Jetons en passant un coup d'oeil sur les autres paroles du Sermon sur la montagne qui, toutes, sont dans le même sens absolu.
Prenons par exemple ce
que
Jésus dit au sujet de l'inquiétude pour la vie
matérielle. Ces paroles illustrent et confirment ce
que nous venons de dire quant au sens absolu de cette
prière. Voyons l'ordre dans lequel il met Dieu et
l'homme, Dieu et les choses matérielles.
« Cherchez
PREMIÈREMENT le royaume de Dieu et sa justice, et
toutes ces choses vous seront données par-dessus: ne
vous inquiétez donc pas du lendemain car le lendemain
aura soin de lui-même. » Cela équivaut
à dire: « le souci, l'inquiétude
disparaissent immédiatement et totalement, dès
que vous donnez à Dieu et à son royaume sa
vraie place. Comment donc vous resterait-il une
inquiétude quelconque? n'avez-vous pas dès
lors l'assurance absolue que tout sera bien? »
Le souci et la crainte ne peuvent donc provenir que du péché. Et le péché lui-même sous toutes ses formes ne peut avoir (comme le salut) qu'un principe unique et absolu : celui de mettre quelque chose avant Dieu, en d'autres termes celui de ne pas mettre Dieu avant tout. On comprend dès lors comment ceux qui envisagent la religion comme nous venons de l'exposer, trouvent facile de croire à la sainteté, et pourquoi ceux qui l'envisagent autrement trouvent impossible d'y croire.
Que verrez-vous dans un monde religieux qui ne croit pas à la sainteté? Vous verrez nécessairement Dieu, son royaume, la guerre pour la reconquête du monde mise au second plan, en dernier lieu; et richesses, réputation, famille, tout, oui tout mis avant les intérêts du Seigneur Jésus. Dès lors on ne s'étonne pas de voir ces cercles se soulever avec une plus grande animosité contre les serviteurs de Dieu qui proclament la possibilité de vivre saintement, que contre leurs voisins mondains, ou contre les incrédules polis, les impies civilisés, les libertins élégants qu'ils rencontrent dans leurs visites de cérémonie ou dans leurs soirées. On dirait que pour eux la croyance à la possibilité de posséder un coeur pur et loyal à l'égard de ce Dieu-amour est chose infiniment plus dangereuse que telle coutume mondaine, comme celle de suivre toujours la mode ou de chercher à s'enrichir, ou d'acquérir la science humaine de préférence à la connaissance de Dieu.
Sans doute, beaucoup de mondains et beaucoup de gens religieux qui ne sont pas réellement livrés à Dieu rejetteraient la prière du mondain telle que je l'ai indiquée plus haut, comme n'étant pas la leur. Ils cherchent tout naturellement à effacer les lignes de démarcation. L'absolu en matière de religion, qui fait la gloire du vrai chrétien, leur inspire de la terreur. Mais quelles que soient leurs protestations, la Bible dans sa limpide simplicité affirme qu'il en est ainsi. Il ne leur est pas même permis de changer cette prière comme suit: « Que ton nom et le mien soient honorés; que ton règne et le mien viennent; que ta volonté et la mienne soient faites, » car ils ne pourraient aller plus loin et dire: « sur la terre comme au ciel. » Nous savons qu'aucune volonté égoïste n'est faite là-haut. Là-haut tout est parfait, car Dieu est à sa place; là-haut les soucis et l'inquiétude que Jésus défend sur la terre n'existent pas et cela par le simple fait que tous les êtres donnent à Dieu sa vraie place.
Celle considération nous conduit à une autre. Quand Dieu est à sa place en l'homme, le bonheur le remplit. C'est là la cause du bonheur dans le ciel, et c'est pourquoi le bonheur n'est pas une seule fois mentionné comme but à poursuivre dans la prière que Jésus nous dicte. Notons bien ce fait; il ne s'agit pas une seule fois du bonheur, et pourtant c'est cela que vise presque toujours la prière de l'homme naturel. Il le poursuit et il lui échappe sans cesse.
Il est défendu à l'homme de rechercher le bonheur directement (1); l'homme doit poursuivre le bien; alors le bonheur le poursuivra. Comme l'a dit David: « 1° L'Éternel est mon berger. 2° Le bonheur et la grâce m'accompagneront. » Le premier est la condition du second. L'homme naturel veut aller avant Dieu et non pas après; Dieu veut, lui, la place du Berger et non celle de la brebis.
Le bonheur est tout
simplement l'effet
d'une cause
que
Jésus-Christ nous indique: donner à Dieu sa
place véritable. Jésus ne perd pas de temps
à parler de l'effet,
- il le
néglige complètement dans la prière
qu'il nous inspire; il le traite par conséquent comme
chose infiniment secondaire; il nous fait prier pour la
venue complète du règne de Dieu en nous et en
autrui, sachant qu'avec ce règne viendra le bonheur,
car le tout comprend la partie.
Quand vous entendez
le mondain ou
le demi-chrétien parler du ciel, quel est le
côté de cette vie future qui les
intéresse par-dessus tout autre ? c'est la
félicité, c'est le bonheur. Vous ne les voyez
pas s'enthousiasmer du fait que là-haut le bien
règne suprême, que là
l'égoïsme est à jamais banni, que
l'orgueil, la vanité, l'envie, la jalousie, l'amour
de la richesse n'y entrent pas.
Si ces personnes étaient véritablement célestes de nature, si elles étaient véritablement prêtes pour le ciel, vous en verriez déjà ici-bas les indices infaillibles: elles seraient passionnément intéressées à la venue du règne de Dieu sur la terre; ce serait leur joie et leur gloire d'y sacrifier tout le terrestre et tout le matériel, de se vouer elles-mêmes et les leurs à une vie de renoncement, de luttes, d'abnégation, de croix, d'ignominie et même à une mort de martyr pour que son glorieux nom fût sanctifié, pour que son règne vint, pour que sa volonté se fit. Elles auraient le bonheur comme conséquence inévitable. Mais vous ne les verriez pas se préoccuper de cette félicité ou la rechercher comme but, car elles ne rechercheraient pas quelque chose pour elles-mêmes, mais pour Lui. Le vrai amour, le vrai dévouement ne se préoccupe pas de soi, mais de l'objet aimé, de ses intérêts et de son règne.
Que dit Jésus-Christ: «
Heureux ceux qui ont faim et soif du bonheur, car ils seront
rassasiés? » non
:
« Heureux ceux qui
ont faim
et soif de la justice, » de la venue du règne de
la justice en eux et dans le monde. Ceux-là seuls
seront heureux.
Jésus-Christ dit-il:
«Cherchez premièrement le bonheur?» non, il
dit: « premièrement le royaume de Dieu, »
les intérêts de Dieu.
C'est cela qui constitue la seule religion véritablement saine et véritablement biblique. On oublie souvent que les bienfaits résultant pour l'homme d'une soumission absolue à Dieu, sont une chose secondaire et qu'on ne doit pas les prendre pour but. Ce qui importe avant tout, c'est l'honneur de Dieu et la satisfaction donnée à ses droits à Lui. Lorsqu'un homme a dérobé quelque chose et qu'on l'exhorte à le restituer, on n'insiste pas d'abord sur le bonheur et le repos de conscience qu'il éprouvera, mais sur son devoir à l'égard de celui qu'il a volé, mais sur ses obligations vis-à-vis de la justice.
Ce ne serait qu'une nouvelle forme d'égoïsme que de chercher la sainteté simplement en vue du bonheur et de la paix qu'elle apporte dans le coeur et dans la vie. Dès que l'homme laisse son coeur s'attacher même au bonheur spirituel, dès qu'il cherche à en jouir pour sa satisfaction personnelle, ce bonheur se corrompt, bien qu'il soit en lui-même la plus pure de toutes les joies. Nos préférences ou nos répugnances pour un devoir quelconque ne doivent pas découler du degré de joie ou de souffrance que l'accomplissement de ce devoir peut nous apporter. Agir ainsi, c'est sortir de la volonté de Dieu et renoncer à l'Esprit de Celui qui n'a jamais cherché sa propre satisfaction. La question pour le chrétien ne doit pas se poser ainsi : l'obéissance à Dieu me procurera-t-elle le bonheur? Mais: « est-ce là mon devoir ? Cela servira-t-il à la gloire de Dieu. »
Remarquons bien que même en ce qui concerne la sainteté, elle est placée après la recherche du royaume de Dieu: « Recherchez le royaume de Dieu et sa justice », c'est-à-dire que votre première pensée soit de vous consacrer absolument aux intérêts du royaume de Dieu sur la terre, dussiez-vous vous-même mourir en martyr un jour ou une semaine plus tard. Mettez les intérêts de ce royaume avant tout; donnez-vous pour son service; vous recevrez alors immédiatement la justice, c'est-à-dire la sainteté « et toutes choses vous seront données par-dessus. »
Cette promesse est absolue, à tel point que Jésus-Christ traite de « païens » tous ceux qui s'inquiètent des choses matérielles. Oh! quel langage absolu; « ne vous inquiétez donc POINT (il ne dit pas peu, mais point); ne dites pas: Que mangerons-nous, que boirons-nous, de quoi serons-nous vêtus, car toutes ces choses, ce sont les païens du monde qui les recherchent » (Matthieu VI, 31). Il prescrit de la manière la plus nette, avec une clarté qui exclut le moindre doute ou la moindre défiance qu'on n'a qu'à se vouer à l'avancement du règne divin, à aller jusqu'au bout dans sa consécration à Dieu, lui donnant carte blanche pour que, - immédiatement, - il devienne impossible que quoi que ce soit aille mal pour nous.
Voilà, selon la Bible, en quoi consiste la religion chrétienne. Voilà ce que c'est que d'aimer Dieu de tout son coeur, de toute son âme et de toute sa pensée. A ceux qui font cela, la promesse est donnée: « Toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu. » Oui, TOUTES choses.
Et maintenant, en présence de cette religion absolue, comment imaginer que la vie chrétienne, comme on la voit généralement pratiquée de nos jours, puisse être agréable à Dieu ou exercer une influence salutaire sur le monde des rebelles. Quiconque oserait être biblique et dire nettement à un chrétien ordinaire de nos jours, père ou mère: « Il est de votre devoir d'élever chacun de vos enfants avec l'unique pensée de les qualifier pour devenir des saints, des martyrs, des apôtres, des hommes et des femmes de feu qui ne respireront que pour t'aire avancer le royaume de Dieu sur la terre, avec une ardeur divinement héroïque et par tous les moyens légitimes, sans égards pour le-, conséquences qui peuvent en résulter pour eux, faisant leur joie de souffrir pour le Sauveur et pour le salut des âmes, prêts à être de saints vagabonds, des proscrits, « la balayure du monde » - si vous alliez, dis-je, tenir ce langage aux chrétiens ordinaires de nos jours, ils vous traiteraient de fous et de fanatiques. Vous iriez leur dire: « L'éducation de vos enfants doit être faite uniquement dans ce but; vous devez les élever à considérer comme le plus grand honneur et la plus grande grâce qui pourrait leur arriver sur la terre, l'honneur de donner leur sang pour la patrie céleste », ils ne comprendraient plus votre langage.
Est-ce donc étonnant que tant d'enfants grandissent dans les milieux réputés chrétiens en incrédules et en mondains. On ne veut pas, - non, on ne veut pas qu'il soit dit que l'unique but de la vie du chrétien ici-bas soit d'avancer le règne de Dieu énergiquement et par le sacrifice personnel. On ferme sa porte avec saisissement à la vue de l'approche d'une pareille religion; on se cache derrière mille prétextes et derrière mille exemples de gens inconséquents pour ne pas la posséder. Et quel en est le résultat? on recule avec effroi devant la grâce suprême, l'obligation d'être tout à Dieu, qui entraîne à sa suite l'inexprimable privilège d'avoir la plénitude de Dieu en nous!
Nous voyons que c'est au fond la crainte qu'éprouve l'homme naturel à exposer sa vie et à perdre ou à souffrir quelque chose, qui le fait s'arrêter sur le chemin de la consécration absolue. La vie naturelle est sa première préoccupation : il n'a pas, en effet, la foi en Dieu au point de croire qu'il saura lui assurer le « pain quotidien. » On ne demande le pain qu'à un père ou à un maître au service duquel on se trouve. Si chacun doit - selon la prière de Jésus - demander le pain à Dieu, cela signifie que chacun doit être au service de Dieu. Craindre pour son pain, au moment où la fidélité aux intérêts du royaume de Dieu semble opposée aux intérêts matériels, c'est montrer qu'on n'a pas au fond la conscience d'être réellement consacré avant tout aux intérêts de ce royaume, qu'on ne se sent pas être exclusivement son serviteur. C'est trahir la poursuite d'un autre but; c'est dire que le pain n'est pas uniquement un moyen de vivre pour avancer le règne de Dieu - en un mot on n'entend nullement exposer sa vie naturelle, son corps, dans la sainte guerre pour reconquérir le monde. L'idée que l'on a de la gloire du règne de Dieu est bien trop petite pour qu'on estime qu'il faille beaucoup risquer pour en aider la venue.
C'est donc à prendre ou à laisser; il faut choisir entre être un serviteur de Dieu, un soldat de son royaume dans le sens absolu, ou bien ne jamais se servir de cette prière. Quelle ironie, en effet, pour ceux qui ne cherchent pas l'avancement du règne de Dieu avant tout, de vouloir faire entrer Dieu dans la question de leurs soucis matériels, ou de lui adresser la prière dominicale. Ils ne font pas des affaires de Dieu, les leurs, - pourquoi Dieu ferait-il de leurs affaires, les siennes ?
Cette religion absolue implique-t-elle l'obligation pour chacun de quitter son métier ou sa profession et de devenir prédicateur ? Nullement. Je connais des milliers de personnes qui possèdent cette religion et qui vaquent à leur emploi journalier. Mais elles font de l'avancement du règne de Dieu le but de leur vie. Elles y contribuent non seulement d'une manière passive en vivant une vie exemplaire, mais aussi activement par tous les moyens qui sont à leur portée, luttant et se sacrifiant de diverses manières pour gagner des âmes. Ce qui importe, c'est de servir Dieu, et de lui donner la première place, quelle que soit la forme que ce service puisse prendre. Dans ce chemin, la lumière et la force augmentent rapidement, et le nombre de ceux qui se sentent appelés à tout quitter et à se consacrer entièrement à l'oeuvre du sauvetage du monde s'accroît sans cesse. Chaque acte de consécration réelle provoquera toujours dans l'entourage une manifestation de l'esprit mondain et charnel. Tel jeune homme veut-il consacrer ainsi sa vie entière à Dieu, on le trouvera beaucoup moins « raisonnable » que s'il commençait à s'assurer un bel avenir terrestre. Telle jeune fille veut-elle vouer sa vie à, l'oeuvre de sauvetage spirituel, cette décision soulèvera infiniment plus d'objections que s'il s'agissait pour elle de faire par exemple un mariage avantageux. On constatera que dès qu'il s'agit pour un jeune chrétien de se sacrifier pour le service de Christ, l'entourage opposera de suite une masse d'objections et invoquera une quantité de « devoirs » dont on n'aurait jamais entendu parler s'il s'était agi pour lui d'entrer dans un chemin où il pourrait mieux « s'amasser des trésors sur la terre. » Le fait est que le royaume de Dieu est relégué au second plan dans le monde chrétien, à un degré dont peu de personnes se font une juste idée. Mais cela vient au jour chaque fois que quelqu'un commence à prendre au sérieux les ordres de Dieu et la prière que notre Seigneur nous a donnée.
Nous voici au point
vital : c'est le
corps, c'est la vie naturelle, c'est la vie
matérielle qui est la pierre de touche.
La vie spirituelle
est-elle oui ou
non envisagée comme étant plus importante que
la vie matérielle? voilà la
question.
Est-il même possible
de
prier Dieu en vérité ou de l'adorer d'un coeur
sincère tant que cette question n'est pas
résolue. N'est-ce pas bien le corps
dont Paul
fait le pivot de la consécration? Voici selon lui le
seul culte « raisonnable » : « Je vous
exhorte, frères, par les compassions de Dieu,
à offrir vos corps,
comme un
sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu, ce
qui sera de votre part un culte raisonnable.
»
Oui, tout autre
culte est
déraisonnable; ce n'est qu'un culte des
lèvres. Que nos corps
soient
donnés au royaume de Dieu comme les soldats de ce
monde donnent leur corps à la patrie; que notre corps
soit livré aux saintes exigences de
l'amour divin pour qu'il le transporte où il voudra
et lui fasse vivre la vie. d'un apôtre ou d'un martyr;
- voilà la vraie manière de demander que son
règne vienne. C'est relativement facile d'offrir
à Dieu son âme ou son esprit, mais d'exposer
son corps aux solitudes, aux séparations, aux
privations matérielles, aux fatigues, aux
persécutions, offrir notre corps et ceux de nos
bien-aimés comme Dieu et Abraham ont offert celui de
leurs fils : cela, et cela seul, c'est faire au Bien
Universel un culte raisonnable.
« Allons là-haut pour adorer », disait
Abraham, en se préparant à monter sur le
Morija pour se sacrifier en la personne de son fils. Oh!
quelle religion absolue que celle du patriarche et quelle
religion absolue Dieu s'est imposée à
Lui-même lorsqu'Il voulut sauver le monde. Il n'a pas
voulu être moins absolu en se donnant à nous
qu'en demandant le don de nous-mêmes à
lui.
Qui peut donc offrir cette prière? Paul donne la réponse dans la phrase qui suit. Il indique qu'il faut subir une complète transformation dans notre manière naturelle d'envisager toute cette question. Il dénonce implicitement la manière de voir du siècle présent : « Ne vous conformez pas (le mot est absolu) au siècle présent, mais soyez transformés (le mot est encore absolu) par le renouvellement de l'intelligence (soit : de toute votre manière de voir) afin (c'est la conséquence) d'éprouver (non pas de supposer ou d'espérer) que la volonté de Dieu est bonne, agréable et parfaite. »
L'apôtre Paul ne met-il
pas
« le siècle présent » et « la
volonté de Dieu » en opposition et entre ces
deux termes opposés, un mot absolu : «
TRANSFORMÉS? » N'y a-t-il pas des milliers de
chrétiens qui marchent la main dans la main avec le
siècle présent? N'y a-t-il pas des centaines
d'entre eux qui s'épuisent dans une lutte incessante
pour accorder la philosophie païenne et
matérialiste de nos jours et la religion de
Jésus-Christ, au lieu de faire plier ou ployer le
monde devant son véritable Roi? Ah! certes, il doit
se faire chez eux un renouvellement
de
l'intelligence, une transformation totale dans la
manière de comprendre les choses.
Alors on verra
disparaître
« le siècle présent » et sa
mondanité de la maison, des habitudes des
chrétiens et de leur manière d'élever
leurs enfants. On ne verra que des maisons où les
serviteurs ou servantes pourront sentir qu'ils ont une part
directe ou indirecte à l'avancement du règne
de Dieu, par le fait que leurs maîtres vivent en vrais
« chrétiens », mettant l'avancement de ce
règne avant toute autre chose.
« Mais, me
dira-t-on, que
deviendraient les affaires du monde si chacun faisait de
l'extension du royaume de Dieu sa première
préoccupation? » Ma réponse est toute
trouvée. Jésus-Christ traite de pareilles
questions de « païennes. » En effet, elles
mettent le royaume de Dieu en seconde ligne et en cela, et
non dans l'état de barbarie, consiste le
paganisme.
Les affaires sont faites dans un esprit païen, dans la mesure où leur but direct n'est pas l'avancement du règne de Dieu. Il n'y a qu'une seule chose qui justifie une entreprise quelconque dans ce monde, ou qui puisse lui assurer la bénédiction de Dieu, c'est de prendre le commandement de Jésus-Christ au sérieux : « Cherchez premièrement le royaume de Dieu » et de mettre en pratique la parole de Paul, de ne se conformer en rien aux idées du siècle présent sur ces questions (1).
Vous semble-t-il que je dis des paroles sévères ou que je «juge » ?Que puis-je répondre sinon que le désir de la gloire de Dieu et de la venue du règne de Jésus-Christ me dévore sans cesse. C'est l'amour qui me presse d'écrire ainsi. Je ne puis faire autrement. Je voudrais que mon lecteur pût lire dans mon coeur; il y verrait une véritable angoisse à la pensée de l'immense perte que subit le règne de mon Dieu chaque jour par le fait que si peu, SI PEU de ses serviteurs veulent être tout à lui. Si peu connaissent les joies inexprimables de la glorieuse liberté que donne une religion absolue; si peu connaissent « les puissances du monde à venir », cette force divine qui fait continuellement des conquêtes sur le royaume des ténèbres.
Que suis-je, moi, pour
juger qui que
ce soit! Je ne puis que plaider et supplier. Et s'il m'est
impossible de parler un autre langage qu'un langage absolu
et énergique, c'est que (comme je le dis ailleurs
dans ce livre) j'ai connu d'un côté les
angoisses qu'on éprouve en résistant à
la voix du Saint-Esprit qui nous appelle à renoncer
à tout pour être tout à Jésus et
de l'autre, j'ai connu, par la grâce
imméritée de Dieu, quelque chose de ce monde
de grâce et de gloire, de paix insondable, de
lumière et de vie, d'éternelle et pure
harmonie qui envahit l'âme dès que la
dernière résistance au Saint-Esprit a
cessé.
Oui, je voudrais,
cher lecteur,
que vous puissiez lire les pensées les plus
secrètes de mon coeur; je voudrais que vous puissiez
sentir le poids de douleurs qu'il porte tous les jours,
à la vue de tant d'énergies dans le monde
chrétien qui sont pour ainsi dire en état de
paralysie ou demi-paralysie causée par l'idée
que cette religion absolue était propre aux temps
apostoliques ou que cette adoration parfaite ne peut
être réalisée que dans le ciel. Oh! que
d'existences qui ne donnent pour le royaume de Dieu qu'une
millième ou une millionième partie du «
rendement » qu'elles POURRAIENT donner. Oh! que
d'occasions perdues! elles viennent, passent, s'en vont
rapides comme le vent et on les manque faute d'être
dans cet héroïque état d'âme qui
saurait les saisir au vol et les utiliser chacune au plus
haut point pour accomplir quelque chose de viril et de
durable pour le règne de notre adorable Seigneur et
Sauveur. Oh! la passion de la gloire de Dieu! Oh! la passion
du salut des âmes! Oh! l'amour de l'Amour!
Lecteur, cher
lecteur, ce n'est
pas vivre tant qu'on n'a pas cette vie-là. En dehors
de Dieu, la vie n'est en réalité, comme on
l'entend dire si souvent, qu'un vain songe; mais quand on
possède au-dedans de soi la force, l'amour, la paix,
la joie de Dieu lui-même, alors c'est
réellement vivre; alors l'existence est belle, alors
chaque moment, chaque instant se présente à
nous, revêtu d'un caractère infiniment
précieux. Une délicieuse préoccupation
règne perpétuellement au fond de l'âme,
celle d'agir en toute occasion de manière à ce
que notre existence donne le plus grand rendement possible
pour Celui qui nous a aimés. Alors, en
vérité, on « n'aime pas la vie
jusqu'à craindre la mort. » Le corps
aussi bien
que l'âme et l'esprit, est tout à Dieu. Oh!
levons-nous et cessons d'être la risée du monde
et de l'enfer! Leurs
serviteurs
sont absolus dans leur domaine; soyons-le dans le
nôtre. C'est ainsi que nous montrerons à tous
que nous avons un Dieu en nous, et que nous les obligerons
à reconnaître cette vérité
triomphante, - comme Darius dut le faire en présence
de la religion absolue et héroïque de Daniel : -
« Il est le Dieu vivant et il subsiste
éternellement; son royaume ne sera jamais
détruit et sa domination durera jusqu'à la
fin; c'est lui qui délivre et qui sauve.
»
Encore une fois je
demande : Qui
est-ce qui doit ou peut offrir cette prière: «
Notre Père qui es aux cieux ? » Est-ce une
prière pour tout le monde ? Oui, c'est une
prière que chacun devrait
pouvoir
adresser à l'Éternel, mais c'est une
prière que seule une âme convertie peut
offrir, et voici pourquoi: C'est le fils seul
qui peut dire « Père », et celui-là
seul est fils qui a passé par la nouvelle naissance.
Il serait absurde pour quelqu'un qui n'a pas la nature
divine d'offrir cette prière. Elle ne pourrait lui
être instinctive et naturelle, et la prière qui
n'est pas instinctive et naturelle ne vaut rien. Un homme
rassasié ne demande pas à manger. Un homme
satisfait du monde et de lui-même ne réclame
pas Dieu ni la venue de son règne. La prière
naturelle à l'inconverti est celle que j'ai
indiquée: « que mon nom soit honoré, que
mon règne vienne: le règne de mes
désirs, de mon caprice, de ma bourse; le règne
de mon salon au-dessus des salons de mes voisins, de mon
équipage, de ma science humaine sur celle de mon
concurrent, le règne de ma famille », - et, si
nous descendons dans l'échelle sociale, nous
retrouvons les mêmes désirs, exprimés
sous d'autres formes; partout, et toujours c'est : « le
règne de mon égoïsme », c'est:
« que ma
volonté soit faite ».
Comment serait-il
naturel pour un
coeur égoïste de demander la venue d'un
règne dont le caractère spécial est
d'être opposé à tout égoïsme
? Comment celui qui désire toujours son bien
particulier par-dessus tout, pourrait-il demander avec une
entière dépréoccupation de
lui-même la venue du règne du Bien Universel?
Non, il faut une nouvelle nature produite par une nouvelle
naissance pour que cette prière nous devienne
naturelle. C'est la prière du disciple et non pas du
mondain; c'est la prière du fils et non pas de
l'étranger. Ceux-là seuls qui peuvent offrir
cette prière sont en état d'accomplir tous les
jours le miracle moral d'aimer leurs ennemis. La vieille
nature hait ses ennemis par instinct, la nouvelle nature les
aime par instinct. Entre ces deux natures il y a un
abîme que seul, le miracle d'une religion absolue et
surnaturelle peut nous faire franchir. Mais avec cette
nouvelle nature, et pour qui s'abandonne absolument au
Christ (se sanctifiant par cet abandon entier), nous
affirmons par expérience qu'il est aussi facile et
naturel de bénir ses ennemis qu'il l'est pour le
mondain de les maudire.
Pour comprendre le véritable caractère de cette prière, plaçons-nous un instant au point de vue de Dieu et de Jésus-Christ, son fils, le Roi légitime de cette terre, et jetons en bas, par la pensée, un regard sur ce monde, cherchons à sentir ce que Dieu doit sentir en présence de la ruine universelle. Un monde entier, des centaines de millions se perdent; ils sont dans un état de révolte continuelle, ayant renié le gouvernement de leur roi légitime et l'ayant banni, « jeté hors de ses terres », comme dit la parabole. Figurons-nous quels seraient les sentiments d'un roi terrestre qui se trouverait dans une pareille position, quel serait le degré d'intensité de ses sentiments, s'il savait que du rétablissement de son gouvernement dépendraient le bonheur et le bien de tous ses sujets tenus sous un horrible esclavage par un cruel usurpateur. Qu'attendrait un tel roi et que doit attendre Jésus-Christ des sujets qui lui sont fidèles et de ses amis intimes? N'est-il pas évident que leur unique préoccupation, pour peu qu'ils fussent ses sujets ou ses amis, serait le rétablissement de sa royauté.
Comment pourraient-ils tolérer une autre préoccupation, sauf comme moyen pour atteindre ce but. Aussi pour adresser avec sincérité à Dieu la prière inspirée à ses disciples par notre Seigneur, il faudrait être dans la disposition d'un serviteur, d'un sujet loyal, qui, se rendant auprès de son roi, lui dirait: « Nous voici, moi et les miens, avec tout ce que nous possédons, avec notre vie et nos forces. Notre unique désir c'est que vous vous serviez de nous pour que votre règne vienne et que votre volonté soit faite. »
Mais, chose incroyable,
qui doit
causer l'étonnement des anges sans cesse
renouvelé, ce n'est nullement de cette façon
qu'on envisage les choses quand il s'agit de Dieu. Et
cependant ce serait là prendre les paroles de notre
Seigneur au sérieux.
Mais on a
l'habitude, de nos
jours, d'appeler toute action de ce genre extrême,
extravagante; nous voyons autour de nous des milliers de
chrétiens qui peuvent contempler l'état
effroyable du monde sans émotion, comme s'ils en
avaient pris leur parti et que les choses dussent toujours
rester ainsi.
Nous voyons donc que
dans cette
prière comme dans le reste du sermon sur la montagne,
tout est absolu.
C'est une révolution
complète contre les idées « païennes
», les idées que l'apôtre Paul attribue au
« siècle présent » - les
idées en un mot de l'homme charnel.
C'est la prière de
ceux qui
sont des pèlerins et des étrangers sur la
terre, c'est la prière de cette race de divine
naissance dont parle le onzième chapitre de
l'épître aux Hébreux, eux « dont le
monde n'était pas digne » et que le monde a
toujours rejetés comme « indignes de vivre
» - de ces gens « extrêmes », «
excentriques », « exaltés », de ces
gens d'une idée - en un mot de ces gens absolus que
le monde n'a jamais pu même comprendre - par le fait
que le royaume invisible
d'un
Dieu invisible
était leur TOUT.
Oui, cette prière est
pour
ceux-là, et pour ceux-là seuls.
Tout le sermon sur
la montagne est
comme le programme d'une nouvelle création
inaugurée par le mot « au commencement DIEU
» -un nouveau royaume qui, tout en étant sur la
terre, n'est pas « de la terre ». On ne voit dans
tout ce discours qu'une seule pensée: - le royaume de
Dieu. Il nous semble entendre un Roi parlant à ses soldats
et non pas simplement à ses sujets
lorsque Jésus dit: « Si Dieu
revêt ainsi l'herbe des champs... ne vous
vêtira-t-il pas à plus forte raison. Ne vous inquiétez
donc point. » C'est l'affaire du Roi, en effet, de
vêtir et nourrir ses soldats. Leur seule affaire,
c'est de combattre pour rétablir son
règne.
Aussi en terminant
cette
série de chapitres sur « une religion absolue
», j'affirme solennellement que ce n'est qu'à la
lumière d'une pareille religion que le sermon sur la
montagne - que la Bible tout entière - est
compréhensible. C'est tout ou rien. Ou bien l'unique
but pour lequel nous devons vivre ici-bas, but
qui doit être visé dans tous les détails
de notre vie, est la venue du règne de Dieu sur la
terre, - ce qui suppose une vie de sacrifice et de foi - ou
bien jetons la Bible loin de nous car elle nous trompe,
tournons le dos à un Sauveur qui ne sauve pas et
retournons au monde!
Personne ne peut lire avec impartialité le sermon sur la montagne sans y voir le commandement de vivre d'une vie de sacrifice et de sainteté.
Être un de ceux qui sont pauvres dans leur esprit, - avoir faim et soif de la justice, - posséder un coeur pur, - se réjouir quand on est persécuté et qu'on entend dire contre soi faussement toute sorte de mal, - pardonner tous les torts et toutes les injustices, - être aussi exposé au regard du monde qu'une ville située sur une montagne ou une lampe sur un chandelier, - avoir une justice qui surpasse celle des scribes et des pharisiens, - ne jamais pécher, même par un regard des yeux, - ne pas résister aux méchants, - aimer ses ennemis, - ne chercher sa récompense pour les bonnes actions qu'en Dieu seul, - prier avant toute autre chose pour le règne de Dieu, et donner la seconde place à la question du pain quotidien, - ne point s'amasser de trésors sur la terre, - avoir un oeil spirituel en bon état qui éclaire tout le corps, - haïr le dieu Mamon (dieu des richesses) et aimer le Dieu Amour, - ne point s'inquiéter pour sa vie de ce qu'on mangera, ni pour le corps, de quoi il sera vêtu, - entrer par la porte étroite, - être comme un bon arbre qui ne peut porter de mauvais fruits, - ne pas seulement dire : a Seigneur! Seigneur! » mais faire la volonté de Dieu, - bâtir sa maison sur le roc, - en un mot, chercher premièrement le royaume de Dieu et sa justice - n'est-ce pas là une religion entièrement surnaturelle, une religion absolue et n'est-ce pas là la sainteté?
Une prière semblable, de
pareils mouvements du coeur et actes de la volonté,
une pareille indifférence aux choses
matérielles, comme corollaire d'un dévouement
illimité aux choses spirituelles - tout cela, ne
doit-il pas être spontané, instinctif, naturel,
et peut-il par conséquent être autre chose que
le miracle perpétuel d'une nature
surnaturelle?
Une pareille nature,
- tellement
l'opposé de celle du mondain, - peut-elle avoir
d'autre base qu'un abandon absolu
de
nous-mêmes?
C'est avec cette
nature-là -
« Christ en nous » que nous sommes appelés
à faire la volonté de Dieu sur la terre «
comme au ciel. » La possession de cette nature divine
n'est point un pesant fardeau, pas plus que la possession
d'une bonne santé. L'âme accomplit avec
délices la loi de son Dieu. Pour elle la
volonté de Dieu, comme dit St-Paul, est bonne,
agréable et parfaite.
Et encore ici je
demande : une
âme pour laquelle toute la volonté de Dieu est
agréable et parfaite, peut-elle être moins que
sainte? S'il existait la moindre réserve en elle, la
volonté de Dieu ne lui paraîtrait-elle pas
imparfaite et désagréable sur ce
point-là ? Quand la volonté de Dieu est
agréable pour une âme, cette âme
n'est-elle pas agréable à Dieu, - parfaitement
agréable?
Nous déclarons ici que pour l'âme sanctifiée il n'y a pas de parole plus exquise ou qui jaillisse plus spontanément du coeur, avant toute autre, que cette parole-ci : « Ton nom soit sanctifié, Ton règne vienne, Ta volonté soit faite, sur la terre comme au ciel. »
Que de fois ceux qui aiment Dieu d'un amour vrai ne se trouvent-ils pas à genoux en sa présence, contemplant l'indicible splendeur de sa gloire qui leur est révélée par le Saint-Esprit, tellement perdus en Lui, tellement satisfaits de sa sagesse et de sa perfection, qu'ils ne savent que prier encore et encore avec une intensité de désir qui rend leur prière semblable à un vent impétueux : « Que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. »
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