Pendant ce
ministère de trente-sept ans, son activité fut immense.
Il prêchait souvent, presque tous
les jours, dans la basilica major, dite « de la paix » (17).
Il parlait familièrement, parfois
sans plan, interrompu, à l'occasion, par des auditeurs qui lui
faisaient des objections. Il n'avait rien d'un pontife. «Évêque,
disait-il, je m'adresse à des laïques, mais je sais à combien de
futurs
évêques je parle ». Il recourait aux comparaisons, aux détails de là
vie courante. Il usait de l'interprétation allégorique, sans négliger
les commentaires grammaticaux. Le temps lui manquant pour rédiger ses
sermons, des sténographes, des fidèles même, les recueillaient (18).
Certains
n'étaient que des paraphrases de versets bibliques, d'autres
sont de précieux documents de l'état moral des Africains sensuels et
passionnés pour les courses de chevaux ou les combats de gladiateurs,
d'autres émeuvent par la foi et l'humilité dont ils débordent (19).
Catéchiste admirable, il s'occupait
avec intelligence et conscience du plus humble de ses catéchumènes, et
il leur adressait des remontrances pénétrées de charité. Pasteur des
âmes, il savait descendre dans les plus petits détails de la
casuistique. Il devait morigéner
les moines qui ne voulaient pas travailler, les religieuses qui
désobéissaient à leurs supérieures, les vierges consacrées qui
revenaient à la vie mondaine. Il écrivit de nombreuses lettres (20)
aux âmes qui le consultaient, brebis souvent lointaines, qui, par
dessus les limites de son bercail officiel, lui demandaient un peu de
nourriture...
Quant à celle du corps, Augustin la
donnait à ses pauvres, grâce à des aumônes qu'il sollicitait avec
persévérance. Dans les maisons léguées à l'Église, il fonda une
hôtellerie pour les indigents de passage et des hôpitaux pour les
malades. Il administrait les biens ecclésiastiques, refusant, à
l'occasion, les donations des parents qui déshéritaient leurs enfants.
Il devait gérer de nombreuses maisons et d'immenses domaines (lundi),
où vivait toute une population d'artisans et d'ouvriers agricoles. Il
était souvent à cheval, faisant des inspections et des enquêtes. Tous
les jours, il avait à rendre la justice, au point d'en être excédé.
À peine baptisé, il sentit avec force le devoir de
contredire et d'éclairer les manichéens (21).
Il signala, dans plusieurs
ouvrages, la fausseté de leurs principes et l'immoralité de leur
conduite. Le premier parut vers 388, sous ce titre - Les Moeurs des
Églises catholiques et les Moeurs des Manichéens. Les plus importants
(22) sont sa réplique à la Lettre
du
Fondement de Mani (396) et surtout son traité, en trente-trois livres,
contre Fauste le Manichéen (400). Il recourut aussi aux colloques
publics. En 392, il mit en déroute le prêtre Fortunat, qui avait fait
de nombreuses recrues à Hippone (23).
Plus tard, en 404, le prêtre
Félix, vaincu dans un tournoi analogue, rompit avec les erreurs de
Manès (24).
La lutte qu'il dut soutenir contre
les donatistes fut autrement dure. Il la mena avec son ardeur
coutumière, doublée par sa crainte que l'Église ne se réduisit à des
sectes (25).
Il avait trop le sens de l'universel pour laisser en paix ceux qui
brisaient son unité. Il le fit pendant longtemps avec douceur. Il
disait aux siens exaspérés par les donatistes « Priez pour qu'ils
rentrent dans votre communion » Sa tâche était des plus malaisées. Ces
adversaires étaient puissants et redoutables. La communauté donatiste
d'Hippone était plus importante que celle d'Augustin. Ce parti
comptait
beaucoup d'évêques, en particulier Pétilien, de Cirta, Optat, de
Timgad, qui terrorisait les catholiques, les rebaptisait de force (26),
et
incendiait les fermes et les villas, sous le regard complaisant du
gouverneur Gildon. De plus, les donatistes ne désiraient pas rentrer
dans une Église qu'ils continuaient à mépriser. « Les fils des
martyrs,
disait Primien, primat de Carthage, ne peuvent se réunir avec la race
des traditeurs ! » Leurs évêques fuyaient la discussion (27),
et
même, vaincus, ils ne se
rendaient pas (28).
Alors éclata la controverse écrite, par lettres, par traités.
Augustin,
complétant l'action d'Optat, évêque de Milève (voir plus haut, p.
132),
écrivit onze ouvrages de controverse : un Psaume abécédaire, très
simple, en strophes de douze vers terminées par un refrain, destiné à,
être chanté' dans les églises (29),
Le Baptême, contre les,
Donatistes, en sept livres (vers 400), Contre les lettres de Pétilien
(400-402), le Baptême unique, contre Pétilien (vers 410), etc. Les
donatistes répondaient à ces traités par un procédé très simple, dont
l'Église devait user largement, la conspiration du silence. Ils tirent
plus. Ils se vengèrent en persécutant les catholiques. Augustin
faillit
être assassiné ; Possidius, évêque de Guelma, pensa être assommé ;
l'évêque Maximien, à Bagaï, fut poignardé dans sa basilique.
Une réaction énergique s'imposait.
Augustin, malgré son goût pour la tolérance (ép. 23), fut amené à
souhaiter l'intervention de l'État dans certains cas, et à reconnaître
les bienfaits d'une « utile terreur » (ép. 93). Dans un suprême appel
à
la conciliation, les donatistes furent convoqués à -une conférence (30)
à Carthage (juin 411). Il en vint sept, parmi lesquels Gaudentius,
évêque de Timgad. Ils furent condamnés. Honorius, auquel le parti
orthodoxe avait fait appel, interdit alors leurs réunions. Il y eut
une
assez longue période de troubles, marquée par l'assassinat d'un prêtre
catholique et par la résistance de Gaudentius au tribun Dulcitius : il
déclara que, plutôt que de restituer sa basilique, il s'y brûlerait
avec ses fidèles (420). C'est alors qu'Augustin, à la prière du tribun
perplexe, rédigea son premier livre contre
Gaudentius, suivi d'un second en
réponse à la réplique du donatiste (31).
Ajoutons que les vainqueurs
prêchèrent la modération dans le châtiment. L'évêque d'Hippone écrivit
au tribun Marcellinus : « Nous ne voulons pas que des serviteurs de
Dieu soient vengés par des supplices semblables à ceux qu'on leur a
fait souffrir... Juge chrétien, remplissez le devoir d'un père ». Il y
eut de nombreuses rentrées, au moins apparentes, dans la communion de
l'Église.
Augustin combattit aussi avec une ardeur
passionnée le moine breton Pélage, qui exagérait la puissance de la
liberté humaine et niait la nécessité de la grâce divine pour
l'accomplissement des oeuvres surnaturelles et méritoires (32).
Cette
thèse était soutenue dans ses commentaires sur les épîtres de
saint Paul (33),
et un petit traité (libellus fidei) adressé en 417 au pape Innocent (34).
On
devine le choc produit par l'optimisme outré de Pélage sur l'ancien
esclave de la sensualité, qui attribuait à, Dieu seul sa libération. «
Il lui fit l'effet, dit Labriolle, d'un formidable contre-sens
psychologique. Sa réaction fut si vive qu'elle déconcerta bon nombre
de
théologiens et de fidèles... Que de coeurs anxieux a consternés sa
doctrine sur la grâce, sur les destinées effrayantes réservées à la
plus grande part de la masse de perdition (massa perditionis) qu'est à
ses yeux l'humanité
N'est-il pas allé jusqu'à vouer à
l'enfer les petits enfants morts sans baptême, les frustrant de cette
medietas même, de cet état intermédiaire que réclamaient pour eux les
Pélagiens ? » (35).
D'après lui (36),
Adam, en désobéissant à Dieu
librement par orgueil, a perdu sa perfection première, et sa «
possibilité de, ne pas pécher », est devenue une « impossibilité de ne
pas pécher ». Dans cet esclavage, la « liberté » de l'âme consiste à
faire le mal. Le péché du premier homme est imputable à, tous ses
descendants, qui étaient en germe en lui (péché originel). Ils ont
tous
péché en lui (d'après Rom.
5,
12). Le salut de l'homme est l'oeuvre de Dieu seul. Il le
sauve par sa grâce, en lui inspirant l'amour pour lui et la foi. La
possibilité historique de ce salut est la victoire remportée sur le
démon par le Christ, né sans le péché originel, puisqu'il a été conçu
par la Vierge. Sa vie a été une « école de moralité », et sa mort a
été
la rançon payée au démon pour la délivrance des pécheurs. La
justification par la foi consiste, non seulement dans la rémission des
péchés, mais dans le don de l'amour de Dieu, qui rend capable
d'accomplir la justice. « Il justifie l'impie, c'est-à-dire il le rend
juste ». Pour justifier, la foi doit se manifester par les oeuvres de
l'amour, « mérites » si l'on veut, tout en étant des « dons de Dieu ».
La bonne volonté de l'homme est produite en lui par a la grâce
prévenante » ; elle a besoin d'être soutenue par « la grâce coopérante
», puis par « la grâce subséquente
». Cette action n'est pas universelle, comme l'est le pêché originel -
elle s'exerce, « irrésistible et invincible », sur ceux que Dieu a
prédestinés en vertu d'un « décret libre et absolu ». En ne sauvant
qu'eux, il n'est pas injuste, puisqu'il abandonne les autres à un
châtiment mérité, « la mort éternelle ».
La thèse trop optimiste de Pélage
alarma les Églises d'Afrique. Le synode de Carthage (411) la,
condamna,
et, en 416, quand on apprit que le synode de Jérusalem avait laissé à
Innocent, évêque de Rome, le soin de juger de l'orthodoxie de, Pélage,
et que celui de Lydda l'avait acquitté, deux assemblées, tenues à
Carthage et à, Milève, renouvelèrent sa condamnation, sous l'influence
d'Augustin. Uri nouveau synode de Carthage (418) obtint d'Honorius des
édits contre les pélagiens. Le successeur d'Innocent sur le siège de
Rome, Zosime, qui avait d'abord suspendu son jugement, invita tous les
évêques à souscrire à cette sentence sous peine de déposition et
d'exil. En Italie et en Sicile, dix-huit évêques renoncèrent à leur
siège plutôt que de souscrire à la condamnation de Pélage et (le son
disciple Coelestius. Le plus irréductible fut Julien. d'Eclane,
redoutable dialecticien (37). il
écrivit, contre Augustin,
quatre livres à Turbantius et huit livres à Florus (38).
En Grande-Bretagne, plusieurs
évêques soutinrent Pélage, et le pape Célestin dut envoyer, pour les
combattre, Germain, évêque d'Auxerre, et Loup, évêque de Troyes, mais
les idées pélagiennes y subsistèrent encore longtemps. Dans le sud de
la Gaule, l'opposition fut menée par Jean Cassien, à Marseille, et par
Vincent et Fauste aux îles de Lérins. Mais de nouvelles lois
impériales, publiées en 419 et en 421, achevèrent la ruine du
pélagianisme. Le renom d'Augustin a, souffert de
sa théologie mais son coeur valait mieux qu'elle. Comme saint Paul,
qu'il a beaucoup suivi, il fut un apôtre de l'amour. N'a-t-il pas
écrit
: in omnibus caritas !
Non content de lutter contre les Schismes et les
hérésies, Augustin fut amené à entreprendre un grand ouvrage contre le
paganisme, dont il constatait avec douleur les effets désastreux,
attaque qui fut une, riposte. Nous voulons parler de la Cité de Dieu (39),
oeuvre
considérable, en vingt-deux livres, commencée en 413 et achevée
seulement en 426, publiée peu à peu et à, de longs intervalles. Le
plan
a souffert de cette ampleur croissante, car il s'est greffé sur le
sujet des digressions multiples et encombrantes.
La prise de Rome par Alaric, en 410,
avait pousse les païens à reprocher de nouveau à la religion
chrétienne
d'avoir causé la ruine de l'empire. Augustin voulut la disculper,
mais,
élargissant ce sujet, il examina longuement les rapports du
christianisme et du paganisme, et le plan divin dans la direction des
événements du monde.
La Cité de Dieu se divise en deux
parties. Les dix premiers livres réfutent l'idée courante que la
prospérité des États est liée au culte polythéiste (I-V), et l'opinion
des philosophes que ce culte, bien compris, est nécessaire au bonheur
de la vie future (VI-X). L'auteur commence par déclarer que le
christianisme, loin d'être responsable de la chute de Rome, a
contribué
à en adoucir l'horreur. Marie n'a-t-il pas épargné
ses églises parce qu'il était chrétien ? N'ont-elles pas servi d'asile
même à des païens ? Quelle différence avec la prise de Troie, où les
temples servaient de prisons et ruisselaient du sang des vaincus ! -
Mais cela n'a pas empêché les massacres ! - Ils sont, réplique
Augustin, les fruits amers des lois de la guerre, que les Romains ont
eux-mêmes appliquées sans pitié, et d'ailleurs, ce n'est pas la
première fois qu'ils les ont subies. « Où était, s'écrie-t-il (40)
cette multitude de dieux quand Rome fut prise et brûlée par les
Gaulois
? Ils étaient présents mais endormis peut-être... Le Capitole eût
succombé lui-même si les oies n'eussent veillé sur les dieux assoupis
!
Qu'elle est vaine, cette prétention d'être invincible sous des
défenseurs vaincus ! » L'ardent logicien montre ensuite que la
grandeur
et la durée de l'Empire ne sauraient être attribuées à Jupiter ni à
aucune divinité païenne, mais au seul vrai Dieu, qui a eu ses vues
particulières sur lui. « Il a donné, dit-il, les royaumes de la terre
aux bons et aux méchants, suivant l'ordre des choses et des temps,
ignoré de nous, parfaitement connu de lui ». Augustin refuse, en
outre,
d'accorder à la Fatalité la moindre part dans cette prospérité.
Il se livre alors (L. VI-X) à une
attaque en règle contre le paganisme. Il soutient qu'il ne s'intéresse
pas à la vie éternelle, et que, son culte - celui des démons -
favorise
la débauche et la magie. Il lui reproche ses fables scandaleuses et
son
manque de « croyances fixes ». Il s'en prend ensuite aux philosophes
qui ont essayé de le réhabiliter : Platon et les néo-platoniciens.
S'il
parle avec sympathie du premier qui a connu le vrai Dieu et s'est
beaucoup approché du Christ, il reproche aux autres de faire appel à
la
magie.
Dans une deuxième partie (L.
XI-XXII), l'auteur met en parallèle les deux cités, celle des hommes
et celle de Dieu, celle
des méchants et celle des élus. « L'une renferme les gens qui vivent
selon la chair, l'autre ceux qui vivent selon l'esprit. Là, l'amour de
soi-même est poussé jusqu'au mépris de Dieu ; ici, l'amour de Dieu va
jusqu'au mépris de soi-même ». Ce terme de cité (divine), Augustin l'a
emprunté à, Platon et aux stoïciens, surtout à la Bible, qui appelle
Sion la « cité de Dieu » (Ps.
87,
3), et parle de la cité (grec polis) promise aux croyants
(Hébr.
11, 10, etc., cf. Apoc.
3,
12 ; 21,
2). Augustin prend ce terme, comme
nous l'avons vu, dans un sens théorique et général, mais il se laisse
entraîner à préciser. Il l'incarne dans l'Église, à laquelle il
souhaite un prince qui « mette sa puissance au service de la majesté
divine, pour en propager le culte le plus possible » (41),
de même qu'il incarne la cité des
méchants dans l'État païen, non sans lui reconnaître une certaine «
justice civile » et des services rendus à l'ordre public et à la paix
(42).
Il étudie les deux cités dans leur
origine (L. XI-XIV), leurs progrès (XV-XVIII) et la fin qui les attend
(XIX-XXII). Dans ce cadre immense, il fait entrer toute une
philosophie
de l'histoire, que Bossuet reprendra. « Il suit le cours des
événements, dit Gaston Boissier, depuis l'origine jusqu'aux derniers
jours du monde. Les faits ne l'occupent guère, mais il insiste
volontiers sur les problèmes religieux qu'il rencontre chemin faisant.
C'est ainsi qu'à propos du premier homme, il traite à fond de la
création et du péché originel. Puis, en suivant l'histoire des fils
d'Adam et des premiers Israélites, il commente les récits merveilleux
de la Bible. Arrivé aux temps historiques, il esquisse une théorie de
la succession des empires et essaie de trouver la loi d'après laquelle
ils se sont remplacés sur la terre.
'En même temps, il étudie les livres de David, de Salomon, des
prophètes et, avec une plénitude de foi qui n'hésite jamais, il y
trouve à chaque ligne l'annonce du Christ et la justification de sa
doctrine. Enfin, après avoir exposé la marche parallèle des deux cités
à travers les siècles, depuis Abel et Caïn jusqu'au triomphe du
christianisme, il indique quel en doit être le terme, et son ouvrage
s'achève par une longue étude sur la fin du monde et le jugement
dernier), (43).
Vision réconfortante et douce pour les chrétiens, auxquels Augustin
déclare que « la volonté de cette Cité sainte sera une en tous,
remplie
de tout bien, jouissant de l'éternelle joie ». Aussi s'explique-t-on
le
succès de ce livre auprès des âmes accablées par les malheurs du
temps,
mais soit acceptation de tous les miracles et certaines de ses vues
historiques devaient susciter plus tard la contradiction.
On doit encore à l'infatigable
évêque d'Hippone de nombreux ouvrages d'exégèse : un traité De
Doctrina
christiana (397), manuel d'interprétation biblique, où il recommande
au
commentateur d'apprendre le grec et même l'hébreu, de faire appel aux
ressources des sciences profanes et aux règles de bien dire, et de
recourir au besoin à la méthode allégorique ; le De catechizandis
Rudibus (l'Art de catéchiser les ignorants, 400), où il conseille à
Déogratias, diacre de Carthage, de choisir dans l'Ecriture les faits
les plus frappants, en montrant que tout en elle annonce le Christ,
et,
s'il s'agit d'initier des intellectuels à la foi, de leur montrer le
sérieux de la vie, en leur inspirant le goût de l'humilité ; un
recueil
d'homélies sur les Psaumes (Enarrationes in Psalmos), pleines de vie
et
de saveur ; cent-vingt-quatre sermons in Joannis
evangelium, remarquables par leur mysticisme, prêchés vers 416 (44).
À côté des écrits dirigés contre
Pélage, il faut placer divers traités de dogmatique générale, entre
autres le De Trinitate (de 398 à 416), en quinze livres, un abrégé (45)
de la doctrine chrétienne, le De Fide et Symbolo (393), qui explique
le
symbole baptismal, le De Fide et Operibus (413), qui montre la
nécessité des bonnes oeuvres pour le salut. Ajoutons enfin quelques
traités de morale, qui exaltent la continence, la patience et le
travail (46).
Augustin a été un écrivain génial, Quel style,
vivant, varié, tour à tour noble et familier, alourdi sans doute par
les digressions et trop orné d'antithèses, mais si riche en formules
énergiques et inoubliables ! Qu'on en juge par ce passage des
Confessions (L. I, 4), un peu précieux mais d'une netteté étincelante
:
« Tu aimes, dit-il à Dieu, mais sans passion ; tu es jaloux, mais sans
trouble ; tu te repens, mais sans rien te reprocher ; tu t'irrites,
mais tu n'en es pas plus ému ; tu changes tes opérations, mais jamais
tes desseins ; tu retrouves, sans avoir jamais rien perdu ; tu exiges
du profit de tes dons, sans être avare. Quoique personne n'ait rien
qui
ne t'appartienne, on te constitue débiteur quand on te donne ;
pourtant, c'est sans rien devoir
à personne que tu rends à chacun ce qui lui est dû. Enfin, quoique tu
remettes ce qu'on te doit, tu n'y perds rien et tu n'en es pas plus
pauvre ! »
Augustin a été le plus grand docteur
de l'Église. il a enseigné tout le Moyen-Age, dit Duchesne, et
maintenant encore... il demeure la grande autorité théologique » (47).
Ajoutons,
avec Jundt, que « la scolastique, le monachisme,
l'Inquisition, le mysticisme et la théologie de la Réformation se
rattachent directement à lui».
Il a été un grand catholique (48).
Il
avait le sens profond de l'oecuménisme chrétien. il vénérait
l'Église, au point de dire : « Je ne croirais pas à l'Évangile si
l'autorité de l'Église ne m'y poussait ». Sa philosophie ne se piquait
point d'indépendance - elle s'assujettit à la foi traditionnelle. Mais
Augustin n'a pas été catholique romain. Dans sa Cité de Dieu, il ne
fait pas du pape le chef de l'Église. Il semble apprécier plus que lui
Ambroise de Milan. Il tient même à affirmer, d'accord avec de nombreux
collègues, l'indépendance de l'Église d'Afrique vis-à-vis des pontifes
romains. Le presbytre Apiarius, de Sicca, excommunié par son évêque,
en
ayant appelé à Rome de ce jugement, Augustin rédigea, avec les membres
du synode de Carthage (418), un canon significatif. On y déclarait que
tout ecclésiastique, en appelant « au-delà des mers » d'une sentence
prononcée contre lui, devait être excommunié.
On trouve, d'ailleurs, des tendances
protestantes chez Augustin. Il a l'esprit presbytérien. Ce néophyte,
appelé à la prêtrise par l'acclamation des fidèles, devenu évêque,
tient compte de leurs volontés, souffre qu'ils l'interrompent, quand
il
prêche, pour le questionner.
Quand il songe à choisir son successeur, il ne l'impose pas, il le
propose et réclame de nombreuses signatures d'adhésion. Son point de
vue sur la Bible est, à certains égards, protestant. Il la place
au-dessus de tous les livres. « Tout ce qu'un homme aura appris en
dehors d'elle, écrit-il, si c'est nuisible, est condamné par elle ; si
c'est utile, peut s'y trouver » (La Doctrine chrétienne, L. II, ch.
42). Il déclare que « la foi est ébranlée dès que l'autorité des
Écritures vacille ». Augustin est protestant enfin par son mysticisme
d'un accent si personnel, source de certitude religieuse, qui place
directement le fidèle en face de Dieu. Quand le calvinisme élaborera
ses formules, il s'adressera à lui comme à un précurseur.
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