Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE III

D'Innocent III à Boniface VIII (1198-1294).

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Le brillant pontificat d'Innocent III (1198-1216), qui éclipsa ses cinq prédécesseurs immédiats, marque l'âge d'or de la papauté médiévale (1). Avec lui, la théocratie s'est affirmée en théorie et en fait avec une incroyable audace. couronnée par le succès. Personnalité impérieuse et impériale, il nomma et déposa des rois, il fut l'animateur du IVe concile de Latran (1215), il déclencha la quatrième croisade et mourut en préparant la cinquième. Supérieur à Grégoire VII par de savoir et le tact diplomatique, il eut comme lui le caractère fort et une main de fer.

Lothaire (c'était son nom), de la famille des Conti Segni, avait été nommé cardinal-diacre à l'âge de vingt-neuf ans par un de ses oncles, le pape Clément III. Sous le pontificat de Célestin III qui lui était hostile, il se tint à l'écart. Ami des lettres et versé dans la théologie, il composa son traité, Le Mépris du Monde (2), fortement biblique, avec des menaces qui rappellent les cadences terrifiantes du Dies irae, ainsi qu'un ouvrage sur la messe (De Missarum mysteriis), où il esquissait déjà les prétentions du Saint-Siège.

En 1198, à trente-sept ans, il fut nommé pape à l'unanimité. Les fêtes de son couronnement furent splendides. À Saint-Pierre, il reçut la tiare que Constantin avait, disait-on, présentée à Silvestre, et ces paroles capiteuses furent prononcées : « Sache que tu es le père des princes et des rois, le maître du monde ! » Assis sur un palefroi blanc et enivré par ces flatteries, Innocent Ill fut escorté par les autorités municipales jusqu'au Latran, où il reçut la clef d'argent du palais et la clef d'or de la basilique. Il y eut ensuite un banquet où il se tint seul à une table (Hunter, T. 1, p. 92 et s.).

À peine en fonctions, il s'applique à exposer sa conception de la dignité papale. Dans sa fameuse lettre du 12 novembre 1199 au patriarche de Constantinople T. 214, p. 758-765), il déclare que tout, dans les cieux, sur la terre et en enfer, lui a été soumis comme à Christ. Reprenant l'image de Grégoire VII qui avait comparé le sacerdotium au soleil et l'imperium à la lune, il soutient que c'est du premier que le second tire sa dignité, « de même que la lune reçoit sa lumière du soleil » (sicut luna lumen suum a sole sortitur). Le prêtre oint le roi, mais le roi n'oint pas le prêtre : « celui qui oint est supérieur à celui qui est oint » (dignior est unguens quam unctus). Il va plus loin. Il ravale le pouvoir civil par cette formule : « Le sacerdoce procède d'une ordination divine, la puissance royale sort d'une extorsion humaine » (sacerdotium per ordinationem divinam, regnum autem per extorsionem humanam). Il conclut qu'il peut abattre les princes et mettre toutes les nations (universos populos) sous l'interdit. Ces prétentions hautaines sont souvent exprimées dans le Registre relatif aux affaires de l'Empire, et les nombreuses lettres d'Innocent III à divers souverains. Il enseigne aussi, dans sa lettre au patriarche de Constantinople, l'impossibilité pour le pape de se tromper en matière de foi.




L'état de l'Europe à cette époque encourageait cet immense orgueil. Après la mort subite d'Henri VI (1197), l'empire d'Allemagne était sans chef. Le nouveau pape, tirant parti du sentiment italien antigermanique. commença par délivrer Rome.

Le préfet, qui représentait l'empereur, et le sénateur chef de la ville reconnurent son autorité. Spolète, Assise, Pérouse et Ravenne, secouant aussi le joug étranger, se rallièrent à lui. Florence, Sienne, Pise et d'autres cités, sans aliéner leur liberté, lui accordèrent des privilèges.

En Allemagne, où Philippe de Souabe, frère d'Henri VI, et Otton, neveu de Richard Coeur de Lion, avaient été élus l'un contre l'autre, il intervint, à la demande des deux rivaux, et opta pour Otton, qui renonça à tout droit sur Naples, la Sicile et les États de l'Eglise (1201). Philippe, d'abord vainqueur, fut assassiné en 1208, et Otton reçut la couronne à Saint-Pierre de Rome (1209), mais peu après, oublieux de ses promesses, il étendit son pouvoir sur une partie de l'Italie. Innocent III n'hésita pas à l'excommunier. Une assemblée de magnats le déposa (1211) et choisit Frédéric, jeune fils d'un roi de Sicile. Ce prince fut appelé au trône (décembre 1212) et généralement accepté, et, après la défaite d'Otton à Bouvines (1214), il fut couronné à Aix-la-Chapelle (1215) et reconnu par le IVe concile du Latran. Il avait admis l'autorité du pape sur les États de l'Eglise et son droit de suzerain sur la Sicile.

Innocent III s'immisça, avec une égale décision, dans les affaires des autres souverains. En réponse à l'appel d'Ingeburge, princesse danoise, que Philippe-Auguste avait répudiée pour épouser la belle Agnès de Méranie, il mit la France en interdit et obligea son roi à reprendre sa première femme. En Espagne, à la suite d'un interdit de cinq ans, il contraignit un roi de Léon à renvoyer sa femme parce qu'elle lui était parente. Pèdre (d'Aragon) et Sancho (de Portugal) reconnurent sa suzeraineté. Le pape étendit son bras puissant jusqu'en Europe orientale : il couronna les rois de Bulgarie et de Bohême, et il fonda, comme on le verra plus loin, l'Empire latin de Constantinople.

En Angleterre, il eut un terrible conflit avec Jean sans Terre (1167-1216), fils d'Henri II, qui avait succédé en 1199 à son frère Richard 1er (3). C'était un prince actif, mais despotique et de triste moralité. « Il était, dit Hunt, faux, vindicatif, abominablement cruel et scandaleusement immoral » (4). Innocent III entra en lutte avec lui au sujet de la nomination du successeur de l'archevêque Hubert de Cantorbéry (mort en 1205). Cassant les élections de deux candidats rivaux, il consacra, en 1207, un cardinal élu par les moines de cette ville présents à Rome, Étienne, Langton, savant renommé, d'une haute valeur morale, qui devait exercer sa charge jusqu'à sa mort (1228).

Cette audace impérieuse mit Jean sans Terre hors de lui. Il chassa les moines de Cantorbéry et confisqua leurs biens. Menacé de l'interdit, il jura « par les dents de Dieu » qu'il persécuterait le clergé. Mais la sentence d'Innocent III fit tomber sur son pays un voile de deuil. Les églises furent fermées, les cloches restèrent muettes, les services religieux cessèrent. Le roi répliqua en confisquant les possessions du haut clergé et des couvents, et l'anathème personnel qui lui fut décoché (en 1209) ne fit que doubler sa cruauté. En 1212, le pape le déclara indigne de la royauté et le déposa, en déliant ses sujets de toute obligation d'obéissance. Inquiet des attaques de Philippe-Auguste et poursuivi par la haine de ses barons, qu'avaient exaspérés ses taxes arbitraires et ses libertés intolérables à l'égard de leurs femmes et de leurs filles, Jean sans Terre se soumit (15 mai 1213). Cinq mois plus tard, devant le cardinal Nicolas, il signa un acte « détestable et lamentable », selon l'expression de Matthieu Paris. Il abandonnait à l'Eglise romaine le royaume d'Angleterre et d'Irlande. et en retour il le recevait d'elle comme un « fief ». Il s'engageait, au nom de son pays, à payer à perpétuité au Saint-Siège une redevance annuelle. La victoire d'Innocent III était complète, mais cette humiliation devait provoquer plus tard la résistance de l'évêque Robert Grossetête et celle de Wyclif.

L'année suivante, par un contraste inattendu, il devint le défenseur de Jean sans Terre dans sa lutte contre les barons qui lui avaient arraché la Grande Charte (le 15 juin 1215). Ce document, d'une extrême importance, organisait en Angleterre la justice et la levée des impôts et décrétait la liberté des élections ecclésiastiques. Le roi exaspéré fit appel à Innocent III. Le pape, mécontent des barons qui ne l'avaient pas consulté, lui le suzerain, et n'avaient pas confirmé le voeu royal en faveur d'une nouvelle croisade, eut l'audace de relever Jean de son serment du 15 juin, en déclarant que cette charte, « obtenue par la force », était « nulle et vide à perpétuité ». Il dénonça, « comme pires que les Sarrasins », les prélats qui soutenaient la cause de leur peuple, il lança l'interdit contre les barons et suspendit Langton. Le conflit prit fin avec la mort du pape (16 juin 1216) et celle de Jean sans Terre qui succomba trois mois après, muni des sacrements de l'Eglise.

Signalons enfin l'activité déployée par Innocent III au IV, concile de Latran (XIIe concile oecuménique). Il l'avait convoqué dans le but de reconquérir la Terre Sainte et de réformer l'Eglise. On y vit rassemblés 71 archevêques, les patriarches de Constantinople et de Jérusalem, 412 évêques, 800 abbés et prieurs et les représentants des plus grands souverains de l'époque. Il y eut trois séances : les 11, 20 et 30 novembre 1215.
Ce concile condamna divers hérétiques, dont il sera question plus loin : Joachim de Flore, Amaury de Bène professeur à Paris, et surtout les Albigeois et les Vaudois, et il affirma la présence réelle de Jésus dans l'eucharistie en employant pour la première fois le terme de transsubstantiation pour exprimer le prétendu changement du pain et du vin un corps et en sang du Christ (cujus corpus et sanguis, in sacramento altaris, sub speciebus panis et vini veraciter continentur, transsubstantiatis pane in corpus et vino in sanguinem).

Notons encore ses soixante-sept décrets ecclésiastiques et moraux. Il fixa le rang des sièges patriarcaux, Rome en tête, interdit les Ordres monastiques nouveaux, défendit aux clercs de tenir plus d'un « bénéfice », et leur prescrivit de fuir le théâtre, la chasse, le duel, la fréquentation des auberges et l'inconduite. Il imposa à tous les fidèles la communion pascale et la confession au moins une fois par an. Il décréta enfin une cinquième croisade et en fixa la date au 1er juin 1217.

Innocent III fut, selon le juste jugement de Gregorovius, « un homme d'État accompli, un prêtre d'un haut esprit plein de ferveur religieuse, mais d'une ambition démesurée et d'une effrayante force de volonté » (Rome, V, p. 102). On est contraint d'ajouter, avec Gibbon « Il peut se vanter des deux triomphes les plus signalés sur le bon sens et l'humanité : l'établissement de la transsubstantiation et l'origine de l'Inquisition ». Il faut noter qu'il ne fut pas canonisé. À sa mort, il fut abandonné par la famille pontificale, et, au témoignage du cardinal Jacques de Vitry, « des voleurs le dépouillèrent de ses vêtements précieux ».

La lutte entre l'Eglise et l'État allemand se déchaîna de nouveau avec Frédéric II, qui la soutint contre trois papes. Elle devait durer près de quarante ans (5).
Ce grand roi, né à Ancône en 1194, était petit-fils de Frédéric Barberousse et fils d'Henri VI et de la princesse Constance héritière du royaume des Deux Siciles. Il commença par confirmer les privilèges de l'Eglise et promettre la suppression de l'hérésie et il se fit couronner empereur à Rome, en 1220, par Honorius III (1216-1227), successeur d'Innocent III. Mais il ne tarda pas à l'irriter en ajournant la croisade si chère au Saint-Siège. La prise de Damiette par Malik-al-Kameel, sultan d'Égypte (1221), ne l'ayant pas décidé, le belliqueux pontife tâche de stimuler son zèle en encourageant son mariage avec Iolanthe, fille de Jean de Brienne, roi de Jérusalem, et héritière de la couronne. Frédéric Il prit le titre, mais s'en tint là. Enfin il promit, sous peine d'excommunication, de partir en croisade au mois d'octobre 1227. Quatre mois avant ce délai, le pape mourut, mais son successeur, Grégoire IX (1227-1241), neveu d'Innocent III, énergique autant qu'instruit et éloquent, le mit en demeure de tenir son engagement. L'empereur partit de Brindes, mais il revint trois jours après, retenu, disait-il, par une épidémie. Alors le pape, perdant toute mesure, l'excommunia comme infidèle à l'Eglise qui l'avait élevé. « Celle qui s'appelle ma mère, répliqua Frédéric, me traite comme une belle-mère ! » Il partit enfin pour la croisade (la cinquième). Parvenu à Saint-Jean-d'Acre en septembre 1228, il conclut avec Malik un traité pour dix ans qui rendait Jérusalem. À son retour, il vint se heurter à l'armée du pape et il la battit. Mais les deux adversaires réconciliés dînèrent ensemble à Anagni (1er septembre 1230), et ils firent un traité de paix.

L'accession d'Enzio, fils de Frédéric II, au trône de Sardaigne - fief papal - par son mariage avec la princesse Adelasia, ralluma le conflit, et Grégoire IX anathématisa de nouveau l'empereur (1239). Une violente guerre de plume s'ensuivit. Le pape compara son ennemi à la bête de l'Apocalypse, et l'appela « fils de mensonge, roi de pestilence, loup et dragon ». Frédéric Il le traita d'Antichrist. On en vint aux armes. L'empereur refoula l'armée pontificale, mais il se retira. Grégoire réunit un concile à Rome, mais la majorité de ses membres fut capturée en mer et emprisonnée à Naples. Le pape mourut dans l'été de 1241, très âgé, mais toujours indomptable. Il s'était signalé par la canonisation de François d'Assise et de Dominique, la réunion d'un recueil de Décrétales et le renforcement de l'Inquisition.

Innocent IV (1243-1254), nommé après une longue vacance, continua la lutte avec une âpreté haineuse (6). Il se rendit secrètement à Lyon, où il convoqua le premier concile de cette ville, - le XIIIe oecuménique (1245), qui ne compta que cent quarante prélats. L'empereur ayant refusé d'y comparaître, le pape le déposa pour hérésie et violences à l'égard des prêtres. Dans sa réplique, adressée au roi d'Angleterre et aux autres princes, Frédéric Il s'insurgea contre ses prétentions temporelles, menace pour tous les souverains. Innocent IV répondit que le pape avait le pouvoir de juger les rois, et il fomenta des révoltes en Sicile, en Italie et en Allemagne, où il fit nommer un autre empereur (1246). Après quelques succès, Frédéric perdit la Lombardie. Il mourut tristement en 1250. Il fut un grand roi (7). Guerrier, législateur, homme d'État, littérateur fort érudit (8), dégagé des superstitions sans être hostile à l'Eglise, tolérant pour les Juifs et les Mahométans, toutes ces qualités lui auraient valu un sort enviable, s'il n'avait eu le malheur de rencontrer sur sa route des adversaires intraitables, qui, malgré leurs prétentions, n'eurent rien d'apostolique, acharnés à détruire ce qu'ils appelaient une « couvée de vipères » la maison, des Hohenstaufen.




Sa mort ne désarma pas le Saint-Siège. Innocent IV ouvrit les hostilités en offrant la couronne de Sicile à Edmond, fils d'Henri III d'Angleterre. Conrad IV, fils de Frédéric II, qui revendiqua ses droits à ce royaume, fut excommunié et mourut à l'âge de vingt-six ans (1254). Le pape le suivit de près dans la tombe.

Urbain IV (1261-1264) (9), successeur du faible Alexandre IV qui avait vécu presque toujours hors de Rome (10), se distingua par ses sympathies pour la France (11). Il nomma sept cardinaux français (sur dix-sept). Son grand acte fut d'inviter Charles d'Anjou, le plus jeune frère de Louis IX, à occupé le trône de Sicile, fief papal. La maison d'Anjou s'établit en Italie méridionale, avec Naples pour capitale, et elle devint la protectrice de la papauté, rôle délicat qui pendant des siècles devait causer bien des troubles. Sous le pape suivant eut lieu un événement considérable, la chute de la dynastie des Hohenstaufen. Le jeune Conradin, fils de Conrad IV, au cours d'une campagne contre Charles d'Anjou et le Saint-Siège, fut vaincu et exécuté à Naples (1268). La mort du pape fut suivie d'un interrègne de trente-trois mois (29 novembre 1268 - 1er septembre 1271), dû au conflit entre les cardinaux français et italiens.

Le pontificat de Théobald Visconti, devenu Grégoire X (1271-1276), est resté célèbre par deux grands faits : la restauration de l'Empire germanique avec Rodolphe de Habsbourg et la convocation à Lyon du XIVe concile oecuménique (12). Ce pape soutint, en effet, l'Autrichien Rodolphe contre Alphonse de Castille. Avec le nouvel empereur s'ouvrit une longue période de paix entre l'État germanique et le siège de Rome (1271-1294). Rodolphe, prince religieux et modéré, promit de respecter les droits de l'Eglise, et il renonça à à toute prétention sur la Sicile et les États pontificaux.

Le 7 mai 1274, un grand concile se tint à Lyon pour examiner les conditions dans lesquelles pourrait se réaliser la réunion des Églises grecque et latine. Les délégués d'Orient y annoncèrent que l'empereur Michel Paléologue acceptait la primauté de l'évêque de Rome, et le Credo latin y compris le filioque. On chanta le Symbole des Apôtres en grec et en latin. Mais l'accord fut repoussé par le clergé grec. Grégoire X obtint du concile la levée des décimes de la croisade pendant six ans. Plusieurs souverains prirent la croix, mais cet enthousiasme tomba (13).

Après la mort de Jean XXI - le seul pape d'origine portugaise - tué par la chute d'un plafond de son Palais à Viterbe (16 mal 1277), les cardinaux finirent par nommer l'Italien Gaëtan Orsini, qui prit le nom de Nicolas III. Il se distingua par son népotisme scandaleux et par sa résistance à l'ambition de Charles d'Anjou. Il restaura les résidences du Vatican et du Latran. Martin IV (1281-1285), Français d'humble origine, fut au contraire très soumis au roi de Sicile. Mais le régime français, devenu très impopulaire, sombra le 31 mars 1282, lorsque les cloches de Palerme sonnèrent les Vêpres Siciliennes. Pierre d'Aragon s'empara de l'île, malgré l'excommunication papale et l'attaque navale de Charles d'Anjou (14).

À la suite de deux pontificats qui n'ont guère marqué (15), il y eut un interrègne de deux ans et trois mois. Les cardinaux songèrent enfin au vieil ermite Pierre, retiré au flanc du mont Murrhone, près de Sulmone, fondateur d'une branche de l'Ordre de saint Benoît, les Célestins. Trois d'entre eux vinrent le trouver à la suite d'un pénible voyage, et, après avoir prié, il accepta et prit le nom de Célestin V. Le roi de Naples et son fils vinrent à sa rencontre. Monté sur un âne dont ils tenaient la bride, il descendit dans la ville d'Aquilée, où les cardinaux venus de Pérouse le consacrèrent le 24 août 1294. Très inexpérimenté malgré ses soixante-dix-neuf ans, Pierre de Murrhone fut simplement le serviteur de Charles Il d'Anjou. Il logeait dans une cellule au palais royal de Naples. Pour plaire à son protecteur, il créa sept cardinaux français. Mais sa tâche ne tarda pas à l'épouvanter. « 0 Dieu, s'écriait-il, tandis que je gouverne les âmes des autres, je suis en train de perdre le salut de la mienne ! » Il abdiqua le 13 décembre à Naples, encouragé par l'ambitieux cardinal Benoît Gaëtani, qui allait prendre sa place sous le nom exécré de Boniface VIII, et devait le retenir en prison jusqu'à sa mort (1296) au château de Fumone, près d'Anagni.

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(1) Opera d'innocent III (Migne, T. 214-217) ; Hurter, Gesch. Papst Innocenz III, trad. Saint-Chéron, 2e éd., trois vol., Paris 1855 ; Potthast, Regesta Pontif. roman., T. 1, Berlin 1874 (5300 bulles d'Innocent Ill y sont analysées); Léopold Delisle, Mémoires sur les Actes d'Innocent III, Paris 1858 ; Fisher, The Mediaeval Empire, deux vol., Londres 1898. 
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(2) De contemptu Mundi, sive de miserià Conditionis humanae. On y constate une brutalité toute monacale, dont voici un exemple qui ne peut se lire qu'en latin : Concipit mulier cum immunditià et foetore, parit cum tristitia et dolore, nutrit cum angustià et labore, custodit cum instantià et timore (Migne, T. 217, p. 702).
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(3) Sources : la Chronique de Roger de Wendover, le premier dès annalistes de Saint-Alban, révisée et continuée par Matthieu Paris, éd, Luard, sept vol., Londres 1872-1883 (voir le T. II). - Stubbs, The constitutional History of England, 6e éd., trois vol, Oxford 1897. 
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(4) Dictionary of national Biography, XXIX, p. 406. 
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(5) Sources : Chroniques de Matthieu Paris, éd. Luard ; Regesta d'Honorius III, éd. de Léon XIII par Presutti, Rome 1888 ; Registres de Grégoire IX, éd. L. Auvray, Paris 1896 ; Registres d'Innocent IV, éd. Berger, trois vol., Paris 1884-1897 ; Conciles, T. XXIII ; Huillard-Bréholles, Historia diplomatica Frederici Il, six vol., Paris 1832-1860 ; Raumer, Geschichte der Hohenstaufen, 5e éd., Leipzig 1878 ; J. Zeller. Fréd. Il et la Chute de l'Empire germanique du M. A., Paris 1885 ; Fisher. The Mediaeval Empire, deux vol., Londres 1898. 
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(6) Weber, Der Kampf zwischen Inn IV und Fried. II, Berlin 1900. 
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(7) Matthieu Paris l'appelle « la merveille du monde » (stupor mundi). 
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(8) Il fonda l'Université de Naples.
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(9) Les Registres d'Urbain IV, Paris 1892 ; Döllinger. Der Ubergang des Papsthunis an die Franzosen, Munich 1891.
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(10) Il est connu par une bulle regrettable, décrétant une procédure sommaire, sans avocat, devant l'Inquisition (1257).
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(11) Il était fils d'un cordonnier de Troyes, Pautaléon.
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(12) Registres, de Grégoire X, et de Jean XXI, Paris 1892-1898. 
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(13) L. Bréhier, L'Eglise et l'Orient au Moyen-Age : les Croisades, 3e éd., Paris 1911, p. 240-241.
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(14) Pendant près de deux cents ans, le royaume de Sicile et celui de Naples devaient rester séparés. 
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(15) Honorius IV, ancien étudiant de l'Université de Paris, y fit créer des chaires de langues orientales. Nicolas IV fonda les universités de Montpellier, Lisbonne et Gratz (en Styrie). Sous son pontifical, la Terre Sainte fut définitivement perdue.
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