Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE III

Saint Augustin

suite

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Pendant ce ministère de trente-sept ans, son activité fut immense.
Il prêchait souvent, presque tous les jours, dans la basilica major, dite « de la paix » (17). Il parlait familièrement, parfois sans plan, interrompu, à l'occasion, par des auditeurs qui lui faisaient des objections. Il n'avait rien d'un pontife. «Évêque, disait-il, je m'adresse à des laïques, mais je sais à combien de futurs évêques je parle ». Il recourait aux comparaisons, aux détails de là vie courante. Il usait de l'interprétation allégorique, sans négliger les commentaires grammaticaux. Le temps lui manquant pour rédiger ses sermons, des sténographes, des fidèles même, les recueillaient (18). Certains n'étaient que des paraphrases de versets bibliques, d'autres sont de précieux documents de l'état moral des Africains sensuels et passionnés pour les courses de chevaux ou les combats de gladiateurs, d'autres émeuvent par la foi et l'humilité dont ils débordent (19).

Catéchiste admirable, il s'occupait avec intelligence et conscience du plus humble de ses catéchumènes, et il leur adressait des remontrances pénétrées de charité. Pasteur des âmes, il savait descendre dans les plus petits détails de la casuistique. Il devait morigéner les moines qui ne voulaient pas travailler, les religieuses qui désobéissaient à leurs supérieures, les vierges consacrées qui revenaient à la vie mondaine. Il écrivit de nombreuses lettres (20) aux âmes qui le consultaient, brebis souvent lointaines, qui, par dessus les limites de son bercail officiel, lui demandaient un peu de nourriture...

Quant à celle du corps, Augustin la donnait à ses pauvres, grâce à des aumônes qu'il sollicitait avec persévérance. Dans les maisons léguées à l'Église, il fonda une hôtellerie pour les indigents de passage et des hôpitaux pour les malades. Il administrait les biens ecclésiastiques, refusant, à l'occasion, les donations des parents qui déshéritaient leurs enfants. Il devait gérer de nombreuses maisons et d'immenses domaines (lundi), où vivait toute une population d'artisans et d'ouvriers agricoles. Il était souvent à cheval, faisant des inspections et des enquêtes. Tous les jours, il avait à rendre la justice, au point d'en être excédé.




À peine baptisé, il sentit avec force le devoir de contredire et d'éclairer les manichéens (21). Il signala, dans plusieurs ouvrages, la fausseté de leurs principes et l'immoralité de leur conduite. Le premier parut vers 388, sous ce titre - Les Moeurs des Églises catholiques et les Moeurs des Manichéens. Les plus importants (22) sont sa réplique à la Lettre du Fondement de Mani (396) et surtout son traité, en trente-trois livres, contre Fauste le Manichéen (400). Il recourut aussi aux colloques publics. En 392, il mit en déroute le prêtre Fortunat, qui avait fait de nombreuses recrues à Hippone (23). Plus tard, en 404, le prêtre Félix, vaincu dans un tournoi analogue, rompit avec les erreurs de Manès (24).

La lutte qu'il dut soutenir contre les donatistes fut autrement dure. Il la mena avec son ardeur coutumière, doublée par sa crainte que l'Église ne se réduisit à des sectes (25). Il avait trop le sens de l'universel pour laisser en paix ceux qui brisaient son unité. Il le fit pendant longtemps avec douceur. Il disait aux siens exaspérés par les donatistes « Priez pour qu'ils rentrent dans votre communion » Sa tâche était des plus malaisées. Ces adversaires étaient puissants et redoutables. La communauté donatiste d'Hippone était plus importante que celle d'Augustin. Ce parti comptait beaucoup d'évêques, en particulier Pétilien, de Cirta, Optat, de Timgad, qui terrorisait les catholiques, les rebaptisait de force (26), et incendiait les fermes et les villas, sous le regard complaisant du gouverneur Gildon. De plus, les donatistes ne désiraient pas rentrer dans une Église qu'ils continuaient à mépriser. « Les fils des martyrs, disait Primien, primat de Carthage, ne peuvent se réunir avec la race des traditeurs ! » Leurs évêques fuyaient la discussion (27), et même, vaincus, ils ne se rendaient pas (28). Alors éclata la controverse écrite, par lettres, par traités. Augustin, complétant l'action d'Optat, évêque de Milève (voir plus haut, p. 132), écrivit onze ouvrages de controverse : un Psaume abécédaire, très simple, en strophes de douze vers terminées par un refrain, destiné à, être chanté' dans les églises (29), Le Baptême, contre les, Donatistes, en sept livres (vers 400), Contre les lettres de Pétilien (400-402), le Baptême unique, contre Pétilien (vers 410), etc. Les donatistes répondaient à ces traités par un procédé très simple, dont l'Église devait user largement, la conspiration du silence. Ils tirent plus. Ils se vengèrent en persécutant les catholiques. Augustin faillit être assassiné ; Possidius, évêque de Guelma, pensa être assommé ; l'évêque Maximien, à Bagaï, fut poignardé dans sa basilique.

Une réaction énergique s'imposait. Augustin, malgré son goût pour la tolérance (ép. 23), fut amené à souhaiter l'intervention de l'État dans certains cas, et à reconnaître les bienfaits d'une « utile terreur » (ép. 93). Dans un suprême appel à la conciliation, les donatistes furent convoqués à -une conférence (30) à Carthage (juin 411). Il en vint sept, parmi lesquels Gaudentius, évêque de Timgad. Ils furent condamnés. Honorius, auquel le parti orthodoxe avait fait appel, interdit alors leurs réunions. Il y eut une assez longue période de troubles, marquée par l'assassinat d'un prêtre catholique et par la résistance de Gaudentius au tribun Dulcitius : il déclara que, plutôt que de restituer sa basilique, il s'y brûlerait avec ses fidèles (420). C'est alors qu'Augustin, à la prière du tribun perplexe, rédigea son premier livre contre

Gaudentius, suivi d'un second en réponse à la réplique du donatiste (31). Ajoutons que les vainqueurs prêchèrent la modération dans le châtiment. L'évêque d'Hippone écrivit au tribun Marcellinus : « Nous ne voulons pas que des serviteurs de Dieu soient vengés par des supplices semblables à ceux qu'on leur a fait souffrir... Juge chrétien, remplissez le devoir d'un père ». Il y eut de nombreuses rentrées, au moins apparentes, dans la communion de l'Église.




Augustin combattit aussi avec une ardeur passionnée le moine breton Pélage, qui exagérait la puissance de la liberté humaine et niait la nécessité de la grâce divine pour l'accomplissement des oeuvres surnaturelles et méritoires (32). Cette thèse était soutenue dans ses commentaires sur les épîtres de saint Paul (33), et un petit traité (libellus fidei) adressé en 417 au pape Innocent (34). On devine le choc produit par l'optimisme outré de Pélage sur l'ancien esclave de la sensualité, qui attribuait à, Dieu seul sa libération. « Il lui fit l'effet, dit Labriolle, d'un formidable contre-sens psychologique. Sa réaction fut si vive qu'elle déconcerta bon nombre de théologiens et de fidèles... Que de coeurs anxieux a consternés sa doctrine sur la grâce, sur les destinées effrayantes réservées à la plus grande part de la masse de perdition (massa perditionis) qu'est à ses yeux l'humanité
N'est-il pas allé jusqu'à vouer à l'enfer les petits enfants morts sans baptême, les frustrant de cette medietas même, de cet état intermédiaire que réclamaient pour eux les Pélagiens ? » (35).

D'après lui (36), Adam, en désobéissant à Dieu librement par orgueil, a perdu sa perfection première, et sa « possibilité de, ne pas pécher », est devenue une « impossibilité de ne pas pécher ». Dans cet esclavage, la « liberté » de l'âme consiste à faire le mal. Le péché du premier homme est imputable à, tous ses descendants, qui étaient en germe en lui (péché originel). Ils ont tous péché en lui (d'après Rom. 5, 12). Le salut de l'homme est l'oeuvre de Dieu seul. Il le sauve par sa grâce, en lui inspirant l'amour pour lui et la foi. La possibilité historique de ce salut est la victoire remportée sur le démon par le Christ, né sans le péché originel, puisqu'il a été conçu par la Vierge. Sa vie a été une « école de moralité », et sa mort a été la rançon payée au démon pour la délivrance des pécheurs. La justification par la foi consiste, non seulement dans la rémission des péchés, mais dans le don de l'amour de Dieu, qui rend capable d'accomplir la justice. « Il justifie l'impie, c'est-à-dire il le rend juste ». Pour justifier, la foi doit se manifester par les oeuvres de l'amour, « mérites » si l'on veut, tout en étant des « dons de Dieu ». La bonne volonté de l'homme est produite en lui par a la grâce prévenante » ; elle a besoin d'être soutenue par « la grâce coopérante », puis par « la grâce subséquente ». Cette action n'est pas universelle, comme l'est le pêché originel - elle s'exerce, « irrésistible et invincible », sur ceux que Dieu a prédestinés en vertu d'un « décret libre et absolu ». En ne sauvant qu'eux, il n'est pas injuste, puisqu'il abandonne les autres à un châtiment mérité, « la mort éternelle ».

La thèse trop optimiste de Pélage alarma les Églises d'Afrique. Le synode de Carthage (411) la, condamna, et, en 416, quand on apprit que le synode de Jérusalem avait laissé à Innocent, évêque de Rome, le soin de juger de l'orthodoxie de, Pélage, et que celui de Lydda l'avait acquitté, deux assemblées, tenues à Carthage et à, Milève, renouvelèrent sa condamnation, sous l'influence d'Augustin. Uri nouveau synode de Carthage (418) obtint d'Honorius des édits contre les pélagiens. Le successeur d'Innocent sur le siège de Rome, Zosime, qui avait d'abord suspendu son jugement, invita tous les évêques à souscrire à cette sentence sous peine de déposition et d'exil. En Italie et en Sicile, dix-huit évêques renoncèrent à leur siège plutôt que de souscrire à la condamnation de Pélage et (le son disciple Coelestius. Le plus irréductible fut Julien. d'Eclane, redoutable dialecticien (37). il écrivit, contre Augustin, quatre livres à Turbantius et huit livres à Florus (38). En Grande-Bretagne, plusieurs évêques soutinrent Pélage, et le pape Célestin dut envoyer, pour les combattre, Germain, évêque d'Auxerre, et Loup, évêque de Troyes, mais les idées pélagiennes y subsistèrent encore longtemps. Dans le sud de la Gaule, l'opposition fut menée par Jean Cassien, à Marseille, et par Vincent et Fauste aux îles de Lérins. Mais de nouvelles lois impériales, publiées en 419 et en 421, achevèrent la ruine du pélagianisme. Le renom d'Augustin a, souffert de sa théologie mais son coeur valait mieux qu'elle. Comme saint Paul, qu'il a beaucoup suivi, il fut un apôtre de l'amour. N'a-t-il pas écrit : in omnibus caritas !




Non content de lutter contre les Schismes et les hérésies, Augustin fut amené à entreprendre un grand ouvrage contre le paganisme, dont il constatait avec douleur les effets désastreux, attaque qui fut une, riposte. Nous voulons parler de la Cité de Dieu (39), oeuvre considérable, en vingt-deux livres, commencée en 413 et achevée seulement en 426, publiée peu à peu et à, de longs intervalles. Le plan a souffert de cette ampleur croissante, car il s'est greffé sur le sujet des digressions multiples et encombrantes.

La prise de Rome par Alaric, en 410, avait pousse les païens à reprocher de nouveau à la religion chrétienne d'avoir causé la ruine de l'empire. Augustin voulut la disculper, mais, élargissant ce sujet, il examina longuement les rapports du christianisme et du paganisme, et le plan divin dans la direction des événements du monde.

La Cité de Dieu se divise en deux parties. Les dix premiers livres réfutent l'idée courante que la prospérité des États est liée au culte polythéiste (I-V), et l'opinion des philosophes que ce culte, bien compris, est nécessaire au bonheur de la vie future (VI-X). L'auteur commence par déclarer que le christianisme, loin d'être responsable de la chute de Rome, a contribué à en adoucir l'horreur. Marie n'a-t-il pas épargné ses églises parce qu'il était chrétien ? N'ont-elles pas servi d'asile même à des païens ? Quelle différence avec la prise de Troie, où les temples servaient de prisons et ruisselaient du sang des vaincus ! - Mais cela n'a pas empêché les massacres ! - Ils sont, réplique Augustin, les fruits amers des lois de la guerre, que les Romains ont eux-mêmes appliquées sans pitié, et d'ailleurs, ce n'est pas la première fois qu'ils les ont subies. « Où était, s'écrie-t-il (40) cette multitude de dieux quand Rome fut prise et brûlée par les Gaulois ? Ils étaient présents mais endormis peut-être... Le Capitole eût succombé lui-même si les oies n'eussent veillé sur les dieux assoupis ! Qu'elle est vaine, cette prétention d'être invincible sous des défenseurs vaincus ! » L'ardent logicien montre ensuite que la grandeur et la durée de l'Empire ne sauraient être attribuées à Jupiter ni à aucune divinité païenne, mais au seul vrai Dieu, qui a eu ses vues particulières sur lui. « Il a donné, dit-il, les royaumes de la terre aux bons et aux méchants, suivant l'ordre des choses et des temps, ignoré de nous, parfaitement connu de lui ». Augustin refuse, en outre, d'accorder à la Fatalité la moindre part dans cette prospérité.

Il se livre alors (L. VI-X) à une attaque en règle contre le paganisme. Il soutient qu'il ne s'intéresse pas à la vie éternelle, et que, son culte - celui des démons - favorise la débauche et la magie. Il lui reproche ses fables scandaleuses et son manque de « croyances fixes ». Il s'en prend ensuite aux philosophes qui ont essayé de le réhabiliter : Platon et les néo-platoniciens. S'il parle avec sympathie du premier qui a connu le vrai Dieu et s'est beaucoup approché du Christ, il reproche aux autres de faire appel à la magie.

Dans une deuxième partie (L. XI-XXII), l'auteur met en parallèle les deux cités, celle des hommes et celle de Dieu, celle des méchants et celle des élus. « L'une renferme les gens qui vivent selon la chair, l'autre ceux qui vivent selon l'esprit. Là, l'amour de soi-même est poussé jusqu'au mépris de Dieu ; ici, l'amour de Dieu va jusqu'au mépris de soi-même ». Ce terme de cité (divine), Augustin l'a emprunté à, Platon et aux stoïciens, surtout à la Bible, qui appelle Sion la « cité de Dieu » (Ps. 87, 3), et parle de la cité (grec polis) promise aux croyants (Hébr. 11, 10, etc., cf. Apoc. 3, 12 ; 21, 2). Augustin prend ce terme, comme nous l'avons vu, dans un sens théorique et général, mais il se laisse entraîner à préciser. Il l'incarne dans l'Église, à laquelle il souhaite un prince qui « mette sa puissance au service de la majesté divine, pour en propager le culte le plus possible » (41), de même qu'il incarne la cité des méchants dans l'État païen, non sans lui reconnaître une certaine « justice civile » et des services rendus à l'ordre public et à la paix (42).

Il étudie les deux cités dans leur origine (L. XI-XIV), leurs progrès (XV-XVIII) et la fin qui les attend (XIX-XXII). Dans ce cadre immense, il fait entrer toute une philosophie de l'histoire, que Bossuet reprendra. « Il suit le cours des événements, dit Gaston Boissier, depuis l'origine jusqu'aux derniers jours du monde. Les faits ne l'occupent guère, mais il insiste volontiers sur les problèmes religieux qu'il rencontre chemin faisant. C'est ainsi qu'à propos du premier homme, il traite à fond de la création et du péché originel. Puis, en suivant l'histoire des fils d'Adam et des premiers Israélites, il commente les récits merveilleux de la Bible. Arrivé aux temps historiques, il esquisse une théorie de la succession des empires et essaie de trouver la loi d'après laquelle ils se sont remplacés sur la terre. 'En même temps, il étudie les livres de David, de Salomon, des prophètes et, avec une plénitude de foi qui n'hésite jamais, il y trouve à chaque ligne l'annonce du Christ et la justification de sa doctrine. Enfin, après avoir exposé la marche parallèle des deux cités à travers les siècles, depuis Abel et Caïn jusqu'au triomphe du christianisme, il indique quel en doit être le terme, et son ouvrage s'achève par une longue étude sur la fin du monde et le jugement dernier), (43). Vision réconfortante et douce pour les chrétiens, auxquels Augustin déclare que « la volonté de cette Cité sainte sera une en tous, remplie de tout bien, jouissant de l'éternelle joie ». Aussi s'explique-t-on le succès de ce livre auprès des âmes accablées par les malheurs du temps, mais soit acceptation de tous les miracles et certaines de ses vues historiques devaient susciter plus tard la contradiction.

On doit encore à l'infatigable évêque d'Hippone de nombreux ouvrages d'exégèse : un traité De Doctrina christiana (397), manuel d'interprétation biblique, où il recommande au commentateur d'apprendre le grec et même l'hébreu, de faire appel aux ressources des sciences profanes et aux règles de bien dire, et de recourir au besoin à la méthode allégorique ; le De catechizandis Rudibus (l'Art de catéchiser les ignorants, 400), où il conseille à Déogratias, diacre de Carthage, de choisir dans l'Ecriture les faits les plus frappants, en montrant que tout en elle annonce le Christ, et, s'il s'agit d'initier des intellectuels à la foi, de leur montrer le sérieux de la vie, en leur inspirant le goût de l'humilité ; un recueil d'homélies sur les Psaumes (Enarrationes in Psalmos), pleines de vie et de saveur ; cent-vingt-quatre sermons in Joannis evangelium, remarquables par leur mysticisme, prêchés vers 416 (44).

À côté des écrits dirigés contre Pélage, il faut placer divers traités de dogmatique générale, entre autres le De Trinitate (de 398 à 416), en quinze livres, un abrégé (45) de la doctrine chrétienne, le De Fide et Symbolo (393), qui explique le symbole baptismal, le De Fide et Operibus (413), qui montre la nécessité des bonnes oeuvres pour le salut. Ajoutons enfin quelques traités de morale, qui exaltent la continence, la patience et le travail (46).




Augustin a été un écrivain génial, Quel style, vivant, varié, tour à tour noble et familier, alourdi sans doute par les digressions et trop orné d'antithèses, mais si riche en formules énergiques et inoubliables ! Qu'on en juge par ce passage des Confessions (L. I, 4), un peu précieux mais d'une netteté étincelante : « Tu aimes, dit-il à Dieu, mais sans passion ; tu es jaloux, mais sans trouble ; tu te repens, mais sans rien te reprocher ; tu t'irrites, mais tu n'en es pas plus ému ; tu changes tes opérations, mais jamais tes desseins ; tu retrouves, sans avoir jamais rien perdu ; tu exiges du profit de tes dons, sans être avare. Quoique personne n'ait rien qui ne t'appartienne, on te constitue débiteur quand on te donne ; pourtant, c'est sans rien devoir à personne que tu rends à chacun ce qui lui est dû. Enfin, quoique tu remettes ce qu'on te doit, tu n'y perds rien et tu n'en es pas plus pauvre ! »

Augustin a été le plus grand docteur de l'Église. il a enseigné tout le Moyen-Age, dit Duchesne, et maintenant encore... il demeure la grande autorité théologique » (47). Ajoutons, avec Jundt, que « la scolastique, le monachisme, l'Inquisition, le mysticisme et la théologie de la Réformation se rattachent directement à lui».

Il a été un grand catholique (48). Il avait le sens profond de l'oecuménisme chrétien. il vénérait l'Église, au point de dire : « Je ne croirais pas à l'Évangile si l'autorité de l'Église ne m'y poussait ». Sa philosophie ne se piquait point d'indépendance - elle s'assujettit à la foi traditionnelle. Mais Augustin n'a pas été catholique romain. Dans sa Cité de Dieu, il ne fait pas du pape le chef de l'Église. Il semble apprécier plus que lui Ambroise de Milan. Il tient même à affirmer, d'accord avec de nombreux collègues, l'indépendance de l'Église d'Afrique vis-à-vis des pontifes romains. Le presbytre Apiarius, de Sicca, excommunié par son évêque, en ayant appelé à Rome de ce jugement, Augustin rédigea, avec les membres du synode de Carthage (418), un canon significatif. On y déclarait que tout ecclésiastique, en appelant « au-delà des mers » d'une sentence prononcée contre lui, devait être excommunié.

On trouve, d'ailleurs, des tendances protestantes chez Augustin. Il a l'esprit presbytérien. Ce néophyte, appelé à la prêtrise par l'acclamation des fidèles, devenu évêque, tient compte de leurs volontés, souffre qu'ils l'interrompent, quand il prêche, pour le questionner. Quand il songe à choisir son successeur, il ne l'impose pas, il le propose et réclame de nombreuses signatures d'adhésion. Son point de vue sur la Bible est, à certains égards, protestant. Il la place au-dessus de tous les livres. « Tout ce qu'un homme aura appris en dehors d'elle, écrit-il, si c'est nuisible, est condamné par elle ; si c'est utile, peut s'y trouver » (La Doctrine chrétienne, L. II, ch. 42). Il déclare que « la foi est ébranlée dès que l'autorité des Écritures vacille ». Augustin est protestant enfin par son mysticisme d'un accent si personnel, source de certitude religieuse, qui place directement le fidèle en face de Dieu. Quand le calvinisme élaborera ses formules, il s'adressera à lui comme à un précurseur.

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(17) Il en fit construire une autre, celle des « huit martyrs ». 
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(18) Parmi ceux qui ont survécu sous son nom, les Bénédictins en ont distingué 363 authentiques, Si douteux et 317 apocryphes. D'autres ont été publiés depuis, en particulier par dom Morin, en 317. 
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(19) On a relevé dans leur style des tournures populaires qui annoncent les langues romanes (par exemple mulla habemus dicere vobis, nunquam fecit tale frgus), ainsi que des allitérations et des jeux de mots (Perpetua et Felicitas... perpetua felicitale floruerunt). 
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(20) Il n'en reste que 223, recueillies et classées par les Bénédictins. Les unes sont des billets parfois exquis, d'autres de véritables traités, par exemple l'épître (n°185) au comte Boniface contre les donatistes. 
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(21) C. Douais, S. Augustin contre le Manichéisme de son Temps, Paris 1895 ; P. Alfaric, L'Evol. intell, de S. A,, p. 65 ss, 279 ss. 
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(22) Il faut citer aussi le De libero Arbitrio (388), le De veva Religione (389), le De utilitate credendi (à Honorat, 391), le Contra Adimantum (394), etc. 
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(23) Il a raconté Ini-même la discussion (Contra Fortunatum Disputatio). 
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(24) De actis cum Felice Manichaeo (404). 
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(25) Voir le brillant ouvrage de L. Bertrand, S. Augustin, p. 379 ss. 
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(26) Cf. Monceaux, Hist. littér. Afrique, T. V, p, 309-328 
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(27) Tel, Proculéian, évêque d'Hippone. 
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(28) Ce fut, le cas d'Émérite, évêque de Cherchell (Augustin a écrit le récit de cette rencontre, 418). 
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(29) Cf. Monceaux, T. III, p. 495 ss, et C. Daux, Chant abécédaire de S. Augustin, Arras 1905. 
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(30) Augustin en écrivit le résumé (Breviculus collationis cum donatistis), et, l'année suivante, il adressa un message aux vaincus. 
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(31) Nous ignorons l'issue de ce conflit. Il est raconté par Monceaux, Revue de Philologie, 1907, p. 111-133. 
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(32) Cf. Roger, L'Enseignement des Lettres classiques d'Ausone à Alcuin, Paris 1905, p. 214 ; Batiffol, Le Catholicisme de S. Augustin, T. Il, p. 349 ss.
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(33) Reconstitués par A. Souter, Londres 1907.
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(34) Ses traités Sur le libre Arbitre et Sur la Nature sont perdus (à part quelques fragments).
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(35) Littér. chrét. latine, p. 524, 545. Voir l'ouvrage d'Augustin, De Peccatorum merilis et remissione et de Baptismo parvulorum, L. 1, ch. 28 (412). Autres livres importants sur ce sujet : De Naturà et Gratià (115), De gestis Pelagii (417), De Gratià, Dei et de Peccato originali (418), De Gratià et libero Arbitrio (420-427), De Corruptione et Gratià (même date), De Proedestinatione sanctorum (428-429), De Dono perseverantiae (même date). 
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(36) Cf. un bon exposé de Jundt (Encycl. Licht. art. Augustin) et Jean Rivière, Le dogme de la Rédemption chez S. A., Gabalda, Paris 1928.
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(37) Gennadius lui a consacré la notice 46. - Voir Bruckner, Julian von Eclanum, TU 1897. 
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(38) Connus par de nombreuses citations d'Augustin (dans ses deux traités contre Julien, 421 et 429-430). 
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(39) Ed. Hoffmann dans le Corpus de Vienne, T. XL, Vienne 1899-1900 ; éd. Dombart (la 3e, Leipzig 1905-1908) - Trad. franç. avec texte latin de L. Moreau, Lesort, Paris 1846. - S. Angus, The Sources of the first ten, Books of De Civitate. Dei, Princeton 1906.
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(40) Nous citons d'après la traduction de Moreau. 
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(41) Suam ad Dei cultum maxime dilatandum, majesiali ejus famulam fecilt(L. ch. 24). 
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(42) Sur les idées sociales et politiques d'Augustin, voir le répertoire des textes élaboré par Die Staats-und-Soziallehre des Aug., Fribourg en Br. 1910. 
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(43) La Fin du Paganisme, T. II, L. VI, ch. II, p. 382. 
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(44) Mentionnons encore, sans prétendre être complet, le De consensu Evangelistarum, trois commentaires sur la Genèse, deux sur l'Hexateuque, des notes sur Job, divers essais sur les évangiles, les épîtres aux Galates et aux Romains 
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(45) L'Enchiridion ad Laurentium, publié vers 421 (éd. Krabinger, Tubingue 1861). 
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(46) En particulier celui Sur le Travail des Moines, qui censure leur oisiveté. 
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(47) Hist. de l'Église, T. III, p. VIII.
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(48) P. Batiffol, Le Catholicisme de S. Augustin, Paris 1920.
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