PREMIERE
PARTIE
A CARTHAGE,
AUX LIONS
LES CHRÉTIENS
.
Le
procès
.
Les
jours s'écoulent, monotones, dans l'attente
de la maigre pitance distribuée par le
geôlier, et des visites, celles des diacres
et de leur parenté. Perpetua est
privée de son enfant ; elle en souffre. Un
jour, le geôlier lui annonce la visite de son
père. Elle est folle de joie quand elle le
voit, car il lui apporte son fils à qui elle
donne immédiatement la tétée,
tellement il a faim..
Mais
le père est venu dans l'espoir de toucher le
coeur de sa fille. Il la supplie : « Ma fille,
aie pitié de mes cheveux blancs ! Aie
pitié de ton père qui t'a
élevée jusqu'à la fleur de
l'âge, toi, son enfant
préférée ! Tu veux donc me
faire honte devant les hommes ? Songe à ta
mère et à tes frères. Pense
à ton enfant qui mourra sans toi.
».
.
La
scène est atroce. Le père pleure et
l'embrasse. Mais Perpetua reste
inébranlable. Elle ne veut pas renier sa
foi. Au milieu de tant de tristesse, elle
éprouve tout de même une grande
satisfaction, elle peut garder son enfant
auprès d'elle. Le directeur de la prison lui
en a donné l'autorisation. «La prison
devint tout à coup pour moi comme un palais,
dira-t-elle plus tard, et je m'y trouvai mieux que
partout ailleurs. ».
.
Un
jour, une nouvelle circule dans la prison: le
Proconsul Minucius Timinianus est mort ! Il y a une
grande animation autour du palais. on entend les
cris des pleureuses et le bruit des chars qui
déposent, sans ménagement, les amis
et les clients du défunt. Dans huit jours
auront lieu les funérailles. Les parents, au
dire du geôlier, sont déjà
à l'intérieur et défilent
devant le catafalque..
Ce
décès inattendu va retarder le
procès que Minucius était
chargé d'instruire. Quelques semaines plus
tard, les prisonniers apprennent qu'un gouverneur a
été nommé à titre
provisoire, un certain Hilarianus, qui a la charge
de continuer les poursuites..
.
Un
beau matin, le geôlier, accompagné de
soldats, ouvre les portes des deux cachots et
invite les détenus à le suivre. Il
s'agit enfin du procès ! Les six
prévenus sont introduits dans la salle du
tribunal. Perpetua n'a plus son enfant ;
entre-temps, son père est venu le chercher.
Le gouverneur par intérim occupe le
siège présidentiel. C'est la
première fois qu'Hilarianus remplit la
fonction de juge. Il le fait avec dignité.
Après les formalités d'usage, en
quelques paroles empreintes à la fois de
modération et de fermeté, comme il
convient à un haut magistrat, il
précise les termes de l'accusation et
constate que les prévenus sont restés
obstinés dans la profession de leur foi
chrétienne. Malgré cela il les
exhorte encore, avec une certaine bienveillance, au
nom de la loi et de l'obéissance due
à l'Empereur, à renier le
christianisme. « Oui, leur dit-il, cessez de
vous opposer à la volonté de
l'Empereur. ».
.
Saturus prend alors la parole :
« Nous n'avons jamais rien dit de mal au sujet
de notre Empereur. Nous voulons toujours l'honorer,
mais non l'adorer. ».
-
Nous jurons par le génie du Seigneur notre
Empereur, rétorque Hilarianus. Nous prions
pour son salut. Vous aussi vous devez le
faire..
-
Écoute-moi, je t'en prie, dit Saturus, je
vais t'exposer notre foi..
-
Tais-toi, Saturus, tu vas attaquer notre religion,
jure plutôt par le génie du Seigneur
notre Empereur..
- Moi
je ne connais pas l'empire de ce monde, ô
Hilarianus. Mais plutôt je sers ce Dieu
qu'aucun homme n'a vu ni ne peut voir avec ses
yeux. je n'ai point commis de vol. Si
j'achète quelque chose, je paie
l'impôt comme tout le monde, car je connais
mon Seigneur, le Roi des rois, l'Empereur de toutes
les nations. il m'ordonne de faire le bien et de me
détourner du mal..
-
Abandonnez cette croyance, dit Hilarianus, en
s'adressant aux autres..
.
Perpetua se lève et veut
aussi témoigner. Mais sa vue se trouble.
Elle voit son père qui surgit de la foule
tenant son enfant dans ses bras. Il lui crie d'une
voix suppliante : « Pitié pour ton
enfant ! » Le magistrat insiste :
«Allons, épargne une telle douleur
à ton vieux père ! Aie pitié
de l'âge de ton enfant. ».
Perpetua répond : «Je
suis chrétienne. » Son vieux
père se traîne sur le sol, s'arrache
la barbe, articule des paroles à
émouvoir n'importe quelle créature.
Sa fille éclate en larmes et ne sait plus
quoi dire. Pour mettre fin à cette
scène déchirante, Hilarianus ordonne
aux huissiers d'écarter le vieillard qui, en
se débattant, reçoit un coup de
bâton de l'un d'eux. « Je souffrais,
dira plus tard Perpetua, comme si j'avais
été frappée moi-même, je
souffrais pour sa vieillesse malheureuse.
».
.
Un
nouvel incident vient troubler l'audience. À
peine le père de Perpetua est-il sorti avec
l'enfant, que Félicitas, l'autre jeune femme
du groupe, se met à gémir.
Entrée enceinte en prison, elle s'afflige
depuis un certain temps, car elle se demande quand
elle va accoucher. Aux termes de la loi romaine,
son exécution ne peut pas avoir lieu tant
qu'elle n'est pas délivrée. Elle
craint de n'être pas mise à mort en
même temps que ses compagnons et de devoir
paraître seule dans l'arène. Elle a
longuement prié dans le cachot pour qu'elle
puisse soutenir le combat avec Perpetua et ses
frères en la foi jusqu'au bout. Et
voilà que Dieu l'exauce : elle ressent les
premières douleurs de l'enfantement, ce qui
lui arrache des cris..
.
Comme
elle se roule par terre, un huissier va la relever
et lui dit : « Mais qu'est-ce que ça
sera, quand tu te verras sous la dent des fauves ?
» L'esclave trouve dans son âme de
chrétienne cette réponse : «
Ici, je suis seule à souffrir, mais à
l'amphithéâtre quelqu'un sera à
mes côtés pour souffrir avec moi,
puisque c'est pour lui que je souffrirai.
».
Hilarianus en a visiblement assez,
car il n'arrivera pas à ébranler les
convictions de ces récalcitrants si bien
préparés à la mort. En dernier
ressort, il se tourne vers ceux qui n'ont encore
rien dit. Les réponses sont les
mêmes..
.
Saturninus fait d'une voix grave
cette déclaration : «Nous honorons
César en tant que César, mais nous ne
craignons que Dieu. » Secundulus se borne
à affirmer : «Je suis chrétien.
» Et Revocatus dit à son tour :
«Je le suis et je veux le rester.
».
.
De
guerre lasse, mais sans pourtant se départir
de son calme, le magistrat les met pour la
dernière fois en demeure de se
rétracter. Il leur propose même le
fameux sursis de trente jours qu'ils refusent
catégoriquement..
Alors
Hilarianus se résigne à
rédiger sa sentence : «Saturus,
Secundulus, Revocatus, Saturninus, Perpetua et
Felicitas ont confessé qu'ils étaient
chrétiens. Attendu qu'on leur a offert de
revenir à la religion des Romains et qu'ils
ont refusé avec obstination, nous les
condamnons à mort. Ils seront livrés
aux bêtes fauves.».
Le
héraut, comme c'est la coutume, proclame
à haute voix le verdict, et Saturus,
élevant les mains vers le ciel, se borne
à dire : « Nous rendons grâces
à Dieu. ».
.
L'audience est suspendue. Les
condamnés sont immédiatement
transférés dans des cachots proches
de l'amphithéâtre où ils
périront en martyrs, c'est-à-dire en
témoins de Jésus-Christ,
fidèles jusqu'à la mort.
Lampe chrétienne avec le
monogramme du Christ, provenant de Carthage.
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