Avec le VI
siècle, ou, plus exactement, après la mort de Théodose (395), s'ouvre
une période toute nouvelle pour le monde romain et pour l'Église (1).
La
pression des Barbares devient irrésistible, et, pour l'endiguer,
l'Empire, dont l'unité est brisée, n'a que des princes incapables, qui
se tiennent cachés à Constantinople ou à Ravenne. Arcadius, fils aîné
de Théodose, est chétif, endormi, sans caractère ; Honorius, son frère,
est doux mais borné, avec des
accès d'entêtement. Théodose II, qui, à peine âgé de sept ans,
remplace
Arcadius, son père (408), est instruit, de moeurs pures et assez
humain, mais son indolence est telle qu'il ne lit même pas le recueil
des constitutions impériales publiées depuis Constantin (Code
Théodosien), qui a immortalisé son nom. Sa grande occupation, qui lui
valut le surnom de « calligraphe », est de copier et d'enluminer des
manuscrits. Il finit par disgracier sa soeur Pulchérie, qui l'a élevé
et le domine. Le successeur d'Honorius, Valentinien III (423-455),
fils
de Galla Placidia, soeur de l'empereur, et du général Constance, est
faible et débauché. Avec de pareils chefs, les deux Empires d'Orient
et
d'Occident auraient vite succombé, si le pouvoir n'avait pas été
exercé
par des « patrices » demi-romains et demi-barbares, tels que Stilicon
et Aétius, ou entièrement barbares, comme Rikimer ou Odoacre. Les
empereurs suivants, Marcien, époux de Pulchérie, en Orient, Majorien,
en Occident, avaient le caractère autrement trempé, que leurs
prédécesseurs, mais ils venaient trop tard. Le patrice barbare, chef
de
l'armée, était le maître, et les tenailles des invasions ne pouvaient
plus être desserrées.
Au sein de ces tempêtes et de ces
naufrages, l'Église réussit à résister et à surnager, portée par sa
foi
en Dieu et en sa haute mission, et sa puissance morale, déployée avec
ténacité et parfois avec héroïsme, civilisa les Barbares subjugués par
le prestige de ses évêques et de ses ascètes et elle fit fleurir, sur
les ruines sanglantes ou noircies, un monde renouvelé.
En 405, l'Italie du nord fut ravagée par des
bandes d'Alains et de Vandales, sous la conduite de Radagaise
(2).
Mais l'habile général Stilicon, Vandale entré au service de Borne, les
battit sur les hauteurs de Fiesole, près de Florence (23 août 406), et
les dispersa. Peu après (31 décembre 4,06), une autre cohue d'Alains,
de Suèves et de Vandales franchit le Rhin et s'abattit sur le nord-est
de la Gaule. Poursuivie, elle se réfugia dans la péninsule ibérique
qu'elle dévasta. Ces Barbares devinrent « fédérés » en 411, et on les
laissa s'établir en Espagne et en Portugal.
Plus redoutables furent les attaques
d'Alaric, chef des Wisigoths, du moins à partir de 410.
Rappelons qu'il y avait eu, au IVe
siècle, un empire gothique, formé de deux grandes tribus, les
Ostrogoths à l'est du Dniester, et les Wisigoths à l'ouest de ce
fleuve. Vaincu par les Huns, vers 375, il s'était démembré. Les
Wisigoths se fixèrent au sud du Danube, dans la Mésie, mais ils
étaient
si remuants que l'empereur Valens dut les combattre. On sait qu'il fut
vaincu par eux et tué à la bataille d'Andrinople (378). Théodose les
battit à diverses reprises, puis il traita avec eux et en fit des
soldats auxiliaires. Après sa mort, Alaric prétendit devenir le grand
maître de la milice en Orient. Sur le refus indigné d'Arcadius, il
envahit la Macédoine et la Grèce (396). Vaincu par Stilicon accouru
d'Occident, il obtint pourtant la province de l'Illyricum (des bouches
du Cattaro aux Alpes de Styrie et d'Autriche).
Bientôt (en 401), désireux de jouer
un rôle militaire à l'Ouest, Alaric pénétra en Italie, mais Stilicon
l'arrêta et le battit à Pollentia, en Ligurie, et à Vérone (403). Au
mois de juin, il faisait, avec le jeune Honorius, une entrée
triomphale
à, Borne, heureuse de recevoir la visite de son souverain, qui
résidait
à Ravenne. « Relève-toi, reine vénérable, s'écriait alors le poète
Claudien, toi qui es immortelle
comme les cieux ! » Plus tard, Honorius lui ayant refusé à son tour le
titre qu'il convoitait, Marie marcha sur Rome. Mais Stilicon n'était
plus là pour lui barrer la route. Haï à cause de son origine barbare
et
de sa sympathie pour les ariens, rendu suspect par ses complaisances
énigmatiques pour les Wisigoths, il avait été mis à mort en 408 avec
sa
famille. Alaric s'empara de Rome par trahison, dans la nuit du 24 août
410. Il la pilla, mais, bien qu'arien, il respecta, dit Villari , ses
églises et le droit d'asile. Après sa mort, survenue peu après,
Ataulf,
soit beau-frère, pénétra en Gaule (412), occupa Narbonne, Toulouse et
Bordeaux, mais il fut assassiné à Barcelone (415). Wallia, son
successeur, finit par obtenir à peu près tout le territoire, compris
entre la Loire, Toulouse, les Pyrénées et l'Océan. Ce fut la seconde
Aquitaine, avec Toulouse pour capitale, royaume qui fut prospère
jusqu'au jour où Clovis et ses fils le détruisirent. La Gaule parut
pacifiée, et Honorius réorganisa en 418 ses assemblées provinciales.
Elles eurent pour siège Arles, devenue résidence du préfet du prétoire
des Gaules, à la place de Trèves trop menacée.
Le choc qui vint ensuite fut celui
des Huns. Vers la fin du IVe siècle, ils s'étaient établis dans les
forêts de la Germanie. Un de leurs chefs, Attila, impose à Théodose Il
un tribut annuel de sept cent livres d'or, et, plus tard (447), ravage
la Macédoine et la Grèce, et franchit le Rhin à la hauteur de Mayence
(451). On connaît sou entrée en Gaule (3),
sa défaite sous les murs d'Orléans
par Aétius, qu'avait appelé saint Aiguan, évêque de la ville, et sa
déroute près de Troyes, dans le Muriacus campas (451). Toutefois, dès
l'année suivante, il envahissait l'Italie du nord et détruisait
Aquilée. Les Venètes durent se réfugier dans les îles bordant la côte
entre la Piave et l'Adige, où leur résidence, plusieurs fois déplacée,
se fixera, au IXe siècle, à
Rivo-alto, qui prendra leur nom (Venise). Devant la menace d'Attila,
le
grand pape Léon vint à sa rencontre, au nom de Valentinien III, lui
offrir la paix. Le Barbare accepta, et revint aux rives du Danube, où
il devait mourir un an après (453). Son empire disparut avec lui. Les
Ostrogoths, qui avaient été incorporés dans ses armées, recouvrèrent
leur indépendance, et se fixèrent, entre, Vienne et Sirmium
(Mitiovitza). C'est de là qu'ils devaient descendre en Italie, en 489,
avec leur roi Théodoric.
Après avoir écarté les Huns,
l'Empire dut subir les vagues d'assaut des Vandales (4).
Ces peuplades, après avoir parcouru
la Gaule, franchirent les Pyrénées et se répandirent dans la péninsule
ibérique (5).
En 429, elles passèrent en Afrique, avec les Alains, sous la conduite
de Genséric, appelées par Boniface, comte d'Afrique, Thrace d'origine,
commissaire impérial, qui, à cause de son inertie et de sa cupidité,
avait été déclaré ennemi de l'Empire. Après dix ans de guerre, marqués
par d'affreux ravages et par le siège d'Hippone, où s'était enfermé
Boniface réconcilié avec la cour de Ravenne (430), elles s'emparèrent
de Carthage et de la province d'Afrique (nord de lit Tunisie).
Genséric
devint même pour Rome un nouvel Annibal. Profitant du trouble causé
par
le meurtre de Valentinien III, que deux officiers d'Aétius punirent
d'avoir assassiné leur chef (16 mars 455), il pénétra dans Reine le 2
juin et la pilla pendant quatorze jours. Il y prit, comme d'un coup de
filet, Eudoxie, veuve de L'empereur, et ses deux filles. Puis il
acheva, de conquérir la Mauritanie, la Numidie (l'Algérie) et même la
Tripolitaine, et défit les flottes impériales près du cap Bon. Il mourut
en 477, après avoir conclu la
paix avec Zénon, empereur d'Orient, qui lui avait abandonné les
provinces d'Afrique et les îles de la Méditerranée occidentale.
Huit princes se succédèrent en Occident, après la
mort de Valentinien III (6). Le
plus remarquable fut Majorien
(457-461). Il résidait à Rome, et il se montrait souvent en Gaule, où
il se fit reconnaître des Wisigoths, qui avaient nommé un empereur à
la
mort de Valentinien III. Il fut tué par le patrice Rikimer, fils de la
fille de Wallia, le vrai maître de l'Occident. À la mort de ce dernier
(472), Oreste, Romain d'Illyrie, prit le pouvoir sous le nom de son
fils, Romulus Augustule. Mais Odoacre, chef des mercenaires
germaniques
campés autour de Milan, déposa en 476 ce qu'on peut appeler, avec
Ferdinand Lot, « la marionnette impériale ». Il fixa sa résidence à
Ravenne, et il gouverna l'Italie, d'après les idées romaines, sous
l'autorité nominale de l'empereur d'Orient.
La chute de Romulus Augustule ne fit
que consacrer le démembrement de l'Empire d'Occident. Les provinces
danubiennes avaient déjà été abandonnées aux Gépides et aux Marcomans,
à l'exception de la Dalmatie. La Grande-Bretagne était tombée entre
les
mains des Saxons et des pirates scots vertus d'Irlande. Les Burgondes,
établis par Aétius, et) 443, entre Yverdon et Grenoble avec Genève
pour
centre, avaient. annexé Lyon et le Vivarais (de 461 à 470). Les Francs
Saliens, fixés dès 358 au nord du Brabant, s'étaient avancés jusqu'à,
la Somme après la mort d'Aétius. Les Francs Ripuaires, installés à
Cologne, avaient pris Trèves vers 455. L'Afrique était perdue. Le roi
wisigoth Euric (466-484) avait conquis
la Tarraconaise en Espagne (7)
ainsi que l'Auvergne, et, à partir de
476. Arles, Marseille et toute la côte de Provence. L'Empire
d'Occident
périt, comme un vieillard dont les membres paralysés finissent par se
refroidir.
Les causes de cette ruine et le
degré de responsabilité qui en retomba sur le christianisme ont été
souvent discutés (8).
La fuite des fonctions publiques conseillée par Tertullien, la
répulsion pour le métier des armes, l'exode au désert de moines
innombrables, les troubles causés par les controverses dogmatiques
souvent peu raisonnables et peu chrétiennes, ont contribué sans nul
doute à l'affaiblissement de l'Empire. Pourtant, comme l'a signalé G.
Boissier, ces diverses tendances dataient de plus loin que les temps
de
l'Église. Cela est vrai, en particulier, du refroidissement de
l'esprit
militaire. Le christianisme n'y a pas poussé. Le concile d'Arles (314)
a même condamné ceux qui refuseraient le service armé. L'Empire a été,
écrase par sa masse, ses fautes et le rouleau compresseur des
Barbares.
Le règne d'Odoacre ne devait pas
durer longtemps.
En 489, Théodoric, roi des
Ostrogoths, qui avait reçu les litres de « citoyen romain, patrice et
maître de la milice », descendit de Pannonie en Italie. Il était
poussé
par Zénon, empereur d'Orient, désireux de l'éloigner de
Constantinople,
à déloger Odoacre et à s'établir à sa place comme « fédéré ». Vaincu à
trois reprises, ce dernier s'enferma dans Ravenne, où il soutint un
siège de trois ans. Les deux rivaux tirent la paix et se partagèrent
le
royaume d'Italie, mais, quelques jours après, an cours d'un banquet,
Théodoric tua Odoacre, de sa propre main (15 mars 493).
Son règne (493-526) fut marqué par
un esprit d'or(Ire et de largeur. Réservant aux Goths le métier des
armes, il confia les fonctions administratives aux Romains. il
écrivait
au Sénat avec déférence, et nommait les consuls d'accord avec
l'empereur. Aidé d'un grand ministre, Cassiodore, il remit en vigueur
les traditions romaines. Il restaura les remparts de la vieille
capitale, le Colisée et le théâtre de Pompée, et para sa résidence,
Ravenne, d'églises et autres édifices (9)
décorés dans le style byzantin (10).
À
sa cour se réveilla la culture classique. On doit citer les noms de
Boèce, consul et savant renommé, et d'Ennodius, évêque de Pavie, poète
et panégyriste attitré du souverain (11).
Bien que, soumis à Constantinople,
Théodoric joua le rôle d'empereur d'Occident. Il avait fortifié son
pouvoir par des alliances de famille. Sa femme était soeur de Clovis,
sa épousa le toi des Vandales. Il défendit la Provence contre
l'avidité
du roi des Francs, après sa victoire sur les Wisigoths à Vouillé
(507).
En Espagne, il faisait figure de suzerain. Quoiqu'il fut arien, il
protégea l'orthodoxie. Mais ses idées dogmatiques Le désignèrent à la
défiance de l'Église et de l'empereur d'Orient. On oublia sa
bienveillance, et des intrigues se nouèrent. La répression fut cruelle
(525). Théodoric fit périr Boèce, son favori, et le sénateur Symmaque,
beau-père de la victime, et il jeta le pape Jean en prison. Il mourut
un an après. Son royaume subsista jusqu'en 536, date où Bélisaire
devait, l'anéantir (12).
L'Empire d'Orient (la pars Orientis), réussit à
résister à la tourmente, mais il mena, au Ve siècle, une existence
assez misérable (13).
Sous Arcadius, fantoche manié tour à tour par Rutin, Eutrope et
Eudoxie, les tragédies se succédèrent. Le ministre Rufin est tué par
un
Goth, son ennemi Gaïnas. Ce dernier périt, vaincu par Fravita, son
compatriote. Cette race, si en faveur sous Théodose, tombe dans le
discrédit, et l'on en fait un grand massacre à Constantinople (en
400).
Le successeur de Rufin, l'eunuque Eutrope, déconsidéré par sa cupidité
et ses vices et flétri par le cruel et étincelant pamphlet de
Claudien,
périt à son tour, victime du ressentiment d'Eudoxie. Jean Chrysostome,
qui s'est attiré lui aussi la haine de l'impératrice, va mourir en
exil.
Sous Théodose Il, fils d'Arcadius
(408-450), il faut signaler la fondation, en 425, de l'École de
Constantinople, qui prit vite de l'importance, en attendant de
supplanter celle d'Athènes, la rédaction du Code Théodosien et la
grande controverse christologique (14),
qui aboutit à, la condamnation de
Nestorius, patriarche de, Constantinople, au concile oecuménique
d'Éphèse (431). D'autre part, l'Empire d'Orient s'efforce d'éluder la
menace barbare avec des traités et de l'argent. Il conclut avec la
Perse une paix de cent ans (422). Il paie tribut à Rugila, roi des
Huns, et, à partir de 444 environ, à son neveu et successeur Attila.
Marcien (450-457), brave et pieux,
époux spirituel de Pulchérie, soeur de Théodose II, se distingua par
sa
résistance aux exigences d'Attila, qui n'eut pas le temps de se
venger,
car il périt en 453. Léon, dit le Thrace (457-474), personnage obscur,
élevé au trône par le vrai maître de l'Empire, Aspar, fils d'un
guerrier alain, fut si discuté que le patriarche Anatole dut lui
donner
quelque crédit en lui mettant la couronne sur la tête. « C'est,
observe
F. Lot, le premier exemple de couronnement d'un empereur par un
ecclésiastique. Et il est gros de conséquences pour l'avenir » (15).
Sous
son règne fut anéantie, par l'assassinat d'Aspar, la prédominance
des Mains dans l'Empire d'Orient. Le successeur de Léon, son !gendre
Zénon (474-491), rude montagnard d'Isaurie (au nord du Taurus
Cicilien)
se signala par l'intérêt qu'il prit à la controverse monophysite sur
la
personne du Christ, dont nous parlerons plus loin. Il crut la
terminer,
en 482, par sa « lettre d'union » (l'Hénoticon), mais il déchaîna
ainsi
un schisme de trente-cinq ans avec l'Église de Rome (16).
Anastase, de Durazzo (491-518),
empereur débonnaire et soucieux du bien public, abolit les combats
d'hommes et de bêtes fauves (499), mais il provoqua des troubles en
voulant imposer une formule christologique. Accusé de monophysisme et
menacé de perdre son trône, il dut s'excuser en plein cirque (512).
Son
successeur Justin (518-527), paysan macédonien, fit cesser le schisme
avec l'Église d'Occident. Malheureusement, il persécuta les sectes
chrétiennes, les ariens surtout. En 523, il leur ordonna de livrer
leurs églises aux orthodoxes, mesure qui provoqua l'animosité de
Théodoric, arien plus tolérant que lui. En 527, il fut remplacé par
son
neveu, Justinien.
Au cours de cette période si tourmentée, l'Église,
comme l'Empereur, lutta pour sa vie et pour la civilisation. Respectée
et soutenue par les empereurs, et, même par Théodoric, elle opposa
toute sa force morale aux vagues d'assaut des invasions. C'est ainsi
qu'Augustin, dans sa Cité de Dieu et lors du siège d'Hippone, releva
par sa dialectique et par son exemple le courage des chrétiens
inquiets. Plusieurs chefs de l'Église furent même amenés à jouer un
rôle politique en faveur de l'Empire. Lorsque Gaïnas, campé en
Chalcédoine, en face de Constantinople, exigea qu'on lui livrât trois
hauts personnages, Jean Chrysostome eut une entrevue avec lui, et
obtint qu'ils fussent simplement exilés, La situation de Rome, souvent
menacée, parfois dévastée, imposa à la papauté la mission de résister
aux envahisseurs. Tel fut le rôle éclatant du pape Léon le Grand
(440-461), immortalisé par sa rencontre avec Attila, près de
Peschiera.
Lorsque Genséric se présenta devant Rome (455), il vint conférer avec
lui, mais il ne put empêcher le pillage. Il obtint pourtant que les
églises ne seraient pas brûlées et que ceux qui ne feraient pas de
résistance auraient la vie sauve. Plus tard, Félix III (483-492)
supplia Zénon d'intervenir auprès du roi vandale Hunerich pour faire
cesser la persécution des orthodoxes en Afrique, tentative qui échoua
d'ailleurs, malgré le zèle de l'empereur.
En dépit de tous les obstacles, le
christianisme continua ses conquêtes au Ve siècle. Il se répandit chez
les Goths, surtout sous la forme arienne. La conduite d'Alaric, qui
respecta, en 400, les églises de Rome, montre qu'il avait reçu une
teinture évangélique. Sous Théodoric, l'Évangile accentua ses progrès
chez les Goths et parmi les peuples barbares qui recherchaient leur
alliance. Quant aux Alains, Suèves et Vandales,
leur adhésion à la foi arienne eut lieu, semble-t-il, au début du Ve
siècle.
Cinquante ans plus tard, les
Burgondes, baptisés par un évêque de Trèves, se rallièrent au
christianisme orthodoxe, déjà florissant dans les évêchés de Genève,
de
Martigny et d'autres encore. Gondebaud, qui s'établit à Genève, fit
reconstruire la basilique, détruite par un incendie, sur l'emplacement
occupé par la cathédrale de saint Pierre (17),
et Avit, évêque do Vienne, en
Dauphiné, vint la consacrer en 516.
En Grande-Bretagne, le christianisme
fut paralysé au Ve siècle. Des invasions, favorisées par le retrait
des
légions d'Honorius (409), apportèrent le polythéisme germanique ou
scandinave. Ces étrangers « se vengèrent sur le culte chrétien de la
longue résistance que les Bretons leur avaient opposée. Les églises
furent démolies, les monastères pillés et brûlés, les troupeaux
dispersés, les prêtres massacrés au pied des autels. La plupart des
Bretons échappés au carnage se réfugièrent en Écosse, dans le pays de
Galles, dans les monastères de l'Irlande ou dans l'Armorique gauloise
» (18).
L'Irlande, d'abord réfractaire (en
430) aux efforts de l'archidiacre romain Palladius, qui n'en
connaissait pas la langue, se laissa évangéliser par un jeune
Écossais,
originaire de Glascow, qui prit plus tard le nom de Patrick. Emmené
captif dans l'île verte, il y était resté berger pendant seize ans ;
puis, après un séjour dans sa patrie, suivi de longues haltes aux
monastères de Marmoutier et de Lérins, il revint en Irlande, où il
devait mourir en 465. Il prêcha dans les campagnes à d'humbles
auditoires réunis au son du tambour, et avec l'aide de quelques
nobles,
il fit élever des couvents. L'Irlande, « île des saints », devint un
puissant foyer missionnaire.
Passons à l'autre extrémité de
l'Empire. En Perse, la situation des chrétiens s'améliora au début du
Ve siècle, avec la paix conclue entre Rome et ce pays (401). Marouta (19),
évêque
de Maipherkat (Mésopotamie), habile négociateur de cette paix,
obtint du roi Isdegerde la permission de rebâtir les églises et de
célébrer le culte. Malgré l'hostilité jalouse des mages, il conquit
encore davantage la faveur du monarque et) guérissant par ses prières
soit fils atteint de troubles nerveux, et, au dire de Socrate (H. E.
Vll, 8), il faillit le gagner à sa foi. Mais le fanatisme imprudent
d'Abdas, évêque de Suse, qui fit démolir un temple où brûlait le feu
sacré, emblème d'Ormuzd, et refusa de le rebâtir, provoqua, en 418,
une
grande persécution qui dura une trentaine d'années. Varanès,
successeur
d'Isdegerde, dominé comme lui par les mages, inventa les tortures les
plus raffinées. Il réclama même de l'empereur d'Orient l'extradition
des chrétiens perses qui avaient fui sur son territoire.
Le rejet de sa demande, s'ajoutant à
d'autres motifs, ralluma la guerre entre les deux États, et le sort
des
Églises de Perse n'en devint que plus rigoureux. Un trait d'admirable
charité d'un évêque (Acace) contribua là rétablir la paix religieuse.
Affligé de la triste situation de six mille prisonniers perses que les
Romains refusaient de rendre, il dit à son clergé : « Dieu ne boit ni
ne mange et n'a donc besoin ni de plats ni de calices », et, avec le
produit des vases sacrés de son diocèse, il paya, la rançon des
captifs. Varanès, très ému, voulut voir ce noble évêque, et, d'après
Socrate, il déclara que les Romains surpassaient les Perses en
magnificence en temps de paix autant qu'en vaillance pendant la
guerre.
À cette époque, les Églises de ce pays adoptèrent la doctrine des
partisans de Nestorius, proscrits par l'Empire
d'Orient.
En Arménie, le christianisme
progressa, au début du Ve siècle, grâce aux efforts combinés d'Isaac
Sahag, appelé le Grand, auteur d'hymnes et d'un manuel liturgique, et
de Mesrob, ancien ministre de deux rois, devenu moine (dcd. 441). Ce
dernier inventa un alphabet arménien, et, avec l'aide de Sahag,
traduisit toute la Bible d'après le syriaque (20).
Il fit, semble-t-il, des hymnes de
pénitence pour le carême et des traductions d'ouvrages grecs et
syriaques. Ses disciples les plus connus furent Eznig, écrivain
élégant, qui contribua à réviser la Bible arménienne (vers 432) et
composa un ouvrage en quatre livres, la Réfutation des Sectes, dirigé
en particulier contre Marcion. (21)
; l'évêque Elisée le Docteur,
auteur d'une Histoire de Vartan et de la Guerre des Arméniens, où il
racontait avec émotion la lutte héroïque soutenue par ce général et
ses
troupes contre les Perses de 449 à 451 (22)
; Lazare de Pharbe, dit le Rhéteur,
qui a laissé une Histoire d'Arménie faisant suite à celle d'Agathange,
de l'an 388 à l'an 485 (23) ;
Jean Mandakuni (dcd. vers 498),
auteur de prières liturgiques et d'un canon de pénitence (24),
et
surtout Moïse de Khorène, personnage énigmatique, qui écrivit vers
le VIII siècle une grande Histoire de l'Arménie en quatre livres,
depuis les origines du monde jusqu'au règne de l'empereur, Zénon (25).
La
foi chrétienne s'implanta en Arménie avec tant de vigueur qu'elle
devait y résister à toutes les causes de dissolution.
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