Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA FOI

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Augmente-nous la foi !

 

Ce petit mot, si lourd de conséquences, désigne tantôt ce que l'on pense, tantôt ce que l'on vit, deux attitudes qui devraient être inséparables et qui ne le sont pas toujours.

Pour les uns, l'importance première est attachée à la manière dont on se représente l'existence de Dieu, la création du monde, la divinité du Christ, et le sens de sa mort par rapport au salut. Pour d'autres, les décisions du coeur et de la volonté priment toute autre considération.

On peut reprocher aux premiers de tenir à distance ceux qui ne peuvent ni ne savent exposer leur credo ; on peut reprocher aux seconds de favoriser le vague des idées, le sentimentalisme, de livrer l'âme à des fluctuations dangereuses, de compromettre le gouvernement des esprits.
Ces observations sont justes de part et d'autres. Mais il est clair que ces deux manières de comprendre la foi ne suffisent pas à en épuiser le contenu.
Quand les disciples adressent à Jésus cette émouvante prière: « Seigneur augmente-nous la foi! » il est évident que les problèmes de Dieu ou du salut par Jésus-Christ ne sont point en cause, pas plus, du reste, que l'attachement du coeur ou de la volonté. Ils demandent une chose qui leur manque. Quelle chose ?

Jésus vient de prononcer des paroles solennelles : « Il est impossible qu'il n'arrive pas de scandales. Mais malheur à l'homme par qui le scandale arrive. » Et la gravité du scandale se mesure à la surprenante condamnation de celui qui le cause : « Il vaudrait mieux pour lui qu'on lui mît au cou une meule de moulin et qu'on le jetât au fond de la mer. »

Il y a deux sens à cette condamnation:
Plutôt l'anéantissement d'un homme, que le mal qu'il pourra causer; plutôt l'anéantissement d'un homme, une meule au cou, au fond de la mer, que le sort qui l'attend.
L'attention des disciples est fortement éveillée. Ils voient la puissance dévastatrice du mal, l'action meurtrière du scandale sur les âmes innocentes, les abîmes qu'il ouvre aux coeurs confiants. L'enfant en reçoit souvent un choc, une détresse qu'il ne pourra plus secouer. Le scandale violente les coeurs et les blesse à jamais. Les bas-fonds obscurs et nauséabonds se substituent au monde de Dieu, tout devient suspect, et l'âme est prise de vertige devant cette révélation à rebours, où il n'y a plus qu'insécurité, désordre et mensonge.

Et voici maintenant la condamnation « Il vaudrait mieux pour lui... » Si le scandaleux doit vivre, quelle vision pour lui que celle des douleurs et des destructions qu'il a causées. Quel spectacle que celui des maux irréparables dont il a été l'auteur ! Ses vilaines actions, les voici révélées, déroulant leurs suites mortelles dans une aveuglante réalité ! Ces larmes, ces abandons, et cette grossièreté, ce cynisme, cette diabolique consécration au vice, c'est son ouvrage !

Ah comme on comprend la prière des disciples Ce mal qui règne ici-bas ! Et parmi tant de péchés, les nôtres ! Et la révélation de tant de conséquences inaperçues. Hélas ! qui sommes-nous ? Seigneur, augmente-nous la foi!
Nous voulons être à toi, nous voulons combattre le bon combat ! Mais qui sommes-nous et que sommes-nous? Oui, Seigneur, augmente-nous la foi!




Après la force du mal, voici la difficulté du bien. Quoi ! pardonner sept fois le jour à celui qui a répété sept fois son offense ! Qu'il se repente, c'est bien; mais tel est son mauvais naturel qu'il multiplie ses torts, et qu'avec lui les difficultés recommencent toujours ! Ses repentirs restent stériles, il faut les accepter quand même et pardonner aussi toujours! Et puis, dans l'insistance de Jésus, les disciples le sentent bien, il y a autre chose qu'un compte à dresser et à solder par le pardon ou par la condamnation. Pardonner sans cesse, n'est-ce pas ce que Dieu fait pour nous tous les jours? L'homme pécheur, vis-à-vis du pécheur son frère, aurait-il le droit d'être plus implacable que Dieu lui-même? Au-dessus de ce que nous estimons juste, il y a la charité qui, elle, ne compte pas et ne connaît qu'une loi: « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu... Tu aimeras ton prochain... » Voila donc le devoir d'aimer, d'espérer contre toute espérance et de croire quand même à la défaite du mal et du malheur.
Et voilà les disciples troublés et tremblants. La double exhortation de Jésus a ouvert devant eux l'abîme du péché et dressé le sommet escarpé de la vraie justice. Ils se sentent désarmés devant la force du mal et devant la grandeur du bien, et réclament la seule arme capable d'affronter et cette menace et cette magnifique espérance - « Seigneur, augmente-nous la foi! »

Quand les incrédules s'en vont disant : « Les chrétiens sont heureux d'avoir la foi », ils entendent que les chrétiens sont heureux d'admettre l'existence de Dieu, du ciel, de la vie éternelle. Ils disent cela avec quelque hypocrisie, car ils se persuadent que s'ils n'ont pas la foi, c'est que leur supériorité intellectuelle les empêche de l'avoir. Au-dedans d'eux-mêmes, ils éprouvent une certaine commisération pour les croyants et pour les illusions dont ils se bercent. Et ces incrédules avouent ainsi une pauvreté dont ils rougiraient, s'ils pouvaient la mesurer.

Le désert est désert parce qu'il manque d'eau', mais le désert n'est pas le contraire de l'eau, il ne fait qu'en révéler l'absence. L'incrédulité est autre chose que le contraire de la foi qu'elle imagine. La foi ne consiste pas essentiellement à admettre quelques vérités telles que, par exemple, Dieu existe, car les démons le croient aussi et ils tremblent. Et les disciples ne demandaient pas de croire en Dieu ou en son Christ, aucun doute ne les effleurait à cet égard. Le chrétien n'en est plus à compter les preuves de l'existence de Dieu ou à poser devant le Christ la question angoissée du Baptiste: « Es-tu Celui qui doit venir? » Le chrétien, comme les disciples, voit avec effroi la force du mal, et sait qu'il doit se dresser contre lui; il voit aussi la splendeur du bien et s'efforce de la faire paraître. La crainte et l'espoir habitent dans son coeur, et si son entreprise paraît vaine à l'homme naturel, il y voit, lui, sa tâche, sa raison d'être, en un mot, sa foi. Sa foi, car il est petit pour un travail immense, et il a appris à compter sur les forces invisibles pour tenir courageusement ou Dieu l'a placé dans le grand combat de ce monde. Sa foi, car c'est auprès de Dieu et dans la communion de son Fils qu'il renouvelle chaque jour la force de détester le mal et de chérir le bien, deux mouvements nécessaires dont le train de ce monde aurait promptement raison sans la foi.

 

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Religion des faibles

 

C'est une vieille rengaine que la sottise ne se lasse pas de répéter, que la religion, par quoi l'on entend le Christianisme, est l'affaire des faibles, des éclopés, des vaincus. La religion ne serait bonne qu'à bercer les âmes souffreteuses par des promesses qui ne coûtent rien.

Ces promesses ont pourtant coûté cher à Jésus-Christ, qui, pour nous les assurer, a épuisé la coupe des amertumes, est mort en croix. Mais l'aveuglement ne recule pas devant l'absurdité. Il ne recule pas non plus devant le blasphème.

Eh quoi ! Une parole de Dieu a retenti dans l'histoire, la vérité s'est incarnée, a réveillé la conscience des hommes, et l'on ne veut voir en elle qu'une gerbe d'illusions utiles aux lâches ou aux malheureux, une manière d'euthanasie, c'est-à-dire d'une mort douce, parée de compensations que personne, et pour cause, ne viendra réclamer!
Que voilà bien le matérialisme vulgaire et ses fanfaronnades !
Et qu'il est facile de l'accuser à son tour

Il promet à l'homme ce qui n'est pas en son pouvoir ; il le pousse vers des biens qui ont leur prix lorsqu'ils sont à leur place, mais qui jamais n'ont pu satisfaire aux besoins de l'âme. Il reproche à l'Évangile de berner la souffrance humaine, nous l'accusons, lui, de tromper les hommes et d'être le grand pourvoyeur des conflits qui les déchirent. Il jette une pierre a ceux qui demandent du pain, a qui demande un oeuf, il apporte un scorpion. L'état de ce monde, affamé et ensanglanté, démasque son orgueil criminel et range ses adeptes à leur tour parmi ces éclopés qu'ils considéraient avec dédain. Les voici, ces vantards, démasqués, piteux, tremblants, hargneux et sombres, sans courage et sans espoir. Les éclopés ne sont pas du côté de Jésus-Christ.

Et puis, soyons justes, ici-bas, tôt ou tard tous sont travaillés et chargés. Où seraient-ils donc ces héritiers d'une race élue qui n'auraient jamais rencontré la douleur? Et s'il s'en trouvait par quelque impossible prodige, nous nous retirerions loin d'eux, car ils seraient hors de toute solidarité avec nous mêmes, avec la nature et le monde dont nous sommes, puisque toute la Création soupire et souffre les douleurs de l'enfantement.

 

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Combats

 

Il y a une foi spontanée, mouvement instinctif des coeurs tourmentés, soupir de la créature menacée dans ses espoirs, dans ses rares bonheurs, dans ses affections, tremblant pour tous ses biens, pour les plus nobles et souvent pour les plus misérables. L'âme torturée prie et supplie, et ses cris les plus poignants ne sont pas les plus articulés. Elle s'abandonne au plus naturel et au plus téméraire de tous les appels; le plus naturel parce que le plus instinctif, le plus téméraire, puisque plongée dans ce qui se touche et ce qui se voit, elle brise cette emprise et s'élance dans l'invisible et dans l'inconnu. Ce qu'il y a de plus émouvant sur la terre, ce n'est pas le signe visible, multiple et universel de la piété publique. Non, ce ne sont pas ces cathédrales, ces temples, ces autels, ces sacrifices, ces cultes somptueux ou austères ou terribles; ce qu'il y a de plus émouvant, ce sont ces innombrables soupirs qui montent du fond des âmes, partout où l'homme respire, partout où il souffre, espérant contre toute espérance.

Les Évangiles nous rapportent que, pendant la Transfiguration du Seigneur, une autre scène, tout imprégnée de péché et de misère, se déroulait au pied de la montagne, mettant aux prises quelques disciples, des scribes, une foule hésitante, et un homme profondément malheureux.
Sous l'empire d'une longue détresse, cet homme informé des miracles de Jésus, s'est mis en route avec son enfant malade. Il s'est renseigné, il a rejoint les disciples, et un groupe de scribes qui ne ménagent point leurs sarcasmes à l'adresse du Maître absent et de ses disciples désespérés.
Jésus survient. Le malheureux enfant est saisi par son mal et son pauvre père supplie le Maître: « Si tu peux quelque chose, aie compassion de nous ! » C'est alors que Jésus prononce le redoutable: « Tout est possible à celui qui croit », qui, de tous les enseignements de l'Évangile, est probablement le moins accepté parce qu'il est à la fois le moins compris et celui qui réclame le plus de nous-mêmes.
Mis en demeure de croire pour obtenir la guérison de son fils, le père alors jette ce cri si profondément humain: « Je crois, viens en aide à mon incrédulité! »
Ce père malheureux, ce père tourmenté, n'est-il pas le type de l'humanité, un exemple de cet instinct qui la soulève au-dessus d'elle-même, qui lui fait tendre vers le ciel des mains suppliantes, en même temps qu'elle se prosterne dans la poussière, pour être libérée de ses angoisses et de ses épouvantes ? C'est lui, toujours lui, qui se presse avec les lépreux, les paralytiques, partout où passe le prophète de Nazareth. C'est lui, toujours lui, qui le poursuit jusque dans ses retraites, qui l'implore contre la maladie et contre la mort. Nous nous reconnaissons tous dans ce suppliant anonyme s'écriant: « Si tu peux quelque chose, aie compassion de nous ! » Croyants ou incroyants, tous obéissent à cet appel naturel de la créature, tournée au moins pour un temps vers l'invisible, prouvant une confiance plus forte que les faits, quelque peine qu'elle se donne souvent pour la refouler, cette confiance, la piétiner ou tout simplement l'oublier.

Il y a aussi une foi discutée. Le récit évangélique nous montre un père angoissé face à face avec des disciples incapables, des scribes moqueurs, et une foule dont les commentaires contradictoires achèvent de le désemparer.
Nous retrouvons ici les prières inexaucées, la résistance que nos désirs les plus légitimes et les plus chers rencontrent dans les faits.
Une humble et digne femme, catholique de naissance, rencontrée au hasard d'une visite pastorale, expliquait tristement comment elle avait perdu la foi. Montrant un crucifix, elle disait: « Quand mon mari est tombé malade j'ai prié, prié de toute mon âme, et mon mari est mort ! Depuis lors, c'est fini, je ne puis plus prier, et quand je regarde ce crucifix, je dis: Tu n'as rien pu pour moi! »
Elle ne voulait savoir que sa prière inexaucée. Elle ne voyait pas que ce crucifix avait quelque chose à lui apprendre, et que le Christ lui-même, inexaucé, mort en croix, l'avertissait que le drame de la vie et de la mort dépasse nos voeux individuels et les calculs étroitement limités de nos pauvres coeurs.
Que de piétés naïves sont ainsi ruinées, pour n'avoir saisi de l'Évangile que les promesses heureuses, sans regarder au Christ humilié, abandonné et crucifié !

Revenons au père de l'enfant tourmenté par le démon. Sa foi a subi un premier choc dû à l'insuccès des disciples. Elle en subit un second dû aux sarcasmes des scribes, ces personnages typiques des pires ennemis de Dieu. Ne cherchent-ils pas à prendre sa place? Ils jugent et condamnent. Tout ce qui diminue leurs prérogatives porte atteinte à la vérité même! On suit à travers l'histoire ce courant malsain charriant les superstitions, semant la crainte et le découragement, troublant les âmes tantôt par les moqueries, tantôt par les menaces, monstrueux mélange parfois du meilleur et du pire, où le mystère de la destinée s'épaissit de prétentions intéressées et de coupables usurpations.

Troublé par les jugements téméraires des scribes, le père se tourne vers la foule, escomptant quelque réconfort et il n'entend que propos désordonnés ; il ne voit que hochements de tête, et le voilà plus désemparé. Ah ! le beau jeu du Prince de ce monde! Croire, prier! Regardez donc où vous en êtes, après vingt siècles de christianisme ! Et la foule de hocher la tête, ce qui est une manière de ne rien dire de compromettant, et de se réserver pour le bon moment, quand la balance aura penché du côté du pouvoir et du succès.
Telle est la foi discutée, déformée, malmenée. La puissance des apparences, et les sarcasmes des impies pèsent lourdement sur le jugement des âmes inquiètes et les poussent vers le fatalisme et le désespoir.




Quand Jésus paraît, l'homme n'a plus peur. Déjà s'effacent dans l'âme du malheureux père l'insuccès des disciples, les sarcasmes des scribes et les avis déconcertants de la foule. Mais, amené par le Maître au seuil d'un monde spirituel qu'il n'avait point soupçonné, il jette ce cri, qui nous émeut, où nous nous reconnaissons nous-mêmes: « Je crois, Seigneur, viens en aide à mon incrédulité ! »
Et c'est la foi implorée.

Nous, hommes de ce temps, penchés par la force des choses sur de multiples problèmes, tourmentés par le malheur de l'humanité, nous pouvons trembler devant les menaces de ruine et de mort que le monde a accumulées à plaisir et dont il ne peut plus se dégager. Les difficultés et les appréhensions nous enserrent toujours plus étroitement. Mais nous avons mieux à faire qu'à nous lamenter sur les obscurités du temps. Sortons de la foule, et comme l'homme de notre récit, allons au Maître !
Éblouis par sa grandeur sainte, dominés par son verbe souverain, et gagnés par son amour sans mesure, devant les horizons spirituels où nous devinons la délivrance, nous crierons à notre tour: « Je crois, Seigneur, viens en aide à mon incrédulité !»
C'est le chant du départ de l'âme qui a trouvé sa route, son domaine et son ciel. C'est le cantique de l'Église qui milite au sein des contradictions du monde, c'est la prière confiante de ceux qui, regardant à Jésus, s'attendent à Dieu dans la vie et dans la mort.

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