L'organisation
ecclésiastique, à laquelle la vie morale et sociale des chrétiens fut,
comme dans les âges précédents, étroitement liée, se fortifia encore
au
IVe siècle. Elle nous est connue d'abord par les écrits des docteurs
de
l'Église et par les décisions des conciles : les vingt canons de celui
de Nicée, « législation sans caractère synthétique, dit Duchesne,
toute
de circonstance », ceux des conciles de Sardique (347) et de
Constantinople (381).
Bien plus complètes sont les
indications qu'on puise dans les Constitutions (diataxeis) des saints
Apôtres ou Apostoliques, compilation, en huit livres, d'éléments
d'époques différentes, qui paraît être d'origine syrienne et dater de
la fin du IVe siècle (1). Les douze
apôtres, auxquels saint
Paul est associé, sont censés réunis à Jérusalem, avec divers
disciples
dont Clément, chargé d'envoyer les règlements aux Églises. Tantôt
c'est
le collège des douze qui parle, tantôt c'est Pierre ou un autre. Les
six premiers livres sont le, développement de la Didascalie des douze
Apôtres, écrit disciplinaire qui
semble avoir été composé en Syrie dans la seconde moitié du IIIe
siècle (2).
Le L. 1er révèle l'esprit de ce recueil : forte inspiration biblique
avec textes nombreux, proscription de la littérature profane. Le livre
suivant contient des règles relatives au choix des évêques, fondé sur
leurs qualités morales, et lit leurs devoirs, en particulier la
bienveillance envers les membres de l'Église coupables. Il donne aussi
des prescriptions sur les diacres, qui sont « l'oreille, l'oeil, la
bouche, le coeur, l'âme (le l'évêque ». Les L. III et IV légifèrent,
l'un sur les veuves, l'autre sur les orphelins, l'éducation des
enfants, les rapports des maîtres et des esclaves, la virginité. Le L.
V, dont la substance date du temps des persécutions, recommande de
prendre soin des frères emprisonnés pour leur foi et de fuir la
société
païenne, et il indique des fêtes à observer. Le livre suivant traite
de
l'hérésie et du schisme (3).
Le L. VII, après s'être inspiré de
la Didakhé, dont il reproduit l'image des « deux voies », contient des
instructions sur le catéchuménat et le baptême, une liturgie
eucharistique, puis une liste des premiers évêques de Jérusalem, Rome,
Antioche, Alexandrie et d'autres villes. Le L. VIII, utilisant la
Constitution ecclésiastique égyptienne (4),
fait donner par Pierre des
règlements sur l'élection des évêques. Le recueil reproduit,
en
appendice, 85 canons, avec des formules provenant du concile
d'Antioche (341). Sa christologie, qui se rattache à un arianisme
mitigé, lui a valu sa condamnation par un concile (392).
Pour mieux comprendre le développement
ecclésiastique au IVe siècle, jetons un coup d'oeil sur son évolution
antérieure (5).
Au régime de l'inspiration
individuelle primitive, celui des dons spirituels (charismes), avec
des
prophètes, des docteurs et des présidents (proïstamenoï), avait
succédé, dans la seconde moitié du 1er siècle, une sorte de
fonctionnarisme sédentaire, peu favorable aux prédicateurs itinérants
(cf. 3 Jean), dirigé, par, des évêques (épiscopoï, surveillants),
confondus alors avec les presbytres (presbuteroï, anciens) (Phil.
1,
1, etc.). Le culte se distinguait par sa simplicité et sa
liberté. Du temps de Pline le jeune, celui du dimanche comprenait la
lecture des livres saints, l'enseignement, les chants alternés et la
Cène détachée, on ne sait à quelle époque, de l'agape fraternelle. Le
baptême se pratiquait encore par immersion, parfois par triple
aspersion (d'après la Didakhé), avec la formule trinitaire qui avait
remplacé celle du début, « au nom du Christ » (Actes
2,
38 ; 8,
16 ; Rom.
6, 3). Symbole de purification
intérieure par la repentance, toujours plein de saveur spirituelle (1
Pierre, 3, 21), il avait pour complément « le baptême de
l'Esprit » (Actes,
8, 16-17).
Le IIe siècle vit grandir le pouvoir
épiscopal. La nécessité d'une forte discipline adaptée à la croissance
des Églises, l'épreuve des persécutions et des hérésies
qui
groupa les fidèles, comme vers des centres de résistance, autour de
leurs chefs, Faction personnelle d'Ignace, d'Irénée et de quelques
autres, contribuèrent à le fortifier. On l'accrut encore en le
présentant comme une institution fondée sur la succession apostolique.
Irénée prétendit fournir la liste des évêques de Rome et de Smyrne,
Eusèbe celle des évêques de Jérusalem. Certains sièges épiscopaux
durent leur prestige spécial, non pas à une primauté créée par
Jésus-Christ ou ses apôtres, mais à l'importance historique ou
géographique de leurs villes et au chiffre de leur population. Celui
de
Rome passa vite au premier plan, surtout sous l'impulsion de l'évêque
Victor. On vit croître aussi la foi en l'Église une et universelle,
célébrée par Irénée, et l'autorité des synodes délibérant sur de
graves
questions. Pourtant, cette évolution fut lente, en général. La charge
d'évêque restait confondue avec celle de presbytre dans certaines
Églises (6).
À cette époque, les fidèles (laïci) ne formaient pas une classe bien
tranchée, subordonnée à celle du clergé (clerus, ou classe). Ils
participaient aux élections ainsi qu'aux assemblées synodales.
Au IIe siècle, le culte se déroulait
dans des lieux variés, et ce n'est qu'au suivant que s'élevèrent des «
maisons de prières » qui prirent le nom d'« églises ». il était à la
fois un sacrifice spirituel et une action de grâces (eucharistie),
dont
la Cène était l'expression la plus parfaite. On célébrait les fêtes de
Pâques et de Pentecôte, et, au début du III e siècle, l'Épiphanie
(apparition divine, celle de Jésus), le 6 janvier. il y eut alors
quelques innovations. Le culte des martyrs apparut en 155, date du
supplice de Polycarpe. Le baptême fut lié à l'entrée des catéchumènes
dans l'Église, qui, dans son ensemble, l'administrait (Justin Martyr,
Apologie I, 61). Il était sans doute le couronnement
d'une
préparation spirituelle intense, mais l'idée sacramentaire s'y
glissait déjà. Certains s'imaginaient que le néophyte ne pouvait pas
retomber dans les péchés dont il avait été purifié (7).
Au IIIe siècle, l'évêque voit son
prestige redoubler, mais il partage toujours son pouvoir avec le
clergé
et le « consentement des fidèles » (Cyprien, ép. 14). on exige de lui
des qualités morales, et aucun caractère magique ne lui est attaché.
Le
clergé prend aussi de l'importance, mais sans que l'esprit clérical se
déchaîne. Le célibat ne lui est pas encore imposé. Pourtant, on sent
grandir la tendance à le réclamer. La suprématie de l'épiscopat romain
s'affirme, mais, comme le montre l'attitude de Cyprien envers Étienne,
elle est encore discutée. Les conciles se succèdent, sans renier leur
esprit primitif, et des laïques y prennent part (Cyprien, ép. 55). La
discipline est mieux organisée. La pénitence consiste en une «
confession » solennelle des fautes devant l'Église. Toutefois, dans le
culte apparurent des changements qui, d'après Tertullien, ne pouvaient
se justifier par les Écritures. La Cène fut réservée aux baptisés, et
l'on commença à voir en elle, avec un sacrifice d'actions de grâces,
un
acte sacré destiné à compléter l'immolation du Christ au Calvaire. Le
baptême, tout en gardant sa portée morale, continuait à s'imprégner
d'esprit sacramentaire. On lui attribuait une vertu intrinsèque, dont
on voulait faire profiter les petits enfants.
Avec le triomphe du christianisme et sa large
diffusion, le prestige de l'évêque redoubla, « Rien de plus complet et
de mieux rempli », dit Chateaubriand, que la vie des prélats du IVe
siècle. Un évêque baptisait,
confessait, prêchait, ordonnait des pénitences privées ou publiques,
lançait des anathèmes ou levait des excommunications, visitait les
malades, assistait les mourants, enterrait les morts, rachetait les
captifs, nourrissait les pauvres, les veuves, les orphelins fondait
des
hospices et des maladreries, administrait les biens du clergé,
prononçait comme juge de paix dans les causes particulières ou
arbitrait des différents outre les villes. Il publiait en même temps
des traités de morale, de discipline, de théologie, écrivait contre
les
hérésiarques et contre les philosophes, s'occupait de science et
d'histoire, dictait des lettres, correspondait avec les Églises et les
évêques, les moines et les ermites, siégeait à des conciles, était
chargé de négociations... Les trois pouvoirs religieux, politique et
philosophique s'étaient concentrés dans l'évêque » (8).
Si ce portrait n'est exact que pour
des personnalités de première grandeur, telles qu'Ambroise et
Augustin,
il n'en est pas moins vrai que l'évêque était devenu alors un
personnage. Il forme, avec le clergé, « le sénat de l'Église ». Il a
le
pouvoir de « juger les pécheurs ». Il est « le Dieu terrestre après
Dieu (Constit. apost. L. II).
Quand il s'agit d'en élire un, les
évêques voisins se rassemblent dans l'église, et dès que l'assemblée a
fait son choix, le prélat qui préside, entouré de ses collègues, des
anciens et des diacres, prononce la formule de consécration, demandant
pour le nouvel élu l'effusion du Saint-Esprit, puis il lui impose les
mains. L'évêque consacré échange le baiser de paix avec ses collègues
;
il bénit l'assemblée, et la Cène est célébrée (Constit, apost, L.
VIII). Il reste toujours chargé de prêcher et d'administrer le baptême
aux catéchumènes, mais, parmi ses fonctions multiples, il en est une
nouvelle, qui lui est conférée par l'État, celle de rendre la justice,
non seulement à ses fidèles mais
aux païens (foi, épiscopal). il a une autre mission, plus importante
encore : il s'entretient avec les empereurs, les conseille, leur
adresse même des remontrances ou leur résiste. Le préfet Modeste, qui
se plaignait de l'intransigeance de Basile et déclarait que personne
ne
lui avait parlé comme lui, reçut cette réponse : « C'est que, sans
doute, tu n'as pas encore rencontré un évêque » ! Devant Théodose,
Amphiloque, si l'on en croit Théodoret (H. E. V, 16), affecta de ne
pas
saluer le jeune Arcadius, pour faire comprendre au père, au moyen
d'une
offense reçue par son fils, la gravité de celle que, d'après lui, on
inflige à Dieu en tolérant les ariens (9).
Parmi les évêques, il en est qui
sont plus considérables que d'autres, les métropolitains. Leurs
collègues suivent leurs avis, mais parfois ils leur résistent.
Tel Cyrille de Jérusalem, qui refuse
d'obéir à son chef, Acace de Césarée. (Sozomène, H. E. IV, 25). Fier,
en effet, du caractère apostolique de son siège, il s'écriait : « Les
autres entendent seulement, mais nous, nous voyons et nous touchons »
!
Parmi ces métropolitains, celui de Rome continue à
émerger au IVe siècle, Ascension lente d'ailleurs, comme le prouve
l'histoire de cette Église, longtemps sans éclat. Résumons-en les
phases principales (10).
Marcel, nommé en 308, en un temps où
la persécution de Dioclétien avait faibli, réorganisa le culte à Rome
dans des édifices provisoires, et imposa une pénitence
rigoureuse
aux apostats repentants. À la suite d'une émeute causée par
plusieurs d'entre eux, il fut exilé par Maxence. Eusèbe, son
successeur, subit le même sort, et il mourut en Sicile vers 310. Plus
favorisé qu'eux, Miltiade obtint de Maxence la restitution des églises
(311). Il fut mis en évidence par le concile tenu à Rome, ail Palais
de
Latran (11),
sur l'initiative de Constantin, pour juger Donat (313). Sylvestre, qui
le remplaça en 314, n'assista pas au concile d'Arles (314), qui fut
aussi défavorable à, Donat que le précédent, mais les membres de
l'assemblée lui écrivirent pour le prier, en vertu de « son autorité
plus étendue », de publier leurs décisions, Sous son pontificat, se
produisit un événement qui devait largement contribuer à, fortifier
l'autorité du siège de Rome, la fondation de Constantinople (324). La
vieille capitale, l'Italie même, se sentirent comme abandonnées. « Son
évêque », dit l'historien italien ViIlari, dans ses Invasioni
barbariche in Italia, « voulut être, non seulement le successeur de
saint Pierre, mais aussi de Romulus et d'Auguste, en formant un empire
religieux », Les transferts successifs de la résidence impériale à
Sirmium ou à Trèves, en humiliant Rome de nouveau, devaient exalter
encore le prestige de son chef spirituel.
Jules (336-352), successeur de Marc,
dont le pontificat fut très court, présida le concile de Rome (340),
qui réhabilita Marcel d'Ancyre, et il en notifia les décisions aux
évêques orientaux dans une lettre digne et modérée, où il plaidait la
cause de la justice et de la charité. Libère (352-366) refusa
d'approuver ses légats qui, au concile d'Arles (353), avaient condamné
Athanase sous la pression de Constance. Invité par l'eunuque Eusèbe à
céder lui aussi, il resta inflexible. Même attitude devant l'empereur,
auquel il fut conduit à Milan.
Exilé en Thrace, il finit par capituler au bout de deux ans.
Rentré à Rome, il y trouva un évêque
rival, Félix, ancien archidiacre, qui avait pourtant déclaré que
l'Église n'accepterait pas la nomination d'un successeur de Libère,
mais il y reçut un accueil enthousiaste. Félix résista, mais il fut
écarté. Quand il mourut (365), l'unité du clergé romain se
reconstitua,
mais, à la mort de Libère (24 septembre 366), les partis se
reformèrent. La majorité du clergé, et des fidèles, réunie dans
l'église de S. Lorenzo, nomma évêque le diacre Damase, vertueux et
assez lettré (12).
Pendant ce temps, dans l'église S. Maria in Transtevere, un groupe
élisait Ursinus, et l'évêque de Tibur l'ordonnait aussitôt. La
majorité
protesta avec violence, et il y eut des blessés et des morts. Le
dimanche suivant, Damase fut sacré par l'évêque d'Ostie, et Viventius,
préfet de Rome, le reconnut et expulsa Ursinus. Ce dernier se
retrancha
dans une basilique avec ses amis. Le parti adverse vint les y
attaquer,
en faisant pleuvoir les tuiles par une ouverture du toit, et il y eut
encore des victimes. Le calme finit par se rétablir, mais, un an plus
tard, quand l'antipape fut rentré à Rome avec l'autorisation de
Valentinien, l'agitation reprit. il fut expulsé, mais ses partisans
continuèrent leurs réunions jusqu'au jour où, à la suite d'une rixe,
ils se virent interdire le séjour dans la capitale. Ursinus se vengea
de Damase en lui suscitant des procès, surtout celui d'Isaac, Juif
converti qui, d'après le Liber pontificalis (13),
lui reprochait un adultère,
accusation bien invraisemblable à l'égard d'un octogénaire. Acquitté
par l'empereur, Damase fut déclaré innocent par 'un concile tenu à Rome
(378). Quant à Ursinus, Gratien
le, fit interner à Cologne et on ne le revit plus.
Damase eut à lutter aussi contre
diverses Églises schismatiques de Rome, celles des novatiens, des
donatistes et des partisans de Lucifer, ultra-rigoristes et
intransigeants. Il ne craignit pas de recourir au bras séculier,
contre
ces derniers. Un de leurs prêtres, arrêté pendant un culte, fut frappé
et exilé, et il mourut à Ostie. Damase s'appliqua aussi à extirper
l'arianisme 'de l'Occident. Il réunit à Rome deux synodes qui
excommunièrent trois de leurs chefs. Il chercha à rapprocher des
évêques d'Occident ceux d'Orient, mais ces derniers se souvenant que
*les premiers avaient soutenu Paulin contre Mélèce, à Antioche, ne
vinrent pas au synode que Damase avait convoqué à Rome pour cet objet.
Cet évêque, que l'on a pu appeler « le premier des papes artistes et
mécènes » (Hayward), se distingua par sa sollicitude pour les
monuments
chrétiens. Il restaura les Catacombes (14),
et composa pour les tombes des
inscriptions en vers latins.
Son successeur Sirice (388-398),
ancien diacre romain, un peu effacé d'abord par son imposant collègue
Ambroise, administra dignement soir Église. Comme la plupart de, ses
prédécesseurs, il semble avoir été de valeur moyenne et surtout
pratique. À Rome, en effet, on choisissait l'évêque dans le clergé
local. Avec cette coutume, on excluait les grandes personnalités du
dehors, mais on avait de sérieuses chances d'avoir un chef
expérimenté.
Sirice fit reconstruire la basilique de saint Paul, à Rome. Il lutta
contre les moines trop assidus auprès des matrones et captateurs de
testaments, et il interdit de tester en faveur du clergé régulier et
séculier. Il menaça d'ôter leurs dignités ecclésiastiques à ceux qui
oseraient soutenir la légitimité du mariage des clercs, et
il se prononça énergiquement contre
lui dans sa lettre célèbre à Himérius, évêque de Tarragone (385). Dans
ce document, qu'on regarde comme « la première décrétale », l'évêque
de
Rome parlait en chef de l'Église.
Malgré tout, cette suprématie, bien
que reconnue (15),
n'était guère alors qu'en germe. « La papauté, concède Mgr Duchesne,
telle que l' occident la connut plus tard, était encore à naître » (T,
II, p. 661). Son autorité était, en tout cas, inférieure à celle des
conciles, qui décrétaient les canons disciplinaires et tranchaient les
cas litigieux (16).
Au reste, comme ils s'opposaient parfois les uns aux autres, on peut
ajouter qu'il n'y avait pas alors d'autorité centrale dans l'Eglise.
Juste au-dessous de l'évêque était le prêtre, qui
lui était associé en tout. Il pouvait conférer le baptême. Son
ordination ressemblait à la sienne, sans avoir son éclat (Constit.
apost. L. VIII). Elle confirmait son élection, qui venait du peuple.
Ce
fut, en effet, la foule des fidèles qui contraignit Paulin de Nole à
recevoir la prêtrise des mains de l'évêque Lampius (Paulin, Épîtres I,
10).
Les diacres s'occupaient des
pauvres, indiquaient les malades à l'évêque, préparaient ce qui était
nécessaire à la célébration du culte et y participaient, assistaient
les néophytes au moment du baptême, faisaient circuler de main en main
le pain et le vin de la communion. Ils pouvaient aussi donner des avertissements
aux fidèles, et même
exclure de l'Église les récalcitrants. La cérémonie de leur
consécration était très simple. Parfois ils étaient suppléés par des
sous-diacres (Constit. apost. L. VIII). Il y avait aussi des
diaconesses. Elles visitaient les pauvres, assistaient les femmes dans
la cérémonie du baptême, participaient parfois à leur instruction
religieuse et surveillaient leur conduite (Constit. apost. L. VIII). À
côté d'elles était l'ordre des veuves. La veuve, appelée ancienne
(presbytis), dépourvue de caractère sacerdotal, vaquait à la prière
comme Anne la prophétesse, et désignait aux prêtres les malades à
visiter (Constit. apost. L. III). Signalons enfin le lecteur biblique,
qui ne recevait pas l'imposition des mains (Constit. apost. L. VIII)
et
divers fidèles sans fonctions officielles, le guérisseur, l'exorciste
et surtout le « confesseur » (de la foi), très honoré et facilement
promu aux plus hautes charges (Constitution égyptienne).
La discipline continuait à être
exercée avec le plus grand sérieux, parfois avec sévérité. Fabiola,
qui
s'était remariée après avoir obtenu le divorce contre son mari perdu
de
vices, fut exclue pour ce motif de la communauté chrétienne de Rome,
et
elle n'y rentra qu'après une pénitence publique. Les épreuves
variaient
selon la faute et d'après la ferveur du repentir (Basile, ép. 217).
Pour les apostats, la réhabilitation ne se faisait qu'à la mort (même
épître). En Cappadoce, il y avait quatre degrés dans la pénitence :
l'attitude des pécheurs éplorés se tenant hors de l'église, l'état qui
consistait à écouter les lectures et la prédication, le prosternement
dans la prière, et l'assistance à l'office entier à l'exclusion de la
communion. L'absolution des pécheurs repentants n'avait pas encore de
caractère clérical. Ni le clergé ni même l'Église ne se présentaient
comme les dispensateurs de la miséricorde divine. C'est à elle qu'on
les adressait, en répétant une belle prière conservée dans les
Constitutions apostoliques (L. VIII). La discipline comportait aussi
des règlements préventifs.
Ainsi la dualité des évêques dans
une même ville était interdite (8e canon de Nicée), et défense leur
était faite de s'immiscer dans les affaires des diocèses voisins.
Venons-en aux cérémonies chrétiennes du IVe siècle.
Avec le triomphe du christianisme et
la floraison des belles églises, le culte eut une ampleur nouvelle.
Voici l'ordre généralement suivi le dimanche en Orient (17).
Les fidèles faisaient d'abord la
confession de leurs péchés à haute voix sur le seuil même de l'église.
Puis, pendant le chant de plusieurs psaumes le lecteur montait dans la
chaire qui était au milieu de l'édifice (l'ambon). Il commençait par
ces mots : « La paix soit avec vous ! », et l'assemblée lui répondait
:
« Et avec ton esprit ! » La lecture d'un fragment de l'Ancien
Testament
ou les épîtres était suivie, d'un nouveau chant de psaumes. Puis on
lisait l'Évangile, et les assistants faisaient entendre le « Louange à
toi, ô Christ ! » Après l'homélie, le diacre invitait les infidèles à
quitter l'église, et le second grand acte du culte commençait. Le
diacre priait alors pour les catéchumènes, qui se retiraient après
avoir reçu la bénédiction de l'évêque, puis pour les « énergumènes »
(en proie aux obsessions du démon), qui étaient eux aussi bénis et
congédiés. Il priait ensuite pour les « éclairés » (ou competentes,
catéchumènes près d'être baptisés), et pour les pénitents
(poenitentes), autorisés à participer de nouveau au sacrement.
Après
qu'ils avaient été congédiés (18),
le diacre commençait la liturgie
(troisième partie du culte). Elle comprenait une grande prière
générale, qui devait devenir la litanie, entrecoupée par des : «
Seigneur, aie pitié de nous ! », et l'offertoire, pendant lequel les
diacres recevaient les dons. Ils prélevaient sur eux le pain et le vin
destinés à la communion, et les apportaient sur l'autel. L'évêque,
placé auprès de lui, rendait grâces à Dieu et le glorifiait, lisait
les
paroles de l'institution de la Cène et prononçait une prière
d'intercession. Les fidèles récitaient le symbole et l'oraison
dominicale, et après que l'évêque avait dit : « Les choses saintes aux
saints ! », ils recevaient le pain et le vin de la communion. Une
prière d'actions de grâces et la bénédiction terminaient ce culte
prolongé.
On continua, au IVe siècle, à fêter
l'anniversaire de la naissance du Christ, mais, au lieu de s'en tenir
au 6 janvier (Épiphanie), ou finit, à la suite d'Origène, par voir
dans
ce jour la fête de son baptême, et l'on choisit, pour fêter sa
naissance, la date du 25 décembre. Dans un sermon prononcé le jour de
Noël 386, Chrysostome déclare que cette date avait été adoptée en
Syrie
depuis dix ans et qu'elle était depuis longtemps en vigueur de la
Thrace a l'Espagne. Il semble que le peuple chrétien ait voulu la
faire
coïncider avec la fête du soleil, pour neutraliser les réjouissances
païennes célébrées à cette occasion. La fête de Noël commençait dès la
veille et elle continuait toute la nuit, au chant des psaumes. Les
prêtres portaient leurs plus beaux vêtements, les églises étaient
ornées de tapis.
Le baptême continuait à être le
moyen et le signe de l'entrée dans l'Église, et on le pratiquait avec
ferveur. À Jérusalem, par exemple, «
le groupe des candidats au baptême suivait pendant les huit semaines
du
carême une série d'exercices, auxquels les fidèles pouvaient
assister... Tous les matins, après les hymnes de l'aurore, on les
soumettait à l'exorcisme, et l'évêque, assis sur sa chaise, donnait
ses
catéchèses... Au bout de cinq semaines d'enseignement, on livrait aux
candidats le Symbole des Apôtres, qui devenait alors le thème des
instructions épiscopales. La « reddition du Symbole » avait lieu au
début de la Semaine Sainte. Un à un, les candidats, assistés de leur
répondant, parrain ou marraine, venaient réciter leur profession de
foi, devant l'évêque, au fond de l'abside de l'église majeure,
derrière
l'autel » (19).
À Rome, d'après Augustin, ils la récitaient « d'un lieu élevé, en
présence de tout le peuple » (Confessions, VIII, 2).
On attribuait au baptême des effets
considérables. Il passait pour procurer la rémission des péchés et la
venue du Saint-Esprit, qui marquait l'âme d'un sceau (sphragis), comme
le signe imprimé sur une brebis. Cyrille de Jérusalem affirmait le
pouvoir sanctifiant de l'eau unie à l'Esprit-Saint (Ille catéchèse,
4).
Même conviction chez Basile (Le Saint-Esprit, 35). Grégoire de
Nazianze
enseignait que le baptême était nécessaire pour « jouir du bonheur
éternel » (Disc. 11), et Jean Chrysostome allait jusqu'à dire que les
croyants non baptisés auraient le sort des infidèles (homélie III sur
Philippiens). Cette notion sacramentelle donna une vive impulsion au
baptême des enfants. Grégoire de Nazianze conseillait de le pratiquer
vers l'âge de trois ans, ou même de l'administrer aux nouveaux-nés en
danger de mort (Disc. 40). « Selon le rite de la première initiation,
le signe de la croix fut tracé
sur le front d'Augustin (enfant), et le sel symbolique déposé sur ses
lèvres » (20).
D'autre part, certains fidèles retardaient le plus possible la date de
leur baptême, « dans la conviction que les péchés commis après le
sacrement étaient beaucoup plus graves que ceux commis avant » (21).
Le
problème de l'action divine dans le baptême donna encore au
sacramentarisme une occasion nouvelle de se montrer (22).
« Quand le prêtre baptise,
s'écriait Chrysostome, ce n'est pas lui qui baptise, c'est Dieu ! »
Par
suite, la valeur de ce sacrement fut tenue pour indépendante de la
sainteté du ministre qui le conférait. Dieu agit par tous les prêtres,
même indignes... Telle fut la thèse opposée aux donatistes, d'abord
par
Optat, de Milève (23),
puis par Augustin (24).
Le baptême était suivi aussitôt par
la confirmation. Le baptisé, au sortir de l'eau, recevait de l'évêque
(25)
l'imposition des mains et l'onction d'huile parfumée (chrisma). À
Jérusalem, l'onction se faisait sur le front, aux oreilles, aux
narines
et à la poitrine, avec cette formule : « sceau du don du Saint-Esprit
(26).
Dans la notion de l'eucharistie se
glissa, au IVe siècle, un réalisme qui annonçait la
transsubstantiation. « Quand les prières ont été prononcées, déclare
Athanase dans son sermon aux nouveaux baptisés, le pain devient le
corps et le vin devient le sang de Jésus-Christ ». - « Nous devenons
Christophores (porteurs du
Christ), dit Cyrille, son corps et son sang se distribuant dans nos
membres », et, pour expliquer ce mystère, il rappelle le changement de
l'eau en vin à Cana (catéchèse XXII). Ambroise admet une
«transformation des éléments » (Les Mystères, VIII et IX), et
Chrysostome, le partisan le plus ardent de cette théorie, insiste sur
l'union corporelle avec Christ (commentaires sur Jean et sur 1 Cor.).
Par contre, Eusèbe de Césarée et Grégoire de Nazianze ne voyaient que
des symboles dans les éléments de la Cène.
La christologie orthodoxe apparaît bien fixée à la
suite du deuxième concile oecuménique, tenu à Constantinople (381),
qui
confirma le credo de Nicée. Il la compléta par le dogme de la
personnalité divine du Saint-Esprit. Ici encore, les données du
Nouveau
Testament étaient dépassées par la foi ardente des Pères. L'Esprit
est,
en effet, présenté dans les livres saints comme un don (Actes
2,
38), une onction (Actes
10,
38), une flamme (Rom.
12,
11), etc., et, si certains textes (Marc,
13,
11 ; Actes
5,
3 ; Rom.
8,
26) semblent affirmer sa personnalité, c'est, selon la
remarque de l'éminent dogmaticien Paul Lobstein, par suite de la
tendance du génie hébraïque, réfractaire à l'abstraction, à doter de
conscience personnelle les attributs divins. Le dogme soutenu par
Athanase et Basile ne pouvait invoquer davantage l'opinion unanime des
Pères. Plusieurs l'enseignent, Tertullien surtout, créateur du terme
Trinitas, d'autres (Origène) l'acceptent sans entrain ou l'ignorent.
L'irrésolution persiste au concile de Nicée, qui ne vote aucune
formule
précise sur ce point. Il eût été plus conforme au bon sens et à
l'Écriture de voir dans le Saint-Esprit, comme les premiers chrétiens,
la descente de Dieu et du Christ dans le coeur de l'homme, le feu
qu'ils y allument, comme s'il
était une offrande, présentée sur un autel, que la foudre viendrait
embraser...
Si le dogme de la Trinité était bien
fixé et proclamé, il n'en était pas de même de celui de la Rédemption.
Sur ce point, les opinions des Pères étaient flottantes et variées.
Ils
s'accordaient à célébrer le triomphe du Christ sur Satan et sur la
mort, mais ils ne l'expliquaient pas tous de la même façon (27).
Athanase,
le premier, parle de substitution. « Christ, dit-il, livre à
la mort ce temple (son corps) comme une sorte de substitut pour nous
tous. Ainsi était acquittée notre dette » (L'Incarnation du Verbe, 6
et
9-10). Même point de vue chez Eusèbe de Césarée, qui insiste sur la
malédiction acceptée par Jésus, chez Cyrille et Grégoire de Nazianze.
D'autres (Grégoire de Nysse, Ambroise, etc.), reprenant une suggestion
d'Origène, voyaient dans le sacrifice du Christ une rançon payée par
Dieu à Satan en échange de la délivrance des hommes, ses sujets,
étrange supposition combattue avec vigueur par Grégoire de Nazianze
(disc. 45). Pour d'autres, tels que Chrysostome (homélie 68 sur Jean),
la Rédemption a été la punition infligée par Dieu à Satan, coupable
d'avoir commis un abus de pouvoir en attaquant Jésus innocent.
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