Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE Il

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La vie lausannoise de la famille, plus agitée, mais aussi plus variée et plus pleine que la vie bâloise, s'organisait peu à peu. Le souci, hélas ! et sous une de ses formes les plus lancinantes, la maladie, ne désarmait pas : la douce Stéphanie, semblable à une fleur dont la sève s'épuise et qui s'incline de plus en plus vers la terre, languissait, s'affaiblissait. Le regard anxieux de ses parents, quand il se posait sur elle, lisait sur son front pâle l'arrêt inexorable que les médecins ne voulaient pas formuler. Mais l'espérance est si tenace au coeur que père et mère, dans un de ces accords tacites où chacun s'efforce de rassurer l'autre, et par cet effort se rassure lui-même un peu, prêtaient créance aux encouragements des docteurs plus qu'à la déchirante évidence. L'hiver, disaient ceux-ci, bien plus doux à Lausanne qu'à Bâle, était moins à craindre pour la jeune malade. D'ailleurs il serait vite passé ; avec le printemps et le vivifiant soleil, on verrait le rose revenir sur ses joues. Et puisqu'il fallait aller de l'avant, puisque, bon gré mal gré, il fallait vivre, on faisait semblant de les croire.

Vinet avait commencé les cours qu'il devait faire non plus comme à Bâle, à des adolescents de langue étrangère, mais à de grands jeunes gens d'intelligence déjà ouverte, capables d'apprécier le privilège que leur octroyait le sort en leur donnant un tel professeur. La confiance, l'affection enthousiaste qu'ils témoignent à leur maître est pour celui-ci une source de très vive joie. Vinet note un grand progrès dans l'attitude et le ton de la jeunesse depuis le temps où lui-même était assis au pied de la chaire qu'il occupe aujourd'hui :

Cet auditoire ressemble peu à celui dont je faisais partie, écrit-il à un ami laissé à Bâle, le pasteur Vuilleumier. La décence, le sérieux, l'honnêteté sont le ton général ; et les rapports entre le professeur et les étudiants sont faciles et doux. Je suis encouragé par l'application générale... Mon enseignement est faible, quoiqu'il me donne beaucoup de travail ; mais je crois qu'il n'est pas sans vie ; et l'intérêt que j'y mets semble se communiquer à mes auditeurs. (1)

Est-il besoin de dire que l'illusion n'avait là aucune part ? Les étudiants étaient d'autant plus attachés à ce maître exceptionnel qu'ils sentaient avoir en lui un maître dans toute la force du mot, et non pas seulement un professeur. Ils étaient suivis, guidés, aimés par lui d'une affection pleine de sollicitude, mais pleine aussi de ce tact qui respecte le for intérieur de toute créature humaine, fût-ce la plus humble, et de cette discrétion qui provoque la confiance en ne l'exigeant pas. Vinet, dont la porte n'était jamais fermée à qui désirait une causerie en tête-à-tête, réunissait encore ses étudiants chez lui, pour de libres entretiens. Deux d'entre eux, à tour de rôle, étaient reçus chaque semaine à la table très simple, mais soignée, que Sophie présidait avec sa cordiale affabilité. De plus, on avait tous les vendredis une « soirée », c'est-à-dire que la porte était grande ouverte et les mains cordialement tendues à tous les amis que n'effrayaient pas les rampes pas mal abruptes des Escaliers du Marché.

Il serait injuste de ne pas remercier Dieu de ce cercle d'hommes excellents à tous égards dont je possède l'amitié, écrit Vinet à sa soeur Elise. Je les vois chez moi autant que je puis, non chez eux. Quelques expériences m'ont appris que je devais autant que possible ne pas sortir, du moins le soir. C'est pourquoi j'ai institué une soirée du vendredi où vient qui veut chez moi, sûr de trouver du feu, du thé, et à qui parler. (2)

Nombreux étaient ceux à qui l'invitation n'avait pas eu besoin d'être faite deux fois. Ce « cercle d'hommes excellents à tous égards » comprenait quelques étrangers, Mickiewicz, le grand poète, Melegari, Thomas Erskine, des hommes tels que Monnard, Juste Olivier, Vuillemin, Manuel, le causeur exquis, Samuel Chappuis, Alexis Forel, Scholl, Burnier, Charles Secrétan, le benjamin et l'enfant terrible de la bande; quelques femmes aimables comme il en faut, pour qu'elle soit réussie, dans toute réunion où l'on cause, mais comme il n'en faut qu'en petit nombre ; enfin Sainte-Beuve, le héros du jour. Lui aussi avait commencé son cours. Les leçons avaient lieu trois fois par semaine dans la grande salle de la bibliothèque de l'académie ; et ces jours-là on pouvait voir de longues files de Lausannois, de Lausannoises, se déroulant le long des Escaliers du Marché pour gagner la salle où se pressaient environ quatre cents personnes. Cet auditoire, considérable pour une ville qui ne comptait alors que 15.000 habitants, devait rester fidèle, malgré l'austérité du sujet, jusqu'à la fin du cours. Au mois de mai, fort peu de défections s'étaient produites, mais en revanche, parmi les auditeurs, jeunes gens, jeunes filles, plus d'un mariage avait eu l'occasion de s'ébaucher : si bien que le professeur à qui quelqu'un faisait remarquer avec un sourire qu'étant données la gravité de ses leçons et l'onction qu'il y mettait, il aurait pu clore son cours par le mot « amen » celui-ci répliqua : « Non pas amen, mais hymen... »

Outre les auditeurs lausannois, le cours du professeur parisien en attirait bon nombre des localités voisines ; c'est ainsi qu'à Morges on frétait ces jours-là une diligence baptisée la Sainte-Beuve ; et que de discussions au retour, parmi rires et cahots !

Un grand objet de discours, bons et mauvais, c'est le cours de M. Sainte-Beuve, écrit Vinet. Je voudrais bien y voir tous les gens que j'aime, et qui aiment ce qui est bon. Ce Port-Royal est admirable ; nous avions besoin de le connaître ; et le professeur en sent et en fait ressortir la vraie beauté avec une grande intelligence chrétienne. Si M. Sainte-Beuve n'est pas chrétien, il est une preuve éclatante de l'insuffisance de l'intelligence pour la conversion car tout ce que l'intelligence peut savoir de la vérité, Il le sait et je n'ai pas entendu un chrétien, je dis parmi les meilleurs, dire des choses plus senties, plus vraies, et d'une vérité plus intime. Rien de vague, rien de simplement religieux ; jamais la religion prise pour le christianisme, aussi certaines gens sont fort irrités : un homme de lettres de la Revue des Deux Mondes venant en aide au mouvement religieux du canton de Vaud, c'est trop fort, vous l'avouerez ! Ce qui me fait plaisir à moi et à d'autres, en M. Sainte-Beuve, c'est qu'il craint plutôt d'en dire trop que trop peu, et qu'il se donne tout au plus pour un connaisseur ou un observateur attentif, qui voudrait bien être quelque chose de plus. Ses leçons, moins remarquables de faconde qu'on ne s'y attendait, sont pleines de pensées et d'aperçus de la plus grande valeur littéraire et chrétienne, et je puis dire qu'il satisfait vivement et pleinement la partie supérieure du public. Dans le commerce familier, il est tout à fait bon enfant, et charmé de l'être ; notre genre parait lui convenir à merveille. Dieu veuille que, nous faisant du bien, il s'en fasse à lui-même parmi nous ! Il vient volontiers chez moi, où je l'ai déjà vu plusieurs fois. (3)

Sans soupçonner de duplicité ni d'aucun machiavélisme l'auteur de Port Royal, on peut supposer que le plaisir de ce connaisseur en âmes était grand de tenir sous son scalpel une âme d'une qualité aussi rare que celle de Vinet. Mais l'observateur était observé à son tour, et avec une pénétration supérieure, peut-être, à celle dont lui-même disposait, puisqu'à la lucidité de l'intelligence s'ajoutait, chez Vinet, ce dont Sainte-Beuve était fort dépourvu, l'instinct divinatoire de la charité. Que ne donnerait-on pas pour s'être trouvé en tiers, invisible, dans un des entretiens qui eurent lieu cet hiver-là chez Vinet, au coin de la cheminée ! Du côté du prince de la critique, le génie de la pure intelligence dans ce qu'il a de plus délié, de plus brillant et de plus incisif ; du côté du grand chrétien, une connaissance aussi profonde des âmes, avec ce qu'y met en plus de généreuse flamme le désir discret, mais passionné, de les conduire aux pieds du Maître qui seul peut leur donner la paix. « Visite de M. Sainte-Beuve qui me laisse lire dans son coeur », note Vinet, en langage chiffré, le 25 février 1838.

Quel homme était, ce jour-là, cet homme qui disait à Juste Olivier avoir été successivement plusieurs hommes? Celui, sans doute qui avouait un autre jour au même Juste Olivier :

« Ce qui m'occupe sérieusement, c'est la vie elle-même, son but, le mystère de notre propre coeur, le bonheur, la sainteté... » et qui avouait encore, quelques années plus tard, dans une heure d'abandon : « Mes sentiments sont toujours avoisinant le rocher de la foi, s'y brisant comme des vagues, plutôt qu'y prenant pied comme un naufragé qui aborde enfin... Religieusement, spirituellement, je souffre de l'absence de foi, de règle fixe et de pôle; J'ai le sentiment de ces choses, mais je n'ai pas ces choses mêmes, et bien des raisons s'y opposent. Je m'explique pourquoi je ne les ai pas, j'analyse tout cela ; et l'analyse faite, je suis plus loin de les avoir. C'est là une souffrance. Une foi bien fondée serait une guérison à tout. Plus J'y pense, plus (à moins d'un changement et d'un rayon) je ne me crois capable que d'un christianisme si J'ose dire éclectique; choisissant dans le catholicisme, le piétisme, le jansénisme... Mais que faire sous ce grand nuage sans limites, et comment s'y guider, les jours où le soleil de l'imagination ne l'éclaire pas, et où tout devient brouillard ? Je sais tout ce qu'on peut m'opposer; mais pourtant je ne me sens pas capable d'aller sincèrement au delà. » (4)

A de telles Confidences, que devaient répondre la charité pénétrante et la souveraine délicatesse de Vinet ? Non pas, sûrement, par un indiscret étalage d'expériences personnelles. Vinet était l'homme des paroles qu'il écrivait, en ces jours-là précisément, dans son Essai sur la Manifestation des Convictions religieuses :

La foi vraiment sérieuse, la foi passée en vie produit deux effets qui se balancent : le premier, de nous armer de franchise ; le second de nous inspirer la réserve. Le même respect qui nous oblige à rendre gloire à la vérité nous persuade de ne pas exposer au grand jour, de ne pas jeter en pâture à la curiosité vulgaire tous les événements internes, toutes les fluctuations successives et les mystérieuses impressions de notre âme, tous les secrets enfin de ce commerce profond et silencieux dans lequel notre part à nous se nomme la prière, et la part de Dieu s'appelle la grâce. On l'a dit, l'âme a sa pudeur aussi bien que le corps, ou pour mieux dire, la foi vivante rend cette pudeur plus délicate et plus craintive. A un degré moins élevé (le la vie religieuse, on est à la fois moins franc et plus indiscret ; à mesure que la vie intérieure se développe et se confirme, la franchise et la discrétion augmentent...

Ces mots nous font entrevoir quelles devaient être la dignité, la réserve délicate en même temps que la sainte cordialité du maître de la vie spirituelle en approchant cette âme Complexe, qui se prêtait, ne se donnait pas, s'avançait avec curiosité jusqu'à l'extrême bord d'une démarche décisive, puis reculait, redevenait étrangère et lointaine... Non, ce centre de la personne, ce noyau de l'individualité, la conscience, que Vinet se refusait à croire dissous chez l'homme dans le regard de qui il plongeait les yeux, il sentait bien qu'il n'était pas parvenu à l'atteindre. Effrayé, il se demandait un instant s'il n'avait pas affaire à « une de ces âmes usées en qui toute la vie a passé en vue, toute la sensibilité en réflexion.» Cependant, tant qu'il restait un peu d'espérance, ne fallait-il pas attiser la flamme vacillante, l'empêcher à tout prix de s'éteindre Y Et sa parole se faisait plus éloquente, plus pressante, plus chaleureuse...

Un mot de Sainte-Beuve résume, on peut le craindre, le résultat de tant d'efforts généreux pour gagner l'intellectuel et l'artiste qu'il était. Parlant en ce temps-là de Vinet, il ajoutait après avoir dit son admiration pour l'écrivain et pour le penseur et faisant peut-être, non sans envie, un retour sur lui-même : « Et puis, il parle si bien ! »

Nous venons de citer le plus important des ouvrages de Vinet, L'Essai sur la Manifestation des Convictions religieuses. Ce sujet, mis au concours par la Société de la Morale chrétienne, qui avait couronné, quelque quinze ans auparavant, son Mémoire sur la Liberté des Cultes, lui avait inspiré d'emblée un vif intérêt et le désir de se mettre sur les rangs. Il avait réuni des matériaux, écrit çà et là quelques pages, abandonnées, reprises, abandonnées de nouveau pendant des mois. Les circonstances semblaient se donner le mot pour l'empêcher de s'atteler sérieusement à cette grosse besogne. Maladies successives, déménagement, installation à Lausanne, préparation de ses cours, affaires académiques et ecclésiastiques - l'Eglise du canton de Vaud et l'académie étaient en pleine réorganisation l'une et l'autre, et chaque jour apportait son contingent de séances, de discours ou d'articles à faire ; - enfin et surtout, les angoisses que causent au malheureux père l'état de sa fille, la menace suspendue sur la tête de son fils, dont les crises nerveuses se rapprochent et s'aggravent : en voilà plus qu'il n'en faut pour lui faire tomber la plume des doigts. Il la reprend néanmoins aussitôt qu'une éclaircie se produit. Mais la besogne n'avance guère. « Je suis effrayé de ce qui me reste à faire de mon travail sur la conviction religieuse, écrit-il. A mesure que j'avance, je vois plus loin devant moi. » Un peu plus tard: « Travaillé à mon mémoire, mais sans verve. »

Cependant, cahin-caha, les pages s'ajoutent aux pages et finissent par faire un gros manuscrit bourré d'idées neuves, fortes, enchaînées trop inexorablement peut-être et sans qu'assez d'air circule dans cette végétation riche et touffue. Ici et là le coup de soleil d'une page magnifique : et tout du long une flamme qui court, la flamme d'une conviction passionnée, une logique entraînante, puissante, qui emporte le consentement du lecteur, mais dont l'auteur lui-même n'avait pas conscience, preuve en soient ces mots écrits dans l'agenda le 25 mars 1839: «J'ai passé la journée à relire mon mémoire, dont je suis fort dégoûté. »

Ce gros livre contient en quelque sorte deux livres, car divisé en deux parties, chacune de ces parties forme un tout pour son propre compte. La première traite du devoir de manifester la conviction religieuse ; la seconde, des institutions dans leur rapport avec la manifestation des convictions ; celle-ci est en somme un traité sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat.

D'où vient le devoir de manifester la conviction religieuse ? se demande l'auteur. De ce que l'homme est un être social. Or la société est « une collection d'êtres mortels qui correspond à des desseins immortels». En conséquence chaque individu est tenu de faire une réponse, selon ses lumières, aux questions qu'elle pose. Celui qui s'y refuse la sert mal. Il y est tenu également, d'ailleurs, dans son intérêt personnel, car « toute pensée prend corps et devient consistante par la parole, et on ne sait bien ce qu'on pense qu'après l'avoir dit ».

Dans la seconde partie, l'auteur établit que la religion étant exclusivement affaire de conscience individuelle, la société, en tant que société, ne saurait avoir une religion. L'Etat est une institution qui n'embrasse qu'une partie de la vie humaine, et à laquelle échappe le domaine de la conscience. Il en résulte que la séparation de la politique et de la religion, de l'Etat et de l'Eglise, s'impose. (5)

Mais, dira-t-on, si l'Etat fait servir son union avec l'Eglise à la protection de celle-ci? Ce ne serait qu'une persécution déguisée, et pire que l'autre, répond Vinet, car :

Il est très vrai que nous voulons que la manifestation des convictions religieuses soit protégée, mais protégée comme le droit de tous, et par conséquent sans distinction de croyances. Nous ne voulons pas qu'une croyance particulière soit protégée, ni en général ceux qui croient quelque chose à l'exclusion de ceux qui ne croient rien. Nous ne voulons pas qu'on protège parla raison même que nous ne voulons pas qu'on persécute. Car du droit de protéger découle irrésistiblement le droit de persécuter.. (6)

Ce livre - disons plutôt ce monument - bâti dans les angoisses et les larmes, Vinet, mécontent, devait tenter de le démolir et de le reconstruire au cours de la correction des épreuves.

J'ai senti tout mon intérêt pour la question se ranimer, écrit-il la matière est redevenue neuve pour moi ; l'étincelle primitive a jailli...

Je vous prie de remarquer qu'aujourd'hui ce n'est pas le découragement qui parle comme dans mes précédentes lettres, ajoute-t-il. J'ai repris feu pour la thèse à jamais vraie et sacrée que je traite dans la seconde partie de l'écrit ; je me défie de moi, mais je me fie à elle ; j'ai le plus vif désir de servir cette cause ; et j'ajoute, au risque de paraître présomptueux, que j'en ai l'espoir.. J'ai la confiance que Dieu me donnera la force et me ménagera les moyens de suffire à cette besogne dont tout l'intérêt ressuscite pour moi... (7)

Cette besogne, ce n'était rien de moins que la refonte entière de son manuscrit. Ce grand consciencieux se décidait à le faire revenir de l'imprimerie pour le remanier de fond en comble. En voici la dernière page, qui nous montre le disciple du Christ écrivant à genoux, comme peignait jadis Fra Angelico :

0 Soleil de justice, Orient d'en haut, Dieu de vérité et de bonheur ! j'ai besoin, au moment où j'arrive au terme de ce long travail, de me prosterner devant vous, et de vous adorer.. J'ai travaillé sans joie, hélas ! et sans amour ; et il me semble que je commence à sentir la beauté de mon sujet au moment où je m'en sépare. Pourquoi cette beauté n'a-t-elle pas, dans tout le cours de cette oeuvre, captivé, enchanté mes regards ? Ah ! pourquoi ? Vous le savez bien, ô mon Dieu ! vous savez ce qui pour jamais peut-être a obscurci pour moi toutes les perspectives et flétri mon imagination. Vous le savez, car vous l'avez voulu ; et désormais je n'attends plus ces inspirations qui éclosent comme des fleurs dans la bénigne atmosphère du bonheur et de l'espérance. Mon esprit est en deuil comme mon coeur ; rien ne fleurit dans ma pensée, nue et triste comme un arbre que l'hiver a dépouillé. Mais, au lieu de la joie, ô mon Dieu, que n'ai-je eu l'amour ! L'amour devait respirer, palpiter dans cette oeuvre ; on devait partout y sentir un coeur touché...

Il est à peine besoin de dire que l'Essai remporta le prix, et que ce succès ne donna à l'auteur qu'une satisfaction très calme, bien différente de la joie qu'il avait ressentie quand, une quinzaine d'années auparavant, avait été couronné son travail sur la Liberté des Cultes. Toute sa modestie, sans doute, ne l'aurait pas préservé de quelque fierté s'il avait pu suivre, dans l'avenir, la germination et l'éclosion du grain semé par lui dans l'angoisse et les larmes. Mais il n'était pas de ceux à qui est accordé le privilège de chanter en portant leurs gerbes. Sa part était le labeur des semailles d'autres que lui devaient faire la moisson.

(1) Revue de théologie et de philosophie, année 1897, p. 485 et suiv. 

(2) inédit.

(3) Revue de théologie et de philosophie, année 1897, p. 485.

(4) Articles de JUSTE OLIVIER dans la Bibliothèque universelle, mai-août 1876.

(5) Voir PH. BRIDEL, La Philosophie sociale et politique d'Alexandre Vinet, Lausanne, Payot 1929.

(6) Essai sur la Manifestation des Convictions religieuses, p. 200.

(7) PH. BRIDEL, Préface de l'Essai, p. XXIV.
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