Venons-en à la partie la plus importante de
l'oeuvre de ce grand esprit, sa dogmatique. De la philosophie grecque
et de la spéculation gnostique il a tiré un système grandiose sans
être, toujours logique, et d'une hardiesse insuffisamment tempérée, au
gré de l'orthodoxie, par son désir de rester fidèle à la tradition et
aux Écritures.
« Il n'a jamais eu, en effet, écrit
le professeur de Faye, la prétention d'être autre chose que leur
interprète » (18),
Mais, avec la curiosité métaphysique de sa mentalité hellénique et les
nécessités de son enseignement, il fut amené, comme Clément, son
maître, à présenter la doctrine chrétienne sous une forme
philosophique. Ce qui facilita sa tâche, ce furent la souplesse de la
tradition chrétienne d'Égypte, qui n'était pas encore codifiée comme
celle d'Irénée ou de Tertullien, à peine connus en Orient (19),
et
l'orientation morale de la philosophie de son temps, préoccupée
de la « vie » et des
questions religieuses, comme l'était la pensée chrétienne...
Origène a exposé sa dogmatique dans
plusieurs ouvrages, qui ont été perdus. Dans ses Stromates (en dix
livres), composés à Alexandrie sous le règne d'Alexandre Sévère (donc
entre 222 et 231 : Eusèbe, H. E. VI, 24), il interprétait (d'après
Jérôme, épître 70) la doctrine chrétienne à l'aide de Platon,
d'Aristote et de deux stoïciens. Dans un écrit, sur La Résurrection,
il
développait des idées spiritualistes. Mais c'est dans le traité Des
Principes (grec Péri Archân) (20),
composé avant son départ
d'Alexandrie, que l'on doit chercher l'expression systématique de sa
pensée (21).
Il comprend quatre livres. Le premier étudie « Dieu et les êtres
célestes » ; le second, « le monde, l'humanité, l'Incarnation et la
Vie
éternelle » ; le troisième, « le libre arbitre », et le dernier, «
l'inspiration des Écritures ».
Ce qui caractérise la doctrine
d'Origène, c'est son idéalisme. Disciple de Platon, il trouve dans le
monde invisible l'origine et la raison d'être du Cosmos, passager et
provisoire, dont la rédemption ne peut consister qu'en un retour à sa
condition transcendante. Plus dogmaticien que moraliste, à l'inverse
de
Clément, il commence par la question centrale, celle de Dieu, qu'il
s'applique à élucider mieux que ne le faisaient les chrétiens de son
temps. Il se refuse à lui attribuer, avec les Stoïciens, une forme
corporelle (De principiis, L. 1), et, à la suite de Platon (22),
il
voit en lui un pur esprit, incomposite, impérissable
(23).
Pourtant, dit-il, Dieu, le Vivant par excellence, n'est ni illimité ni
tout-puissant. Il peut faire des actions qui dépassent la nature
(hyper
tén physin), mais non celles qui lui seraient contraires (para tén
physin). « Il ne peut commettre le mal ». Origène n'admet pas que Dieu
ait créé directement la matière (24).
Sa providence s'exerce, non pas en
intervenant dans les affaires du monde, mais en agissant sur les âmes.
Pareil à un pédagogue ou à, un médecin, c'est pour leur bien qu'il les
fait ou les laisse souffrir. « Pour purifier et éduquer ceux qui ne
veulent pas se laisser instruire par la parole, dit Origène dans le
Contre Celse (VI, 56), il applique les maux corporels et extérieurs ».
Auprès de Dieu, que notre théologien
relègue, comme il dit, au plus haut des cieux, est le monde
transcendant, dont le personnage principal est le Logos, qui a existé
de tout temps, et qui, pourtant, a reçu la vie du Père (25).
Il est peuplé d'entités diverses,
intelligences (noés), substances (ousiaï) ou forces (dynameïs),
pourtant esprits plutôt qu'Idées, doués du libre arbitre
(autexousion),
dont plusieurs ont fait un mauvais usage.
La cosmologie d'Origène, (De
Principiis, L. II), s'inspire à la fois des vues de Platon, dans le
Timée, de celles de Stoïciens et de celles de grands gnostiques, de
Valentin surtout, qui l'ont persuadé, contrairement aux tendances
optimistes des philosophes grecs, que le Cosmos doit son existence à
un
péché et qu'il est mauvais en soi (26).
D'après lui, les entités supra sensibles sont, par
la chute,
devenues des âmes» (27) qui
s'unissent à des corps. Les
plus coupables se sont dégradées en âmes associées à des corps
humains,
et même en démons. Les moins coupables passent à l'état d'anges.
Certaines deviennent des astres. Toutes retourneront, à la fin des
temps, à, la suite de plusieurs mondes successifs, à la condition de
purs esprits (rétablissement qu'Origène appelle apocataslasis).
Que devient, dans cette spéculation,
le rôle attribué par la foi chrétienne au Dieu Créateur et au Logos
organe de la Création ? Origène, serviteur respectueux de la
tradition,
leur a fait une place dans son système, non sans blesser la logique.
Il
parle, comme un simple fidèle, du Dieu créateur (28)
et du Logos exécuteur de sa volonté
créatrice. D'après lui, (De Principiis, L. I), il y avait en
Jésus-Christ un dieu entièrement distinct de lui, le Logos, qui a
toujours été auprès du Dieu suprême, mais qui lui est subordonné. En
accord avec les Stoïciens, il affirme qu'il pénètre le Cosmos entier.
Il y a plus : le Logos l'a fait, sur l'ordre de Dieu (cf Contre Celse,
VI, 60). En résumé, dit E. de Faye, « il est l'animateur par
excellence, et de l'humanité et du Cosmos. Il est l'intermédiaire
entre
Dieu et les êtres. Il dispense aux uns la divinité, aux autres la
raison, à tous la vie. Il rappelle l'âme du monde du Timée, ainsi que
l'âme telle que la définit Aristote... Il a été le révélateur par
excellence, le grand inspirateur des prophètes » (Origène, T. III, p.
128).
À un moment donné, le Logos « s'est
approprié un corps mortel et une âme humaine ». Il en a été distinct,
et tous les traits qui dénotent quelque faiblesse doivent être mis au
compte de l'homme Jésus (tristesse de Gethsémané, mort sur la croix).
Pourtant, l'union entre eux a
été complète. L'âme de Jésus, en s'associant au Logos, l'a embrassé
dans sa plénitude, de même que le fer qui reste soumis à l'action du
feu demeure incandescent. Il y a eu humanisation du dieu
(enanthropésis). Pourtant, Origène n'admet pas que Jésus ait été de
même substance que Dieu (E. de Faye, III, p. 137).
La conception de l'homme qu'il
expose ensuite porte, comme les précédentes doctrines, la marque du
platonisme et du stoïcisme, dont il emploie la terminologie (29).
Pour
lui, un homme est une âme (au sens aristotélicien) associée. à un
corps, et où brille un rayon du Logos. C'est à cette alliance,
inconsciente peut-être, qu'il doit son pouvoir de liberté. Après avoir
analysé et prouvé ce pouvoir, d'après Platon et Epictète, Origène le
confirme en faisant appel à l'Écriture, dont les préceptes n'auraient
aucun sens si l'homme n'était pas doué de liberté. Elle contient, il
est vrai, quelques passages qui la nient (Exode
10,
20, etc. ; Rom.
9,
16), mais notre exégète les écarte en substituant à leur
sens réel une signification allégorique.
La doctrine d'Origène sur la
Rédemption est une combinaison d'éléments empruntés « à la philosophie
grecque, à la plus haute pensée gnostique et aux vivantes croyances de
la masse chrétienne de l'époque » (de Faye, III, p. 204). Il doit à
Valentin la conception d'un retour des esprits déchus à leur état
primitif, mais il y verse les grandes idées de libre arbitre et
d'éducation morale. Et puis, il présente le Christ, non seulement
comme
le révélateur de la gnose, mais comme l'éducateur qui élève l'âme vers
la perfection (30).
Le salut opéré par Jésus n'est, d'ailleurs, pas limité aux hommes. Il
aura pour théâtre toute la série
des mondes successifs. Ainsi Origène, après Clément, a fait du
Seigneur
(Kyrios) le Rédempteur (Soter) (de Faye, Ill, 22). il affirme, avec
les
chrétiens, que Jésus-Christ est mort pour les pécheurs, mais la vertu
de la crucifixion lui parait être simplement d'avoir, comme la mort
des
martyrs, un mystérieux contre-coup sur les « puissances malfaisantes »
(commentaire sur Jean, passim). Au fond, cette mort sur la croix « ne
rentrait pas dans le cadre de ses pensées» (de Faye, Ill, p. 230).
Origène consacre au Saint-Esprit
deux passages du De Principiis (I, 3 et II, 7). Cette notion n'a pas
dans son système une place qui lui soit propre, et s'il en tient
compte
c'est parce que, comme chrétien, il ne pouvait se dispenser d'en
parler. Il ne songe qu'à définir sa fonction, plus restreinte que
celle
du Logos. Elle consiste à agir sur les fidèles. Il est subordonné au
Père. Si Origène emploie le mot de Trinité, ce terme n'implique pas
son
adhésion à une doctrine trinitaire, malgré les efforts de Rufin pour
introduire, par des interpolations, dans le De Principiis, la doctrine
des conciles (31).
Origène n'avait pas la mentalité
cléricale. Le sacerdoce qu'il rêvait était celui, non des évêques,
mais
des docteurs expliquant l'évangile. Il préconisait le culte en esprit
et en vérité, les conditions morales du baptême, et de la communion.
Pourtant, certaines paroles de lui laissent penser qu'il attribuait
quelque vertu à ces deux rites.
Il n'a pas été apprécié à sa juste
valeur par la chrétienté orthodoxe. Elle a été froissée par certaines
de ses théories, telles que la préexistence des âmes, la succession
des
mondes, le rétablissement final, la limitation de la puissance de
Dieu.
Les conflits qu'elles ont suscités ont amené leur condamnation par le
cinquième concile oecuménique (Constantinople, 553) et par d'autres
encore. Elle semble avoir oublié que ce
génie, doublé d'un saint, a été une de ses plus grandes illustrations,
et qu'on devait fermer les yeux sur quelques-unes de ses idées,
aventureuses, il faut l'avouer, en raison de son oeuvre apologétique
si
considérable. Elle a compris moins encore que ce grand chrétien, si
peu
clérical, uniquement sensible aux grandeurs intellectuelles et
spirituelles, en dépit de certains excès de spéculation ou
d'ascétisme,
représentait, mieux que la hiérarchie intoxiquée d'esprit autoritaire
et sacramentaire, la véritable Église évangélique, héritière de la
pensée du Christ.
Il nous reste, à voir en Origène le controversiste.
Il soutint diverses discussions
orales avec des savants juifs ou des hérétiques. Elles ont dû être
notées par des secrétaires, mais aucune d'elles n'a été conservée.
Son principal ouvrage polémique est
son traité Contre Celse (32).
Le Discours véritable (Logos
alèthés) de ce redoutable pamphlétaire était déjà ancien. D'après un
passage du livre d'Origène, il datait d'une époque de violente
persécution où il y avait deux empereurs (Marc-Aurèle et Commode,
177-180). Bien qu'il fût un peu oublié, le grand docteur alexandrin,
pressé par Ambroise, entreprit de le réfuter. Après avoir commencé une
réplique générale, il changea de méthode et s'en prit aux objections
successives, ce qui a introduit dans son traité quelque confusion et
de
fréquentes redites, rendues plus pénibles encore par les longueurs
d'un
style traînant. D'autre part, le, Contre Celse a de grandes qualités :
l'érudition en est surprenante,
le ton est d'une noblesse toute évangélique, où l'on peut admirer une
patience rarement en défaut.
Le Discours véritable n'a pas été
conservé, mais on a pu le reconstituer assez bien grâce aux longues
citations d'Origène (33). Il
dénote un réel savoir et une
perspicacité volontiers satirique. Celse avait lu avec soin l'Ancien
Testament et les Évangiles, et observé de près les Juifs, les
chrétiens
et les sectes hérétiques. Il était au courant des conflits entre la
grande église et la minorité. Ce qu'il reprochait aux disciples du
Christ, avec une verve irrespectueuse, en mettant, à un certain
moment,
ces critiques dans la bouche d'un Juif, c'étaient leur idée d'une
religion universelle, avec un privilège exclusif pour leur Dieu, qui,
de son côté, leur réservait ses faveurs (34),
l'inanité des prophéties de
l'Ancien Testament, la puérilité ou le réalisme de ses récits,
l'improbabilité d'une intervention de ce Dieu à un certain moment de
l'histoire. Il critiquait leur foi à l'Incarnation, ruineuse pour le
monothéisme, et aux humiliantes souffrances de Dieu, si contraires à,
sa majesté et à sa gloire. Il s'élevait aussi contre les miracles
bibliques, fruit de l'imagination ou d'une sorcellerie vulgaire, la
résurrection du Christ, fable colportée par une femme hystérique, et
la
résurrection des corps, véritable absurdité. Il soutenait que la
morale
de Jésus n'avait « rien d'original ni de nouveau » (Contre Celse, L.
I,
1). Il disait que ses plus beaux préceptes étaient empruntés à la
philosophie grecque. Le pardon des ennemis était déjà enseigné dans le
Criton ; l'humilité et la condamnation de la richesse, dans les Lois
de
Platon.
Quant au Christ lui-même, Celse le
déclarait « petit, laid et d'une mine basse », et le traitait de «
fourbe rempli de vanité, qui ne
se soutenait que par des prodiges », et qui « a quitté la vie comme un
infâme » (35).
Il appelait les grands apôtres des «scélérats », il qualifiait tes
chefs chrétiens de « charlatans » qui ne s'adressent qu'aux gens sans
esprit, et il les comparaît aux prêtres de Cybèle, « étourdissant les
fidèles avec leurs tambourins ». À ses yeux, leur culte faisait penser
à ces temples égyptiens au fond desquels on découvre, comme objet
d'adoration, un. chat, un singe ou un crocodile (III, 17). Il
reprochait enfin aux chrétiens leur insociabilité. « Il y a ,
disait-il, une nouvelle race d'hommes, ligués contre toutes les
institutions, poursuivis par la justice, généralement notés d'infamie
et se faisant gloire d'être détestés de tous ». Il les blâmait de
trahir l'Empire à l'heure de la lourde menace barbare, et il leur
faisait un devoir de s'unir à lui pour le sauver. Celse n'était pas un
esprit fort. Il croyait aux démons, à la magie, à, la divinité des
astres, aux oracles, et il respectait les rites de la religion
nationale. Il était un simple représentant, fort intelligent,
d'ailleurs, de l'opinion courante hostile aux chrétiens.
On devine, l'indignation et la
douleur que durent inspirer à, Origène ces diverses critiques, dont
beaucoup étaient des injustices ou des injures. Indiquons
quelques-unes
de ses répliques, sans nous astreindre à l'ordre de son exposé trop
fécond en répétitions (36). Se
dressant contre
l'irrévérencieux pamphlétaire de toute la hauteur de sa conscience et
de sa foi, le grand apologète lui reproche son persiflage et ses
iniques préjugés. Défenseur de la Révélation, il montre avec éloquence
que les hommes ont infiniment plus de valeur que les vers de terre, et
que l'intérêt manifesté par Dieu à leur égard est fort compréhensible.
Celse a tort, d'ailleurs, de croire que son intervention
n'a
commencé qu'avec le Christ : n'a-t-il pas inspiré auparavant Moïse
et les prophètes ? Origène défend aussi Jésus, si durement calomnié.
Il
célèbre sa sainteté et son originalité. Sans refuser d'admirer Socrate
et Epictète, il déclare avec autorité que, seul, le Christ a le
pouvoir
de gagner non seulement les simples mais les lettrés, et même toute
l'humanité, puissance qui a échappé à Celse, trop aveuglé pour
apercevoir la grandeur de l'humilité, de la pénitence et de la pitié.
Ce grand détracteur des chrétiens leur a reproché de « rendre des
honneurs excessifs à Jésus », mais le monothéisme, réplique Origène,
est sauvegardé puisque le Fils est subordonné au Père. Le dogme de la
résurrection de la chair n'est pas absurde, si on l'entend à la saint
Paul, sous forme de corps spirituel. Quant aux objections tirées des
anthropomorphismes de l'Ancien Testament, notre apologète les écarte
par un appel à la méthode allégorique. Il est moins convaincant
lorsqu'il essaie de justifier l'attitude des chrétiens vis-à-vis de
l'Empire, quand il soutient qu'ils doivent être exemptés du devoir
militaire, comme les prêtres païens, parce qu'ils sont tous prêtres du
vrai Dieu, et qu'ils sont plus utiles à l'État en donnant l'exemple
des
vertus et en priant pour l'expulsion des démons animateurs des
guerres,
qu'en grossissant les armées ou en exerçant les charges de magistrats.
Les raisonnements d'Origène ne sont pas tous concluants. On ne peut
guère retenir son argument de la réalisation des prophéties en Christ
ou son appel à, sa conception surnaturelle, mais, dans l'ensemble, son
livre est émaillé d'idées justes et d'appels entraînants, propres à
fortifier la foi.
Le plus important disciple d'Origène fut Denys (37).
Riche et pourvu d'une éducation
raffinée, il devint, en 231, le successeur d'Héraclas à la direction
du
Didascalée, puis, vers 247, dans la charge d'évêque d'Alexandrie (38).
Au
cours de la persécution de Décius, il crut devoir prendre la fuite.
Arrêté, il fut délivré par des paysans, et à la fin de 251 il put
regagner son siège. Sous Valérien en 257, il comparut devant Émilien,
préfet d'Égypte (H. E. VIII, 11), qui l'exila. Profitant de la
tolérance de Gallien, il revint à Alexandrie en 262. Sa vieillesse fut
assombrie par de cruelles épreuves. Il dut assister à de sanglantes
émeutes et à une peste aussi affreuse que celle d'Athènes au temps de
Périclès, où, pour sa consolation, de nombreux membres de son église,
avec un admirable dévouement, soignèrent les malades, même païens, et
ensevelirent les morts. Sa fin se place en 264, peu après le synode
d'Antioche où fut examiné le cas de l'évêque Paul de Samosate, dont
nous parlerons plus loin, et auquel l'âge et la maladie l'avaient
empêché d'assister.
Denys a été, selon l'expression
d'Eusèbe, « un grand évêque ». Homme de gouvernement aux vues élevées,
esprit pondéré et conciliant, il fit de l'épiscopat alexandrin une des
meilleures forces de la chrétienté. Il noua des relations avec la
plupart des églises importantes, et il intervint dans les grandes
discussions qui agitaient les esprits. Il y avait désaccord sur la
question du baptême des hérétiques désireux de rentrer dans l'Église.
Fallait-il leur en imposer un nouveau ou se contenter de celui qu'ils
avaient reçu ? Étienne, évêque de Rome, inclinait vers l'indulgence ;
Cyprien de Carthage, au contraire, exigeait ce nouveau baptême.
Certains repentis, au reste, le réclamaient. Denys écrivit à Étienne
et
à Sixte II, son successeur, pour empêcher une rupture. Il y avait
aussi
la question brûlante des chrétiens qui, sous la menace, avaient
apostasié (les lapsi). Ici encore,
l'évêque romain s'était montré conciliant, pour éviter les
complications, et cette attitude avait dressé contre lui Novatien et
ses partisans (voir plus loin, ch III). Sollicité par le schismatique
de l'approuver, Denys lui répondit par une courte lettre très noble :
«
Il eût fallu, lui dit-il, tout supporter sans exception, pour ne pas
démembrer l'Église de Dieu ». Il l'engageait à « rétablir la concorde
»
en « s'attachant à la paix dans le Seigneur » (H. E. VI, 45).
Il intervint aussi dans la
controverse du Sabellianisme, doctrine qui tendait à effacer la
distinction entre les trois personnes de la Trinité afin de
sauvegarder
le monothéisme (ou « monarchie »). Il la combattit dans plusieurs
lettres dont il envoya la copie à Sixte II (257). Ses vues, au reste,
parurent suspectes à Rome, et son homonyme Denys, successeur de Sixte
Il (259-.268), lui demanda courtoisement des explications. Pour se
défendre, il écrivit une justification et Apologie (Elenkos caï
Apologia), en quatre livres. Il y atténuait certaines de ses
expressions qui avaient paru nier l'existence éternelle du Fils, mais
il refusait de lui appliquer le terme de consubstantiel au Père (grec
homoousios), que le Concile de Nicée (325) devait sanctionner. Il
écrivit aussi plusieurs lettres « pascales », destinées à fixer pour
son diocèse la date de la fête. Signalons enfin son épître au synode
d'Antioche, où il s'excusait de son absence et disait son sentiment
sur
le cas de Paul de Samosate. Son prestige était si grand que le synode
la joignît à la circulaire adressée, à cette occasion, à tous les
évêques.
Parmi les traités composés par
Denys, il faut mentionner ses deux ouvrages Sur la Nature et Sur les
Promesses. Le premier est une réfutation d'Épicure (39).
Il oppose à ses atomes l'idée
platonicienne et stoïcienne d'un univers continu, et il dresse contre
sa notion du hasard des réflexions finalistes qui rappellent
le
De Naturâ Deorum de Cicéron. « Denys, écrit
Puech, n'est point son égal par
l'ampleur de l'éloquence et le choix de l'expression. C'est cependant
un écrivain habile, qui parle une, langue fort correcte pour son
temps..., qui sait composer avec clarté, relever l'intérêt de la
discussion par quelques images heureuses ou une ironie assez fine »
(II, 447). Le traité Sur les Promesses (Il. E. VI, 24) est une réponse
à Népos, évêque d'Arsinoé (église indigène d'Égypte), qui, dans son
écrit Contre les Allégoristes, avait appuyé sa foi millénariste sur
l'interprétation littérale de l'Apocalypse.
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