Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

III

La Sainteté comme je l'ai vue.

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J'ai toujours cru à la possibilité de la sainteté sur la terre, du plus loin que je puisse me rappeler. J'ai toujours eu cette naïve conviction innée que ce qui doit être, peut être; que puisque l'homme doit être saint, c'est qu'il peut l'être.

Et je bénis Dieu de ce que je l'ai vue, cette sainteté. Oui, j'ai vu des hommes et des femmes victorieux du péché, réellement sanctifiés, pour lesquels il était aussi naturel de vivre saintement : se sacrifiant, pardonnant, bénissant, aimant, qu'il l'était pour d'autres de faire le contraire.
Laissez-moi décrire rapidement quelques-unes des formes diverses sous lesquelles j'ai vu cette sainteté se manifester :
Je l'ai vue pardonner joyeusement, d'une manière absolue, illimitée, toutes les offenses, toutes les injustices et manifester beaucoup plus de pitié pour l'âme de celui qui l'avait fait injustement souffrir, que pour elle-même en subissant ces souffrances.

Je l'ai vue se manifester dans l'abnégation absolue de tout intérêt personnel, en vue de l'intérêt commun. Je l'ai vue prendre plaisir à cette abnégation, à la pensée des délices infinies de pouvoir servir d'une manière quelconque le bien universel, et de procurer le bonheur d'autrui.

Je l'ai vue se manifester sous bien des formes d'héroïsme moral, de courage à toute épreuve. Je l'ai vue dans les moments où tout semblait perdu, où la cause de Dieu, la cause de la vérité, la cause de l'Evangile, semblait sombrer dans un ouragan de persécutions, de calomnies, d'attaques de toutes sortes, et où toutes les âmes d'une foi inférieure tremblaient, ne savaient plus lutter, et voulaient presque se dérober au combat; je l'ai vue, dis-je, dans de pareilles heures, se lever presque solitaire, et dans toute la force et l'héroïsme d'une foi intérieure inébranlable, et de la conscience de sa propre intégrité, croire, combattre, et contraindre Dieu, pour ainsi dire, à se manifester et à venir à son secours. Et j'ai vu Dieu se glorifier merveilleusement, en raison directe de la profondeur des ténèbres où son enfant a su marcher avec fermeté en comptant sur lui. Et je me suis dit: N'est-ce pas précisément pour se glorifier dans une pareille foi que Dieu permet de pareils déchaînements des puissances de l'abîme? Oui, Dieu n'aime-t-il pas dire à l'univers et aux démons : « Regardez comme mes enfants savent se confier en moi. Je vous permets de les envelopper des plus profondes et horribles ténèbres, afin que vous voyiez que leur foi n'en brillera qu'avec une clarté d'autant plus radieuse. »

Je l'ai vue supporter avec patience des reproches immérités, les conséquences des fautes d'autrui, et sembler prendre un plaisir secret à recevoir, comme en son propre corps, des coups qui auraient dû tomber sur d'autres.

Je l'ai vue mettre résolument et systématiquement le divin devoir avant toute satisfaction, même la plus légitime comme les joies de la famille ou la société de ses amis; et cela autant que l'homme naturel a la tendance de mettre le plaisir en première ligne ; je l'ai vue, - dans le désir de faire du bien aux autres, - se refuser résolument toute satisfaction de ses désirs personnels.

Je l'ai vue faire preuve d'une patience sans bornes sous des accusations innombrables et imméritées, sans se soucier de se justifier; trop passionnément occupée à procurer le bonheur de ceux qui souffrent, à guérir les blessures du monde, à essuyer les larmes, pour s'arrêter à se réhabiliter aux yeux de ceux qui avaient assez de temps pour l'attaquer, et jamais assez pour aller eux-mêmes au secours des perdus.

Et je l'ai vue, lorsqu'un des calomniateurs, en réponse à quelque brûlante prière d'intercession pour son âme, avait été amené à reconnaître l'erreur de ses voies, l'indigne et cruel caractère de sa conduite, et qu'il était venu confesser et demander pardon, je l'ai vue, dis-je, en de pareils moments où les reproches eussent été faciles, et humainement parlant naturels, je l'ai vue, morte à tout sentiment personnel, mêler ses larmes de pitié et de pardon aux larmes de repentir de celui qui l'avait fait tant souffrir. Puis, je l'ai vue bénir Dieu avec une joie tellement pure, qu'encore elle s'oubliait et se perdait en adoration, non pas à cause de cette justification personnelle, mais à cause du retour d'une âme à la vérité et au bonheur. Et lorsque cette âme restaurée, toute pénétrée de paix, se retirait, je l'ai vue se soucier davantage de lui donner des conseils propres à la soutenir dans la voie du bien que de lui demander de la réhabiliter auprès de ceux chez lesquels sa réputation avait été lésée.

Je l'ai vue s'oublier pour prendre le parti d'un frère méconnu et mal jugé, quand presque tous étaient contre lui, et que le fait même d'épouser sa cause entraînait l'opprobre et amenait sur elle une partie de l'ombre qui pesait sur lui. Je l'ai vue, dis-je, prendre sa défense, oublieuse des conséquences, clans le sentiment que quelque gauche qu'eût été sa manière de faire, il avait voulu le bien et s'était sacrifié pour accomplir ce qu'il estimait être le devoir.

Je l'ai vue, lorsque les moyens de subsistance étaient incertains, toujours penser aux autres, leur assurer leur part d'abord, et toujours la meilleure part.

Je l'ai vue, constamment soucieuse des petits et des humbles, ne recherchant pas les grands, ou ceux auprès desquels le bien eût pu rencontrer quelque récompense.

Je l'ai vue se dépenser sans s'épargner, pour les déshérités, avec un amour sans bornes, et à travers de longues heures, supportant tous les inconvénients, toutes les incommodités, pour la joie de sauver et de soulager. Je l'ai vue se faire résolument un devoir d'endurer dans le travail pour autrui les souffrances de tous les sens physiques, le contact de tout ce qui est désagréable, repoussant et pénible pour l'homme naturel.

Je l'ai vue, après des veilles, dépensées dans les luttes et dans les larmes, pour refouler les puissances des ténèbres, ou conquérir le courage nécessaire pour faire face à des difficultés innombrables, je l'ai vue essuyer ses larmes, chercher à effacer toutes les traces visibles de ses propres souffrances, et aller encourager les autres, et leur rendre le ressort de l'âme par la divine contagion de sa foi indomptable.

Et je l'ai vue encore, cacher au prix d'efforts inouïs, de grandes souffrances physiques, pour pouvoir continuer heure après heure, jour après jour, à bénir et à relever.

Je l'ai vue se manifester sous la forme de cet amour qui croit tout, qui espère tout; et, année après année, supporte, prie, lutte, croit, en faveur d'une seule âme, sans jamais, jamais, jamais se lasser. Ah! chaque minute, chaque heure, chaque jour d'une pareille persévérance est un acte de foi et d'amour fidèlement enregistré dans le monde spirituel, et qui tôt ou tard, aura sa récompense et verra ses fruits.

Je l'ai vue, sous la forme d'un amour instinctif de l'abaissement, chercher à rendre aux autres les services les plus humbles, et éprouver en même temps une répugnance aussi instinctive à s'en laisser remercier, tout comme une mère qui se croirait presque offensée si on la remerciait d'avoir soigné son propre enfant.

Je l'ai vue, cette sainteté, luire dans une insensibilité à soi qui n'avait d'égale que l'extrême délicatesse de sa sensibilité pour les intérêts de son Dieu et des perdus. Oui, je l'ai vue, dans cet amour qu'on ne peut pas offenser, qui ne sait pas ce que c'est que d'être offensé, tant il est préoccupé du malheur qu'il y a à être capable d'offenser. En un mot, je l'ai vue dans cet amour divin qui n'a d'existence que pour le bien, et aucune pour soi en dehors du bien.

Je l'ai vue prendre la forme de cette fine et rapide perception qu'on trouve partout dans la nature là où l'amour existe dans sa pureté primitive, dans l'amour maternel par exemple, dont rien ne saurait égaler l'intuition.

Je l'ai vue, cette intuition, manifestée dans la sainteté, et prendre la forme de la prévoyance pour l'âme d'autrui, de la prévision des dangers encore lointains que l'âme tant soit peu préoccupée d'elle-même, n'aurait jamais su prévoir, prévenir, et n'aurait, reconnus que lorsque ç'aurait été trop tard. Je l'ai vue encore, sous l'action de cette même intuition, inspirée d'un esprit ingénieux et inventif pour découvrir les moyens les plus directs et les plus pratiques d'aller au secours des perdus, de capter leur attention, afin de les mettre en présence de la vérité divine qui sauve.

Et dans cette sainte rapidité, dans cette précision de l'amour, je l'ai vue aussi indifférente à l'opinion d'un monde égoïste, qu'il fût religieux ou non, que ce même monde est suprêmement soucieux de maintenir la correction extérieure de la forme morte et stérile, précisément par crainte de l'opinion des hommes.

Je l'ai vue, cette sainteté, prendre la forme d'une humilité qui se faisait une joie de se confondre avec les plus infirmes, les plus faibles, les plus petits, les plus gauches des enfants de Dieu, paraissant par cette association, avoir toutes leurs infirmités et partager toute leur indignité apparente. Et cela avec cette joie secrète du coeur pur de tout intérêt personnel, dont c'est le bonheur de descendre et non pas de monter, de préférer l'étable au château.

Je l'ai vue, cette sainteté, lorsqu'elle a été mal servie par la gaucherie d'amis plus zélés qu'intelligents, plus enthousiastes que perspicaces, et lorsqu'elle a reconnu qu'ils lui avaient fait plus de mal que de bien, ne pas songer à leur en faire un reproche, et ne chercher qu'à soulager la douleur de leur propre regret.

Je l'ai vue lutter pour avoir le poste du danger, le poste le plus solitaire, le désert le plus aride, le milieu où l'on ne pouvait espérer arriver à recevoir aucune récompense humaine, aucun encouragement en dehors de ce qui suffit en l'absence de tout: le sourire de Dieu. Je l'ai vue, dis-je, lutter pour la mort avec autant d'ardeur que d'autres luttent pour la vie; se placer entre le frère plus faible et le danger, et chercher à recevoir des coups destinés à d'autres.

Je l'ai vue prendre la forme d'un amour de la vérité si puissant qu'il savait réprouver et corriger, quand même cela lui coûtait infiniment plus que toute autre chose. Et je l'ai vue avoir la récompense due à cet amour qui ose blesser pour guérir, et qui sait le faire de telle manière qu'on ne saurait se méprendre sur le mobile qui le fait agir.

Je l'ai vue se manifester sous la forme de l'absence totale de préoccupation personnelle au milieu de nombreuses épreuves, humiliations et bouleversements, - sous la forme de la mort à soi-même, de l'esprit « n'importe moi. » Toutes les croix tournaient ainsi à la gloire de Dieu en faisant ressortir le fait que cette âme était délivrée de toute sensibilité quant à elle-même et remplie uniquement d'amour.

En un mot, je l'ai vue se manifester sous les mille formes que prend l'amour parfait, l'amour désintéressé, qui est le tout de la sainteté.


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