Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE IX

-------

Je vous félicite du calme que Dieu vous donne dans les moments les plus décisifs de votre vie. Je ne connais pas cela. Un rien me trouble et m'agite. Au sujet d'un incident très peu important, j'ai failli perdre le sommeil. Je suis une pauvre créature. (1)

Quelque temps auparavant, Vinet écrivait au même correspondant :

Ne croyez pas que je sois habituellement triste... Je ne suis malheureusement capable d'aucune tristesse prolongée, comme d'aucune joie soutenue ; je suis mobile et variable comme l'atmosphère, extrêmement influencé par les circonstances et même par les plus petites, me déployant et me resserrant comme une bannière sous les souffles capricieux du vent (2).

Malgré les hauts et les bas inséparables d'une organisation nerveuse aussi délicate que la sienne, Vinet n'avait donc point l'humeur sombre qu'on lui a quelquefois attribuée. Sans parler de cette sérénité essentielle et fondamentale, partage de ceux qui ont fait le grand pari, son tempérament ne le portait pas à la mélancolie. Mais ayant dépassé ce mezzo del camin di nostra vita, âge où s'évanouissent les Mirages séduisants et où l'insouciance nous quitte, il voyait le train du monde, et ce spectacle ne l'égayait pas.

Je dois vous avouer que les événements me font souvent pencher vers la tristesse, écrit-il dans la lettre que nous citions tout à l'heure. J'ai perdu beaucoup d'illusions ; et désabusé de beaucoup de choses, j'ai le chagrin de voir ces mêmes choses abuser encore beaucoup de monde. Je ne sais trop comment me classer avec mon christianisme parmi les amis de la liberté ; je vois les chrétiens applaudir à des choses que comme chrétien je suis forcé de désapprouver. Je me demande si par hasard je ne serais point devenu illibéral, Je ne puis le croire ; et cependant la liberté que je vois fêter me paraît fort laide, souvent très niaise et même très méchante, pleine d'impiété chez ses plus chauds partisans. Je n'aime pas voir les droits de tous en proie au caprice de quelques-uns ; mais j'ai horreur de voir les masses disposant d'elles-mêmes. Tout ceci, si j'ai le temps de vivre, se débrouillera sans doute jusque-là il me faudra mâcher bien des pensées amères.

Néanmoins le goût de vivre ne se perd pas, et Vinet, entre trente-cinq et quarante ans, conservait mieux que le souvenir de sa belle et saine jeunesse, de sa gaîté, de ses chansons, de ses amitiés généreuses. Le spectacle de la vie publique pouvait bien le troubler souvent, les soucis de sa vie privée pouvaient à certains jours peser lourdement sur son coeur : il rebondissait, et, quoi qu'il en eût, se laissait distraire et même captiver par les nombreux intérêts qui remplissaient ses journées. Il continue, il est vrai, comme par le passé, d'enseigner aux petits Bâlois la règle des participes ; mais il est en train de devenir, il est devenu déjà bien autre chose qu'un maître de grammaire. La mission diplomatique dont l'a chargé récemment le gouvernement bâlois, ses écrits politiques, lui valent une autorité grandissante ; les sermons qu'il prêche avec un succès croissant lui en valent encore plus. Il fait à l'université un cours public sur les moralistes français, où les auditeurs accourent en foule ; on y vient même de Mulhouse. Enfin les relations que lui ont valu son Mémoire sur la liberté des Cultes l'amènent à collaborer à un journal récemment fondé à Paris, le Semeur, collaboration qui allait devenir un de ses intérêts les plus vifs et une de ses meilleures joies. Traiter, en se plaçant au point de vue chrétien, toutes les questions littéraires, politiques ou sociales qui se posent à l'esprit contemporain, tel est le programme de ce journal où Vinet ne tarde pas à occuper la première place.

Voilà ce qui nous manquait, écrit-il. C'est une simple et belle idée que de montrer comment le christianisme envisage, traite et .exploite les différentes sphères d'activité de la pensée humaine. Cela nous sort des généralités, cela donne à la religion droit de cité dans la science et dans les arts ; on verra qu'on peut être chrétien et homme tout ensemble. (3)

Voilà bien des sujets d'intérêt, voilà de nombreuses occasions aussi d'un succès que toute sa modestie n'empêche pas Vinet de goûter. Il a de belles heures de plénitude heureuse, où la plume lui est légère, où il écrit comme sous dictée. Ces jours-là ses souffrances physiques faisant trêve, la joie s'empresse, dirait-on, de se faire jour, et il éprouve le besoin de chanter. Sophie, Elise, sont tout heureuses de l'entendre fredonner en traversant le jardin ou en, venant se mettre à table. Il y a une vingtaine d'années, des vers auraient coulé de sa plume. Aujourd'hui, sauf parfois un cantique, il n'en fait plus. « J'ai heurté pour vous obéir au réservoir des inspirations poétiques, écrit-il à un ami. Il sonne bien creux ; je le crois vide. Il faut voir, pourtant... »

Mais les beaux vers, la belle prose d'autrui, ne le passionnent pas moins qu'autrefois, Aussi le cours public sur les moralistes, qu'il vient de commencer, plus encore peut-être les articles de critique littéraire qu'il envoie au Semeur, voilà le genre d'activité qui lui va, le travail qui satisfait à la fois en lui le penseur, le grand lettré et surtout le grand chrétien. Qu'il parle en effet de La Rochefoucauld ou de La Bruyère, - et avec quelle pénétration d'intelligente sympathie ! - de Victor Hugo ou de Sainte-Beuve, c'est toujours la voix du chrétien qu'on entend.

Un livre justement vient de paraître, qui plus qu'un autre donne le branle à son talent. Signé du nom de Sainte-Beuve, connu des lettrés, mais pas encore du grand public, il porte un titre bien fait pour allécher ce même grand public: Volupté.

Excellente occasion pour Vinet d'envoyer un article au Semeur, toujours avide de la prose de son correspondant bâlois. Il se met donc à l'oeuvre, heureux de se sentir dans un de ses bons jours.

Nous ne sommes pas faits pour nous abstenir, écrit-il. Il faut toujours que quelque chose jouisse, agisse, vive en nous. La chair ne cessera de demander tant que l'âme ne demandera rien. L'âme a ses voluptés qu'il faut lui donner si l'on ne veut qu'elle se jette en désespérée dans le parti de la chair. La charité seule peut nous garder contre la volupté.

Sinon, la chair qui est insatiable comme l'âme, poussera jusqu'à l'excès les exigences de son insolente mendicité ; incessamment obéie et jamais assouvie, elle ne s'arrêtera plus, même après avoir, de volupté en volupté, dévoré l'âme elle-même. C'est la fin des voluptueux ; leur âme s'en va en chair. Les sources de l'amour, de la miséricorde et de la foi tarissent. Le coeur, qui a envoyé toute sa vie aux sens, se dessèche et s'endurcit. Un égoïsme féroce y pénètre lentement et s'y assied sur le trône désert des affections généreuses. Les sentiments de la nature même s'émoussent. Il fait froid, il fait nuit, il fait horrible dans cette âme, tandis qu'autour d'elle, je veux dire dans la chair, tout s'illumine et s'enflamme aux feux de la convoitise. Maison éclairée de mille lueurs comme au soir d'une fête ; maison d'allégresse ; entrez-y, vous y trouverez un cadavre et des démons qui dansent à l'entour.. Il importe de ne pas perdre de vue que l'âme devenue matière est assujettie par là aux lois qui régissent la matière, lois inflexibles, lois qui ne fléchissent du moins que devant d'autres lois de leur propre nature; la matière peut obéir à la matière, mais elle n'obéit qu'à la matière. Lors donc que l'idée divine descend dans l'esprit du voluptueux, l'intelligence l'accueille, la fait asseoir, l'écoute ; mais l'hôte véritable, le véritable maître de maison, qu'il lui Importait d'entretenir, il est absent, il est mort; et après un entretien avec l'intelligence. entretien qui peut être long, animé, intéressant, mais toujours infructueux, l'idée céleste se retire. (4)

Ces lignes prophétiques, adressées à celui qui, de la même plume, écrira Port-Royal et le Livre d'amour, firent-elles vibrer en lui une corde qui n'était pas brisée encore ? Un billet, destiné à l'auteur anonyme, fut porté à la direction du Semeur. « J'ai à remercier profondément l'auteur des articles sur Volupté, y disait Sainte-Beuve, et pour la grande indulgence et bienveillance littéraire dont il a usé à mon égard, et pour les conseils chrétiens et le point de vue moral qui domine son jugement. Si ma prétention d'écrivain a été plus que satisfaite en lisant ces articles, j'y ai trouvé à réfléchir fructueusement et à m'examiner sur d'autres points bien plus essentiels. J'ai senti combien il me reste à faire dans l'avenir pour n'être pas indigne de tels jugements, qui honorent encore moins qu'ils ne touchent en secret et qu'ils ne provoquent aux pensées sérieuses. » (5)

On ne s'avance pas trop en affirmant qu'à la lecture d'un tel billet Vinet fut touché à son endroit le plus sensible. Ainsi, il n'avait pas manqué son but. Ce qu'il avait senti, pensé profondément, il avait su le dire... Il ne se trompait donc pas, son vrai don était là, dans cette libre activité de parole et de plume mise au service de sa foi religieuse, activité qui lui laissait toute latitude de parler à son heure, quand il avait vraiment quelque chose à dire, au lieu de contraindre son âme à s'ouvrir à heure fixe, comme pasteur en titre ou comme professeur dans une faculté de théologie. De tous côtés on le sollicitait : des conseillers nombreux, pressants, veulent savoir mieux que lui ce pour quoi il est fait. Peu de semaines sans que la poste lui apporte l'offre d'une chaire ou d'un poste où ses talents, lui dit-on, pourront se déployer, où il sera dix fois plus utile à lui-même et aux autres qu'il ne peut l'être dans l'humble situation qu'il occupe au paedagogium. C'est Paris, où on l'appelle pour prendre part à un travail d'évangélisation populaire ; c'est Lausanne, qui voudrait le voir titulaire à l'académie de la chaire de littérature latine ; c'est Genève, où une société évangélique en train de se fonder et d'ouvrir une nouvelle école de théologie désire s'assurer l'enseignement du défenseur de la liberté des cultes ; c'est Montauban, dont la faculté de théologie protestante offre à l'auteur des Discours religieux la chaire de morale et d'éloquence.

A toutes ces sommations, à toutes ces supplications, Vinet reste sourd. Peut-être son humilité lui est-elle un piège; beaucoup de ses amis en sont persuadés. Cependant il se connaissait, et il faut l'en croire quand il se dit, pour des motifs profonds dont lui seul est juge, hors d'état d'assumer les tâches qu'on lui propose. Evangéliser à Paris dans les milieux populaires ? Par ses habitudes d'esprit, par sa tendance à l'abstraction, il ne se croit pas fait pour parler aux gens de peu de culture, et peut-être en cela ne se trompe-t-il pas. Mais la vraie raison, c'est qu'il ne se sent pas spirituellement assez avancé pour entreprendre une oeuvre missionnaire. Exhorter les autres, alors que lui-même éprouve un si grand besoin d'exhortations, se mettre dans le cas de prêcher journellement des vérités qu'il s'accuse de ne pas sentir assez pour son propre compte, et de ne pas mettre réellement en pratique, voilà ce à quoi il ne peut se résoudre. Sans doute il monte en chaire; mais la prédication n'est pas cette action directe d'une âme sur une autre âme, ce tête-à-tête où l'on se regarde au fond des yeux, Il est douloureusement convaincu que les lacunes de sa vie religieuse ne lui permettent pas une telle mission. De ses sentiments profonds, il ne parle d'ailleurs pas volontiers, même à sa femme, avec qui pourtant son intimité si étroite se resserre tous les jours. Parfois, sous la secousse d'un événement intérieur, il compose un hymne, et le lui donne alors, mais sans le commenter. « J'ai fait un cantique, veux-tu le lire ? » dit-il à Sophie en lui remettant quelques feuillets couverts de sa fine écriture ; et aussitôt il bat en retraite. Il se dérobe aussi, le plus qu'il peut, à la direction des consciences, alléguant qu'on n'est pas digne de guider les autres quand on a soi-même tant à apprendre.

Et puis, autre obstacle, en matière de théologie il est si peu fixé ! L'idée quelquefois lui traverse l'esprit que l'édifice théologique laborieusement construit par les siècles porte peut-être à faux, qu'il faudrait reprendre tout le travail par la base. Mais il n'est nullement théologien, et ce ne sont pas ses faibles études, interrompues le lendemain de ses vingt ans, qui peuvent lui conférer dans ce domaine, pense-t-il, la moindre compétence. Il sent bien que sa vie religieuse, de jour en jour plus profonde, n'a pas trouvé encore sa véritable formule intellectuelle, et s'il ne s'en met guère en peine pour lui-même, s'il se satisfait plus ou moins des formules anciennes, il faut, pour enseigner, serrer de plus près les questions. Pour l'instant, il n'est prêt ni à être professeur de théologie, ni à être pasteur. Le sera-t-il jamais ? Jetons un coup d'oeil sur la lettre qu'à l'appel de Genève, il écrit à l'un des fondateurs de la nouvelle école de théologie :

... Il vous faut pour cette lutte (car c'en est une) des hommes forts, des hommes préparés, des hommes qui joignent à la vertu la science ; il vous faut des théologiens, des savants armés de toutes pièces, suffisants non seulement pour une sphère assignée, mais pour une foule de besoins et de circonstances qu'on ne saurait prévoir. Je ne suis point de ces hommes-là. Mes forces intellectuelles et physiques sont au-dessous de ces conditions. Mais il vous faut surtout des hommes de foi des chrétiens complets, des serviteurs éprouvés. Oh ! monsieur, cherchez-les ailleurs. Vous ne savez pas que celui que vous appelez à votre guerre sainte est à peine un chrétien commencé ; qu'il y a dans sa foi, et surtout dans sa vie, de profondes lacunes ; qu'il ne marche pas, qu'il chancelle ; qu'il ne parle pas, qu'il balbutie ; qu'il ne veut pas, mais seulement qu'il voudrait. Il lui en coûte de se développer ainsi à vos regards ; mais voudriez-vous que dans une oeuvre où il faut de la décision, de l'énergie, une couleur franche, il vous affligeât par sa faiblesse, vous retardât par ses lenteurs, ou que, pour paraître un avec vous, il se prescrivît un langage qu'il peut admirer en vous, qu'il vous envie, mais qui serait, pour à présent, une expression exagérée et par conséquent infidèle de sa vie intérieure ? Ne versez pas cette eau insipide dans le vin généreux que vous avez pressé ; cherchez de plus dignes compagnons d'oeuvre (6).

Paris, Montauban, reçoivent des réponses analogues. Mais on ne se le tient pas pour dit. La faculté de Montauban, en particulier, revient à la charge; et à propos d'un nouveau refus, Vinet écrit un peu plus tard à un ami parisien, M. Lutteroth :

Je me suis demandé si je me faisais illusion sur mes moyens, si je m'en exagérais la faiblesse. Je ne puis le croire. Mes études académiques ont été plus insignifiantes que je n'ose le dire ; je ne les avais pas même achevées quand j'ai été appelé à Bâle pour enseigner.. l'orthographe ; c'est à cela que j'ai passé les plus belles années de ma vie. Je sais très peu, extrêmement peu ; et je n'apprends guère. L'âge de certaines études est passé ; il y a des choses essentielles au poste en question que je n'apprendrai plus. Je ne vous dis rien d'une autre sorte d'incapacité, la plus grave, et qui serait bientôt sentie. Trouvez pour Montauban une âme forte, un caractère ferme, une foi vive ; et heureux qui pourra vous offrir tout cela !... Que si quelqu'un me disait : c'est le courage qui vous manque, il dirait vrai peut-être ; mais il aurait indiqué en même temps la plus forte de mes incapacités. (7)

Vinet continuera donc son humble tâche de professeur de français, la seule à laquelle il croit être propre, en y ajoutant néanmoins, heureusement pour nous, ce qu'il appelle son oeuvre de partisan sur les flancs de la grande armée ; car, dit-il :

Quand il s'agit du choix d'un métier où le coeur est le principal outil, il faut connaître son coeur ; il faut craindre de prendre son imagination pour son coeur... Quoi de plus effrayant que ces positions qui ordonnent d'être officiellement et systématiquement convaincu, fidèle, vivant ! Où l'on représente, en vertu même de son titre, tout l'ensemble d'une doctrine publique ! L'hypocrisie commandée par une position, voilà à mes yeux la dernière des infortunes. (8)

Parmi tant d'appels si pressants, un seul, un instant, l'ébranla. Il venait de Paris, la ville prestigieuse par sa vie intense et sa haute culture, qui, tout en l'effrayant, l'attirait depuis ses années de jeunesse. Ses articles au Semeur n'étaient pas tombés dans le vide: ils avaient franchi les limites étroites de ce monde protestant où, faute de suffisants moyens de diffusion, restent confinés tant d'écrits de haute valeur. Après Sainte-Beuve, Victor Hugo, d'autres encore avaient dépisté, sous les deux étoiles de la signature, un écrivain de choix, et adressé à la direction du journal des lettres flatteuses.

Des éloges venus de si haut, le succès croissant du Semeur, dû surtout et presque uniquement à la collaboration de Vinet, donnèrent au comité l'idée de confier à celui-ci la direction du journal. On lui propose un essai de six mois, pensant avoir ainsi plus facilement raison de ses hésitations. Tout d'abord Vinet ne dit ni oui ni non. Il faut qu'il examine la question à tête reposée ; or, pour l'instant, en vue précisément d'articles à envoyer au Semeur, il est plongé tout entier dans l'étude de la moderne philosophie allemande. Aussi répond-il à M. Grandpierre qui le presse d'accepter :

Vous savez ou vous ne savez pas que je compose laborieusement, qu'un seul article me prend une semaine, que je refais souvent jusqu'à trois fois. Je ne vous dis cela que pour vous faire comprendre que jusqu'à ce que les lectures, les méditations et les écritures relatives à ces articles soient finies, je ne puis absolument pas appliquer mon esprit à une délibération si importante pour moi... Il m'est impossible, d'ici à quatre semaines, de m'occuper de cette question. Ce sont les questions soulevées par Kant et Fichte qui m'occupent ; il y a loin de celles-là à la mienne. (9)

Mais ses réflexions, quand son travail lui laissera le loisir d'en faire, vont aboutir à un nouveau refus. Il restera donc à Bâle. S'y sent-il maintenant chez lui ? En seize ou dix-huit ans, un arbre, s'il ne meurt pas, s'enracine, même dans le sol le plus pierreux. Dans une grande mesure, Vinet s'est enraciné. Il est vrai qu'à différentes reprises des mottes de terre vaudoise ont été transportées dans le jardin bâlois : deux jeunes femmes, parentes de la famille Vinet, se sont l'une après l'autre mariées à Bâle; un jeune pasteur, M. Vuilleumier, «un chrétien simple, sans formule, allant au centre, à l'esprit de la chose », écrit Vinet, a été nommé suffragant d'un des pasteurs de l'église française. Avec le professeur de Wette, avec M. Passavant, un Français, avec quelques Bâlois amis de la culture française, il y a là tout un petit monde fort agréable, où le sérieux et la gaîté marchent de compagnie. Vinet, sa femme, sa soeur Elise, maintenant maîtresse de classe à l'école supérieure des jeunes filles, en jouissent très vivement.

Nous menons une vie tranquille et heureuse à Bâle, écrit Vinet à Leresche. Nous y avons, comme tu le sais, des rapports de famille par le mariage de nos deux cousines. Nous nous réunissons tous les vendredis au soir les uns chez les autres, grands et petits, dans une grande familiarité.

Et il ajoute, repris par le chagrin que lui causent les affaires politiques du pays :

On est en flagrant délit du partage des biens de notre université, vol solennel où la Confédération mettra son sceau, comme elle l'a mis sur bien d'autres iniquités. Mais on se blase sur tout ; les injustices les plus savoureuses deviennent fades à force de se répéter. Nous commençons à trouver que dans le monde comme il est présentement, ces choses-là sont presque dans l'ordre. (2)

(1) Lettre inédite à M. Scholl. 

(2) Inédit.

(3) Cité par RAMBERT, P. 226.

(4) Philosophie morale et sociale, p. 229. 

(5) Cité par RAMBERT.

(6) 23 juillet 1831. Cité par RAMBERT.

(7) Citée par De PRESSENSÉ, Alexandre Vinet d'après sa correspondance avec Lutteroth.

(8) A M. Alexis Forel. Cité par RAMBERT.

(9) Cité par RAMBERT.
Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant