Le palais était achevé;
il attendait son possesseur. « Jour » après
« jour », étage sur étage, la
splendide demeure s'était élevée,
chaque degré surpassant le précédent en
magnificence.
Le ciel et la terre,
le monde
minéral, le monde végétal, le monde
animal, tous avaient surgi successivement du néant -
tous parfaits, et la nature entière n'était
que beauté, ne respirait que vie.
Et quelle
habitation! Au-dessus
d'un parterre aux paysages verdoyants et ensoleillés
s'étendait un vaste dôme bleu dont la splendeur
était encore rehaussée la nuit par
l'éclat des mondes suspendus dans l'espace. En bas le
fini, - parfait en ses mille formes, en haut l'infini, - lui
aussi, parfait. Et Dieu, en les regardant, dit: « Cela
est bon. »
Mais ce n'était encore que l'oeuvre préparatoire; quelque magnifique et parfaite qu'elle fût, ce n'était qu'une ébauche en comparaison de l'oeuvre finale. Ce n'était que l'habitation; l'habitant n'avait pas encore paru. Et toute la création se réjouissait en attendant la manifestation de cet être merveilleux, ce fils de Dieu, fait à son image et à sa ressemblance, destiné à être son ami et son associé: l'homme.
Dieu avait bâti une
maison pour
son nouvel ami. Il prit alors un instant de repos,
écoutant le cantique qui s'élevait de toute la
nature, cantique d'adoration, cantique de bienvenue à
son nouveau roi et dominateur.
Oui, la nature
entière
chantait, adorait et attendait. Les vagues et les vents, les
ruisseaux et les rivières, les plaines, les montagnes
et les vallées avec tout ce qui les peuplait; les
plantes et les fleurs qui les recouvraient, jetant à
la brise du soir mille senteurs exquises: tout était
dans l'attente. La création matérielle n'avait
pas encore atteint son point culminant. Il lui manquait
celui pour
lequel tout a
été fait et qui devait, en étant le
sommet du monde matériel, être aussi le point
de départ du monde spirituel, les réunir tous
deux en sa personne.
Et l'homme parut! Dorénavant la création était couronnée par le chef-d'oeuvre de Dieu. Tout était complet, tout était admirable. « Et Dieu vit tout ce qu'il avait fait ; et voici, cela était très bon. »
Et aujourd'hui que voyons-nous ? Un désastre sans nom est arrivé! L'habitation reste toujours merveilleuse et parfaite, mais l'habitant est tombé en ruines. Autant l'homme était plus glorieux et plus merveilleux que sa demeure, autant la maison est à présent plus belle et plus noble que l'homme.
Car si la nature a subi
le contre-coup
de la malédiction qui est tombée sur l'homme
par suite de son péché, néanmoins, dans
la beauté et la pureté qu'elle a
conservées, elle est encore un miroir si
fidèle de la gloire et de la sainteté de Dieu
que l'apôtre Paul a pu dire: « Les perfections
invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa
divinité, se voient comme à l'oeil quand on
les considère dans ses ouvrages. »
Chaque fragment de
minéral,
chaque plante, chaque fleur, tout dans le domaine de la
nature est encore pur et, demeurant abandonné
à ses lois originelles, accomplit dans
l'éternel repos sa destinée.
Mais l'homme? Quelle
ruine! Quelle
désolation! Il a perdu l'image de son Dieu, Il s'est
abruti. Il est devenu un monstre d'égoïsme. Il
n'y a pas une petite fleur des champs, pas un innocent
insecte, pas un coin de ciel bleu, pas une étoile,
qui ne le condamne et qui ne le juge. Lui seul est
désajusté, lui seul est sorti de l'harmonie
universelle, lui seul est dans un état anormal, lui
seul est une note discordante, une tache, une plaie, une
honte.
Pour celui dont les
yeux,
autrefois rendus aveugles par le péché, ont
été ouverts de nouveau par
Jésus-Christ, l'homme tel qu'il est aujourd'hui n'est
plus que l'ombre de ce qu'il était; dans cet
être si rapetissé, si déchu, au point de
vue moral, dans ce mondain qui ne pense presque plus
à sa noble origine ni à son Dieu, l'homme
sanctifié ne voit qu'une épave, qu'un triste
fantôme.
Mais tout est-il dit? Ne doit-il pas y avoir une nouvelle création? N'y a-t-il point de Rédempteur, de Sauveur?
Ne pourra-t-on plus jamais entendre de nouveau cette parole: « Voici, cela est très bon ? » Est-ce seulement de la plante ou du diamant, est-ce de la montagne, de l'océan ou de l'étoile que cela peut être dit ? Pendant les innombrables siècles de l'avenir, ne devrons-nous jamais nous attendre - nous l'humanité - à posséder de nouveau notre pureté, notre simplicité, notre innocence primitives ? Est-ce bien un deuil éternel, un regret sans fin qui nous sont réservés ? La nature doit-elle être pour nous un reproche perpétuel, reproche de tous les jours et de toutes les minutes, et cela partout où nous portons nos pas sur la surface de ce monde merveilleux ? Sommes-nous à jamais condamnés à voir autour de nous le reflet sublime de ce que nous étions, de ce que nous voudrions être, et de ce que nous aurions dû être encore, et cela sans le moindre espoir de retrouver dans la sainteté cette innocence qui appartenait à l'homme par le droit de son origine ? Le démon pourra-t-il toujours cueillir une fleur et nous la présenter avec un rire diabolique, en nous disant: « Regarde, pauvre humanité » voilà l'image de ta beauté morale primitive; respire ce parfum délicieux: l'âme de l'homme répandait autrefois un parfum infiniment plus exquis que celui-là. Mais je t'ai vaincue et tu es à moi pour toujours. Et quand même tu m'échapperais, et que tu t'enfuirais jusque dans les bras du Christ, il ne saurait te rendre une sainteté réelle, cette fleur te surpassera toujours, te condamnera toujours ? »
Est-ce bien là le sort qui nous est réservé ?
Si nous sortons par
quelque nuit
étoilée, que nous plongions le regard dans les
insondables profondeurs des cieux, que nous contemplions la
pureté indicible du regard de chaque étoile,
que nous sentions
quelque
chose de ce calme, de ce repos éternel des cieux, de
ce sabbat des étoiles - est-ce pour que nous
frissonnions, saisis d'un désespoir sans nom à
la pensée que ce calme, que cette pureté
parfaite, seront toujours au
dehors de nous, autour
de nous, mais jamais au dedans
de nous
?
Est-ce seulement aux
lis des
champs, ou à l'éther des cieux qu'est
réservée cette « paix qui surpasse toute
intelligence ? »
Que disent nos coeurs,
que disent nos
instincts ? Et surtout que réclament les besoins
impérieux de cette âme et de cette conscience
que Dieu a placées au dedans de nous? Pourraient-ils
jamais être satisfaits d'une délivrance
partielle du péché, d'une paix superficielle,
d'une purification incomplète, qui laisserait encore
en nous un fonds mauvais et la condamnation qui en
résulte?
La victoire que le
démon a
remportée sur l'homme doit-elle nécessairement
rester toujours plus grande que la victoire que
Jésus-Christ peut remporter à son tour sur le
royaume du mal en nous ?
La venue du Sauveur
en ce monde et
dans nos coeurs, la « nouvelle création en
Jésus-Christ » qui doit se faire en nous,
doit-elle nous laisser dans une position inférieure
à celle de l'homme avant la chute? Les oeuvres de
Dieu doivent-elles diminuer en grandeur au fur et à
mesure qu'elles se succèdent ? L'acte de notre
rédemption doit-il être inférieur
à celui de notre création? Ou bien, de
même que chaque oeuvre de Dieu dans la.
création était supérieure en gloire
à celle qui la précédait, la
rédemption ne doit-elle pas être
supérieure en gloire même à la
création, et Dieu ne doit-il pas pouvoir dire une
seconde fois de l'oeuvre que fait son Fils en nous : «
cela est TRÈS BON » ?
En cela aussi la
religion ne doit-elle
pas être absolue pour pouvoir être
efficace?
Tout ce qui est en
nous affirme
que cette dernière supposition est la vraie. - La
Bible tout entière n'a été
écrite que dans le but de montrer de mille
manières que « Jésus-Christ est venu pour détruire
les oeuvres du diable », et nous sauver
et nous purifier à tel point qu'il peut nous «
faire paraître devant lui glorieux, sans tache, ni
ride, ni rien de semblable, mais saints, et
irrépréhensibles. »
Cette création même, que
j'ai représentée comme chantant la bienvenue
de l'homme - la Bible ne nous dit-elle pas qu'à
présent elle attend aussi, mais en «
gémissant » « avec ardeur et
anxiété, la révélation des fils
de Dieu » - de ces héros de la foi qui
s'élèveront comme une race puissante et par
multitudes, réalisant dans toute leur
plénitude les promesses de la délivrance de
tout péché?
Je me rappelle avoir
cueilli, il y
a quelques années, sur les bords du Rhône, une
fleurette dont la corolle d'une forme conique était
composée comme d'un grand nombre de petits globes de
cire opaque, ressemblant à de petites perles d'un
bleu profond.
Cette fleur de cire
était
d'une beauté absolument idéale. Et je me
souviens encore dans quel ravissement me transporta la
pensée que l'âme « créée
à nouveau en Jésus-Christ » pouvait avoir
non seulement une perfection et une beauté morales
égales à la beauté de cette fleur, mais
encore la surpasser infiniment.
Figurons-nous un instant
quel serait
le sort de l'homme si Dieu, se trouvant être moins
puissant pour sauver que le démon ne l'a
été pour perdre, n'avait pas le pouvoir
d'accorder à sa créature une délivrance
réelle du péché, ou bien si Dieu ayant
le pouvoir de sauver complètement, refusait de le
faire ?
Dans ce but
laissez-moi me placer
pendant quelques instants dans la situation d'un homme qui
cherche son Dieu, et suivez-moi pas à pas dans mes
recherches.
Me voici un habitant
de ce monde,
vivant au milieu de la multitude de mes semblables chez
lesquels je suis forcé de constater, tous les jours,
comme chez moi-même, les preuves indiscutables que
c'est bien à une race déchue que nous
appartenons, à une race qui maintenant vit dans le
péché, dominée par le mal,
désespérément malheureuse et
misérable, cherchant souvent à se relever,
mais retombant sans cesse. Partout où mes regards se
portent, le
péché est
là.
Angoissé, je cherche
la
solitude, je me retire au sein de la nature, toujours
poursuivi par le fantôme du péché, et
obligé de porter avec moi, au milieu de ces
scènes de pureté et de beauté, le
sentiment affreux d'avoir un coeur mauvais et
malheureux.
Mais dans cette retraite
au milieu des
forêts, sur les montagnes, sous le ciel
étoilé, le véritable caractère
de mon Dieu s'impose à moi. La vue de tout ce qu'il a
fait, m'enseigne ce qu'il est.
Partout je
vois les preuves de sa puissance, de sa sagesse, de sa
bonté.
Tout semble me dire
: Dieu est
pureté, Dieu est amour. Et je m'écrie en
moi-même dans un sentiment d'indicible tristesse
auquel se mêle comme un rayon d'espoir : « Ah! si
l'on pouvait seulement trouver ce Dieu, le voir face
à face, lui parler! Ah! si nous pouvions lui exposer
les besoins de notre âme! Celui qui se complaît
dans ses oeuvres de puissance, de beauté et de
pureté, ne se complairait-il pas à communiquer
à notre âme aussi la pureté et la
beauté ?
Ne valons-nous pas plus
que les
passereaux, plus que les fleurs, ou même que les
mondes de l'espace, nous qui avons un coeur, une
intelligence, une âme ? »
Soudain un doute me
saisit, et je
me dis : « non, ce Dieu est trop grand et trop
éloigné de nous pour pouvoir s'occuper de
notre sort. On ne pourra jamais le connaître et lui
parler. Nous serons toujours orphelins. Nous serons toujours
condamnés à demeurer dans le
péché et à laisser le
péché demeurer en nous. »
Mais je me reprends
pour avoir pu
entretenir une pareille pensée, et mon âme
s'écrie: cela ne se peut pas! Cela ne saurait
être le sort qui nous est réservé
à tout jamais. Alors je me demande: mais ne serait-il
pas possible que Dieu lui-même se fût
prononcé sur cette question? Dieu n'aurait-il jamais
parlé aux hommes? Ne leur aurait-il pas exposé
ses pensées ? Ne leur aurait-il pas donné ses
instructions? Quelle grâce indicible s'il en
était ainsi! Quel trésor que de
connaître ne fût-ce que quelques mots,
prononcés par un Dieu pareil! Si la nature montre
partout et dans tous ses moindres détails les preuves
de sa sagesse infinie, que serait-ce donc que de
posséder l'expression de cette sagesse en ce qui
concerne le domaine moral, intellectuel et spirituel, - en
ce qui concerne notre âme!
Ah! certes, ce serait là le salut, le salut absolu, - ce serait le ciel sur la terre.
Et si je savais que Dieu
eût
jamais parlé à un homme, et que cet homme
eût écrit les paroles de Dieu, il me semble que
ce serait un trésor d'un prix inestimable. Avec
quelle avidité je dévorerais ce livre! avec
quel soin je me conformerais à ses directions! Et si
je pouvais savoir qu'il existât actuellement sur la
terre un homme qui fût en communication
véritable avec Dieu, j'irais, il me semble, jusqu'au
bout du monde pour le voir ...
Béni soit Dieu, il a
parlé! Des hommes ont
entendu sa
voix, recueilli ses paroles, été
témoins de son intervention miraculeuse dans la vie
de ses serviteurs. Mon âme est saisie d'une joie
indicible. Il me semble que tout ce qu'il faut pour rendre
ce monde heureux, c'est de posséder la parole de Dieu
et des hommes de Dieu remplis de son Esprit. Le Livre de
Dieu, des prophètes, des apôtres, voilà
ce qu'il nous faut; tout le reste n'est que
vanité.
Me voici arrivé à la
fin de mes recherches. L'aurore du salut va poindre. Dieu,
tel que je le vois dans le miroir de la nature, doit
certainement vouloir relever et sauver l'homme...
Et maintenant, serait-il
possible de
concevoir une déception plus cruelle, plus
amère, pour un homme qui après avoir
cherché sincèrement la vérité et
le salut, trouverait en fin de compte que ni la Bible, ni
les hommes de Dieu ne peuvent lui parler d'un salut
réel, complet, pratique, effectif, et que le grand
Dieu des cieux ne peut lui donner que juste assez de
lumière pour lui montrer plus clairement la
profondeur de ses ténèbres, ou juste assez de
bien pour lui rendre encore plus intolérable le reste
du mal qui habite en lui, - ce Dieu lui-même
étant incapable en définitive de le sauver
réellement.
Ce serait à mourir
de
douleur! Ce serait à devenir fou de désespoir.
Ce serait rendre le chrétien plus malheureux que le
mondain en le condamnant pour son péché tout
en lui refusant les moyens d'en être
délivré.
Dieu devrait-il toujours dire de l'homme, et l'homme devrait-il toujours dire de lui-même: cela est « mauvais », « très mauvais »? ...
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