volonté » (Rome, V, p. 102). On est
contraint d'ajouter, avec Gibbon « Il peut se vanter des deux
triomphes
les plus signalés sur le bon sens et l'humanité : l'établissement de
la
transsubstantiation et l'origine de l'Inquisition ». Il faut noter
qu'il ne fut pas canonisé. À sa mort, il fut abandonné par la famille
pontificale, et, au témoignage du cardinal Jacques de Vitry, « des
voleurs le dépouillèrent de ses vêtements précieux ».
La lutte entre l'Eglise et l'État
allemand se déchaîna de nouveau avec Frédéric II, qui la soutint
contre
trois papes. Elle devait durer près de quarante ans (5).
Ce grand roi, né à Ancône en 1194,
était petit-fils de Frédéric Barberousse et fils d'Henri VI et de la
princesse Constance héritière du royaume des Deux Siciles. Il commença
par confirmer les privilèges de l'Eglise et promettre la suppression
de
l'hérésie et il se fit couronner empereur à Rome, en 1220, par
Honorius
III (1216-1227), successeur d'Innocent III. Mais il ne tarda pas à
l'irriter en ajournant la croisade si chère au Saint-Siège. La prise
de
Damiette par Malik-al-Kameel, sultan d'Égypte (1221), ne l'ayant pas
décidé, le belliqueux pontife tâche de stimuler son zèle en
encourageant son mariage avec Iolanthe, fille de Jean de Brienne, roi
de Jérusalem, et héritière de la couronne. Frédéric Il prit le titre,
mais s'en tint là. Enfin il promit, sous peine d'excommunication, de
partir en croisade au mois d'octobre 1227. Quatre mois avant ce délai,
le pape mourut, mais son successeur, Grégoire IX (1227-1241), neveu
d'Innocent III, énergique autant qu'instruit et éloquent, le mit en
demeure de tenir son engagement. L'empereur partit de Brindes, mais il
revint trois jours après, retenu, disait-il, par une épidémie. Alors
le
pape, perdant toute mesure, l'excommunia comme infidèle
à
l'Eglise qui l'avait élevé. « Celle qui s'appelle ma mère, répliqua
Frédéric, me traite comme une belle-mère ! » Il partit enfin pour la
croisade (la cinquième). Parvenu à Saint-Jean-d'Acre en septembre
1228,
il conclut avec Malik un traité pour dix ans qui rendait Jérusalem. À
son retour, il vint se heurter à l'armée du pape et il la battit. Mais
les deux adversaires réconciliés dînèrent ensemble à Anagni (1er
septembre 1230), et ils firent un traité de paix.
L'accession d'Enzio, fils de
Frédéric II, au trône de Sardaigne - fief papal - par son mariage avec
la princesse Adelasia, ralluma le conflit, et Grégoire IX anathématisa
de nouveau l'empereur (1239). Une violente guerre de plume s'ensuivit.
Le pape compara son ennemi à la bête de l'Apocalypse, et l'appela «
fils de mensonge, roi de pestilence, loup et dragon ». Frédéric Il le
traita d'Antichrist. On en vint aux armes. L'empereur refoula l'armée
pontificale, mais il se retira. Grégoire réunit un concile à Rome,
mais
la majorité de ses membres fut capturée en mer et emprisonnée à
Naples.
Le pape mourut dans l'été de 1241, très âgé, mais toujours
indomptable.
Il s'était signalé par la canonisation de François d'Assise et de
Dominique, la réunion d'un recueil de Décrétales et le renforcement de
l'Inquisition.
Innocent IV (1243-1254), nommé après
une longue vacance, continua la lutte avec une âpreté haineuse (6).
Il
se rendit secrètement à Lyon, où il convoqua le premier concile de
cette ville, - le XIIIe oecuménique (1245), qui ne compta que cent
quarante prélats. L'empereur ayant refusé d'y comparaître, le pape le
déposa pour hérésie et violences à l'égard des prêtres. Dans sa
réplique, adressée au roi d'Angleterre et aux autres princes, Frédéric
Il s'insurgea contre ses prétentions temporelles, menace pour tous les
souverains. Innocent IV répondit que le pape avait
le pouvoir de juger les rois, et il fomenta des révoltes en Sicile, en
Italie et en Allemagne, où il fit nommer un autre empereur (1246).
Après quelques succès, Frédéric perdit la Lombardie. Il mourut
tristement en 1250. Il fut un grand roi (7).
Guerrier, législateur, homme d'État,
littérateur fort érudit (8), dégagé
des superstitions sans être
hostile à l'Eglise, tolérant pour les Juifs et les Mahométans, toutes
ces qualités lui auraient valu un sort enviable, s'il n'avait eu le
malheur de rencontrer sur sa route des adversaires intraitables, qui,
malgré leurs prétentions, n'eurent rien d'apostolique, acharnés à
détruire ce qu'ils appelaient une « couvée de vipères » la maison, des
Hohenstaufen.
Sa mort ne désarma pas le Saint-Siège. Innocent IV
ouvrit les hostilités en offrant la couronne de Sicile à Edmond, fils
d'Henri III d'Angleterre. Conrad IV, fils de Frédéric II, qui
revendiqua ses droits à ce royaume, fut excommunié et mourut à l'âge
de
vingt-six ans (1254). Le pape le suivit de près dans la tombe.
Urbain IV (1261-1264) (9),
successeur
du faible Alexandre IV qui avait vécu presque toujours hors
de Rome (10),
se distingua par ses sympathies pour la France (11).
Il nomma sept cardinaux français
(sur dix-sept). Son grand acte fut d'inviter Charles d'Anjou,
le
plus jeune frère de Louis IX, à occupé le trône de Sicile, fief
papal. La maison d'Anjou s'établit en Italie méridionale, avec Naples
pour capitale, et elle devint la protectrice de la papauté, rôle
délicat qui pendant des siècles devait causer bien des troubles. Sous
le pape suivant eut lieu un événement considérable, la chute de la
dynastie des Hohenstaufen. Le jeune Conradin, fils de Conrad IV, au
cours d'une campagne contre Charles d'Anjou et le Saint-Siège, fut
vaincu et exécuté à Naples (1268). La mort du pape fut suivie d'un
interrègne de trente-trois mois (29 novembre 1268 - 1er septembre
1271), dû au conflit entre les cardinaux français et italiens.
Le pontificat de Théobald Visconti,
devenu Grégoire X (1271-1276), est resté célèbre par deux grands faits
: la restauration de l'Empire germanique avec Rodolphe de Habsbourg et
la convocation à Lyon du XIVe concile oecuménique (12).
Ce pape soutint, en effet,
l'Autrichien Rodolphe contre Alphonse de Castille. Avec le nouvel
empereur s'ouvrit une longue période de paix entre l'État germanique
et
le siège de Rome (1271-1294). Rodolphe, prince religieux et modéré,
promit de respecter les droits de l'Eglise, et il renonça à à toute
prétention sur la Sicile et les États pontificaux.
Le 7 mai 1274, un grand concile se
tint à Lyon pour examiner les conditions dans lesquelles pourrait se
réaliser la réunion des Églises grecque et latine. Les délégués
d'Orient y annoncèrent que l'empereur Michel Paléologue acceptait la
primauté de l'évêque de Rome, et le Credo latin y compris le filioque.
On chanta le Symbole des Apôtres en grec et en latin. Mais l'accord
fut
repoussé par le clergé grec. Grégoire X obtint du concile la levée des
décimes de la croisade pendant six ans. Plusieurs souverains prirent
la
croix, mais cet enthousiasme tomba (13).
Après la mort de Jean XXI - le seul
pape d'origine portugaise - tué par la chute d'un plafond de son
Palais
à Viterbe (16 mal 1277), les cardinaux finirent par nommer l'Italien
Gaëtan Orsini, qui prit le nom de Nicolas III. Il se distingua par son
népotisme scandaleux et par sa résistance à l'ambition de Charles
d'Anjou. Il restaura les résidences du Vatican et du Latran. Martin IV
(1281-1285), Français d'humble origine, fut au contraire très soumis
au
roi de Sicile. Mais le régime français, devenu très impopulaire,
sombra
le 31 mars 1282, lorsque les cloches de Palerme sonnèrent les Vêpres
Siciliennes. Pierre d'Aragon s'empara de l'île, malgré
l'excommunication papale et l'attaque navale de Charles d'Anjou (14).
À la suite de deux pontificats qui
n'ont guère marqué (15), il y eut
un interrègne de deux ans
et trois mois. Les cardinaux songèrent enfin au vieil ermite Pierre,
retiré au flanc du mont Murrhone, près de Sulmone, fondateur d'une
branche de l'Ordre de saint Benoît, les Célestins. Trois d'entre eux
vinrent le trouver à la suite d'un pénible voyage, et, après avoir
prié, il accepta et prit le nom de Célestin V. Le roi de Naples et son
fils vinrent à sa rencontre. Monté sur un âne dont ils tenaient la
bride, il descendit dans la ville d'Aquilée, où les cardinaux venus de
Pérouse le consacrèrent le 24 août 1294. Très inexpérimenté malgré ses
soixante-dix-neuf ans, Pierre de Murrhone fut simplement le serviteur
de Charles Il d'Anjou. Il logeait dans une cellule au palais royal de
Naples. Pour plaire à son protecteur, il créa sept cardinaux français.
Mais sa tâche ne tarda pas à l'épouvanter. « 0 Dieu, s'écriait-il,
tandis que je gouverne les âmes
des autres, je suis en train de perdre le salut de la mienne ! » Il
abdiqua le 13 décembre à Naples, encouragé par l'ambitieux cardinal
Benoît Gaëtani, qui allait prendre sa place sous le nom exécré de
Boniface VIII, et devait le retenir en prison jusqu'à sa mort (1296)
au
château de Fumone, près d'Anagni.
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