Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE I

L'École chrétienne d'Alexandrie

suite

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Venons-en à la partie la plus importante de l'oeuvre de ce grand esprit, sa dogmatique. De la philosophie grecque et de la spéculation gnostique il a tiré un système grandiose sans être, toujours logique, et d'une hardiesse insuffisamment tempérée, au gré de l'orthodoxie, par son désir de rester fidèle à la tradition et aux Écritures.

« Il n'a jamais eu, en effet, écrit le professeur de Faye, la prétention d'être autre chose que leur interprète » (18), Mais, avec la curiosité métaphysique de sa mentalité hellénique et les nécessités de son enseignement, il fut amené, comme Clément, son maître, à présenter la doctrine chrétienne sous une forme philosophique. Ce qui facilita sa tâche, ce furent la souplesse de la tradition chrétienne d'Égypte, qui n'était pas encore codifiée comme celle d'Irénée ou de Tertullien, à peine connus en Orient (19), et l'orientation morale de la philosophie de son temps, préoccupée de la « vie » et des questions religieuses, comme l'était la pensée chrétienne...

Origène a exposé sa dogmatique dans plusieurs ouvrages, qui ont été perdus. Dans ses Stromates (en dix livres), composés à Alexandrie sous le règne d'Alexandre Sévère (donc entre 222 et 231 : Eusèbe, H. E. VI, 24), il interprétait (d'après Jérôme, épître 70) la doctrine chrétienne à l'aide de Platon, d'Aristote et de deux stoïciens. Dans un écrit, sur La Résurrection, il développait des idées spiritualistes. Mais c'est dans le traité Des Principes (grec Péri Archân) (20), composé avant son départ d'Alexandrie, que l'on doit chercher l'expression systématique de sa pensée (21). Il comprend quatre livres. Le premier étudie « Dieu et les êtres célestes » ; le second, « le monde, l'humanité, l'Incarnation et la Vie éternelle » ; le troisième, « le libre arbitre », et le dernier, « l'inspiration des Écritures ».

Ce qui caractérise la doctrine d'Origène, c'est son idéalisme. Disciple de Platon, il trouve dans le monde invisible l'origine et la raison d'être du Cosmos, passager et provisoire, dont la rédemption ne peut consister qu'en un retour à sa condition transcendante. Plus dogmaticien que moraliste, à l'inverse de Clément, il commence par la question centrale, celle de Dieu, qu'il s'applique à élucider mieux que ne le faisaient les chrétiens de son temps. Il se refuse à lui attribuer, avec les Stoïciens, une forme corporelle (De principiis, L. 1), et, à la suite de Platon (22), il voit en lui un pur esprit, incomposite, impérissable (23). Pourtant, dit-il, Dieu, le Vivant par excellence, n'est ni illimité ni tout-puissant. Il peut faire des actions qui dépassent la nature (hyper tén physin), mais non celles qui lui seraient contraires (para tén physin). « Il ne peut commettre le mal ». Origène n'admet pas que Dieu ait créé directement la matière (24). Sa providence s'exerce, non pas en intervenant dans les affaires du monde, mais en agissant sur les âmes. Pareil à un pédagogue ou à, un médecin, c'est pour leur bien qu'il les fait ou les laisse souffrir. « Pour purifier et éduquer ceux qui ne veulent pas se laisser instruire par la parole, dit Origène dans le Contre Celse (VI, 56), il applique les maux corporels et extérieurs ».

Auprès de Dieu, que notre théologien relègue, comme il dit, au plus haut des cieux, est le monde transcendant, dont le personnage principal est le Logos, qui a existé de tout temps, et qui, pourtant, a reçu la vie du Père (25). Il est peuplé d'entités diverses, intelligences (noés), substances (ousiaï) ou forces (dynameïs), pourtant esprits plutôt qu'Idées, doués du libre arbitre (autexousion), dont plusieurs ont fait un mauvais usage.

La cosmologie d'Origène, (De Principiis, L. II), s'inspire à la fois des vues de Platon, dans le Timée, de celles de Stoïciens et de celles de grands gnostiques, de Valentin surtout, qui l'ont persuadé, contrairement aux tendances optimistes des philosophes grecs, que le Cosmos doit son existence à un péché et qu'il est mauvais en soi (26). D'après lui, les entités supra sensibles sont, par la chute, devenues des âmes» (27) qui s'unissent à des corps. Les plus coupables se sont dégradées en âmes associées à des corps humains, et même en démons. Les moins coupables passent à l'état d'anges. Certaines deviennent des astres. Toutes retourneront, à la fin des temps, à, la suite de plusieurs mondes successifs, à la condition de purs esprits (rétablissement qu'Origène appelle apocataslasis).

Que devient, dans cette spéculation, le rôle attribué par la foi chrétienne au Dieu Créateur et au Logos organe de la Création ? Origène, serviteur respectueux de la tradition, leur a fait une place dans son système, non sans blesser la logique. Il parle, comme un simple fidèle, du Dieu créateur (28) et du Logos exécuteur de sa volonté créatrice. D'après lui, (De Principiis, L. I), il y avait en Jésus-Christ un dieu entièrement distinct de lui, le Logos, qui a toujours été auprès du Dieu suprême, mais qui lui est subordonné. En accord avec les Stoïciens, il affirme qu'il pénètre le Cosmos entier. Il y a plus : le Logos l'a fait, sur l'ordre de Dieu (cf Contre Celse, VI, 60). En résumé, dit E. de Faye, « il est l'animateur par excellence, et de l'humanité et du Cosmos. Il est l'intermédiaire entre Dieu et les êtres. Il dispense aux uns la divinité, aux autres la raison, à tous la vie. Il rappelle l'âme du monde du Timée, ainsi que l'âme telle que la définit Aristote... Il a été le révélateur par excellence, le grand inspirateur des prophètes » (Origène, T. III, p. 128).

À un moment donné, le Logos « s'est approprié un corps mortel et une âme humaine ». Il en a été distinct, et tous les traits qui dénotent quelque faiblesse doivent être mis au compte de l'homme Jésus (tristesse de Gethsémané, mort sur la croix). Pourtant, l'union entre eux a été complète. L'âme de Jésus, en s'associant au Logos, l'a embrassé dans sa plénitude, de même que le fer qui reste soumis à l'action du feu demeure incandescent. Il y a eu humanisation du dieu (enanthropésis). Pourtant, Origène n'admet pas que Jésus ait été de même substance que Dieu (E. de Faye, III, p. 137).

La conception de l'homme qu'il expose ensuite porte, comme les précédentes doctrines, la marque du platonisme et du stoïcisme, dont il emploie la terminologie (29). Pour lui, un homme est une âme (au sens aristotélicien) associée. à un corps, et où brille un rayon du Logos. C'est à cette alliance, inconsciente peut-être, qu'il doit son pouvoir de liberté. Après avoir analysé et prouvé ce pouvoir, d'après Platon et Epictète, Origène le confirme en faisant appel à l'Écriture, dont les préceptes n'auraient aucun sens si l'homme n'était pas doué de liberté. Elle contient, il est vrai, quelques passages qui la nient (Exode 10, 20, etc. ; Rom. 9, 16), mais notre exégète les écarte en substituant à leur sens réel une signification allégorique.

La doctrine d'Origène sur la Rédemption est une combinaison d'éléments empruntés « à la philosophie grecque, à la plus haute pensée gnostique et aux vivantes croyances de la masse chrétienne de l'époque » (de Faye, III, p. 204). Il doit à Valentin la conception d'un retour des esprits déchus à leur état primitif, mais il y verse les grandes idées de libre arbitre et d'éducation morale. Et puis, il présente le Christ, non seulement comme le révélateur de la gnose, mais comme l'éducateur qui élève l'âme vers la perfection (30). Le salut opéré par Jésus n'est, d'ailleurs, pas limité aux hommes. Il aura pour théâtre toute la série des mondes successifs. Ainsi Origène, après Clément, a fait du Seigneur (Kyrios) le Rédempteur (Soter) (de Faye, Ill, 22). il affirme, avec les chrétiens, que Jésus-Christ est mort pour les pécheurs, mais la vertu de la crucifixion lui parait être simplement d'avoir, comme la mort des martyrs, un mystérieux contre-coup sur les « puissances malfaisantes » (commentaire sur Jean, passim). Au fond, cette mort sur la croix « ne rentrait pas dans le cadre de ses pensées» (de Faye, Ill, p. 230).

Origène consacre au Saint-Esprit deux passages du De Principiis (I, 3 et II, 7). Cette notion n'a pas dans son système une place qui lui soit propre, et s'il en tient compte c'est parce que, comme chrétien, il ne pouvait se dispenser d'en parler. Il ne songe qu'à définir sa fonction, plus restreinte que celle du Logos. Elle consiste à agir sur les fidèles. Il est subordonné au Père. Si Origène emploie le mot de Trinité, ce terme n'implique pas son adhésion à une doctrine trinitaire, malgré les efforts de Rufin pour introduire, par des interpolations, dans le De Principiis, la doctrine des conciles (31).

Origène n'avait pas la mentalité cléricale. Le sacerdoce qu'il rêvait était celui, non des évêques, mais des docteurs expliquant l'évangile. Il préconisait le culte en esprit et en vérité, les conditions morales du baptême, et de la communion. Pourtant, certaines paroles de lui laissent penser qu'il attribuait quelque vertu à ces deux rites.

Il n'a pas été apprécié à sa juste valeur par la chrétienté orthodoxe. Elle a été froissée par certaines de ses théories, telles que la préexistence des âmes, la succession des mondes, le rétablissement final, la limitation de la puissance de Dieu. Les conflits qu'elles ont suscités ont amené leur condamnation par le cinquième concile oecuménique (Constantinople, 553) et par d'autres encore. Elle semble avoir oublié que ce génie, doublé d'un saint, a été une de ses plus grandes illustrations, et qu'on devait fermer les yeux sur quelques-unes de ses idées, aventureuses, il faut l'avouer, en raison de son oeuvre apologétique si considérable. Elle a compris moins encore que ce grand chrétien, si peu clérical, uniquement sensible aux grandeurs intellectuelles et spirituelles, en dépit de certains excès de spéculation ou d'ascétisme, représentait, mieux que la hiérarchie intoxiquée d'esprit autoritaire et sacramentaire, la véritable Église évangélique, héritière de la pensée du Christ.




Il nous reste, à voir en Origène le controversiste.
Il soutint diverses discussions orales avec des savants juifs ou des hérétiques. Elles ont dû être notées par des secrétaires, mais aucune d'elles n'a été conservée.
Son principal ouvrage polémique est son traité Contre Celse (32).

Le Discours véritable (Logos alèthés) de ce redoutable pamphlétaire était déjà ancien. D'après un passage du livre d'Origène, il datait d'une époque de violente persécution où il y avait deux empereurs (Marc-Aurèle et Commode, 177-180). Bien qu'il fût un peu oublié, le grand docteur alexandrin, pressé par Ambroise, entreprit de le réfuter. Après avoir commencé une réplique générale, il changea de méthode et s'en prit aux objections successives, ce qui a introduit dans son traité quelque confusion et de fréquentes redites, rendues plus pénibles encore par les longueurs d'un style traînant. D'autre part, le, Contre Celse a de grandes qualités : l'érudition en est surprenante, le ton est d'une noblesse toute évangélique, où l'on peut admirer une patience rarement en défaut.

Le Discours véritable n'a pas été conservé, mais on a pu le reconstituer assez bien grâce aux longues citations d'Origène (33). Il dénote un réel savoir et une perspicacité volontiers satirique. Celse avait lu avec soin l'Ancien Testament et les Évangiles, et observé de près les Juifs, les chrétiens et les sectes hérétiques. Il était au courant des conflits entre la grande église et la minorité. Ce qu'il reprochait aux disciples du Christ, avec une verve irrespectueuse, en mettant, à un certain moment, ces critiques dans la bouche d'un Juif, c'étaient leur idée d'une religion universelle, avec un privilège exclusif pour leur Dieu, qui, de son côté, leur réservait ses faveurs (34), l'inanité des prophéties de l'Ancien Testament, la puérilité ou le réalisme de ses récits, l'improbabilité d'une intervention de ce Dieu à un certain moment de l'histoire. Il critiquait leur foi à l'Incarnation, ruineuse pour le monothéisme, et aux humiliantes souffrances de Dieu, si contraires à, sa majesté et à sa gloire. Il s'élevait aussi contre les miracles bibliques, fruit de l'imagination ou d'une sorcellerie vulgaire, la résurrection du Christ, fable colportée par une femme hystérique, et la résurrection des corps, véritable absurdité. Il soutenait que la morale de Jésus n'avait « rien d'original ni de nouveau » (Contre Celse, L. I, 1). Il disait que ses plus beaux préceptes étaient empruntés à la philosophie grecque. Le pardon des ennemis était déjà enseigné dans le Criton ; l'humilité et la condamnation de la richesse, dans les Lois de Platon.
Quant au Christ lui-même, Celse le déclarait « petit, laid et d'une mine basse », et le traitait de « fourbe rempli de vanité, qui ne se soutenait que par des prodiges », et qui « a quitté la vie comme un infâme » (35). Il appelait les grands apôtres des «scélérats », il qualifiait tes chefs chrétiens de « charlatans » qui ne s'adressent qu'aux gens sans esprit, et il les comparaît aux prêtres de Cybèle, « étourdissant les fidèles avec leurs tambourins ». À ses yeux, leur culte faisait penser à ces temples égyptiens au fond desquels on découvre, comme objet d'adoration, un. chat, un singe ou un crocodile (III, 17). Il reprochait enfin aux chrétiens leur insociabilité. « Il y a , disait-il, une nouvelle race d'hommes, ligués contre toutes les institutions, poursuivis par la justice, généralement notés d'infamie et se faisant gloire d'être détestés de tous ». Il les blâmait de trahir l'Empire à l'heure de la lourde menace barbare, et il leur faisait un devoir de s'unir à lui pour le sauver. Celse n'était pas un esprit fort. Il croyait aux démons, à la magie, à, la divinité des astres, aux oracles, et il respectait les rites de la religion nationale. Il était un simple représentant, fort intelligent, d'ailleurs, de l'opinion courante hostile aux chrétiens.

On devine, l'indignation et la douleur que durent inspirer à, Origène ces diverses critiques, dont beaucoup étaient des injustices ou des injures. Indiquons quelques-unes de ses répliques, sans nous astreindre à l'ordre de son exposé trop fécond en répétitions (36). Se dressant contre l'irrévérencieux pamphlétaire de toute la hauteur de sa conscience et de sa foi, le grand apologète lui reproche son persiflage et ses iniques préjugés. Défenseur de la Révélation, il montre avec éloquence que les hommes ont infiniment plus de valeur que les vers de terre, et que l'intérêt manifesté par Dieu à leur égard est fort compréhensible. Celse a tort, d'ailleurs, de croire que son intervention n'a commencé qu'avec le Christ : n'a-t-il pas inspiré auparavant Moïse et les prophètes ? Origène défend aussi Jésus, si durement calomnié. Il célèbre sa sainteté et son originalité. Sans refuser d'admirer Socrate et Epictète, il déclare avec autorité que, seul, le Christ a le pouvoir de gagner non seulement les simples mais les lettrés, et même toute l'humanité, puissance qui a échappé à Celse, trop aveuglé pour apercevoir la grandeur de l'humilité, de la pénitence et de la pitié. Ce grand détracteur des chrétiens leur a reproché de « rendre des honneurs excessifs à Jésus », mais le monothéisme, réplique Origène, est sauvegardé puisque le Fils est subordonné au Père. Le dogme de la résurrection de la chair n'est pas absurde, si on l'entend à la saint Paul, sous forme de corps spirituel. Quant aux objections tirées des anthropomorphismes de l'Ancien Testament, notre apologète les écarte par un appel à la méthode allégorique. Il est moins convaincant lorsqu'il essaie de justifier l'attitude des chrétiens vis-à-vis de l'Empire, quand il soutient qu'ils doivent être exemptés du devoir militaire, comme les prêtres païens, parce qu'ils sont tous prêtres du vrai Dieu, et qu'ils sont plus utiles à l'État en donnant l'exemple des vertus et en priant pour l'expulsion des démons animateurs des guerres, qu'en grossissant les armées ou en exerçant les charges de magistrats. Les raisonnements d'Origène ne sont pas tous concluants. On ne peut guère retenir son argument de la réalisation des prophéties en Christ ou son appel à, sa conception surnaturelle, mais, dans l'ensemble, son livre est émaillé d'idées justes et d'appels entraînants, propres à fortifier la foi.




Le plus important disciple d'Origène fut Denys (37).
Riche et pourvu d'une éducation raffinée, il devint, en 231, le successeur d'Héraclas à la direction du Didascalée, puis, vers 247, dans la charge d'évêque d'Alexandrie (38). Au cours de la persécution de Décius, il crut devoir prendre la fuite. Arrêté, il fut délivré par des paysans, et à la fin de 251 il put regagner son siège. Sous Valérien en 257, il comparut devant Émilien, préfet d'Égypte (H. E. VIII, 11), qui l'exila. Profitant de la tolérance de Gallien, il revint à Alexandrie en 262. Sa vieillesse fut assombrie par de cruelles épreuves. Il dut assister à de sanglantes émeutes et à une peste aussi affreuse que celle d'Athènes au temps de Périclès, où, pour sa consolation, de nombreux membres de son église, avec un admirable dévouement, soignèrent les malades, même païens, et ensevelirent les morts. Sa fin se place en 264, peu après le synode d'Antioche où fut examiné le cas de l'évêque Paul de Samosate, dont nous parlerons plus loin, et auquel l'âge et la maladie l'avaient empêché d'assister.

Denys a été, selon l'expression d'Eusèbe, « un grand évêque ». Homme de gouvernement aux vues élevées, esprit pondéré et conciliant, il fit de l'épiscopat alexandrin une des meilleures forces de la chrétienté. Il noua des relations avec la plupart des églises importantes, et il intervint dans les grandes discussions qui agitaient les esprits. Il y avait désaccord sur la question du baptême des hérétiques désireux de rentrer dans l'Église. Fallait-il leur en imposer un nouveau ou se contenter de celui qu'ils avaient reçu ? Étienne, évêque de Rome, inclinait vers l'indulgence ; Cyprien de Carthage, au contraire, exigeait ce nouveau baptême. Certains repentis, au reste, le réclamaient. Denys écrivit à Étienne et à Sixte II, son successeur, pour empêcher une rupture. Il y avait aussi la question brûlante des chrétiens qui, sous la menace, avaient apostasié (les lapsi). Ici encore, l'évêque romain s'était montré conciliant, pour éviter les complications, et cette attitude avait dressé contre lui Novatien et ses partisans (voir plus loin, ch III). Sollicité par le schismatique de l'approuver, Denys lui répondit par une courte lettre très noble : « Il eût fallu, lui dit-il, tout supporter sans exception, pour ne pas démembrer l'Église de Dieu ». Il l'engageait à « rétablir la concorde » en « s'attachant à la paix dans le Seigneur » (H. E. VI, 45).

Il intervint aussi dans la controverse du Sabellianisme, doctrine qui tendait à effacer la distinction entre les trois personnes de la Trinité afin de sauvegarder le monothéisme (ou « monarchie »). Il la combattit dans plusieurs lettres dont il envoya la copie à Sixte II (257). Ses vues, au reste, parurent suspectes à Rome, et son homonyme Denys, successeur de Sixte Il (259-.268), lui demanda courtoisement des explications. Pour se défendre, il écrivit une justification et Apologie (Elenkos caï Apologia), en quatre livres. Il y atténuait certaines de ses expressions qui avaient paru nier l'existence éternelle du Fils, mais il refusait de lui appliquer le terme de consubstantiel au Père (grec homoousios), que le Concile de Nicée (325) devait sanctionner. Il écrivit aussi plusieurs lettres « pascales », destinées à fixer pour son diocèse la date de la fête. Signalons enfin son épître au synode d'Antioche, où il s'excusait de son absence et disait son sentiment sur le cas de Paul de Samosate. Son prestige était si grand que le synode la joignît à la circulaire adressée, à cette occasion, à tous les évêques.

Parmi les traités composés par Denys, il faut mentionner ses deux ouvrages Sur la Nature et Sur les Promesses. Le premier est une réfutation d'Épicure (39). Il oppose à ses atomes l'idée platonicienne et stoïcienne d'un univers continu, et il dresse contre sa notion du hasard des réflexions finalistes qui rappellent le De Naturâ Deorum de Cicéron. « Denys, écrit

Puech, n'est point son égal par l'ampleur de l'éloquence et le choix de l'expression. C'est cependant un écrivain habile, qui parle une, langue fort correcte pour son temps..., qui sait composer avec clarté, relever l'intérêt de la discussion par quelques images heureuses ou une ironie assez fine » (II, 447). Le traité Sur les Promesses (Il. E. VI, 24) est une réponse à Népos, évêque d'Arsinoé (église indigène d'Égypte), qui, dans son écrit Contre les Allégoristes, avait appuyé sa foi millénariste sur l'interprétation littérale de l'Apocalypse.

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(18) E. de Faye, Origène, T. III, p. 6. 
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(19) Eusèbe ne mentionne, de Tertullien, que son Apologétique (H. E. II, 2, 4, 5). 
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(20) Ce terme signifie les c doctrines essentielles ». 
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(21) Le texte grec est perdu, mais il en reste d'assez nombreux fragments conservés, les uns dans la Philocatie, les autres dans l'Édit de Justinien (543) qui en fit anathématiser neuf propositions. On possède aussi une traduction latine de Rufin, qui atténue parfois ses hardiesses de pensée (Édition Koetschau. 1913 ; Bardy, Recherches sur l'histoire du Texte et des Versions latines du De Principiis). . 
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(22) Cf de Faye. Origène, L. III, ch. IV. . 
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(23) Il va même jusqu'à dire, dans son Contre Celse (VII, 38) : « Il est au-delà de l'intelligence et de l'être ». 
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(24) Il réserve cette fonction au Logos, comme on va le voir. 
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(25) E. de Faye observe qu'Origène ne nomme pas le Saint-Esprit parmi les habitants de ce monde supérieur. En tant que philosophe, il ne s'y intéresse pas. Il en parle ailleurs.
Dans son commentaire sur Jean, il dit que le Saint-Esprit doit l'existence au Logos. 
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(26) Cf le substantiel chap. VI de l'Origène, L. III. 
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(27) Au sens d'Aristote (principe vital périssable). 
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(28) Voir les textes dans E. de Faye, Origène, T. III, p. 36, note 1. 
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(29) Ataraxia (impassibilité.), té eph' émin (ce qui dépend de nous), autexousia (libre arbitre), etc. 
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(30) Voir en particulier son interprétation du Prologue du IVe Évangile (commentaire sur Jean), et divers passages du Contre Celse (III, 34 ; VI. 3).
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(31) Voir sur ce point de Faye, Origène III, p. 270-275. 
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(32) Conservé dans le ms Vaticanus groecus 386. Édité par Koetschau (Leipzig, 1899). En voici le titre exact huit livres contre le Discours véritable de Celse ». 
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(33) Édition Gloeckner, Bonn 1924 (coll. Lietzmann); L. Rougier, Celse ou le Conflit de la Civilisation antique et du Christianisme primitif, Paris 1925. 
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(34) Celse les comparait à des chauves-souris ou à des grenouilles qui Prétendaient que Dieu ne s'occupe que d'elles et leur a tout subordonné. 
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(35) Il osait même dire que « Jésus était fils d'une pauvre villageoise, convaincue d'adultère avec un soldat nommé Panthère et chassée par son fiancé » (Contre Celse, L. 1., 8). 
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(36) Nous suivons la traduction française d'Elie Bouhéreau (Amsterdam, 1700). 
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(37) Consulter : Lett Feltoe, The Letters and other Remains of Dionysius of Alexandria, Cambridge 1904 ; Burel, Denys d'Al., sa vie, son temps, Paris 1910. 
(38) Sa vie est connue par les nombreux extraits qu'Eusèbe a faits de ses oeuvres (H. E. VI et VII). 
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(39) Fragments dans Eusèbe (Prépar. évang. XIV, 23-27). 
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