Ah! Pierre, que le souvenir de ce moment-là a dû être cruel pendant tout le reste de ta vie! Mais n'est-ce pas précisément ce moment, où tu as dû constater d'une manière si terrible et si décisive la mortelle faiblesse de la nature humaine, qui t'a préparé pour l'acte définitif d'abandon par lequel tu devais mourir pour toujours au monde et à toute force charnelle, et devenir l'apôtre chargé de proclamer quelques semaines plus tard, à tout Jérusalem, que le Galiléen crucifié avec des brigands était réellement le Roi des Juifs, le Fils de Dieu, le Sauveur du monde?
Quoi qu'il en soit, c'est cet incident, plus que toute
autre chose, qui, par contraste, a permis au monde de
mesurer toute l'étendue du miracle moral accompli le
jour de Pentecôte, et que Dieu peut encore accomplir
pour quiconque se renie soi-même aussi
complètement que Pierre renia son
Maître, et cesse à tout jamais de faire
reposer sa confiance en une force quelconque ne
procédant pas directement du Saint-Esprit.
Il n'y a rien dont l'Éternel soit jaloux comme
de sa propre gloire, et l'honneur qui est dû au
Saint-Esprit, unique puissance pour convertir le monde, il
ne veut, en aucune façon, la partager avec l'homme.
Il n'a pas donné à notre pauvre nature
déchue la moindre capacité pour se relever par
elle-même; il n'a pas donné à une seule
de nos forces, de nos facultés naturelles, le pouvoir
de sauver les âmes. Tout ce qui est né de la
chair est chair, et seul ce qui est né de l'Esprit
est esprit. C'est à ceux qui font banqueroute de
toute autre puissance que Dieu donne la puissance de la
Pentecôte.
Mais Pierre était sincère, Et il y a toujours espoir pour ceux qui sont sincères. C'est de tout son coeur qu'il s'était mis à suivre le Maître. Il avait cru en lui avec une entière simplicité, avec toute la naïveté du pêcheur du lac de Galilée. Sa tête n'avait pas été remplie de toutes les discussions théologiques dont vivait la société religieuse de Jérusalem. Lorsque Jésus demanda aux disciples: « Qui dites-vous que je suis? » c'est Pierre qui répondit: « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » ; et c'est à lui que Jésus annonça immédiatement après, que, sur cette vérité divine, à lui révélée par le Père, il bâtirait son Église, et que « les portes » du « séjour des morts » ne prévaudraient pas contre elle. En effet, comme Fils de Dieu, il devait ressusciter, triomphant des portes du séjour des morts, venir vivre en ses disciples, répandre sur eux la puissance de Pentecôte qui les rendrait, eux aussi, plus que vainqueurs.
Oui, c'était sur la nature divine en
l'homme, et non sur sa pauvre nature humaine, que devait
être bâtie, comme sur le roc, l'Église de
Dieu sur la terre.
Et dans cette dernière soirée, ou
plutôt dans cette matinée où il devait
monter à Golgotha, Pierre devait constater encore une
dernière fois que l'homme laissé à
lui-même n'est que sable.
Dans ce coq, qui chantait auprès de Lui, Pierre
pouvait saisir, par contraste, toute l'indignité de
notre nature déchue: il voyait qu'un simple oiseau
était infiniment plus fidèle que lui.
L'aube du jour le plus solennel qui se soit jamais
levé sur la terre, commençait à
poindre, ce jour vers lequel les patriarches et les
prophètes avaient porté avec espoir leurs
regards à travers quarante siècles; ce jour
vers lequel les rachetés regarderont, en
arrière, du sein de l'Éternité. Et dans
la souffrance, la solitude, l'ignominie de cette nuit et de
cette matinée, chez le grand prêtre, - le
représentant officiel de la religion, à
Jérusalem, - le Seigneur, abandonné par les
onze, devait encore entendre Pierre, resté le
dernier, le renier trois fois. Et alors ce pauvre oiseau,
dont l'espèce était restée dans son
état normal, fidèle à sa mission
instinctive depuis la création du monde,
annonça par trois fois que le jour allait se lever.
Oui, le jour allait se lever, pour les plus faibles parmi les plus faibles de cette race humaine, descendus plus bas, infiniment plus bas que toute la création animale, dont ils faisaient leurs serviteurs.
Telle est notre nature sans le Saint-Esprit. L'expérience de Pierre doit être tenue pour décisive. Qui, dorénavant, osera penser que cette nature humaine déchue va porter un renfort quelconque au Saint-Esprit ? Osera-t-on s'appuyer d'une façon quelconque sur le bras de la chair ? Plaira-t-on encore à la chair, même en religion, ou bien la laissera-t-on dans le tombeau que Jésus-Christ allait préparer à Pierre et à tous ceux qui, en tout temps, devaient le servir en nouveauté de vie, par la seule force de cette vie nouvelle ?
Et qu'y a-t-il de comparable à la
fidélité du pur amour divin ? Au moment
où l'amour humain (et certes, Pierre, qui l'avait
connu pendant des années, aimait Jésus!)
montrait les abîmes de lâcheté dont il
est capable, même dans son expression la plus haute,
en ce moment même la force sublime, la
fidélité inaltérable, le
dévouement au devoir, qui sont le propre de l'amour
divin, se montraient en Jésus-Christ dans toute leur
majesté et leur tendresse indicible. Il se retourna
et regarda Pierre.
C'était un regard de pitié et d'amour
inexprimables. Jésus ne prononça pas un mot:
ç'aurait été trahir son pauvre disciple
et l'exposer à partager une mort pour laquelle il
n'était pas encore prêt; et malgré son
affreuse solitude Jésus ne songea pas à
l'appeler à lui pour sa propre consolation. Ce
même Sauveur qui avait étendu la main vers
Pierre quand il enfonçait dans les eaux, ne voulait
pas que Pierre lui tendit alors la main. Et lui, son
Sauveur, son ami fidèle, ne
pouvant lui
parler, lui tendit encore la main, pour ainsi dire, par un
seul regard. Et un regard de notre part peut sauver, s'il
vient de Dieu en nous.
Oh! la miséricorde insondable de Dieu! où y
a-t-il place pour le désespoir ? Y a-t-il lieu
même de se décourager au sujet de la faiblesse
humaine? S'agirait-il de notre force ou de notre faiblesse
dans la question de la conquête du monde? Le
découragement ne vient-il pas
précisément de ce qu'on regarde à soi
d'une manière quelconque ?
Regarder à nous-mêmes si peu que ce
soit, n'est-ce pas là l'erreur suprême ?
Oui, la question est réglée à
tout jamais!
Et maintenant, fixons les yeux pour un instant sur
le
nouveau Pierre.
0 merveille de puissance divine! - ce même homme
devient le représentant de Jésus-Christ, le
représentant du Ciel, le représentant de tout
l'univers du bien, lorsqu'à l'aube de la
Pentecôte il descend de la Chambre haute, à la
tête des cent vingt, pour entreprendre la
conquête du monde.
Et cette même puissance est pour nous, - pour
chacun de nous.
Une leçon impérissable se dégage de
l'histoire de Pierre: pour l'âme sincère, il
n'y a jamais lieu de désespérer. S'il y a eu
dans l'histoire du monde deux hommes qui semblaient avoir le
plus de droit à un désespoir éternel,
c'étaient Adam et Pierre. Représentez-vous
l'immensité des conséquences de la chute
d'Adam et d'Ève, - le nombre incalculable
d'êtres humains qui ont existé dans les
cinquante siècles de l'histoire du monde, - et qui
tous ont subi les conséquences fatales de cette chute
première. Et si nos premiers parents, pas plus que
Pierre, ne se sont pas abandonnés à un
désespoir éternel, si la grâce de Dieu
est immédiatement intervenue, leur ouvrant la voie du
salut, leur annonçant le Christ, où peut-il se
trouver,' sur la face de la. terre, une âme qui ait le
droit de désespérer, si elle veut
sincèrement le salut.
« La miséricorde de Dieu dure à
jamais. »
David répète Vingt-six fois en un seul
psaume que la miséricorde de l'Éternel dure
à toujours.
Je rencontrai un jour, en chemin de fer, un homme de Dieu, un missionnaire qui revenait de l'Afrique; au cours de la conversation, je lui demandai: « Selon vous, quel est le plus grand des péchés? » - « Le désespoir, me répondit-il, car il méconnaît le plus grand des attributs de Dieu, l'amour. »
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