Vous avez vu, sur les hauteurs sauvages, la
lutte du torrent cherchant à frayer son
passage. Les glaces, les avalanches et les
éboulis semblent se coaliser pour lui barrer
la route, et le contraignent souvent à
disparaître. On pourrait le croire à
jamais perdu. Mais il revient au jour, tantôt
par minces filets dispersés, impatients de
se rejoindre dans un cheminement joyeux,
tantôt par une seule trouée, où
les eaux délivrées semblent, par leur
fracas, célébrer leur
victoire.
Ainsi, au travers des ruines
accumulées par les siècles, court la
source ou les hommes boivent l'espérance et
la certitude. Aux désordres et aux obstacles
de la nature. les hommes ajoutent des
désastres qui multiplient encore les
obstructions. Mais le miséricordieux dessein
de Dieu, qui voit notre âme concentrer et
intensifier les forces du mal, fait aussi, de cette
âme, le réceptacle et le canal de
l'esprit de vie. L'homme est mauvais, mais Dieu
l'incite à chercher la
justice ; il est égoïste, il aspire au
saint amour ; il marche à la mort, il
rêve aux horizons éternels. C'est
pourquoi, devant le Christ, tôt ou tard il
s'arrête, et veut déchiffrer sur cette
face sanglante et glorieuse, le secret de la vie.
Dès lors, il aperçoit les raisons de
ses avances, de ses fluctuations, de ses
enthousiasmes passagers, de son
impiété renaissante, et il les laisse
à leur juste place. Il a perçu le
courant, tantôt caché, tantôt
découvert et victorieux, où Dieu
invite l'homme pécheur à goûter
les bienfaits de la grâce.
Péché et Grâce,
réalités profondes, données
fondamentales du drame de l'existence... «
Là où le péché a
abondé, la grâce a surabondé.
» « Grâces soient rendues à
Dieu par Jésus-Christ notre Seigneur! »
Des ailes ! Des ailes ! soupire l'âme dans
sa nostalgie du ciel immense et des profondeurs de
l'espace. Et pourtant, cet Espace, nous le
parcourons à chaque seconde ; nous y
tombons, comme la terre, avec une rapidité
folle. Et nous n'y pensons pas, parce que le tout
serait de le remplir.
Il en est de même du Temps, source
d'espérance et bientôt de poignante
détresse. Durer! Mais nous nous
déplaçons sur le fleuve. Nous ne saisissons que
l'insaisissable
Présent qui vient d'arriver et
s'éloigne à jamais! Ce qu'il
faudrait, c'est l'envahir, ce Temps, le remplir, et
par conséquent, le stabiliser,
l'immobiliser.
Nos courses rapides et
trépidantes sont de pauvres symboles, par
quoi nous trompons les impatiences de l'esprit. Car
cet esprit croit à la relativité du
Temps et à celle de l'Espace, et à
leur défaite, pour peu qu'il laisse se
déployer les ailes de l'espérance
qu'il porte en lui.
Voici, de la table où
j'écris, je parcours des distances et des
distances ; je visite les villes et les campagnes ;
je revois les nobles Paysages, les ciels somptueux.
Fantaisie, et vous, désirs profonds,
où voulez-vous que je vous conduise? Ce que
j'ai vu, et même ce que je n'ai pas vu, tout
est à vous. Le point que j'occupe, et si
pauvres que soient mes ressources, je
l'étends, je l'élargis, et jusqu'aux
extrémités du monde. Non pas
seulement moi, sans doute, mais l'Homme qui est
présent aussi en moi.
Dieu a mis en nous sa substance,
traînée, hélas ! dans beaucoup
de poussières et de fanges, mais qui ne peut
pas mourir. Car, cet esprit, je ne l'ai pas fait,
et ce que j'ai fait n'a pas pu le
défaire.
L'Espace et le Temps, ces deux
majestés que rien n'arrête et que rien
ne limite, n'ont, en réalité, qu'une
commune royauté. Et cette royauté,
partagée et confondue, je la pressens menacée,
entamée,
quelque exigu qu'en soit le lambeau jusqu'ici
arraché. Je vis aussi mon passé et
une part du passé du monde. Et si
j'étais cet historien, doublé de cet
astronome, triplé de ce géophysicien,
augmenté encore de ce biologiste, si
j'étais tout cela dans une âme
consacrée et sanctifiée, que de
provinces perdues seraient déjà
retrouvées, et que de siècles abolis
sortiraient de leur tombe !
0 Temps mystérieux et
insaisissable, en te ressuscitant, l'Homme
t'envahit et te possède. Tu es là
dans sa mémoire. Nul ne sait ce qui y dort
encore et ce que l'esprit en marche va
successivement réveiller. Espace ! L'esprit
a reculé tes limites, en te remplissant de
mondes innombrables. La suprême
réalité de l'Espace, n'est-ce pas
cette nébuleuse effroyablement lointaine, au
delà de laquelle l'infini n'est plus qu'un
rêve confus !
Ainsi, l'esprit retrouve le Temps et
l'Espace en retrouvant les mondes et les faits ;
car le Temps et l'Espace valent exactement ce qui
les remplit. N'est-ce pas à l'ampleur de ses
connaissances que l'esprit mesure
l'immensité des âges? Depuis que les
géologues et les paléontologues ont,
de leurs découvertes, jalonné les
ténèbres de la préhistoire,
ils ont créé du temps, beaucoup de
temps, au delà duquel recommence le
rêve confus de
l'éternité.
Esprit, dispensation
miséricordieuse et ineffable, tu
règnes sur les siècles ensevelis en les relevant de
leur
poussière. Tu mesures, par des faits, les
distances du temps et de l'espace, et les faits les
plus grands sont les étapes de ta victoire.
La grandeur du temps et de l'espace, c'est ton
oeuvre. Sans doute, elle a toujours
été, mais tu l'aperçois en la
mesurant, et tu la mesures aux pas de ta
lumière!
Qui ne voit que la majesté de
l'esprit grandit avec celle du vaste monde ; mais
laquelle est la vraie? Celle qui découvre et
fait apparaître, ou celle qui est
découverte et qui apparaît?
« Le temps à naître et les temps écoulés sont les ombres vaines du vol de la pensée ... »
SHELLEY.
Que l'Esprit vienne en aide à notre
faiblesse, c'est bien évident ; Dieu a
permis à l'homme faible et
désarmé de surmonter les dangers qui
l'environnaient de toutes part, et d'asservir les
forces de la nature pour assurer sa royauté
sur les êtres et les choses. L'Esprit, c'est
la raison qui observe, coordonne et conclut, c'est
le coeur avide de sécurité et de
joie, c'est l'âme tourmentée,
insatisfaite, aspirant à la justice et
à la sérénité. Il saute
aux yeux qu'au cours de son existence plusieurs
fois millénaire, l'homme a été
soulevé par l'Esprit au-dessus d'une
animalité misérable, et conduit
à fonder des civilisations, des
philosophies, des sciences, et par-dessus tout, des
religions où son âme inquiète
cherche sa sécurité et sa
paix.
Oui, l'Esprit vient en aide à
notre faiblesse; mais cette vérité a
deux faces, que les événements
contemporains nous révèlent avec un
éclat tragique. L'intelligence, le
savoir-faire, la science que l'homme doit à
l'Esprit, il peut les détourner de leur
juste destination et les faire servir à ses
appétits désordonnés, a tout
ce que Dieu condamne et maudit. Tout le drame de
l'existence humaine est là, dans cette
perversion d'un pouvoir qui devait nous conduire
à la vie, et qui par le péché
engendre la mort.
Dieu ne permet pas que l'Esprit
détourné de sa destination puisse
servir à la vie. Comme on l'a dit : «
La faute et le châtiment croissent sur la
même tige. » Et il est terriblement
évident que la perversion de l'Esprit
produit les destructions et les hécatombes.
L'homme qui mésuse des biens acquis par
l'Esprit, travaille pour le malheur et pour les
larmes, car il n'est pas en son pouvoir de
renverser la loi divine qui veut que le
péché engendre la mort.
Aux yeux de Dieu, ce qui compte, ce qui
fait de la vie, et la vie, ce ne sont pas les
spoliations, ni les frontières
reculées jusqu'aux extrémités
du monde. Ce qui fait la vie, c'est le juste usage
de l'Esprit,
usage
qui met dans les actions et dans les choses, la
durée, la croissance, une force victorieuse
de l'usure et de la mort.
Inspiré de Dieu, appelé et
respecté par l'homme, l'Esprit agit alors et
déploie sa divine puissance. Il vient en
aide à la faiblesse de la créature
humaine blessée par les violences de la
terre, et qui, par-delà les fumées et
les poussières des combats meurtriers,
regarde au Dieu qui nous a visités et
sauvés en Jésus-Christ. L'Esprit
vient en aide à notre faiblesse, il apaise
notre âme et l'arme pour les pires
conjectures. Il nous rappelle que la figure de ce
monde passe, que nous sommes étrangers et
voyageurs ici-bas, et qu'au plus grand exemple du
triomphe apparent des forces démoniaques,
Dieu a attaché le plus grand exemple du
triomphe de l'Esprit. Ceux qui ont mis le Seigneur
en croix pouvaient croire la vérité
liée à jamais, leur violence n'a
point empêché sa victoire. Du Fils de
Marie soumis aux infirmités de notre chair,
l'Esprit qui l'a soutenu dans les plus
sévères tentations, qui l'a
fortifié dans les angoisses de
Géthsémané, a fait le
triomphateur du Vendredi-Saint sur le
péché, le triomphateur de
Pâques sur la mort. Et ceux qui ont
marché par l'Esprit, les apôtres, les
martyrs, les persécutés de tous les
âges, ont éprouvé la valeur de
la promesse du Sauveur : « L'Esprit de
vérité vous conduira dans toute la
vérité. » Ils étaient
comme nous de chair fragile, mais leur coeur pieux,
ouvert à l'action de l'Esprit, les a
soutenus dans les vicissitudes et leur a
donné d'y trouver de nouvelles raisons
d'espérer.
La doctrine chrétienne de la
Création enseigne que toute existence
dépend de Dieu : Dieu crée et
soutient tout, depuis la vie du monde inorganique
jusqu'à l'homme où la vie prend
conscience d'elle-même. Mais dans un monde
troublé par le mal, les existences
n'achèvent pas toutes leur destin, et celle
de l'homme est la plus exposée aux
défaites et à la faillite. Car pour
une créature, accomplir son destin, c'est
exprimer, de la vie, ce qu'elle est capable de
mettre au jour. Une plante qui doit porter fleurs
et fruits, et qui n'en produirait jamais, se
rapprocherait du minéral qui l'avoisine. Un
animal qui resterait totalement inerte nous
semblerait mort et le serait sûrement, si son
inertie venait à durer au delà de
certaines limites. Et l'homme qui est appelé
a être un porteur de l'Esprit, trahit sa destinée
lorsqu'il recule devant la tache de servir la cause
du Royaume de Dieu.
Pour que l'homme vive sa vie, il faut
que Dieu vienne au secours de son âme
affaiblie par le mal. Sans le secours de l'Esprit,
l'homme est une puissance qui contrarie les
desseins de son Créateur et qui, le plus
souvent, sommeille et s'avilit. Mais si l'Esprit
s'incarne dans sa chair fragile, il s'engage dans
la voie où Dieu l'achemine vers la vie
éternelle.
L'Écriture dit qu'un chien vivant
vaut mieux qu'un lion mort. Une âme
abandonnée de Dieu parce qu'elle-même
l'a abandonné, n'est plus qu'une ruine.
Supprimez par la pensée tous les
témoins de l'Esprit qui ont paru dans
l'histoire, depuis le Saint de Dieu, les
prophètes et le grand législateur de
l'ancienne alliance, sans oublier les patriarches
et jusqu'aux sages des nations païennes, et
mesurez si vous le pouvez l'épaisseur des
ténèbres qui s'étendraient sur
la terre au fur et à mesure de leur
disparition. C'est l'histoire elle-même qui
s'évanouit pour laisser la place à un
chaos que l'imagination renonce à se
représenter.
Je ne sais pas d'appel plus grandiose
que celui d'Ezéchiel : « Esprit,
souffle des quatre vents ! » Tout ce que le
mal a éparpillé, perdu, jeté
aux souffles du monde, précipité dans
les abîmes, l'Esprit va le ramener au jour,
lui rendre figure et vie.
Quelle source d'effroi pour le
méchant 1 Quelle espérance pour
l'âme qui refuse de s'abandonner au train
meurtrier de ce monde!
L'Esprit souffle des quatre vents et son
action vivifiante apparaît dans les
prières, dans les repentirs féconds,
dans les régénérations
inespérées. Pentecôte
permanente ou les âmes renaissent à la
vie, et se lèvent pour le témoignage
et l'obéissance, travaillant à la
formation de l'humanité bienheureuse
où Dieu sera tout en tous.
L'esprit du monde déforme tout ce qu'il
touche; il n'est jamais plus détestable que
lorsqu'il fait son affaire des choses de Dieu.
Servir Dieu dans l'esprit du monde c'est se servir
de Dieu pour gagner le monde.
L'Évangile est alors
parodié par l'orgueil ou par l'ambition;
sans doute, il faut faire la part large aux
hésitations et aux erreurs des âmes
sincères, qui ne saisissent que peu à
peu. et au travers de dures expériences, la
plénitude de la vérité
salutaire. Mais cela dit, que d'attitudes
mensongères, ridicules et odieuses,
s'étalent parfois sous le nom de religion
chrétienne et de piété
!
Les uns s'imaginent pouvoir monopoliser
les grâces divines et ne les accorder qu'aux âmes
de leur choix. Ils
décident du sort éternel des
créatures selon qu'elles cèdent ou
regimbent devant leurs exigences. D'autres
méprisant les expériences
séculaires de la Chrétienté,
se croient aptes à juger de la
vérité à la seule
lumière de leur conscience personnelle.
Ainsi l'homme mêle ses prétentions,
son orgueil, sa paresse, et souvent aussi sa
bêtise, au souffle pur de l'Évangile;
il élève ses petitesses à la
hauteur de l'éternel et les transfigure en
clartés divines ! Ou bien encore,
méconnaissant la Croix du Seigneur, des
âmes recherchent et inventent des souffrances
pour s'assurer le salut, pendant que d'autres
s'abandonnent à leurs caprices sous
prétexte que ce salut est une affaire
définitivement réglée entre
Christ et Dieu, et qu'il ne nous appartient pas
d'en approfondir les conditions. La religion
devient alors un scandale pour les uns, une
perdition pour les autres, et le Royaume de Dieu
reste dans l'attente, dans un monde qui pourtant
soupire après lui.
Lorsque la Bible oppose l'Esprit à la
chair et au sang, elle n'entend pas reprendre dans
d'autres termes la distinction classique du corps
et de l'âme. Elle englobe dans la chair et le
sang l'homme naturel tout entier, son corps et son
âme, leurs
besoins, et les désirs, et le savoir, et les
ambitions et les rêves. Nous appartenons
à une famille, à un peuple, à
une société. Nous avons
été formés à la maison,
à l'école, puis, au travail, par
l'étude, par la vie sociale, par
l'expérience. Tout cela n'est que la chair
et le sang, tant que l'Esprit de Dieu n'a pas
visité notre âme. Précisons
encore : notre foi n'est que chair et sang si elle
n'est qu'acceptation passive de la tradition
familiale et ecclésiastique. Ce n'est que
doctrine inerte, un drapeau roulé. Or la
chair et le sang n'hériteront point du
Royaume des cieux.
Il y a donc deux moyens de saisir la
réalité un moyen naturel, apport du
milieu familial et social, savoir, connaissances,
mêlés d'erreurs, faussés par de
mauvais exemples, aggravés de redoutables
contradictions. Et un moyen surnaturel : l'action
de l'Esprit dans l'âme pieuse et
vigilante.
À considérer le moyen
naturel, l'héritage de la chair et du sang,
on voit comment, pressés par le besoin, les
hommes ont augmenté leur industrie et leur
savoir. Grâce à des individus
d'élite, ils se sont organisés ;
l'exploitation de la nature s'est faite plus
variée et plus féconde, les chemins
du droit et de la justice se sont dessinés.
Sans doute ce moyen naturel s'est souvent
doublé de l'action de l'Esprit dans quelques
âmes. Mais nous ne considérons ici que le moyen
naturel,
même enrichi des secours de la Grâce,
parce que, nous l'avons dit, les dons de Dieu ne
sont pas aperçus par l'homme étranger
à la piété.
Il se passe donc ceci, que
l'héritage de la chair et du sang se
complique, et que l'homme voit son pouvoir
augmenter à chaque génération.
Et si cet homme est impie, s'il est méchant,
s'il choisit dans la masse acquise les moyens de se
satisfaire, il est infiniment plus redoutable qu'un
sauvage prisonnier de l'ignorance et de la terreur.
Pour assouvir ses appétits
multipliés, ses moyens d'action sont
immenses et sa perversion s'aggravera d'autant plus
qu'il aura bénéficié de
l'apport de ses devanciers. La chair et le sang
introduisent l'homme dans la réalité,
mais pour l'impie cette réalité est
sans hiérarchie. Il en tire ce qui lui
plaît; et ce qui lui plaît, c'est ce
qui sert ses ambitions ou ses passions. La
réalité de la chair et du sang est
parfois grande, elle est souvent grotesque, plus
souvent encore meurtrière. Héritage
en vrac, où l'on trouve la justification de
tout, a la seule condition d'en supprimer ce qui
est tombé, venant du ciel, par le coeur et
l'âme des hommes de bonne volonté.
Le moyen surnaturel est un don de la
Grâce, offerte à tous les hommes. Il
nous est fourni par l'Esprit que
Dieu promet et accorde à qui le lui demande.
Et comme la lumière, en nous
révélant les formes et les couleurs,
nous fait distinguer les objets les uns des autres,
l'Esprit nous fait discerner le vrai du faux, le
juste de l'injuste et le bien du mal. Il ajoute
à la réalité de la chair et du
sang une autre réalité. Le monde est
bien le même, mais un rayon l'a
transfiguré, et l'âme vivifiée
aperçoit et entend ce pourquoi la chair et
le sang sont aveugles et sourds.
Et, il faut bien l'avouer, c'est aussi
pourquoi Dieu est peu écouté et son
Esprit peu demandé. Il est dur pour l'homme
d'entendre l'ordre reçu jadis par Abraham :
« Sors de ton pays et de ta parenté !
» C'est-à-dire : «
Lève-toi, ceins tes reins, prends tes
responsabilités, quoi qu'il puisse t'en
coûter, et cherche premièrement le
royaume de Dieu et sa justice. »
Mais partout où Dieu est
obéi, partout aussi s'élève et
s'éclaire la destinée de l'homme. La
lampe de la foi s'allume avec Abraham, Moïse
dresse la charte de l'humanité, les
prophètes proclament une justice
enracinée dans l'obéissance ; et
bientôt, Jésus, le Christ, le Fils du
Dieu vivant, jette de telles clartés dans le
mystère de nos âmes, que la Croix
elle-même devient notre refuge, et que le
spectacle du monde, vu au travers de sa Parole
cesse d'être une monstrueuse énigme.
Notre âme est le lieu des plus graves
conflits. Elle est peuplée d'esprits qui
luttent pour l'asservir. Anges et démons
sont incarnés dans notre chair fragile et
s'y rencontrent dans la plus composite des
assemblées.
Il faut que le mystère de
l'Incarnation se reproduise dans chacune de nos
âmes, il faut y accueillir l'Esprit du
Sauveur pour qu'il en chasse les hôtes
dangereux et pervers. « Si quelqu'un entend ma
voix, dit Jésus, et m'ouvre la porte,
j'entrerai chez lui, je souperai avec lui et lui
avec moi. »
La porte ouverte a l'Esprit c'est, selon
l'étonnante image du Sauveur, Jésus
lui-même s'approchant de la table ou, dans
les; profondeurs secrètes de notre
âme, sont installés de nombreux et
inquiétants personnages : ceux qui vivent en
nous par hérédité et ceux que
nous avons accueillis parfois bien imprudemment au
cours de nos jours. Devenus sang de notre sang et
chair de notre chair, ils se querellent en nous,
ils formulent des désirs contradictoires.
Ils se neutralisent aussi et leur action
partagée nous explique à
nous-mêmes nos hésitations et nos
détours, et ces suggestions qui nous
viennent, tantôt perverses, tantôt
généreuses.
Et voici le grand mystère de
notre foi l'Esprit a raison de tous les hôtes
douteux et indésirables
qui sont installés en nous et qui nous
ruinent. Il expulse les impurs, il contraint les
révoltés à
l'obéissance, encourage les honnêtes
et les justes, et les coalise pour faire d'un
être déchiré et malheureux une
personnalité nouvelle.
Tant que le Seigneur n'est pas en nous,
peu importe qu'il soit tout ce qu'il fut, est et
sera pour les autres ou pour d'autres; il faut,
selon sa touchante image, qu'il soupe avec nous et
nous avec lui.
Que le Saint veuille faire sa demeure en
nous, c'est déjà surprenant, mais il
veut que nous, nous soupions avec lui. Comme aux
jours de sa chair, il s'approche de ces Pharisiens,
de tous ces gens de mauvaise vie qui sont en nous,
qui sont nous, et, de cette pauvre et honteuse
compagnie, par sa présence
miséricordieuse, par l'action de l'Esprit,
il tire une vie divine que rien ne pourra
désormais diviser ni détruire. «
La lumière est venue chez les siens, et les
siens ne l'ont point reçue, mais à
ceux qui croient en son nom, elle a donné le
pouvoir de devenir enfants de Dieu, lesquels sont
nés, non du sang, ni de la volonté de
la chair, ni de la volonté de l'homme, mais
de Dieu. La Parole a été faite chair,
et elle a habité parmi nous pleine de
grâce et de vérité. »
Disons-le nettement, la foi n'a que faire de nos
théories. Jésus est venu dans ce
monde, il l'a quitté après avoir
accompli victorieusement sa tâche. Le mode de
sa résurrection et de son ascension, nous
échappe comme celui de son apparition dans
les rangs de l'humanité, et s'il est
loisible à chacun de tenter une explication,
la tentative reste a bien plaire. Nous ne serons
pas jugés sur la manière dont nous
aurons résolu ces problèmes ; nous
n'aurons pas à subir un examen de physique
ou de physiologie. Quelle que soit la valeur de ces
disciplines pour la vie temporelle, gardons-nous de
renverser l'ordre de la vie elle-même. Dieu
nous jugera, Dieu nous juge tous les jours sur
l'énergie de notre foi et sur la
fidélité qu'elle entraîne dans
l'accomplissement de sa volonté.
Jésus dit : « Vous savez
où je vais et vous en savez le chemin
», et le divorce apparaît entre ses vues
toutes spirituelles et nos conceptions si souvent
terre à terre. Prisonniers du monde visible,
nous avons peine à porter sur les faits le
regard de l'Esprit. Nous scrutons des reflets et
nous négligeons la lumière. «
Vous savez où je vais », dit
Jésus, et le plus souvent nous ne savons pas
le savoir. Nos yeux examinent la carte du monde
visible. Nous cherchons un territoire, pendant que Jésus
nous montre Dieu.
Nous cherchons un chemin et Jésus nous
montre sa personne. Nous voulons trouver le ciel
pour trouver Dieu, et Jésus nous invite
à trouver Dieu pour voir le ciel.
Libérateur et Sauveur,
Jésus ouvre aux hommes charnels le monde de
l'Esprit. Sa grandeur et son
élévation ne sont pas de l'ordre de
l'espace, elles sont de l'ordre de la vie. Et quand
il quitte la terre où sa
fidélité lui a valu tant de peines,
quand il sort de cet océan tourmenté
où son esprit a soulevé tant de
tempêtes, ce n'est pas pour les abandonner,
mais c'est pour y régner.
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