Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LIVRE 2

LE V ème SIÈCLE

De la mort de Théodose à l'avènement de Justinien (395-527)

CHAPITRE I

Histoire générale de l'État et de l'Église au Ve siècle.

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Avec le VI siècle, ou, plus exactement, après la mort de Théodose (395), s'ouvre une période toute nouvelle pour le monde romain et pour l'Église (1). La pression des Barbares devient irrésistible, et, pour l'endiguer, l'Empire, dont l'unité est brisée, n'a que des princes incapables, qui se tiennent cachés à Constantinople ou à Ravenne. Arcadius, fils aîné de Théodose, est chétif, endormi, sans caractère ; Honorius, son frère, est doux mais borné, avec des accès d'entêtement. Théodose II, qui, à peine âgé de sept ans, remplace Arcadius, son père (408), est instruit, de moeurs pures et assez humain, mais son indolence est telle qu'il ne lit même pas le recueil des constitutions impériales publiées depuis Constantin (Code Théodosien), qui a immortalisé son nom. Sa grande occupation, qui lui valut le surnom de « calligraphe », est de copier et d'enluminer des manuscrits. Il finit par disgracier sa soeur Pulchérie, qui l'a élevé et le domine. Le successeur d'Honorius, Valentinien III (423-455), fils de Galla Placidia, soeur de l'empereur, et du général Constance, est faible et débauché. Avec de pareils chefs, les deux Empires d'Orient et d'Occident auraient vite succombé, si le pouvoir n'avait pas été exercé par des « patrices » demi-romains et demi-barbares, tels que Stilicon et Aétius, ou entièrement barbares, comme Rikimer ou Odoacre. Les empereurs suivants, Marcien, époux de Pulchérie, en Orient, Majorien, en Occident, avaient le caractère autrement trempé, que leurs prédécesseurs, mais ils venaient trop tard. Le patrice barbare, chef de l'armée, était le maître, et les tenailles des invasions ne pouvaient plus être desserrées.

Au sein de ces tempêtes et de ces naufrages, l'Église réussit à résister et à surnager, portée par sa foi en Dieu et en sa haute mission, et sa puissance morale, déployée avec ténacité et parfois avec héroïsme, civilisa les Barbares subjugués par le prestige de ses évêques et de ses ascètes et elle fit fleurir, sur les ruines sanglantes ou noircies, un monde renouvelé.




En 405, l'Italie du nord fut ravagée par des bandes d'Alains et de Vandales, sous la conduite de Radagaise (2). Mais l'habile général Stilicon, Vandale entré au service de Borne, les battit sur les hauteurs de Fiesole, près de Florence (23 août 406), et les dispersa. Peu après (31 décembre 4,06), une autre cohue d'Alains, de Suèves et de Vandales franchit le Rhin et s'abattit sur le nord-est de la Gaule. Poursuivie, elle se réfugia dans la péninsule ibérique qu'elle dévasta. Ces Barbares devinrent « fédérés » en 411, et on les laissa s'établir en Espagne et en Portugal.
Plus redoutables furent les attaques d'Alaric, chef des Wisigoths, du moins à partir de 410.

Rappelons qu'il y avait eu, au IVe siècle, un empire gothique, formé de deux grandes tribus, les Ostrogoths à l'est du Dniester, et les Wisigoths à l'ouest de ce fleuve. Vaincu par les Huns, vers 375, il s'était démembré. Les Wisigoths se fixèrent au sud du Danube, dans la Mésie, mais ils étaient si remuants que l'empereur Valens dut les combattre. On sait qu'il fut vaincu par eux et tué à la bataille d'Andrinople (378). Théodose les battit à diverses reprises, puis il traita avec eux et en fit des soldats auxiliaires. Après sa mort, Alaric prétendit devenir le grand maître de la milice en Orient. Sur le refus indigné d'Arcadius, il envahit la Macédoine et la Grèce (396). Vaincu par Stilicon accouru d'Occident, il obtint pourtant la province de l'Illyricum (des bouches du Cattaro aux Alpes de Styrie et d'Autriche).

Bientôt (en 401), désireux de jouer un rôle militaire à l'Ouest, Alaric pénétra en Italie, mais Stilicon l'arrêta et le battit à Pollentia, en Ligurie, et à Vérone (403). Au mois de juin, il faisait, avec le jeune Honorius, une entrée triomphale à, Borne, heureuse de recevoir la visite de son souverain, qui résidait à Ravenne. « Relève-toi, reine vénérable, s'écriait alors le poète Claudien, toi qui es immortelle comme les cieux ! » Plus tard, Honorius lui ayant refusé à son tour le titre qu'il convoitait, Marie marcha sur Rome. Mais Stilicon n'était plus là pour lui barrer la route. Haï à cause de son origine barbare et de sa sympathie pour les ariens, rendu suspect par ses complaisances énigmatiques pour les Wisigoths, il avait été mis à mort en 408 avec sa famille. Alaric s'empara de Rome par trahison, dans la nuit du 24 août 410. Il la pilla, mais, bien qu'arien, il respecta, dit Villari , ses églises et le droit d'asile. Après sa mort, survenue peu après, Ataulf, soit beau-frère, pénétra en Gaule (412), occupa Narbonne, Toulouse et Bordeaux, mais il fut assassiné à Barcelone (415). Wallia, son successeur, finit par obtenir à peu près tout le territoire, compris entre la Loire, Toulouse, les Pyrénées et l'Océan. Ce fut la seconde Aquitaine, avec Toulouse pour capitale, royaume qui fut prospère jusqu'au jour où Clovis et ses fils le détruisirent. La Gaule parut pacifiée, et Honorius réorganisa en 418 ses assemblées provinciales. Elles eurent pour siège Arles, devenue résidence du préfet du prétoire des Gaules, à la place de Trèves trop menacée.

Le choc qui vint ensuite fut celui des Huns. Vers la fin du IVe siècle, ils s'étaient établis dans les forêts de la Germanie. Un de leurs chefs, Attila, impose à Théodose Il un tribut annuel de sept cent livres d'or, et, plus tard (447), ravage la Macédoine et la Grèce, et franchit le Rhin à la hauteur de Mayence (451). On connaît sou entrée en Gaule (3), sa défaite sous les murs d'Orléans par Aétius, qu'avait appelé saint Aiguan, évêque de la ville, et sa déroute près de Troyes, dans le Muriacus campas (451). Toutefois, dès l'année suivante, il envahissait l'Italie du nord et détruisait Aquilée. Les Venètes durent se réfugier dans les îles bordant la côte entre la Piave et l'Adige, où leur résidence, plusieurs fois déplacée, se fixera, au IXe siècle, à Rivo-alto, qui prendra leur nom (Venise). Devant la menace d'Attila, le grand pape Léon vint à sa rencontre, au nom de Valentinien III, lui offrir la paix. Le Barbare accepta, et revint aux rives du Danube, où il devait mourir un an après (453). Son empire disparut avec lui. Les Ostrogoths, qui avaient été incorporés dans ses armées, recouvrèrent leur indépendance, et se fixèrent, entre, Vienne et Sirmium (Mitiovitza). C'est de là qu'ils devaient descendre en Italie, en 489, avec leur roi Théodoric.
Après avoir écarté les Huns, l'Empire dut subir les vagues d'assaut des Vandales (4).

Ces peuplades, après avoir parcouru la Gaule, franchirent les Pyrénées et se répandirent dans la péninsule ibérique (5). En 429, elles passèrent en Afrique, avec les Alains, sous la conduite de Genséric, appelées par Boniface, comte d'Afrique, Thrace d'origine, commissaire impérial, qui, à cause de son inertie et de sa cupidité, avait été déclaré ennemi de l'Empire. Après dix ans de guerre, marqués par d'affreux ravages et par le siège d'Hippone, où s'était enfermé Boniface réconcilié avec la cour de Ravenne (430), elles s'emparèrent de Carthage et de la province d'Afrique (nord de lit Tunisie). Genséric devint même pour Rome un nouvel Annibal. Profitant du trouble causé par le meurtre de Valentinien III, que deux officiers d'Aétius punirent d'avoir assassiné leur chef (16 mars 455), il pénétra dans Reine le 2 juin et la pilla pendant quatorze jours. Il y prit, comme d'un coup de filet, Eudoxie, veuve de L'empereur, et ses deux filles. Puis il acheva, de conquérir la Mauritanie, la Numidie (l'Algérie) et même la Tripolitaine, et défit les flottes impériales près du cap Bon. Il mourut en 477, après avoir conclu la paix avec Zénon, empereur d'Orient, qui lui avait abandonné les provinces d'Afrique et les îles de la Méditerranée occidentale.




Huit princes se succédèrent en Occident, après la mort de Valentinien III (6). Le plus remarquable fut Majorien (457-461). Il résidait à Rome, et il se montrait souvent en Gaule, où il se fit reconnaître des Wisigoths, qui avaient nommé un empereur à la mort de Valentinien III. Il fut tué par le patrice Rikimer, fils de la fille de Wallia, le vrai maître de l'Occident. À la mort de ce dernier (472), Oreste, Romain d'Illyrie, prit le pouvoir sous le nom de son fils, Romulus Augustule. Mais Odoacre, chef des mercenaires germaniques campés autour de Milan, déposa en 476 ce qu'on peut appeler, avec Ferdinand Lot, « la marionnette impériale ». Il fixa sa résidence à Ravenne, et il gouverna l'Italie, d'après les idées romaines, sous l'autorité nominale de l'empereur d'Orient.

La chute de Romulus Augustule ne fit que consacrer le démembrement de l'Empire d'Occident. Les provinces danubiennes avaient déjà été abandonnées aux Gépides et aux Marcomans, à l'exception de la Dalmatie. La Grande-Bretagne était tombée entre les mains des Saxons et des pirates scots vertus d'Irlande. Les Burgondes, établis par Aétius, et) 443, entre Yverdon et Grenoble avec Genève pour centre, avaient. annexé Lyon et le Vivarais (de 461 à 470). Les Francs Saliens, fixés dès 358 au nord du Brabant, s'étaient avancés jusqu'à, la Somme après la mort d'Aétius. Les Francs Ripuaires, installés à Cologne, avaient pris Trèves vers 455. L'Afrique était perdue. Le roi wisigoth Euric (466-484) avait conquis la Tarraconaise en Espagne (7) ainsi que l'Auvergne, et, à partir de 476. Arles, Marseille et toute la côte de Provence. L'Empire d'Occident périt, comme un vieillard dont les membres paralysés finissent par se refroidir.

Les causes de cette ruine et le degré de responsabilité qui en retomba sur le christianisme ont été souvent discutés (8). La fuite des fonctions publiques conseillée par Tertullien, la répulsion pour le métier des armes, l'exode au désert de moines innombrables, les troubles causés par les controverses dogmatiques souvent peu raisonnables et peu chrétiennes, ont contribué sans nul doute à l'affaiblissement de l'Empire. Pourtant, comme l'a signalé G. Boissier, ces diverses tendances dataient de plus loin que les temps de l'Église. Cela est vrai, en particulier, du refroidissement de l'esprit militaire. Le christianisme n'y a pas poussé. Le concile d'Arles (314) a même condamné ceux qui refuseraient le service armé. L'Empire a été, écrase par sa masse, ses fautes et le rouleau compresseur des Barbares.
Le règne d'Odoacre ne devait pas durer longtemps.

En 489, Théodoric, roi des Ostrogoths, qui avait reçu les litres de « citoyen romain, patrice et maître de la milice », descendit de Pannonie en Italie. Il était poussé par Zénon, empereur d'Orient, désireux de l'éloigner de Constantinople, à déloger Odoacre et à s'établir à sa place comme « fédéré ». Vaincu à trois reprises, ce dernier s'enferma dans Ravenne, où il soutint un siège de trois ans. Les deux rivaux tirent la paix et se partagèrent le royaume d'Italie, mais, quelques jours après, an cours d'un banquet, Théodoric tua Odoacre, de sa propre main (15 mars 493).

Son règne (493-526) fut marqué par un esprit d'or(Ire et de largeur. Réservant aux Goths le métier des armes, il confia les fonctions administratives aux Romains. il écrivait au Sénat avec déférence, et nommait les consuls d'accord avec l'empereur. Aidé d'un grand ministre, Cassiodore, il remit en vigueur les traditions romaines. Il restaura les remparts de la vieille capitale, le Colisée et le théâtre de Pompée, et para sa résidence, Ravenne, d'églises et autres édifices (9) décorés dans le style byzantin (10). À sa cour se réveilla la culture classique. On doit citer les noms de Boèce, consul et savant renommé, et d'Ennodius, évêque de Pavie, poète et panégyriste attitré du souverain (11).

Bien que, soumis à Constantinople, Théodoric joua le rôle d'empereur d'Occident. Il avait fortifié son pouvoir par des alliances de famille. Sa femme était soeur de Clovis, sa épousa le toi des Vandales. Il défendit la Provence contre l'avidité du roi des Francs, après sa victoire sur les Wisigoths à Vouillé (507). En Espagne, il faisait figure de suzerain. Quoiqu'il fut arien, il protégea l'orthodoxie. Mais ses idées dogmatiques Le désignèrent à la défiance de l'Église et de l'empereur d'Orient. On oublia sa bienveillance, et des intrigues se nouèrent. La répression fut cruelle (525). Théodoric fit périr Boèce, son favori, et le sénateur Symmaque, beau-père de la victime, et il jeta le pape Jean en prison. Il mourut un an après. Son royaume subsista jusqu'en 536, date où Bélisaire devait, l'anéantir (12).




L'Empire d'Orient (la pars Orientis), réussit à résister à la tourmente, mais il mena, au Ve siècle, une existence assez misérable (13). Sous Arcadius, fantoche manié tour à tour par Rutin, Eutrope et Eudoxie, les tragédies se succédèrent. Le ministre Rufin est tué par un Goth, son ennemi Gaïnas. Ce dernier périt, vaincu par Fravita, son compatriote. Cette race, si en faveur sous Théodose, tombe dans le discrédit, et l'on en fait un grand massacre à Constantinople (en 400). Le successeur de Rufin, l'eunuque Eutrope, déconsidéré par sa cupidité et ses vices et flétri par le cruel et étincelant pamphlet de Claudien, périt à son tour, victime du ressentiment d'Eudoxie. Jean Chrysostome, qui s'est attiré lui aussi la haine de l'impératrice, va mourir en exil.

Sous Théodose Il, fils d'Arcadius (408-450), il faut signaler la fondation, en 425, de l'École de Constantinople, qui prit vite de l'importance, en attendant de supplanter celle d'Athènes, la rédaction du Code Théodosien et la grande controverse christologique (14), qui aboutit à, la condamnation de Nestorius, patriarche de, Constantinople, au concile oecuménique d'Éphèse (431). D'autre part, l'Empire d'Orient s'efforce d'éluder la menace barbare avec des traités et de l'argent. Il conclut avec la Perse une paix de cent ans (422). Il paie tribut à Rugila, roi des Huns, et, à partir de 444 environ, à son neveu et successeur Attila.

Marcien (450-457), brave et pieux, époux spirituel de Pulchérie, soeur de Théodose II, se distingua par sa résistance aux exigences d'Attila, qui n'eut pas le temps de se venger, car il périt en 453. Léon, dit le Thrace (457-474), personnage obscur, élevé au trône par le vrai maître de l'Empire, Aspar, fils d'un guerrier alain, fut si discuté que le patriarche Anatole dut lui donner quelque crédit en lui mettant la couronne sur la tête. « C'est, observe F. Lot, le premier exemple de couronnement d'un empereur par un ecclésiastique. Et il est gros de conséquences pour l'avenir » (15). Sous son règne fut anéantie, par l'assassinat d'Aspar, la prédominance des Mains dans l'Empire d'Orient. Le successeur de Léon, son !gendre Zénon (474-491), rude montagnard d'Isaurie (au nord du Taurus Cicilien) se signala par l'intérêt qu'il prit à la controverse monophysite sur la personne du Christ, dont nous parlerons plus loin. Il crut la terminer, en 482, par sa « lettre d'union » (l'Hénoticon), mais il déchaîna ainsi un schisme de trente-cinq ans avec l'Église de Rome (16).

Anastase, de Durazzo (491-518), empereur débonnaire et soucieux du bien public, abolit les combats d'hommes et de bêtes fauves (499), mais il provoqua des troubles en voulant imposer une formule christologique. Accusé de monophysisme et menacé de perdre son trône, il dut s'excuser en plein cirque (512). Son successeur Justin (518-527), paysan macédonien, fit cesser le schisme avec l'Église d'Occident. Malheureusement, il persécuta les sectes chrétiennes, les ariens surtout. En 523, il leur ordonna de livrer leurs églises aux orthodoxes, mesure qui provoqua l'animosité de Théodoric, arien plus tolérant que lui. En 527, il fut remplacé par son neveu, Justinien.




Au cours de cette période si tourmentée, l'Église, comme l'Empereur, lutta pour sa vie et pour la civilisation. Respectée et soutenue par les empereurs, et, même par Théodoric, elle opposa toute sa force morale aux vagues d'assaut des invasions. C'est ainsi qu'Augustin, dans sa Cité de Dieu et lors du siège d'Hippone, releva par sa dialectique et par son exemple le courage des chrétiens inquiets. Plusieurs chefs de l'Église furent même amenés à jouer un rôle politique en faveur de l'Empire. Lorsque Gaïnas, campé en Chalcédoine, en face de Constantinople, exigea qu'on lui livrât trois hauts personnages, Jean Chrysostome eut une entrevue avec lui, et obtint qu'ils fussent simplement exilés, La situation de Rome, souvent menacée, parfois dévastée, imposa à la papauté la mission de résister aux envahisseurs. Tel fut le rôle éclatant du pape Léon le Grand (440-461), immortalisé par sa rencontre avec Attila, près de Peschiera. Lorsque Genséric se présenta devant Rome (455), il vint conférer avec lui, mais il ne put empêcher le pillage. Il obtint pourtant que les églises ne seraient pas brûlées et que ceux qui ne feraient pas de résistance auraient la vie sauve. Plus tard, Félix III (483-492) supplia Zénon d'intervenir auprès du roi vandale Hunerich pour faire cesser la persécution des orthodoxes en Afrique, tentative qui échoua d'ailleurs, malgré le zèle de l'empereur.

En dépit de tous les obstacles, le christianisme continua ses conquêtes au Ve siècle. Il se répandit chez les Goths, surtout sous la forme arienne. La conduite d'Alaric, qui respecta, en 400, les églises de Rome, montre qu'il avait reçu une teinture évangélique. Sous Théodoric, l'Évangile accentua ses progrès chez les Goths et parmi les peuples barbares qui recherchaient leur alliance. Quant aux Alains, Suèves et Vandales, leur adhésion à la foi arienne eut lieu, semble-t-il, au début du Ve siècle.

Cinquante ans plus tard, les Burgondes, baptisés par un évêque de Trèves, se rallièrent au christianisme orthodoxe, déjà florissant dans les évêchés de Genève, de Martigny et d'autres encore. Gondebaud, qui s'établit à Genève, fit reconstruire la basilique, détruite par un incendie, sur l'emplacement occupé par la cathédrale de saint Pierre (17), et Avit, évêque do Vienne, en Dauphiné, vint la consacrer en 516.

En Grande-Bretagne, le christianisme fut paralysé au Ve siècle. Des invasions, favorisées par le retrait des légions d'Honorius (409), apportèrent le polythéisme germanique ou scandinave. Ces étrangers « se vengèrent sur le culte chrétien de la longue résistance que les Bretons leur avaient opposée. Les églises furent démolies, les monastères pillés et brûlés, les troupeaux dispersés, les prêtres massacrés au pied des autels. La plupart des Bretons échappés au carnage se réfugièrent en Écosse, dans le pays de Galles, dans les monastères de l'Irlande ou dans l'Armorique gauloise » (18).

L'Irlande, d'abord réfractaire (en 430) aux efforts de l'archidiacre romain Palladius, qui n'en connaissait pas la langue, se laissa évangéliser par un jeune Écossais, originaire de Glascow, qui prit plus tard le nom de Patrick. Emmené captif dans l'île verte, il y était resté berger pendant seize ans ; puis, après un séjour dans sa patrie, suivi de longues haltes aux monastères de Marmoutier et de Lérins, il revint en Irlande, où il devait mourir en 465. Il prêcha dans les campagnes à d'humbles auditoires réunis au son du tambour, et avec l'aide de quelques nobles, il fit élever des couvents. L'Irlande, « île des saints », devint un puissant foyer missionnaire.

Passons à l'autre extrémité de l'Empire. En Perse, la situation des chrétiens s'améliora au début du Ve siècle, avec la paix conclue entre Rome et ce pays (401). Marouta (19), évêque de Maipherkat (Mésopotamie), habile négociateur de cette paix, obtint du roi Isdegerde la permission de rebâtir les églises et de célébrer le culte. Malgré l'hostilité jalouse des mages, il conquit encore davantage la faveur du monarque et) guérissant par ses prières soit fils atteint de troubles nerveux, et, au dire de Socrate (H. E. Vll, 8), il faillit le gagner à sa foi. Mais le fanatisme imprudent d'Abdas, évêque de Suse, qui fit démolir un temple où brûlait le feu sacré, emblème d'Ormuzd, et refusa de le rebâtir, provoqua, en 418, une grande persécution qui dura une trentaine d'années. Varanès, successeur d'Isdegerde, dominé comme lui par les mages, inventa les tortures les plus raffinées. Il réclama même de l'empereur d'Orient l'extradition des chrétiens perses qui avaient fui sur son territoire.
Le rejet de sa demande, s'ajoutant à d'autres motifs, ralluma la guerre entre les deux États, et le sort des Églises de Perse n'en devint que plus rigoureux. Un trait d'admirable charité d'un évêque (Acace) contribua là rétablir la paix religieuse. Affligé de la triste situation de six mille prisonniers perses que les Romains refusaient de rendre, il dit à son clergé : « Dieu ne boit ni ne mange et n'a donc besoin ni de plats ni de calices », et, avec le produit des vases sacrés de son diocèse, il paya, la rançon des captifs. Varanès, très ému, voulut voir ce noble évêque, et, d'après Socrate, il déclara que les Romains surpassaient les Perses en magnificence en temps de paix autant qu'en vaillance pendant la guerre. À cette époque, les Églises de ce pays adoptèrent la doctrine des partisans de Nestorius, proscrits par l'Empire d'Orient.

En Arménie, le christianisme progressa, au début du Ve siècle, grâce aux efforts combinés d'Isaac Sahag, appelé le Grand, auteur d'hymnes et d'un manuel liturgique, et de Mesrob, ancien ministre de deux rois, devenu moine (dcd. 441). Ce dernier inventa un alphabet arménien, et, avec l'aide de Sahag, traduisit toute la Bible d'après le syriaque (20). Il fit, semble-t-il, des hymnes de pénitence pour le carême et des traductions d'ouvrages grecs et syriaques. Ses disciples les plus connus furent Eznig, écrivain élégant, qui contribua à réviser la Bible arménienne (vers 432) et composa un ouvrage en quatre livres, la Réfutation des Sectes, dirigé en particulier contre Marcion. (21) ; l'évêque Elisée le Docteur, auteur d'une Histoire de Vartan et de la Guerre des Arméniens, où il racontait avec émotion la lutte héroïque soutenue par ce général et ses troupes contre les Perses de 449 à 451 (22) ; Lazare de Pharbe, dit le Rhéteur, qui a laissé une Histoire d'Arménie faisant suite à celle d'Agathange, de l'an 388 à l'an 485 (23) ; Jean Mandakuni (dcd. vers 498), auteur de prières liturgiques et d'un canon de pénitence (24), et surtout Moïse de Khorène, personnage énigmatique, qui écrivit vers le VIII siècle une grande Histoire de l'Arménie en quatre livres, depuis les origines du monde jusqu'au règne de l'empereur, Zénon (25). La foi chrétienne s'implanta en Arménie avec tant de vigueur qu'elle devait y résister à toutes les causes de dissolution.

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(1) CI. F. Lot, Le Monde antique, Ile partie, ch. Il et III. 
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(2) Geffroy, Rome et les Barbares, 1874 ; Himly, Histoire de la formation territoriale des États de l'Europe centrale, T. I, 1876 ; Lavisse, Histoire de France, T. II, 1ère partie: Halphen, Les Barbares, L. I, ch. II-IV. 
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(3) Amédée Thierry, Histoire d'Attila, deux vol. Paris 1864. 
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(4) L. Schmidt, Gesch. der Vandalen, Leipzig 1901 : Audollent, Carthage romaine (de 146 av. J.-C. à 698 après J.-C.), Paris 1901 ; Martroy, L'Occident à l'époque byzantine, Paris 1901. 
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(5) Une province, l'Andalousie, a gardé leur nom.
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(6) Amédée Thierry, Derniers temps de l'Empire d'occident, 6e éd. Paris 1883. 
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(7) Altamira, Historia de Espana, 3e ed. Barcelone, 1913-1914.
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(8) voir G. Boissier, La Fin du Paganisme, T. Il, L. Vl ch. I, et F. Lot, ouvrage cité, p. 257 ss.
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(9) Le palais et le mausolée royaux, la basilique d'Hercule etc. 
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(10) André Michel, Histoire de l'Art, T. 1er, première partie, Paris 1901 ; Ch. Diehl, Ravenne, Paris 1903.
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(11) Dumoulin, Le gouvernement de Théodoric d'après les oeuvres d'Ennodius, Revue Historique, 1902.
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(12) Voir G. Romano, Le dominazioni barbariche in Italia (395-1024), Milan 1909.
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(13) Charles Diehl, Histoire de t'Empire Byzantin, Paris 1919 ; Bury, History of the later Roman Empire from the death of Theodosius I to the death of Justinian, T. II, Londres 1923. 
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(14) Elle sera exposée dans le chapitre suivant.
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(15) Le Monde antique, p. 253. 
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(16) En 484, le pape Félix III excommunia les patriarches de Constantinople et d'Antioche, auteurs de cette lettre d'union.
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(17) Rilliet, Études paléographiques, Genève 1866. 
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(18) Chastel, Hist. du Christianisme, T. Il, p. 71.
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(19) Il est encore connu par le recueil qu'il fit, vers 410, des Actes des martyrs perses morts dans la persécution de Sapor II (Ed. Bedjan, Acta martyrum et sanctorum, T. II, Paris 1891). 
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(20) Sa vie a été racontée par Gorioun, évêque en Géorgie (texte dans Langlois, Collection, etc., T. II, p. 3-16). 
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(21) Traduit en français par Levaillant de Florival, Paris 1853 
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(22) Traduction dans Langlois, Collection, etc. T. II, p. 177-251. 
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(23) Langlois, Collection, T. II, p. 253-368. 
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(24) Traduit en anglais par Conybeare, Rituale Armenorum Oxford 1905, p. 294-295. 
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(25) Langlois, Collection, T. Il, p. 45-175. 
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