Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE IX

La Vie ecclésiastique au IVe siècle

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L'organisation ecclésiastique, à laquelle la vie morale et sociale des chrétiens fut, comme dans les âges précédents, étroitement liée, se fortifia encore au IVe siècle. Elle nous est connue d'abord par les écrits des docteurs de l'Église et par les décisions des conciles : les vingt canons de celui de Nicée, « législation sans caractère synthétique, dit Duchesne, toute de circonstance », ceux des conciles de Sardique (347) et de Constantinople (381).

Bien plus complètes sont les indications qu'on puise dans les Constitutions (diataxeis) des saints Apôtres ou Apostoliques, compilation, en huit livres, d'éléments d'époques différentes, qui paraît être d'origine syrienne et dater de la fin du IVe siècle (1). Les douze apôtres, auxquels saint Paul est associé, sont censés réunis à Jérusalem, avec divers disciples dont Clément, chargé d'envoyer les règlements aux Églises. Tantôt c'est le collège des douze qui parle, tantôt c'est Pierre ou un autre. Les six premiers livres sont le, développement de la Didascalie des douze Apôtres, écrit disciplinaire qui semble avoir été composé en Syrie dans la seconde moitié du IIIe siècle (2). Le L. 1er révèle l'esprit de ce recueil : forte inspiration biblique avec textes nombreux, proscription de la littérature profane. Le livre suivant contient des règles relatives au choix des évêques, fondé sur leurs qualités morales, et lit leurs devoirs, en particulier la bienveillance envers les membres de l'Église coupables. Il donne aussi des prescriptions sur les diacres, qui sont « l'oreille, l'oeil, la bouche, le coeur, l'âme (le l'évêque ». Les L. III et IV légifèrent, l'un sur les veuves, l'autre sur les orphelins, l'éducation des enfants, les rapports des maîtres et des esclaves, la virginité. Le L. V, dont la substance date du temps des persécutions, recommande de prendre soin des frères emprisonnés pour leur foi et de fuir la société païenne, et il indique des fêtes à observer. Le livre suivant traite de l'hérésie et du schisme (3).

Le L. VII, après s'être inspiré de la Didakhé, dont il reproduit l'image des « deux voies », contient des instructions sur le catéchuménat et le baptême, une liturgie eucharistique, puis une liste des premiers évêques de Jérusalem, Rome, Antioche, Alexandrie et d'autres villes. Le L. VIII, utilisant la Constitution ecclésiastique égyptienne (4), fait donner par Pierre des règlements sur l'élection des évêques. Le recueil reproduit, en appendice, 85 canons, avec des formules provenant du concile d'Antioche (341). Sa christologie, qui se rattache à un arianisme mitigé, lui a valu sa condamnation par un concile (392).




Pour mieux comprendre le développement ecclésiastique au IVe siècle, jetons un coup d'oeil sur son évolution antérieure (5).

Au régime de l'inspiration individuelle primitive, celui des dons spirituels (charismes), avec des prophètes, des docteurs et des présidents (proïstamenoï), avait succédé, dans la seconde moitié du 1er siècle, une sorte de fonctionnarisme sédentaire, peu favorable aux prédicateurs itinérants (cf. 3 Jean), dirigé, par, des évêques (épiscopoï, surveillants), confondus alors avec les presbytres (presbuteroï, anciens) (Phil. 1, 1, etc.). Le culte se distinguait par sa simplicité et sa liberté. Du temps de Pline le jeune, celui du dimanche comprenait la lecture des livres saints, l'enseignement, les chants alternés et la Cène détachée, on ne sait à quelle époque, de l'agape fraternelle. Le baptême se pratiquait encore par immersion, parfois par triple aspersion (d'après la Didakhé), avec la formule trinitaire qui avait remplacé celle du début, « au nom du Christ » (Actes 2, 38 ; 8, 16 ; Rom. 6, 3). Symbole de purification intérieure par la repentance, toujours plein de saveur spirituelle (1 Pierre, 3, 21), il avait pour complément « le baptême de l'Esprit » (Actes, 8, 16-17).

Le IIe siècle vit grandir le pouvoir épiscopal. La nécessité d'une forte discipline adaptée à la croissance des Églises, l'épreuve des persécutions et des hérésies qui groupa les fidèles, comme vers des centres de résistance, autour de leurs chefs, Faction personnelle d'Ignace, d'Irénée et de quelques autres, contribuèrent à le fortifier. On l'accrut encore en le présentant comme une institution fondée sur la succession apostolique. Irénée prétendit fournir la liste des évêques de Rome et de Smyrne, Eusèbe celle des évêques de Jérusalem. Certains sièges épiscopaux durent leur prestige spécial, non pas à une primauté créée par Jésus-Christ ou ses apôtres, mais à l'importance historique ou géographique de leurs villes et au chiffre de leur population. Celui de Rome passa vite au premier plan, surtout sous l'impulsion de l'évêque Victor. On vit croître aussi la foi en l'Église une et universelle, célébrée par Irénée, et l'autorité des synodes délibérant sur de graves questions. Pourtant, cette évolution fut lente, en général. La charge d'évêque restait confondue avec celle de presbytre dans certaines Églises (6). À cette époque, les fidèles (laïci) ne formaient pas une classe bien tranchée, subordonnée à celle du clergé (clerus, ou classe). Ils participaient aux élections ainsi qu'aux assemblées synodales.

Au IIe siècle, le culte se déroulait dans des lieux variés, et ce n'est qu'au suivant que s'élevèrent des « maisons de prières » qui prirent le nom d'« églises ». il était à la fois un sacrifice spirituel et une action de grâces (eucharistie), dont la Cène était l'expression la plus parfaite. On célébrait les fêtes de Pâques et de Pentecôte, et, au début du III e siècle, l'Épiphanie (apparition divine, celle de Jésus), le 6 janvier. il y eut alors quelques innovations. Le culte des martyrs apparut en 155, date du supplice de Polycarpe. Le baptême fut lié à l'entrée des catéchumènes dans l'Église, qui, dans son ensemble, l'administrait (Justin Martyr, Apologie I, 61). Il était sans doute le couronnement d'une préparation spirituelle intense, mais l'idée sacramentaire s'y glissait déjà. Certains s'imaginaient que le néophyte ne pouvait pas retomber dans les péchés dont il avait été purifié (7).

Au IIIe siècle, l'évêque voit son prestige redoubler, mais il partage toujours son pouvoir avec le clergé et le « consentement des fidèles » (Cyprien, ép. 14). on exige de lui des qualités morales, et aucun caractère magique ne lui est attaché. Le clergé prend aussi de l'importance, mais sans que l'esprit clérical se déchaîne. Le célibat ne lui est pas encore imposé. Pourtant, on sent grandir la tendance à le réclamer. La suprématie de l'épiscopat romain s'affirme, mais, comme le montre l'attitude de Cyprien envers Étienne, elle est encore discutée. Les conciles se succèdent, sans renier leur esprit primitif, et des laïques y prennent part (Cyprien, ép. 55). La discipline est mieux organisée. La pénitence consiste en une « confession » solennelle des fautes devant l'Église. Toutefois, dans le culte apparurent des changements qui, d'après Tertullien, ne pouvaient se justifier par les Écritures. La Cène fut réservée aux baptisés, et l'on commença à voir en elle, avec un sacrifice d'actions de grâces, un acte sacré destiné à compléter l'immolation du Christ au Calvaire. Le baptême, tout en gardant sa portée morale, continuait à s'imprégner d'esprit sacramentaire. On lui attribuait une vertu intrinsèque, dont on voulait faire profiter les petits enfants.




Avec le triomphe du christianisme et sa large diffusion, le prestige de l'évêque redoubla, « Rien de plus complet et de mieux rempli », dit Chateaubriand, que la vie des prélats du IVe siècle. Un évêque baptisait, confessait, prêchait, ordonnait des pénitences privées ou publiques, lançait des anathèmes ou levait des excommunications, visitait les malades, assistait les mourants, enterrait les morts, rachetait les captifs, nourrissait les pauvres, les veuves, les orphelins fondait des hospices et des maladreries, administrait les biens du clergé, prononçait comme juge de paix dans les causes particulières ou arbitrait des différents outre les villes. Il publiait en même temps des traités de morale, de discipline, de théologie, écrivait contre les hérésiarques et contre les philosophes, s'occupait de science et d'histoire, dictait des lettres, correspondait avec les Églises et les évêques, les moines et les ermites, siégeait à des conciles, était chargé de négociations... Les trois pouvoirs religieux, politique et philosophique s'étaient concentrés dans l'évêque » (8).

Si ce portrait n'est exact que pour des personnalités de première grandeur, telles qu'Ambroise et Augustin, il n'en est pas moins vrai que l'évêque était devenu alors un personnage. Il forme, avec le clergé, « le sénat de l'Église ». Il a le pouvoir de « juger les pécheurs ». Il est « le Dieu terrestre après Dieu (Constit. apost. L. II).

Quand il s'agit d'en élire un, les évêques voisins se rassemblent dans l'église, et dès que l'assemblée a fait son choix, le prélat qui préside, entouré de ses collègues, des anciens et des diacres, prononce la formule de consécration, demandant pour le nouvel élu l'effusion du Saint-Esprit, puis il lui impose les mains. L'évêque consacré échange le baiser de paix avec ses collègues ; il bénit l'assemblée, et la Cène est célébrée (Constit, apost, L. VIII). Il reste toujours chargé de prêcher et d'administrer le baptême aux catéchumènes, mais, parmi ses fonctions multiples, il en est une nouvelle, qui lui est conférée par l'État, celle de rendre la justice, non seulement à ses fidèles mais aux païens (foi, épiscopal). il a une autre mission, plus importante encore : il s'entretient avec les empereurs, les conseille, leur adresse même des remontrances ou leur résiste. Le préfet Modeste, qui se plaignait de l'intransigeance de Basile et déclarait que personne ne lui avait parlé comme lui, reçut cette réponse : « C'est que, sans doute, tu n'as pas encore rencontré un évêque » ! Devant Théodose, Amphiloque, si l'on en croit Théodoret (H. E. V, 16), affecta de ne pas saluer le jeune Arcadius, pour faire comprendre au père, au moyen d'une offense reçue par son fils, la gravité de celle que, d'après lui, on inflige à Dieu en tolérant les ariens (9).

Parmi les évêques, il en est qui sont plus considérables que d'autres, les métropolitains. Leurs collègues suivent leurs avis, mais parfois ils leur résistent.
Tel Cyrille de Jérusalem, qui refuse d'obéir à son chef, Acace de Césarée. (Sozomène, H. E. IV, 25). Fier, en effet, du caractère apostolique de son siège, il s'écriait : « Les autres entendent seulement, mais nous, nous voyons et nous touchons » !




Parmi ces métropolitains, celui de Rome continue à émerger au IVe siècle, Ascension lente d'ailleurs, comme le prouve l'histoire de cette Église, longtemps sans éclat. Résumons-en les phases principales (10).

Marcel, nommé en 308, en un temps où la persécution de Dioclétien avait faibli, réorganisa le culte à Rome dans des édifices provisoires, et imposa une pénitence rigoureuse aux apostats repentants. À la suite d'une émeute causée par plusieurs d'entre eux, il fut exilé par Maxence. Eusèbe, son successeur, subit le même sort, et il mourut en Sicile vers 310. Plus favorisé qu'eux, Miltiade obtint de Maxence la restitution des églises (311). Il fut mis en évidence par le concile tenu à Rome, ail Palais de Latran (11), sur l'initiative de Constantin, pour juger Donat (313). Sylvestre, qui le remplaça en 314, n'assista pas au concile d'Arles (314), qui fut aussi défavorable à, Donat que le précédent, mais les membres de l'assemblée lui écrivirent pour le prier, en vertu de « son autorité plus étendue », de publier leurs décisions, Sous son pontificat, se produisit un événement qui devait largement contribuer à, fortifier l'autorité du siège de Rome, la fondation de Constantinople (324). La vieille capitale, l'Italie même, se sentirent comme abandonnées. « Son évêque », dit l'historien italien ViIlari, dans ses Invasioni barbariche in Italia, « voulut être, non seulement le successeur de saint Pierre, mais aussi de Romulus et d'Auguste, en formant un empire religieux », Les transferts successifs de la résidence impériale à Sirmium ou à Trèves, en humiliant Rome de nouveau, devaient exalter encore le prestige de son chef spirituel.

Jules (336-352), successeur de Marc, dont le pontificat fut très court, présida le concile de Rome (340), qui réhabilita Marcel d'Ancyre, et il en notifia les décisions aux évêques orientaux dans une lettre digne et modérée, où il plaidait la cause de la justice et de la charité. Libère (352-366) refusa d'approuver ses légats qui, au concile d'Arles (353), avaient condamné Athanase sous la pression de Constance. Invité par l'eunuque Eusèbe à céder lui aussi, il resta inflexible. Même attitude devant l'empereur, auquel il fut conduit à Milan. Exilé en Thrace, il finit par capituler au bout de deux ans.

Rentré à Rome, il y trouva un évêque rival, Félix, ancien archidiacre, qui avait pourtant déclaré que l'Église n'accepterait pas la nomination d'un successeur de Libère, mais il y reçut un accueil enthousiaste. Félix résista, mais il fut écarté. Quand il mourut (365), l'unité du clergé romain se reconstitua, mais, à la mort de Libère (24 septembre 366), les partis se reformèrent. La majorité du clergé, et des fidèles, réunie dans l'église de S. Lorenzo, nomma évêque le diacre Damase, vertueux et assez lettré (12). Pendant ce temps, dans l'église S. Maria in Transtevere, un groupe élisait Ursinus, et l'évêque de Tibur l'ordonnait aussitôt. La majorité protesta avec violence, et il y eut des blessés et des morts. Le dimanche suivant, Damase fut sacré par l'évêque d'Ostie, et Viventius, préfet de Rome, le reconnut et expulsa Ursinus. Ce dernier se retrancha dans une basilique avec ses amis. Le parti adverse vint les y attaquer, en faisant pleuvoir les tuiles par une ouverture du toit, et il y eut encore des victimes. Le calme finit par se rétablir, mais, un an plus tard, quand l'antipape fut rentré à Rome avec l'autorisation de Valentinien, l'agitation reprit. il fut expulsé, mais ses partisans continuèrent leurs réunions jusqu'au jour où, à la suite d'une rixe, ils se virent interdire le séjour dans la capitale. Ursinus se vengea de Damase en lui suscitant des procès, surtout celui d'Isaac, Juif converti qui, d'après le Liber pontificalis (13), lui reprochait un adultère, accusation bien invraisemblable à l'égard d'un octogénaire. Acquitté par l'empereur, Damase fut déclaré innocent par 'un concile tenu à Rome (378). Quant à Ursinus, Gratien le, fit interner à Cologne et on ne le revit plus.

Damase eut à lutter aussi contre diverses Églises schismatiques de Rome, celles des novatiens, des donatistes et des partisans de Lucifer, ultra-rigoristes et intransigeants. Il ne craignit pas de recourir au bras séculier, contre ces derniers. Un de leurs prêtres, arrêté pendant un culte, fut frappé et exilé, et il mourut à Ostie. Damase s'appliqua aussi à extirper l'arianisme 'de l'Occident. Il réunit à Rome deux synodes qui excommunièrent trois de leurs chefs. Il chercha à rapprocher des évêques d'Occident ceux d'Orient, mais ces derniers se souvenant que *les premiers avaient soutenu Paulin contre Mélèce, à Antioche, ne vinrent pas au synode que Damase avait convoqué à Rome pour cet objet. Cet évêque, que l'on a pu appeler « le premier des papes artistes et mécènes » (Hayward), se distingua par sa sollicitude pour les monuments chrétiens. Il restaura les Catacombes (14), et composa pour les tombes des inscriptions en vers latins.

Son successeur Sirice (388-398), ancien diacre romain, un peu effacé d'abord par son imposant collègue Ambroise, administra dignement soir Église. Comme la plupart de, ses prédécesseurs, il semble avoir été de valeur moyenne et surtout pratique. À Rome, en effet, on choisissait l'évêque dans le clergé local. Avec cette coutume, on excluait les grandes personnalités du dehors, mais on avait de sérieuses chances d'avoir un chef expérimenté. Sirice fit reconstruire la basilique de saint Paul, à Rome. Il lutta contre les moines trop assidus auprès des matrones et captateurs de testaments, et il interdit de tester en faveur du clergé régulier et séculier. Il menaça d'ôter leurs dignités ecclésiastiques à ceux qui oseraient soutenir la légitimité du mariage des clercs, et il se prononça énergiquement contre lui dans sa lettre célèbre à Himérius, évêque de Tarragone (385). Dans ce document, qu'on regarde comme « la première décrétale », l'évêque de Rome parlait en chef de l'Église.

Malgré tout, cette suprématie, bien que reconnue (15), n'était guère alors qu'en germe. « La papauté, concède Mgr Duchesne, telle que l' occident la connut plus tard, était encore à naître » (T, II, p. 661). Son autorité était, en tout cas, inférieure à celle des conciles, qui décrétaient les canons disciplinaires et tranchaient les cas litigieux (16). Au reste, comme ils s'opposaient parfois les uns aux autres, on peut ajouter qu'il n'y avait pas alors d'autorité centrale dans l'Eglise.




Juste au-dessous de l'évêque était le prêtre, qui lui était associé en tout. Il pouvait conférer le baptême. Son ordination ressemblait à la sienne, sans avoir son éclat (Constit. apost. L. VIII). Elle confirmait son élection, qui venait du peuple. Ce fut, en effet, la foule des fidèles qui contraignit Paulin de Nole à recevoir la prêtrise des mains de l'évêque Lampius (Paulin, Épîtres I, 10).

Les diacres s'occupaient des pauvres, indiquaient les malades à l'évêque, préparaient ce qui était nécessaire à la célébration du culte et y participaient, assistaient les néophytes au moment du baptême, faisaient circuler de main en main le pain et le vin de la communion. Ils pouvaient aussi donner des avertissements aux fidèles, et même exclure de l'Église les récalcitrants. La cérémonie de leur consécration était très simple. Parfois ils étaient suppléés par des sous-diacres (Constit. apost. L. VIII). Il y avait aussi des diaconesses. Elles visitaient les pauvres, assistaient les femmes dans la cérémonie du baptême, participaient parfois à leur instruction religieuse et surveillaient leur conduite (Constit. apost. L. VIII). À côté d'elles était l'ordre des veuves. La veuve, appelée ancienne (presbytis), dépourvue de caractère sacerdotal, vaquait à la prière comme Anne la prophétesse, et désignait aux prêtres les malades à visiter (Constit. apost. L. III). Signalons enfin le lecteur biblique, qui ne recevait pas l'imposition des mains (Constit. apost. L. VIII) et divers fidèles sans fonctions officielles, le guérisseur, l'exorciste et surtout le « confesseur » (de la foi), très honoré et facilement promu aux plus hautes charges (Constitution égyptienne).

La discipline continuait à être exercée avec le plus grand sérieux, parfois avec sévérité. Fabiola, qui s'était remariée après avoir obtenu le divorce contre son mari perdu de vices, fut exclue pour ce motif de la communauté chrétienne de Rome, et elle n'y rentra qu'après une pénitence publique. Les épreuves variaient selon la faute et d'après la ferveur du repentir (Basile, ép. 217). Pour les apostats, la réhabilitation ne se faisait qu'à la mort (même épître). En Cappadoce, il y avait quatre degrés dans la pénitence : l'attitude des pécheurs éplorés se tenant hors de l'église, l'état qui consistait à écouter les lectures et la prédication, le prosternement dans la prière, et l'assistance à l'office entier à l'exclusion de la communion. L'absolution des pécheurs repentants n'avait pas encore de caractère clérical. Ni le clergé ni même l'Église ne se présentaient comme les dispensateurs de la miséricorde divine. C'est à elle qu'on les adressait, en répétant une belle prière conservée dans les Constitutions apostoliques (L. VIII). La discipline comportait aussi des règlements préventifs.

Ainsi la dualité des évêques dans une même ville était interdite (8e canon de Nicée), et défense leur était faite de s'immiscer dans les affaires des diocèses voisins.




Venons-en aux cérémonies chrétiennes du IVe siècle.

Avec le triomphe du christianisme et la floraison des belles églises, le culte eut une ampleur nouvelle. Voici l'ordre généralement suivi le dimanche en Orient (17). Les fidèles faisaient d'abord la confession de leurs péchés à haute voix sur le seuil même de l'église. Puis, pendant le chant de plusieurs psaumes le lecteur montait dans la chaire qui était au milieu de l'édifice (l'ambon). Il commençait par ces mots : « La paix soit avec vous ! », et l'assemblée lui répondait : « Et avec ton esprit ! » La lecture d'un fragment de l'Ancien Testament ou les épîtres était suivie, d'un nouveau chant de psaumes. Puis on lisait l'Évangile, et les assistants faisaient entendre le « Louange à toi, ô Christ ! » Après l'homélie, le diacre invitait les infidèles à quitter l'église, et le second grand acte du culte commençait. Le diacre priait alors pour les catéchumènes, qui se retiraient après avoir reçu la bénédiction de l'évêque, puis pour les « énergumènes » (en proie aux obsessions du démon), qui étaient eux aussi bénis et congédiés. Il priait ensuite pour les « éclairés » (ou competentes, catéchumènes près d'être baptisés), et pour les pénitents (poenitentes), autorisés à participer de nouveau au sacrement. Après qu'ils avaient été congédiés (18), le diacre commençait la liturgie (troisième partie du culte). Elle comprenait une grande prière générale, qui devait devenir la litanie, entrecoupée par des : « Seigneur, aie pitié de nous ! », et l'offertoire, pendant lequel les diacres recevaient les dons. Ils prélevaient sur eux le pain et le vin destinés à la communion, et les apportaient sur l'autel. L'évêque, placé auprès de lui, rendait grâces à Dieu et le glorifiait, lisait les paroles de l'institution de la Cène et prononçait une prière d'intercession. Les fidèles récitaient le symbole et l'oraison dominicale, et après que l'évêque avait dit : « Les choses saintes aux saints ! », ils recevaient le pain et le vin de la communion. Une prière d'actions de grâces et la bénédiction terminaient ce culte prolongé.

On continua, au IVe siècle, à fêter l'anniversaire de la naissance du Christ, mais, au lieu de s'en tenir au 6 janvier (Épiphanie), ou finit, à la suite d'Origène, par voir dans ce jour la fête de son baptême, et l'on choisit, pour fêter sa naissance, la date du 25 décembre. Dans un sermon prononcé le jour de Noël 386, Chrysostome déclare que cette date avait été adoptée en Syrie depuis dix ans et qu'elle était depuis longtemps en vigueur de la Thrace a l'Espagne. Il semble que le peuple chrétien ait voulu la faire coïncider avec la fête du soleil, pour neutraliser les réjouissances païennes célébrées à cette occasion. La fête de Noël commençait dès la veille et elle continuait toute la nuit, au chant des psaumes. Les prêtres portaient leurs plus beaux vêtements, les églises étaient ornées de tapis.

Le baptême continuait à être le moyen et le signe de l'entrée dans l'Église, et on le pratiquait avec ferveur. À Jérusalem, par exemple, « le groupe des candidats au baptême suivait pendant les huit semaines du carême une série d'exercices, auxquels les fidèles pouvaient assister... Tous les matins, après les hymnes de l'aurore, on les soumettait à l'exorcisme, et l'évêque, assis sur sa chaise, donnait ses catéchèses... Au bout de cinq semaines d'enseignement, on livrait aux candidats le Symbole des Apôtres, qui devenait alors le thème des instructions épiscopales. La « reddition du Symbole » avait lieu au début de la Semaine Sainte. Un à un, les candidats, assistés de leur répondant, parrain ou marraine, venaient réciter leur profession de foi, devant l'évêque, au fond de l'abside de l'église majeure, derrière l'autel » (19). À Rome, d'après Augustin, ils la récitaient « d'un lieu élevé, en présence de tout le peuple » (Confessions, VIII, 2).

On attribuait au baptême des effets considérables. Il passait pour procurer la rémission des péchés et la venue du Saint-Esprit, qui marquait l'âme d'un sceau (sphragis), comme le signe imprimé sur une brebis. Cyrille de Jérusalem affirmait le pouvoir sanctifiant de l'eau unie à l'Esprit-Saint (Ille catéchèse, 4). Même conviction chez Basile (Le Saint-Esprit, 35). Grégoire de Nazianze enseignait que le baptême était nécessaire pour « jouir du bonheur éternel » (Disc. 11), et Jean Chrysostome allait jusqu'à dire que les croyants non baptisés auraient le sort des infidèles (homélie III sur Philippiens). Cette notion sacramentelle donna une vive impulsion au baptême des enfants. Grégoire de Nazianze conseillait de le pratiquer vers l'âge de trois ans, ou même de l'administrer aux nouveaux-nés en danger de mort (Disc. 40). « Selon le rite de la première initiation, le signe de la croix fut tracé sur le front d'Augustin (enfant), et le sel symbolique déposé sur ses lèvres » (20). D'autre part, certains fidèles retardaient le plus possible la date de leur baptême, « dans la conviction que les péchés commis après le sacrement étaient beaucoup plus graves que ceux commis avant » (21). Le problème de l'action divine dans le baptême donna encore au sacramentarisme une occasion nouvelle de se montrer (22). « Quand le prêtre baptise, s'écriait Chrysostome, ce n'est pas lui qui baptise, c'est Dieu ! » Par suite, la valeur de ce sacrement fut tenue pour indépendante de la sainteté du ministre qui le conférait. Dieu agit par tous les prêtres, même indignes... Telle fut la thèse opposée aux donatistes, d'abord par Optat, de Milève (23), puis par Augustin (24).

Le baptême était suivi aussitôt par la confirmation. Le baptisé, au sortir de l'eau, recevait de l'évêque (25) l'imposition des mains et l'onction d'huile parfumée (chrisma). À Jérusalem, l'onction se faisait sur le front, aux oreilles, aux narines et à la poitrine, avec cette formule : « sceau du don du Saint-Esprit (26).

Dans la notion de l'eucharistie se glissa, au IVe siècle, un réalisme qui annonçait la transsubstantiation. « Quand les prières ont été prononcées, déclare Athanase dans son sermon aux nouveaux baptisés, le pain devient le corps et le vin devient le sang de Jésus-Christ ». - « Nous devenons Christophores (porteurs du Christ), dit Cyrille, son corps et son sang se distribuant dans nos membres », et, pour expliquer ce mystère, il rappelle le changement de l'eau en vin à Cana (catéchèse XXII). Ambroise admet une «transformation des éléments » (Les Mystères, VIII et IX), et Chrysostome, le partisan le plus ardent de cette théorie, insiste sur l'union corporelle avec Christ (commentaires sur Jean et sur 1 Cor.). Par contre, Eusèbe de Césarée et Grégoire de Nazianze ne voyaient que des symboles dans les éléments de la Cène.




La christologie orthodoxe apparaît bien fixée à la suite du deuxième concile oecuménique, tenu à Constantinople (381), qui confirma le credo de Nicée. Il la compléta par le dogme de la personnalité divine du Saint-Esprit. Ici encore, les données du Nouveau Testament étaient dépassées par la foi ardente des Pères. L'Esprit est, en effet, présenté dans les livres saints comme un don (Actes 2, 38), une onction (Actes 10, 38), une flamme (Rom. 12, 11), etc., et, si certains textes (Marc, 13, 11 ; Actes 5, 3 ; Rom. 8, 26) semblent affirmer sa personnalité, c'est, selon la remarque de l'éminent dogmaticien Paul Lobstein, par suite de la tendance du génie hébraïque, réfractaire à l'abstraction, à doter de conscience personnelle les attributs divins. Le dogme soutenu par Athanase et Basile ne pouvait invoquer davantage l'opinion unanime des Pères. Plusieurs l'enseignent, Tertullien surtout, créateur du terme Trinitas, d'autres (Origène) l'acceptent sans entrain ou l'ignorent. L'irrésolution persiste au concile de Nicée, qui ne vote aucune formule précise sur ce point. Il eût été plus conforme au bon sens et à l'Écriture de voir dans le Saint-Esprit, comme les premiers chrétiens, la descente de Dieu et du Christ dans le coeur de l'homme, le feu qu'ils y allument, comme s'il était une offrande, présentée sur un autel, que la foudre viendrait embraser...

Si le dogme de la Trinité était bien fixé et proclamé, il n'en était pas de même de celui de la Rédemption. Sur ce point, les opinions des Pères étaient flottantes et variées. Ils s'accordaient à célébrer le triomphe du Christ sur Satan et sur la mort, mais ils ne l'expliquaient pas tous de la même façon (27). Athanase, le premier, parle de substitution. « Christ, dit-il, livre à la mort ce temple (son corps) comme une sorte de substitut pour nous tous. Ainsi était acquittée notre dette » (L'Incarnation du Verbe, 6 et 9-10). Même point de vue chez Eusèbe de Césarée, qui insiste sur la malédiction acceptée par Jésus, chez Cyrille et Grégoire de Nazianze. D'autres (Grégoire de Nysse, Ambroise, etc.), reprenant une suggestion d'Origène, voyaient dans le sacrifice du Christ une rançon payée par Dieu à Satan en échange de la délivrance des hommes, ses sujets, étrange supposition combattue avec vigueur par Grégoire de Nazianze (disc. 45). Pour d'autres, tels que Chrysostome (homélie 68 sur Jean), la Rédemption a été la punition infligée par Dieu à Satan, coupable d'avoir commis un abus de pouvoir en attaquant Jésus innocent.

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(1) Cf. Funk, Die Apostolische Didascalia et Constitutiones Apostolorum, Paderborn 1905 ; Miner, The statutes of the Apostles, Londres 1904. 
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(2) Instruction attribuée aux apôtres. Elle combat le rigorisme de Novatien. Elle accorde nue place importante à l'évêque ; pourtant, la hiérarchie y est encore peu développée. San texte original (grec) est perdu, mais la version syriaque a survécu (tract. franç. de Nau, 2, ed. Paris 1912. Cf. Viard, La Didascalie... Langres 1906. 
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(3) L'auteur fait raconter par Pierre ses démêlés avec Simon le Magicien.
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(4) Il n'en reste qu'un fragment assez court (en grec). Voir Connolly, The so called Egyptian Churchorder... Cambridge 1916. - Parmi les écrits disciplinaires du IIIe siècle il faut citer encore les Canons ecclésiastiques des saints Apôtres, en grec (M. Funk, Tubingue 1887). Toute la première partie (ch. 4-14) reproduit librement la Didakhé (ch. 1-4).
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(5) Cf. notre T. 1er, p. 126-132 ; 208-212 ; 297-306
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(6) \loir le Pasteur d'Hermas et Irénée (Adversus Hoereses, III, 2. 3). 
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(7) E. de Faye, Origène, 1928, T. III, p. 208. 
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(8) Oeuvres complètes, éd. Pourrat, Paris 1836, T. V., p. 268. 
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(9) Cf. Albert Dufourcq, Histoire ancienne de l'Église. T. IV (Le Christianisme et l'Empire, 200-700), Plon, Paris 1930. 
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(10) Fernand Hayward, Histoire des Papes, Payot. Paris 1929, et Duchesne, Hist. de l'Église, T. II, ch. XIII (Le pape Damase).
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(11) Don de Fausta, femme de Constantin, à l'Église de Rome. C'était la propriété des Laterani, confisquée, dit-on, par Néron. 
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(12) Ses adversaires lui reprochaient d'avoir accepté Félix et d'être le favori (auriscalpius, le gratte-oreilles) des matrones. 
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(13) Recueil de notices sur les papes, commencé par un clerc romain vers 1197 (édition Duchesne, Paris 1886-1892). 
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(14) Le Liber pontificalis dit : Mulla corpora, sanctorum martyrum requisivit el invenit. 
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(15) Au concile de Constantinople (381), l'évêque de cette capitale se vit attribuer la prééminence honorifique (ta presbéia lès timès) après celui de Rome. 
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(16) Par exemple l'affaire de Maxime le Cynique (4e canon du concile de Constantinople).
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(17) D'après la liturgie de Jérusalem (dite « de saint Jacques ») et les Constit. apost. (cf. l'art, Culte, d'Eugène Bersier, Encycl. Licht.). 
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(18) Avec ces mots : Ite missa est (ecclesia), ( allez, l'assemblée est renvoyée ». Ce terme missa, d'où est venu le mot messe, correspond au grec leitourgia, liturgie. (On le trouve pour la première fois dans une lettre d'Ambroise à sa soeur Marcellina). 
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(19) Abel et Vincent, Jérusalem, p. 202. - On évitait de mettre le symbole par écrit, de peur que des profanes ne s'en servissent pour s'introduire dans les assemblées chrétiennes. 
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(20) L. Bertrand, Saint Augustin, P. 44. 
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(21) L. Bertrand, ouvrage cité, p. 43.
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(22) Tixeront, Histoire des Dogmes, T. Il (De S. Athanase à S. Augustin), Gabalda, Paris 1909, V. 162 ss.
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(23) Il écrivait dans son traité contre Parménien : sacramenia per se esse sancta non per homines (L. V, p. 4).
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(24) Cf. Pourrat, La Théologie sacramentaire, Paris 1906.
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(25) L. Duchesne, Origines du Culte chrétien, p. 3-20.
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(26) Cyrille, XXIe catéchèse.
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(27) Voir J. Rivière, Le Dogme de la Rédemption, Paris 1905, et Aug, Hollard, L'Apothéose de Jésus, p. 196-202. 
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