Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



PREMIERE PARTIE

A CARTHAGE,
AUX LIONS
LES CHRÉTIENS

Des nouvelles et du réconfort de l'Église

Serait-ce le moment de comparaître devant le tribunal ? Non, pas encore ! Le geôlier se retire et reste à proximité de la porte. Les deux hommes se présentent : «Nous sommes les envoyés de l'église de Carthage et nous venons pour vous apporter du secours. Nous ne pouvons pas faire beaucoup, les lois en vigueur nous l'interdisent. Mais nous avons appris votre arrivée dans notre ville. Vous êtes notre frère. Nous savons que vous vous êtes livré librement au magistrat pour partager le sort de vos infortunés compagnons de Thuburbo qui sont déjà ici pour l'instruction de leur procès. Cela vous honore grandement. »

Sur ces bonnes paroles, ils se donnent l'accolade, le baiser de paix, comme disaient les premiers chrétiens. Ils ont les larmes aux yeux. Mais Saturus se ressaisit : « Oh ! ne dites surtout pas que nous sommes infortunés. Au contraire, la grâce qui nous est faite est inestimable. Nous en remercions le Seigneur. » L'un des visiteurs reprend : «Je m'appelle Tertius et je suis chargé de vous annoncer une bonne nouvelle dans votre épreuve. Votre prison est infecte, nous le savons. Vous êtes dévorés jour et nuit par des poux et d'autres bestioles. Pour les femmes qui sont dans l'autre partie de la prison, c'est vraiment insupportable. Vous êtes plus mal logés que le bétail, et pour les hommes comme pour les femmes, nous sommes intervenus auprès du directeur des prisons pour qu'il vous change de local. »

Saturus n'en croit pas ses oreilles. Les Romains commenceraient-ils à faire des concessions, eux qui considèrent les chrétiens comme leurs pires ennemis, puisqu'ils refusent de sacrifier à César, de prendre l'Empereur pour un dieu ? Tertius comprend l'étonnement du prisonnier et lui dit, à voix basse : «Ici, grâce à une somme d'argent versée aux geôliers, nous pouvons obtenir de petits avantages. Nous n'aurions pas pu venir vous voir sans cette précaution ! »
Les nouvelles de la communauté ne sont guère rassurantes pour l'avenir. Beaucoup de chrétiens - et non des moindres ! - ont fui, dès qu'ils ont entendu parler de persécutions. Certains n'en ont pas moins été poursuivis.

- On nous a cité le cas, raconte Pomponius, le second diacre, d'un nommé Rutilius qui a fui et même donné de l'argent aux soldats chargés des arrestations. Or voici ce qui lui est arrivé. Loin du lieu où il avait soudoyé ses persécuteurs, il a été arrêté à l'improviste, ramené ici, traduit devant le proconsul, et comme châtiment de sa fuite, il a dû subir la torture, il a été écartelé puis brûlé vif. Ainsi le martyre qu'il a voulu éviter, il l'a subi, mais de quelle manière !
- Nous nous attendons à être arrêtés d'un moment à l'autre, poursuit Tertius. Les uns sont jetés en prison, les autres laissés libres. Il y a sans doute des délateurs payés pour cette mauvaise besogne. Nombreux sont les espions qui épient le dimanche ceux qui fréquentent la maison de l'Église.

La maison de l'Église ? C'est l'expression qu'on emploie à Carthage pour désigner l'édifice dans lequel se réunissent les chrétiens. Pour eux, l'église n'est pas un bâtiment, mais la communauté des fidèles. Au début, les cultes avaient lieu dans des maisons particulières, mais elles devinrent vite trop petites. Il a fallu construire une maison plus grande que les autres, afin que tous les croyants puissent y être accueillis.
La « Maison de l'Église " ne contient pas seulement une salle pour les cultes. il s'y trouve aussi quelques chambres pour des frères âgés ou malades, privés de ressources, ou pour les chrétiens en voyage. C'est à la fois un hôpital, un hospice pour vieillards et une auberge. Les membres de l'église s'appellent frères ; ce mot exprime la réalité : ils vivent vraiment d'une manière fraternelle. L'hospitalité entre chrétiens est exercée dans toutes les communautés. Les fidèles de Carthage font encore mieux : dès qu'ils le peuvent, ils mettent à la disposition des frères de passage, dans leur propre maison, une «chambre d'ami». Ils pratiquent l'entraide : quand un des leurs est dans le besoin, ils lui apportent les secours nécessaires.
L'argent passe facilement d'une main à l'autre, sans qu'il y ait gêne ou querelle. « Ce qui nous rend frères, disent les chrétiens aux païens étonnés de les voir Vivre ainsi, ce sont ces questions d'argent qui, chez vous, brouillent entre eux des frères eux-mêmes. Nous n'avons qu'un coeur et qu'une âme, voilà pourquoi nous savons partager entre nous nos biens : tout est en commun parmi nous, sauf nos femmes ! » C'est la vraie communauté rayonnante ; bien des païens sont attirés par elle et demandent à en faire partie.

L'église de Carthage paie aussi parfois des rançons énormes pour racheter aux pillards du désert de malheureuses captives.
Saturus est heureux d'apprendre qu'il y a une maison de l'Église à Carthage, car à Thuburbo la villa d'un riche commerçant suffit, pour autant qu'on puisse encore se réunir. Mais Carthage, c'est la grande ville.

Pomponius reprend : «Notre maison a souvent risqué l'incendie. Mais nous sommes vigilants. Les païens nous attaquent à coups de pierre. Nous ne leur rendons pas la pareille. Ils essaient de s'introduire chez nous avec des torches allumées. Sans violence nous les leur retirons des mains. Il leur est arrivé de saccager nos cimetières. Ils arrachent les cadavres des tombeaux, les piétinent et les mettent en pièces. Nous ne sommes jamais tranquilles, même dans la mort. Quand nous sortons du culte, des jeunes gens nous assaillent et crient : «Les chrétiens aux lions ! »

Le geôlier apparaît et dit : « La visite est terminée. » Tertius sort d'un panier une cruche de jus d'oranges et la lui tend. Il n'a pas besoin de formuler sa demande. La visite est prolongée. Les diacres posent encore cette question : « Pourquoi l'Empereur s'acharne-t-il sur nous, les chrétiens, alors qu'il laisse les juifs tranquilles ? Il les a autorisés à ne pas sacrifier sur les autels élevés à la gloire de César-Auguste. Mais il oblige les nôtres à le faire, comme s'il voulait, par ce moyen-là, nous contraindre à abjurer. Les juifs sont nombreux dans l'île de Djerba, au sud de notre pays. »
Saturus répond : « Les juifs ont connu des années difficiles. Ils ont été souvent chassés de Rome et de Jérusalem. L'Empereur a dû finalement leur reconnaître un certain droit de cité et tolérer leur religion, mais il ne les veut pas dans son armée. Peut-être finira-t-il aussi par nous accepter. Ce sera plus difficile. Il faudra qu'il renonce lui-même à se croire le Seigneur, car pour nous il n'y a pas d'autre Seigneur que le Christ. »

Il faut absolument mettre fin à la visite. Le geôlier de service va être remplacé par un collègue. Avant de prendre congé, Tertius s'aperçoit qu'il n'a pas encore remis au prisonnier la nourriture qu'il est venu lui apporter. Il tire de son panier et dépose à terre un grand pain rond, un pot de fromage et une cruche de jus des raisins rouges de Carthage. Saturus, très touché, remercie chaleureusement les diacres qui ne manquent pas de l'assurer des prières de l'église. Les chrétiens se soutiennent les uns les autres.
Saturus voudrait poursuivre l'entretien : « Je ne peux pourtant pas appeler l'Empereur un dieu. je mentirais et ce serait se moquer de lui ! je suis certain que le Christ vaincra. »
« Chut ! » lui disent les diacres qui, en sortant, croisent une patrouille de soldats venus pour transférer les six chrétiens dans la prison du proconsulat, tout au haut de la ville, à Byrsa, la colline qui domine la mer. Le cadre, d'une beauté exceptionnelle, est un des sites les plus paisibles et les plus grandioses du monde. Mais quand c'est pour y être enfermé, qu'importe le paysage, même si cette prison est plus confortable et moins sale que la précédente.
Avant de pénétrer dans l'annexe du palais du Proconsul, il est encore temps pour jeter un coup d'oeil sur les édifices voisins : la citadelle dont les Romains ont fait le siège pour en chasser les Carthaginois et, entre autres, le fameux temple d'Esculape, le dieu-guérisseur. Sous la rue que les prisonniers enchaînés ont suivie, il y a une immense citerne ainsi qu'un égout à voûtes solidement construites.

De la colline de Byrsa, du haut de l'escalier monumental qui accède au temple d'Esculape, on a devant soi tout le panorama de Carthage : la ville d'abord, avec de grandes avenues bordées de colonnades et ornées de statues, avenues régulières qui se croisent à angle droit ; le vieux port ensuite, où arrivent des barques de pêche, des galères armées et des bateaux marchands venant de partout et déposant leur cargaison sur les quais envahis par une foule bigarrée de matelots syriens, de courtiers grecs et de portefaix noirs, sans parler des badauds émerveillés par le débarquement de l'ivoire en provenance du centre de l'Afrique.
Ils traversent enfin une vaste cour dallée. La brève promenade sous le ciel bleu est terminée. Au pied des murailles massives du palais, ils aperçoivent les soupiraux des cachots. on les mène chez le geôlier. « Les souterrains, leur dit-il, sont destinés aux condamnés à mort. Ce n'est donc pas pour vous, du moins pas encore ! Le Proconsul a donné des ordres pour que vous soyez placés à l'étage supérieur, réservé aux détenus de délits peu graves. C'est vraiment une immense faveur qu'il vous accorde. La détention y est moins rigoureuse. Les cachots sont plus spacieux et mieux éclairés. Dans le règlement il est prévu des moments où vous pourrez prendre l'air et faire un peu d'exercice. Et si vous désirez recevoir des visites, adressez-vous à moi. On s'arrangera ! »
Pendant leur installation dans ces locaux bien aérés, Saturus rumine une question qu'il se hasarde à poser au geôlier, alors que celui-ci va refermer la porte : « Et nos prières pourrons-nous les faire ici, et nous autorisez-vous à chanter des cantiques ? ».
Le geôlier réfléchit un instant et leur dit d'une voix basse, comme s'il ne voulait pas qu'on l'entende plus loin : « D'accord, à condition qu'aucun bruit ne parvienne à l'extérieur.»

Cette nouvelle incarcération ne s'annonce pas trop mal. Mais comment se passera le jugement ? Toute la question est là. Seront-ils condamnés aux mines ou aux bêtes ? Même le Proconsul l'ignore, car c'est la première fois qu'il devra sévir contre les chrétiens. De toute façon, la peine de mort sera requise. Travailler dans les mines, c'est l'extermination lente. Mieux vaut encore affronter les fauves.


Table des matières

 

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