Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE IV

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Tiré à quatre chevaux, selon l'expression courante, entre ses obligations professionnelles, ses devoirs de chef de famille, tous les services qu'amis ou élèves réclament de lui, enfin les nécessités d'un labeur personnel intense, car il prêche souvent et envoie à des journaux de nombreux articles, Vinet plie presque sous le poids. Il lui arrive de se demander s'il pourra longtemps suffire à sa lourde tâche. Du moins lui faudrait-il ce calme et cette maîtrise de soi qu'assurent des nerfs solides ; et les siens ne le sont pas. Quand il rentre de ses classes, souvent un discours ou un article en tête, et poursuivant le mot rebelle qui donnerait à une idée la vie en même temps que la forme, il voudrait trouver chez lui, pendant ses courts instants de loisir, un peu de tranquillité. Sophie, la grand'maman y veillent, et s'efforcent de faire autant que possible régner la paix; mais la maison est petite et les enfants sont tapageurs. Leur tante Elise les gronde : ce sont alors des pleurs, des éclats de voix. Le père doit intervenir pour rétablir l'ordre, intervention qui ne va pas toujours, de sa part, sans brusquerie ou mauvaise humeur.

Les repas, en particulier, sont souvent orageux, et d'autant plus qu'on a eu l'idée malencontreuse de prendre comme pensionnaire le suffragant du pasteur français, M. Grandpierre, homme excellent, certes, et par surcroît plein d'idées et de vie. Mais cette vie, justement, déborde en de perpétuelles discussions. Vinet, que la polémique fatigue et ennuie de plus en plus, en est excédé, au point de prendre en horreur cette conversation trop nourrie, trop suivie, tendue, qui l'oblige à répondre, à prendre parti quand il doute, à parler alors que la fatigue de sa tête ou de sa voix lui ferait tant désirer se taire. Se peut-il qu'il ait jamais rêvé échange d'idées et joutes intellectuelles ? Ah ! non, non, trêve aux raisonnements et aux discussions ! Il n'y a là que vanité et poursuite du vent, comme dirait l'Ecclésiaste. Peu s'en faut qu'il ne prenne en grippe l'homme » excellent qui, lui, ne se doute de rien, continue de soulever des problèmes, de proposer des solutions, s'imaginant encore, par là, être agréable à son hôte que cette incoercible activité orale et mentale fait au contraire trembler d'impatience. Un jour enfin, la tension est trop forte et la corde casse. Vinet prie son ri commensal de chercher un autre gîte. Surpris et un peu mortifié, peut-être, mais nullement offensé et conservant toute sa bonne humeur, le brave homme s'en va. On restera bons amis, on continuera de se voir souvent... La table de famille est redevenue paisible. Quel bien être de se trouver entre soi, libre de se taire et de ne pas remuer d'idées ! Mais le soulagement est de courte durée. A peine consommée la séparation, voici les regrets, presque les remords :

Je suis bien peu avancé dans la charité et la patience chrétienne, puisqu'il me faut encore des sympathies naturelles pour vivre avec les gens, écrit Vinet à Leresche; et tu serais encore bien plus étonné si tu connaissais l'admirable caractère de cet homme qui est un des plus beaux produits du christianisme... Jamais je n'ai mieux saisi le caractère du christianisme, jamais je n'ai été plus convaincu de l'indispensabilité et de la grandeur des bienfaits qu'il nous offre.

J'ai fait dans cette sphère de grands progrès dont je pourrai te rendre compte. Mais le mal est que je n'ai pas de coeur ; et je suis tenté de croire que dans mille occasions où mon coeur semble parler, c'est l'imagination qui parle pour lui (1).

Et dans une note en forme de journal:

J'ai prié mon hôte de prendre un autre logement. Il a parfaitement reçu ma communication, qui n'a pu manquer de lui être désagréable. J'ai reconnu l'esprit de douceur et de bonté que donne le christianisme solide. Maintenant je tremble devant ce que j'ai fait... J'ai peur de moi-même... Mon Père, aie pitié de ton enfant ! (2)

C'est qu'elles sont passées, les belles années faciles, où à la « vertu » semble aller toute seule, parce qu'on n'exige pas beaucoup de soi... Comme surgit une cime plus haute aux yeux de l'ascensionniste qui se croyait au sommet de la montagne, un idéal autrement élevé, inaccessible, s'est révélé au pèlerin spirituel. Il faut qu'il y tende, sa vie est à ce prix. Désormais ce seront d'incessantes batailles contre son tempérament, sa triste santé, les circonstances adverses : rude labeur d'un grimpeur auquel vingt fois le souffle risque de manquer, qui va de l'avant quand même, qui tombe, se relève, marche encore et monte, monte peu à peu. Mais, exigeant pour lui comme il le devient, de cette ascension il n'a conscience que par éclairs, dans de rares instants de lucidité intérieure ; aussi lui donne-t-elle peu de joie. Combien elles étaient aisées, les grandes résolutions de dévouement, à cette aube dorée de la vie qui noyait dans une lumière enchantée les sécheresses de l'avenir ! C'est alors qu'en une heure d'enthousiasme, Sophie et lui, fiancés, avaient pris l'engagement de ne pas fuir les sacrifices, de ne pas céder aux tentations de cet égoïsme conjugal, écueil de tant d'unions heureuses. Quand sonne l'heure de l'échéance, ces renoncements, si beaux de loin et en bloc, prennent une bien autre figure. Ce ne sont plus que des dépouillements obscurs, dépourvus d'héroïsme, mais non point d'amertume. L'imagination de la vingtième année s'est amortie au contact de la réalité ; les éblouissantes couleurs de sa palette se sont brouillées et éteintes. L'aiguillon de la conscience, en revanche, s'est fait plus acéré. Et les humbles renoncements qui ont pris la place des éclatants sacrifices rêvés, on ne les accepte qu'avec des soupirs, peut-être avec des larmes...

C'est ainsi qu'à cette époque Vinet et sa femme prennent une détermination qui leur coûte beaucoup à tous deux, celle de se séparer pour un temps qui sera peut-être assez long. Une amie de Sophie, isolée et gravement malade, est envoyée par les médecins aux bains de mer de Dieppe. Dans son état de santé, impossible de partir seule ; et à moins que Sophie ne se dévoue, personne ne peut l'accompagner. Les époux n'ont pas oublié leur résolution de jadis : Sophie partira donc. Vinet, lui, s'en ira pendant ce temps à Louëche, avec son oncle et beau-père M. de La Rottaz, qui lui aussi doit prendre les eaux. Les enfants resteront avec leur grand'mère et leur tante, comme lors du séjour de leurs parents à Cette, l'année d'avant. Dislocation momentanée, douloureuse, mais Alexandre, tout comme Sophie, estime qu'elle s'impose.

Du moins s'est-on promis de beaucoup s'écrire. En route déjà, Vinet tient parole ; mais sous le coup de la séparation, ses impressions ne sont guère joyeuses, et le caractère du pays qu'il traverse, l'âpre, le sévère Valais, n'est pas fait pour lui donner beaucoup de gaîté. Et voici qu'un lugubre spectacle frappe les yeux des voyageurs à leur entrée dans la ville de Sion : un échafaud dressé au bord de la route.

Je détourne les yeux, écrit Vinet ; ils tombent sur une croix placée à l'autre bord, de sorte que les regards du condamné la rencontrent nécessairement. Ce monument de la miséricorde divine vis-à-vis de celui de la justice humaine m'a vivement ému, et l'application ne m'a pas manqué. Cette croix est élevée en faveur de nous tous, et ne sommes-nous pas tous sur les marches de l'échafaud ? (3)

Si affranchi qu'il soit de tout sybaritisme, Vinet, arrivé à Louëche, ne peut réprimer tout à fait sa mauvaise humeur en procédant à une installation dont l'inconfort brave toute description. On n'avait pu songer aux bons hôtels, bien trop coûteux; on se contenterait d'une très modeste auberge. Mais Vinet n'avait pas imaginé campement aussi primitif. Il écrit :

Nous arrivons à une maison de bois; c'est là que mon oncle a logé il y a deux ans, j'y veux loger avec lui. J'entre courageusement, et pour faire connaissance, je commence par me cogner trois fois la tête aux corniches des portes, qui n'ont guère que la moitié de ma hauteur. A travers un dédale obscur, nous parvenons à une chambre où il y a place pour deux lits, une chaise et une table, le tout bout à bout. La fenêtre donne sur une maison dont je puis presque toucher le toit avec ma canne. Mon oncle en prend son parti, tout comme de la mauvaise humeur que je n'ai pu m'empêcher de montrer en entrant dans cette caverne...

Y aura-t-il du moins une compensation dans la société que l'on rencontrera à table ? Curieux comme il l'est des êtres humains, Vinet fonde quelque espoir sur les repas qui rapprochent les baigneurs, comme les rapprochent aussi les longues séances dans les « carrés » où l'on barbote en commun. Espoir, hélas ! bien vite déçu :

Ou mange à table d'hôte. Elle est nombreuse et certainement honnête; mais ce sont tous des gens incultes. Je ne saurais avec qui, ni pourquoi, ni comment lier conversation.

« Je me ferai à tout cela», ajoute-t-il dans un effort de résignation ; et, dès le lendemain :

J'ai réfléchi au déplaisir que j'ai éprouvé. Une partie tient à la vanité ; je me sens humilié de vivre avec des gens de bas étage, comme s'il y en avait pour le chrétien. Quant à la grossièreté des manières et à la rudesse du langage, elles ont pour un homme cultivé quelque chose de réellement repoussant. A côté de cela, c'est peu de chose que d'avoir des cuillers de plomb et de manger des beignets aux raves... Nous avons déjeuné au bain, comme tout le monde. Je me suis amusé à lire, car je ne saurais causer, et je suis bien aise de ne pas entendre. Nos compagnons de bain sont nos convives. J'avais tant de dégoût et d'ennui à dîner que j'oubliais de manger ; tout me paraissait rebutant et l'était en effet. J'en avais le coeur gros, et je sentais qu'une telle disposition ne contribuerait pas au succès de ma cure. Enfin, n'y tenant plus, j'ai proposé à mon oncle de dîner dans notre chambre. Il y a consenti volontiers et ma bonne humeur est revenue.

Ce qui contribue aussi à rasséréner Vinet, C'est une connaissance agréable, celle d'une jeune Bernoise de Frutigen :

L'air le plus intéressant, écrit-il à sa femme, les meilleures manières, la voix la plus douce, et, à ce qu'il nous a paru, des sentiments religieux. Imagine-toi une petite paysanne qui fait ses délices du Télémaque et de Mme de Sévigné. Je lui dis que celle-ci aimait trop sa fille. « Je ne le crois pas, dit-elle, ma mère m'aime autant. » - Et votre mère aime-t-elle également ses autres enfants ? » Elle répondit : « Oui ». Son coeur était tout remué en parlant de cela. Mais hélas ! elle part lundi, et nous serons en Ostrogothie.

J'ai réfléchi à ce qui me porte dans l'occasion à répandre les vérités évangéliques, écrit-il un autre jour. Je suis bien loin d'agir par le principe d'un véritable amour pour Dieu et d'une véritable charité pour les hommes. Je crains d'être, passe-moi la comparaison, comme l'ânesse du prophète...

Un peu plus tard :

J'ai fait proposer aux protestants de se réunir dimanche prochain pour la célébration du culte. Je lirai un chapitre de l'Evangile et ferai quelques réflexions. Notre carré se vide de bonne compagnie et se remplit de mauvaise. J'ai grande envie (le déserter à l'autre. La bergère de Frutigen est partie, et nous nous sommes écriés :

Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé !

Le temps passe assez vite ; cependant il me semble qu'il y a une aimée que j'ai quitté Bâle. Je cherche à me représenter mes chers enfants, et leur image m'échappe...

Les cultes que préside Vinet étant appréciés, il se décide à faire des méditations plus étendues. Un dimanche, il prend pour sujet la piscine de Béthesda. (4) Un nombreux auditoire se réunit pour l'entendre En voyant fixés sur lui les regards de tant d'êtres souffrants auxquels il voudrait venir cri aide, le prédicateur est saisi par l'émotion. Cette émotion rend plus prenante sa voix nuancée, plus pénétrant et plus chaleureux son regard. A ces malades du corps il parle du péché, cette maladie de l'âme. Comme le paralytique d'autrefois espérait trouver la guérison dans les eaux de Béthesda, eux viennent demander la santé aux eaux de Louëche. La grâce du Dieu sauveur les y attend, comme elle attendait le paralytique... Un appel pressant, vibrant de cet amour chrétien qui est une plus vraie et plus ardente sympathie humaine, s'épanche des lèvres de celui qui parle en accents qui vont droit au coeur de ceux qui écoutent. Pas un mot qui ne porte, pas une phrase qui ne soit chargée de divine tendresse. La voilà bien, l'éloquence telle que la veut Pascal... Un frémissement passe sur l'assemblée. Les uns refoulent leurs larmes ; d'autres s'essuient les yeux. Le prédicateur s'est tu, et se recueille un instant. Ce contact spirituel, cette fusion des âmes, quel dédommagement à ses dégoûts et à ses déboires !

La reconnaissance s'exprime comme elle peut. Rentré dans sa «caverne » après le service, Vinet est tout étonné d'y trouver deux bouteilles d'excellent vin, don d'un auditeur anonyme : bonne aubaine pour la table d'hôte. Dans l'après-midi, il écrit à Sophie :

Des hommes pleuraient à chaudes larmes, de qui je ne l'aurais jamais cru. Qui sait si d'un vase indigne ne peut pas couler une goutte de liqueur pure, et cette goutte amollir un coeur ? Mais oui, le vase est bien indigne !

Et plus loin :

Croirait-on que je fais ici le missionnaire et que je travaille les âmes ? Ah ! si la mienne !...

L'autorité que lui vaut un talent dont son humilité ne l'empêche pas d'avoir conscience, l'ascendant qu'il exerce en réveillant et en entraînant les âmes subjuguées, font oublier au jeune homme, pour quelques instants, ses soucis de famille, sa santé débile, et ce trop habituel mécontentement de lui-même qui en temps ordinaire l'empêche non pas d'agir, mais d'agir avec joie. Au sentiment de la disette spirituelle succède en lui un sentiment de plénitude et de force. Que le vase soit indigne, il n'y pense plus, car la liqueur divine le remplit et déborde. Des inconnus viennent à lui les mains tendues pour le remercier du bien qu'il leur avait. Un officier allemand lui demande le manuscrit de son discours, dont il voudrait garder copie. Un homme âgé, point dévôt, et même connu par de fâcheuses aventures, lui envoie, lui aussi, une bouteille de vin d'un grand cru. Un Russe, le comte Rostoptschine, le fils de celui qui a brûlé Moscou, triste et sombre figure, s'humanise en causant avec lui. Sa physionomie s'adoucit, s'éclaire ; Vinet sent que de cet homme il pourrait se faire un ami. Ceci le touche plus que les compliments qu'on lui prodigue en raison du succès récent de son Mémoire sur la Liberté des cultes : son oncle n'a pu se tenir d'en faire part à quelques baigneurs, et la nouvelle a couru. Pour le coup, puisque Paris a parlé, on a affaire à un grand homme : la table d'hôte s'émeut, des chuchotements flatteurs se propagent dans les « carrés ». Personne ne sait au juste de quoi il est question ; mais enfin ce jeune monsieur Vinet a été couronné à Paris : Guizot, le duc de Broglie admirent ses écrits ; on ne se trompe donc point en admirant sa parole.

Mon oncle m'a joué un assez mauvais tour, écrit le grand homme à sa femme. Il a parlé à je ne sais qui de mon succès, et cela m'a attiré quelques compliments dont je me serais bien passé. Je n'aime pas à être en vue, ni à donner aux autres le droit d'attendre plus que je ne puis fournir; et puis, je ne sais que répondre à ces compliments. Je n'aperçois pas, au reste, qu'ils nourrissent ma vanité. Le limaçon s'étale quand ou lui chante: « Montre-moi tes cornes »; pour moi, cela me fait rentrer dans ma coquille et songer à ma petitesse.

Des promenades solitaires, en tête à tête avec ses pensées et avec la nature, sont un des meilleurs plaisirs du jeune homme en ces superbes journées d'été. Couché dans l'herbe, les mains sous la tête, il plonge ses regards dans le bleu, écoute chanter la brise au sommet des sapins, et il rêve, et il pense. Rentré dans sa « caverne » il prend la plume pour faire part à Sophie de ses pensées et de ses rêves :

J'ai réfléchi ce matin à ce qui arrive à ces grands savants qui sont allés jusqu'au fond de ce qu'on peut savoir. Je me suis représenté un homme qui se fait descendre dans un puits ou dans une mine. A l'entrée, il voit autour de lui sans peine; à mesure qu'il descend tout s'obscurcit ; au fond, tout n'est que ténèbres. Seulement, s'il veut, il peut encore voir le ciel.

Le séjour de Louëche touchait à sa fin. Peu de jours après, Vinet, rentré à Bâle, avait retrouvé ses enfants, sa mère et sa soeur. Mais il n'avait pas retrouvé Sophie, dont l'absence va se prolonger encore pendant plusieurs semaines. Son mari ne se contente pas de compter ces semaines, il compte les jours ; et, pour tromper l'ennui de son veuvage, ce sont encore de longues lettres. Un soir, après avoir fait la chronique de leur petit monde bâlois, il ajoute :

Si je me laissais aller à parler d'autrui, la matière ne manquerait pas, et mes lettres seraient longues du double, car je m'aperçois que si je parle peu du prochain, je l'observe involontairement beaucoup. Je ne sais s'il en arrive de même à tout le monde ; mais avec qui que ce soit que je me trouve, et quelque intérêt personnel qui me préoccupe, je me surprends à guetter mon semblable, à l'épier pour ainsi dire, et quand je m'en vais, je l'ai jugé, bien ou mal, s'entend. J'attends toujours quelque révélation de son caractère et je ne manque pas de l'obtenir sans y prendre peine. Les sollicitudes, les ruses, les naïvetés de l'amour-propre ; voilà ce qu'involontairement, à mon insu même, je m'applique à saisir... Je me retire souvent avec deux jugements dans l'esprit : l'un artificiel, convenu, pour ainsi dire, qui est pour le discours ; l'autre plus profond, plus vrai, dont J'hésite à me rendre compte lorsque la personne m'est chère, mais dont je pourrais me rendre compte, si je voulais, le plus aisément du monde. Tant y a, vois ma méchanceté, que ce que j'ai le mieux vu de mes amis, ce sont leurs faiblesses. Il est vrai qu'il y a des gens que je n'observe plus, parce que je les connais si bien que je crois vivre dans leur âme ; je les sais par coeur d'avance ; je pense, je sens avec eux ; tout, d'eux, m'est cher et sacré (5).

Un peu plus tard il reprend la plume

Ces jours de vacances, il me semble que je les passerais à t'écrire. Adieu... Je me suis déjà dessiné vingt fois le tableau de ton retour. Ce n'est pas que je sois malheureux : tu sais que ma mère et ma soeur sont soigneuses de mon bonheur, et vraiment on ne saurait faire plus qu'elles ne font pour que je sois heureux. C'est une bénédiction que d'être ainsi entouré... (6)

Quand Je songe, écrit-il le lendemain, que tout dépend de deux puissances qui n'en font vraiment qu'une, Dieu et la prière, ce partage de pouvoir et d'influence auquel Dieu, admet la créature m'étonne et me confond. La dignité que cette dispensation confère à l'homme est si grande, qu'elle me trouble ; mais ce n'est que l'impression d'un moment. Je reviens à sentir avec reconnaissance bien qu'avec confusion tout ce qu'a de précieux et de doux ce grand privilège ; combien nous serions à plaindre de n'en être pas investis, et quelle douceur il y a à sentir qu'on ne peut, si du moins on prie avec sincérité, qu'on ne peut, dis-je, faire une prière vaine ; car la porte nous a été ouverte, et les titres puissants sont entre nos mains. (6)

(1) RAMBERT, p. 124. 

(2) RAMBERT, 1). 125.

(3) Ces passages et les suivants, extraits de lettres de Vinet à sa femme, détruites par celle-ci avec toutes celles que lui adressa son mari, ont été reproduits par Rambert.

(4) Discours recueilli dans les Méditations évangéliques.

(5) Cité par RAMBERT, P. 139. 

(6) Inédit. 
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