Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

VI

« Et voici cela était très bon...»

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Le palais était achevé; il attendait son possesseur. « Jour » après « jour », étage sur étage, la splendide demeure s'était élevée, chaque degré surpassant le précédent en magnificence.
Le ciel et la terre, le monde minéral, le monde végétal, le monde animal, tous avaient surgi successivement du néant - tous parfaits, et la nature entière n'était que beauté, ne respirait que vie.
Et quelle habitation! Au-dessus d'un parterre aux paysages verdoyants et ensoleillés s'étendait un vaste dôme bleu dont la splendeur était encore rehaussée la nuit par l'éclat des mondes suspendus dans l'espace. En bas le fini, - parfait en ses mille formes, en haut l'infini, - lui aussi, parfait. Et Dieu, en les regardant, dit: « Cela est bon. »

Mais ce n'était encore que l'oeuvre préparatoire; quelque magnifique et parfaite qu'elle fût, ce n'était qu'une ébauche en comparaison de l'oeuvre finale. Ce n'était que l'habitation; l'habitant n'avait pas encore paru. Et toute la création se réjouissait en attendant la manifestation de cet être merveilleux, ce fils de Dieu, fait à son image et à sa ressemblance, destiné à être son ami et son associé: l'homme.




Dieu avait bâti une maison pour son nouvel ami. Il prit alors un instant de repos, écoutant le cantique qui s'élevait de toute la nature, cantique d'adoration, cantique de bienvenue à son nouveau roi et dominateur.
Oui, la nature entière chantait, adorait et attendait. Les vagues et les vents, les ruisseaux et les rivières, les plaines, les montagnes et les vallées avec tout ce qui les peuplait; les plantes et les fleurs qui les recouvraient, jetant à la brise du soir mille senteurs exquises: tout était dans l'attente. La création matérielle n'avait pas encore atteint son point culminant. Il lui manquait celui pour lequel tout a été fait et qui devait, en étant le sommet du monde matériel, être aussi le point de départ du monde spirituel, les réunir tous deux en sa personne.

Et l'homme parut! Dorénavant la création était couronnée par le chef-d'oeuvre de Dieu. Tout était complet, tout était admirable. « Et Dieu vit tout ce qu'il avait fait ; et voici, cela était très bon. »




Et aujourd'hui que voyons-nous ? Un désastre sans nom est arrivé! L'habitation reste toujours merveilleuse et parfaite, mais l'habitant est tombé en ruines. Autant l'homme était plus glorieux et plus merveilleux que sa demeure, autant la maison est à présent plus belle et plus noble que l'homme.

Car si la nature a subi le contre-coup de la malédiction qui est tombée sur l'homme par suite de son péché, néanmoins, dans la beauté et la pureté qu'elle a conservées, elle est encore un miroir si fidèle de la gloire et de la sainteté de Dieu que l'apôtre Paul a pu dire: « Les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l'oeil quand on les considère dans ses ouvrages. »
Chaque fragment de minéral, chaque plante, chaque fleur, tout dans le domaine de la nature est encore pur et, demeurant abandonné à ses lois originelles, accomplit dans l'éternel repos sa destinée.

Mais l'homme? Quelle ruine! Quelle désolation! Il a perdu l'image de son Dieu, Il s'est abruti. Il est devenu un monstre d'égoïsme. Il n'y a pas une petite fleur des champs, pas un innocent insecte, pas un coin de ciel bleu, pas une étoile, qui ne le condamne et qui ne le juge. Lui seul est désajusté, lui seul est sorti de l'harmonie universelle, lui seul est dans un état anormal, lui seul est une note discordante, une tache, une plaie, une honte.
Pour celui dont les yeux, autrefois rendus aveugles par le péché, ont été ouverts de nouveau par Jésus-Christ, l'homme tel qu'il est aujourd'hui n'est plus que l'ombre de ce qu'il était; dans cet être si rapetissé, si déchu, au point de vue moral, dans ce mondain qui ne pense presque plus à sa noble origine ni à son Dieu, l'homme sanctifié ne voit qu'une épave, qu'un triste fantôme.

Mais tout est-il dit? Ne doit-il pas y avoir une nouvelle création? N'y a-t-il point de Rédempteur, de Sauveur?

Ne pourra-t-on plus jamais entendre de nouveau cette parole: « Voici, cela est très bon ? » Est-ce seulement de la plante ou du diamant, est-ce de la montagne, de l'océan ou de l'étoile que cela peut être dit ? Pendant les innombrables siècles de l'avenir, ne devrons-nous jamais nous attendre - nous l'humanité - à posséder de nouveau notre pureté, notre simplicité, notre innocence primitives ? Est-ce bien un deuil éternel, un regret sans fin qui nous sont réservés ? La nature doit-elle être pour nous un reproche perpétuel, reproche de tous les jours et de toutes les minutes, et cela partout où nous portons nos pas sur la surface de ce monde merveilleux ? Sommes-nous à jamais condamnés à voir autour de nous le reflet sublime de ce que nous étions, de ce que nous voudrions être, et de ce que nous aurions dû être encore, et cela sans le moindre espoir de retrouver dans la sainteté cette innocence qui appartenait à l'homme par le droit de son origine ? Le démon pourra-t-il toujours cueillir une fleur et nous la présenter avec un rire diabolique, en nous disant: « Regarde, pauvre humanité » voilà l'image de ta beauté morale primitive; respire ce parfum délicieux: l'âme de l'homme répandait autrefois un parfum infiniment plus exquis que celui-là. Mais je t'ai vaincue et tu es à moi pour toujours. Et quand même tu m'échapperais, et que tu t'enfuirais jusque dans les bras du Christ, il ne saurait te rendre une sainteté réelle, cette fleur te surpassera toujours, te condamnera toujours ? »

Est-ce bien là le sort qui nous est réservé ?

Si nous sortons par quelque nuit étoilée, que nous plongions le regard dans les insondables profondeurs des cieux, que nous contemplions la pureté indicible du regard de chaque étoile, que nous sentions quelque chose de ce calme, de ce repos éternel des cieux, de ce sabbat des étoiles - est-ce pour que nous frissonnions, saisis d'un désespoir sans nom à la pensée que ce calme, que cette pureté parfaite, seront toujours au dehors de nous, autour de nous, mais jamais au dedans de nous ?
Est-ce seulement aux lis des champs, ou à l'éther des cieux qu'est réservée cette « paix qui surpasse toute intelligence ? »




Que disent nos coeurs, que disent nos instincts ? Et surtout que réclament les besoins impérieux de cette âme et de cette conscience que Dieu a placées au dedans de nous? Pourraient-ils jamais être satisfaits d'une délivrance partielle du péché, d'une paix superficielle, d'une purification incomplète, qui laisserait encore en nous un fonds mauvais et la condamnation qui en résulte?
La victoire que le démon a remportée sur l'homme doit-elle nécessairement rester toujours plus grande que la victoire que Jésus-Christ peut remporter à son tour sur le royaume du mal en nous ?
La venue du Sauveur en ce monde et dans nos coeurs, la « nouvelle création en Jésus-Christ » qui doit se faire en nous, doit-elle nous laisser dans une position inférieure à celle de l'homme avant la chute? Les oeuvres de Dieu doivent-elles diminuer en grandeur au fur et à mesure qu'elles se succèdent ? L'acte de notre rédemption doit-il être inférieur à celui de notre création? Ou bien, de même que chaque oeuvre de Dieu dans la. création était supérieure en gloire à celle qui la précédait, la rédemption ne doit-elle pas être supérieure en gloire même à la création, et Dieu ne doit-il pas pouvoir dire une seconde fois de l'oeuvre que fait son Fils en nous : « cela est TRÈS BON » ?

En cela aussi la religion ne doit-elle pas être absolue pour pouvoir être efficace?
Tout ce qui est en nous affirme que cette dernière supposition est la vraie. - La Bible tout entière n'a été écrite que dans le but de montrer de mille manières que « Jésus-Christ est venu pour détruire les oeuvres du diable », et nous sauver et nous purifier à tel point qu'il peut nous « faire paraître devant lui glorieux, sans tache, ni ride, ni rien de semblable, mais saints, et irrépréhensibles. »




Cette création même, que j'ai représentée comme chantant la bienvenue de l'homme - la Bible ne nous dit-elle pas qu'à présent elle attend aussi, mais en « gémissant » « avec ardeur et anxiété, la révélation des fils de Dieu » - de ces héros de la foi qui s'élèveront comme une race puissante et par multitudes, réalisant dans toute leur plénitude les promesses de la délivrance de tout péché?
Je me rappelle avoir cueilli, il y a quelques années, sur les bords du Rhône, une fleurette dont la corolle d'une forme conique était composée comme d'un grand nombre de petits globes de cire opaque, ressemblant à de petites perles d'un bleu profond.
Cette fleur de cire était d'une beauté absolument idéale. Et je me souviens encore dans quel ravissement me transporta la pensée que l'âme « créée à nouveau en Jésus-Christ » pouvait avoir non seulement une perfection et une beauté morales égales à la beauté de cette fleur, mais encore la surpasser infiniment.

Figurons-nous un instant quel serait le sort de l'homme si Dieu, se trouvant être moins puissant pour sauver que le démon ne l'a été pour perdre, n'avait pas le pouvoir d'accorder à sa créature une délivrance réelle du péché, ou bien si Dieu ayant le pouvoir de sauver complètement, refusait de le faire ?
Dans ce but laissez-moi me placer pendant quelques instants dans la situation d'un homme qui cherche son Dieu, et suivez-moi pas à pas dans mes recherches.
Me voici un habitant de ce monde, vivant au milieu de la multitude de mes semblables chez lesquels je suis forcé de constater, tous les jours, comme chez moi-même, les preuves indiscutables que c'est bien à une race déchue que nous appartenons, à une race qui maintenant vit dans le péché, dominée par le mal, désespérément malheureuse et misérable, cherchant souvent à se relever, mais retombant sans cesse. Partout où mes regards se portent, le péché est là.
Angoissé, je cherche la solitude, je me retire au sein de la nature, toujours poursuivi par le fantôme du péché, et obligé de porter avec moi, au milieu de ces scènes de pureté et de beauté, le sentiment affreux d'avoir un coeur mauvais et malheureux.

Mais dans cette retraite au milieu des forêts, sur les montagnes, sous le ciel étoilé, le véritable caractère de mon Dieu s'impose à moi. La vue de tout ce qu'il a fait, m'enseigne ce qu'il est. Partout je vois les preuves de sa puissance, de sa sagesse, de sa bonté.
Tout semble me dire : Dieu est pureté, Dieu est amour. Et je m'écrie en moi-même dans un sentiment d'indicible tristesse auquel se mêle comme un rayon d'espoir : « Ah! si l'on pouvait seulement trouver ce Dieu, le voir face à face, lui parler! Ah! si nous pouvions lui exposer les besoins de notre âme! Celui qui se complaît dans ses oeuvres de puissance, de beauté et de pureté, ne se complairait-il pas à communiquer à notre âme aussi la pureté et la beauté ?

Ne valons-nous pas plus que les passereaux, plus que les fleurs, ou même que les mondes de l'espace, nous qui avons un coeur, une intelligence, une âme ? »
Soudain un doute me saisit, et je me dis : « non, ce Dieu est trop grand et trop éloigné de nous pour pouvoir s'occuper de notre sort. On ne pourra jamais le connaître et lui parler. Nous serons toujours orphelins. Nous serons toujours condamnés à demeurer dans le péché et à laisser le péché demeurer en nous. »
Mais je me reprends pour avoir pu entretenir une pareille pensée, et mon âme s'écrie: cela ne se peut pas! Cela ne saurait être le sort qui nous est réservé à tout jamais. Alors je me demande: mais ne serait-il pas possible que Dieu lui-même se fût prononcé sur cette question? Dieu n'aurait-il jamais parlé aux hommes? Ne leur aurait-il pas exposé ses pensées ? Ne leur aurait-il pas donné ses instructions? Quelle grâce indicible s'il en était ainsi! Quel trésor que de connaître ne fût-ce que quelques mots, prononcés par un Dieu pareil! Si la nature montre partout et dans tous ses moindres détails les preuves de sa sagesse infinie, que serait-ce donc que de posséder l'expression de cette sagesse en ce qui concerne le domaine moral, intellectuel et spirituel, - en ce qui concerne notre âme!

Ah! certes, ce serait là le salut, le salut absolu, - ce serait le ciel sur la terre.

Et si je savais que Dieu eût jamais parlé à un homme, et que cet homme eût écrit les paroles de Dieu, il me semble que ce serait un trésor d'un prix inestimable. Avec quelle avidité je dévorerais ce livre! avec quel soin je me conformerais à ses directions! Et si je pouvais savoir qu'il existât actuellement sur la terre un homme qui fût en communication véritable avec Dieu, j'irais, il me semble, jusqu'au bout du monde pour le voir ...
Béni soit Dieu, il a parlé! Des hommes ont entendu sa voix, recueilli ses paroles, été témoins de son intervention miraculeuse dans la vie de ses serviteurs. Mon âme est saisie d'une joie indicible. Il me semble que tout ce qu'il faut pour rendre ce monde heureux, c'est de posséder la parole de Dieu et des hommes de Dieu remplis de son Esprit. Le Livre de Dieu, des prophètes, des apôtres, voilà ce qu'il nous faut; tout le reste n'est que vanité.

Me voici arrivé à la fin de mes recherches. L'aurore du salut va poindre. Dieu, tel que je le vois dans le miroir de la nature, doit certainement vouloir relever et sauver l'homme...




Et maintenant, serait-il possible de concevoir une déception plus cruelle, plus amère, pour un homme qui après avoir cherché sincèrement la vérité et le salut, trouverait en fin de compte que ni la Bible, ni les hommes de Dieu ne peuvent lui parler d'un salut réel, complet, pratique, effectif, et que le grand Dieu des cieux ne peut lui donner que juste assez de lumière pour lui montrer plus clairement la profondeur de ses ténèbres, ou juste assez de bien pour lui rendre encore plus intolérable le reste du mal qui habite en lui, - ce Dieu lui-même étant incapable en définitive de le sauver réellement.
Ce serait à mourir de douleur! Ce serait à devenir fou de désespoir. Ce serait rendre le chrétien plus malheureux que le mondain en le condamnant pour son péché tout en lui refusant les moyens d'en être délivré.

Dieu devrait-il toujours dire de l'homme, et l'homme devrait-il toujours dire de lui-même: cela est « mauvais », « très mauvais »? ...


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