LES PENSÉES DE BLAISE PASCAL
DANS L'ÉDITION DE 1671
PRESENTATION
Ayant été, par hasard, mis en
possession d'une édition ancienne de Pascal --
«Pensées de M. Pascal sur la Religion et sur quelques
autres sujets, qui ont esté trouvées apres sa mort
parmy ses papiers. Troisiéme Edition. A Paris, Chez Guillaume
Desprez, rue Saint Jacques, à Saint Prosper. M. DC .LXXI. Avec
Privilege & Approbation» -- j'ai jugé bon de donner
accès à ce texte.
On pourra ainsi en comparer la teneur avec les
brouillons ou fragments de Pascal tels qu'on les publie
désormais, et mesurer la différence du Pascal dont
Port-Royal nous brosse la figure d'avec le Pascal dont les actuels
historiens de la philosophie nous tracent le portrait. La
présente édition est la troisième
chronologiquement, mais la deuxième en réalité :
la première fut donnée en 1669, mais eut un tirage et
une diffusion extrêmement limités. De sorte que c'est
l'édition de 1670, marquée «deuxième
édition», qui doit être considérée
comme archétypale. Reste que nous n'en avons pas
trouvée une version libre de droits .
Raison pour laquelle nous offrons celle-ci, qui
en est une copie conforme
(la pagination est différente : chaque
page est augmentée d'une ligne ; quelques erreurs viennent la
défigurer, que nous avons rectifiées, mais bien
d'autres, propres à l'édition de 1670, y ont
été corrigées). Il m'a paru également
nécessaire de respecter l'orthographe du XVII°
siècle avec toutes ses particularités : elles font
partie de cette belle langue classique et lui donnent aussi son
goût inimitable. Il en va de même de la ponctuation, dont
la transcription relèverait d'un exercice de traduction pour
lequel je ne suis pas qualifié .
Cependant, il est bien évident que ceux
qui voudraient faire une recherche lexicale pourraient se trouver
gêner par ces particularités : c'est pourquoi je me suis
décidé à offrir aussi une version dont
l'orthographe soit modernisée. Chacun pourra ainsi choisir
suivant ses goûts propres ou ses nécessités
personnelles.
Le présent texte ayant été
recopié manuellement, il est évident que certaines
fautes et coquilles ne peuvent manquer de s'être
glissées dans la présent version (les erreurs d'origine
ont été reproduites : chacun les ôtera ou les
conservera aisément et à son gré). Je prie
instamment le lecteur de me les pardonner -- mais surtout de les
communiquer par courrier électronique à l'ABU, de
façon à ce que nous puissions améliorer cette
édition.
Éric Dubreucq
Secrétaire de l'Association
des BiblioFiles Universels
dubreucq@cnam.fr
</NOTESPROD>
.
AVERTISSEMENT.
LES Pensées qui sont contenues dans ce
Livre ayant été écrites et composées par
Monsieur Pascal en la manière qu'on l'a rapporté dans
la Préface, c'est-à-dire à mesure qu'elles lui
venaient dans l'esprit, et sans aucune suite ; il ne faut pas
s'attendre d'en trouver beaucoup dans les chapitres de ce Recueil,
qui sont la plupart composés de quantité de
pensées toutes détachées les unes des autres, et
qui n'ont été mises ensemble sous les mêmes
matières. Mais quoiqu'il soit assez facile, en lisant chaque
article, de juger s'il est une suite de ce qui le
précède, ou s'il contient une nouvelle pensée ;
néanmoins on a crû que pour les distinguer davantage il
était bon d'y faire quelque marque | particulière.
Ainsi lorsque l'on verra
au commencement de quelque article cette marque ([§]) cela veut
dire qu'il y a dans cet article une nouvelle pensées qui n'est
point une suite de la précédente, et qui en est
entièrement séparée. Et l'on connaîtra par même moyen que les
articles qui n'auront point cette marque ne composent qu'un seul
discours, et qu'ils ont été trouvés dans cet
ordre et cette suite dans les originaux de Monsieur Pascal.
L'on a aussi jugé à propos
d'ajouter à la fin de ces pensées un Prière que
Monsieur Pascal composa étant encore jeune, dans une maladie
qu'il eut, et qui a déjà été
imprimée deux ou trois fois sur des copies assez peu
correctes, parce que ces impressions ont été faites
sans la participation de ceux qui donnent à présent ce
Recueil au public.
PENSÉES DE M. PASCAL
SUR LA RELIGION ET SUR QUELQUES
AUTRES SUJETS.
.
Contre l'Indifférence des
Athées.
Que ceux qui combattent la Religion apprennent
au moins quelle elle est avant que de la combattre. Si cette Religion
se vantait d'avoir une vue claire de Dieu, et de le posséder
[2] à découvert et sans voile, ce serait la combattre
que de dire qu'on ne voit rien dans le monde qui le montre avec cette
évidence. Mais puis qu'elle dit au contraire que les hommes
sont dans les ténèbres, et dans l'éloignement de
Dieu, et que c'est même le nom qu'il se donne dans les
Écritures, Deus absconditus : et enfin si elle travaille
également à établir ces deux choses ; que Dieu a
mis des marques sensibles dans l'Église pour se faire
reconnaître à ceux qui le chercheraient
sincèrement ; et qu'il les a couvertes néanmoins de
telle sorte qu'il ne sera aperçu que de ceux qui le cherchent
de tout leur coeur ; quel avantage peuvent-ils tirer, lorsque dans la
négligence où ils font profession d'être de
chercher la vérité, ils crient que rien ne la leur
montre ; puisque cette obscurité où ils sont, et qu'ils
objectent à l'Église ne fait qu'établir une des
choses qu'elle soutient sans toucher à l'autre, et confirme sa
doctrine bien loin de la ruiner ?
Il faudrait pour la combattre qu'ils [3]
criassent qu'ils ont fait tous leurs efforts pour chercher partout,
et même dans ce que l'Église propose pour s'en
instruire, mais sans aucune satisfaction. S'ils parlaient de la
sorte, ils combattraient à la vérité une de ses
prétentions. Mais j'espère montrer ici qu'il n'y a
point de personne raisonnable qui puisse parler de la sorte ; et
j'ose même dire que jamais personne ne l'a fait. On sait assez
de quelle manière agissent ceux qui sont dans cet esprit. Ils
croient avoir fait de grands efforts pour s'instruire lorsqu'ils ont
employé quelques heures à la lecture de
l'Écriture, et qu'ils ont interrogé quelque
Ecclésiastique sur les vérités de la foi.
Après cela ils se vantent d'avoir cherché sans
succès dans les livres et parmi les hommes. Mais en
vérité je ne puis m'empêcher de leur dire, que
cette négligence n'est pas supportable. Il ne s'agit pas ici
de l'intérêt léger de quelque personne
étrangère : il s'agit de nous-mêmes et de notre
tout.
L'immortalité de l'âme est une
chose qui nous importe si fort, et [4] qui nous touche si
profondément, qu'il faut avoir perdu tout sentiment pour
être dans l'indifférence de savoir ce qui en est. Toutes
nos actions et toutes nos pensées doivent prendre des routes
si différentes selon qu'il y aura des biens éternels
à espérer ou non, qu'il est impossible de faire une
démarche avec sens et jugement qu'en la réglant par la
vue de ce point qui doit être notre dernier objet.
Ainsi notre premier intérêt et
notre premier devoir est de nous éclaircir sur ce sujet
d'où dépend toute notre conduite. Et c'est pourquoi
parmi ceux qui n'en sont pas persuadés, je fais une
extrême différence entre ceux qui travaillent de toutes
leurs forces à s'en instruire, et ceux qui vivent sans s'en
mettre en peine et sans y penser.
Je ne puis avoir que de la compassion pour ceux
qui gémissent sincèrement dans ce doute, qui le
regardent comme le dernier des malheurs, et qui n'épargnant
rien pour en sortir font de cette recherche leur [5] principale et
leur plus sérieuse occupation. Mais pour ceux qui passent leur
vie sans penser à cette dernière fin de la vie, et qui
par cette seule raison, qu'ils ne trouvent pas en eux-mêmes des
lumières qui les persuadent, négligent d'en chercher
ailleurs, et d'examiner à fond si cette opinion est de celles
que le peuple reçoit par une simplicité crédule,
ou de celles qui quoiqu'obscures d'elles-mêmes ont
néanmoins un fondement très solide, je les
considère d'une manière toute différente. Cette
négligence en une affaire où il s'agit
d'eux-mêmes, de leur éternité, de leur tout,
m'irrite plus qu'elle ne m'attendrit ; elle m'étonne et
m'épouvante ; c'est un monstre pour moi. Je ne dis pas ceci
par le zèle pieux d'une dévotion spirituelle. Je
prétends au contraire que l'amour propre, que
l'intérêt humain, que la plus simple lumière de
la raison nous doit donner ces sentiments. Il ne faut voir pour cela
que ce que voient les personnes les moins éclairées.
Il ne faut pas avoir l'âme fort [6]
élevée pour comprendre qu'il n'y a point ici de
satisfaction véritable et solide, que tous nos plaisirs ne
sont que vanité, que nos maux sont infinis, et qu'enfin la
mort qui nous menace à chaque instant nous doit mettre dans
peu d'années, et peut-être en peu de jours dans un
état éternel de bonheur, ou de malheur, ou
d'anéantissement. Entre nous et le ciel, l'enfer ou le
néant il n'y a donc que la vie qui est la chose du monde la
plus fragile ; et la ciel n'étant pas certainement pour ceux
qui doutent si leur âme est immortelle, ils n'ont à
attendre que l'enfer ou le néant.
Il n'y a rien de plus réel que cela ni
de plus terrible. Faisons tant que nous voudrons les braves, voila la
fin qui attend la plus belle vie du monde.
C'est en vain qu'ils détournent leur
pensée de cette éternité qui les attend, comme
s'ils la pouvaient anéantir en n'y pensant point. Elle
subsiste malgré eux, elle s'avance, et la mort qui la doit
ouvrir les mettra infailliblement dans peu de temps dans [7]
l'horrible nécessité d'être éternellement
ou anéantis, ou malheureux.
Voila un doute d'une terrible
conséquence ; et c'est déjà assurément un
très grand mal que d'être dans ce doute ; mais c'est au
moins un devoir indispensable de chercher quand on y est. Ainsi celui
qui doute et qui ne cherche pas est tout ensemble et bien injuste, et
bien malheureux. Que s'il est avec cela tranquille et satisfait,
qu'il en fasse profession, et enfin qu'il en fasse vanité, et
que ce soit de cet état même qu'il fasse le sujet de sa
joie et de sa vanité, je n'ai point de termes pour qualifier
une si extravagante créature.
Où peut-on prendre ces sentiments ? Quel
sujet de joie trouve-t-on à n'attendre plus que des
misères sans ressource ? Quel sujet de vanité de se
voir dans des obscurités impénétrables ? Quelle
consolation de n'attendre jamais de consolateur ?
Ce repos dans cette ignorance est une chose
monstrueuse, et dont il faut faire sentir l'extravagance et la
stupidité à ceux qui y passent leur vie, en [8] leur
représentant ce qui se passe en eux-mêmes, pour les
confondre par la vue de leur folie. Car voici comment raisonnent les
hommes, quand ils choisissent de vivre dans cette ignorance de ce
qu'ils sont, et sans en rechercher d'éclaircissement.
Je ne sais qui m'a mis au monde, ni ce que
c'est que le monde, ni que moi-même. Je suis dans une ignorance
terrible de toutes choses. Je ne sais ce que c'est que mon corps, que
mes sens, que mon âme ; et cette partie même de moi qui
pense ce que je dis, et qui fait réflexion sur tout et sur
elle-même, ne se connaît non plus que le reste. Je vois
ces effroyables espaces de l'Univers qui m'enferment, et je me trouve
attaché à un coin de cette vaste étendue, sans
savoir pourquoi je suis plutôt placé en ce lieu qu'en un
autre, ni pourquoi ce peu de temps qui m'est donné à
vivre m'est assigné à ce point plutôt qu'à
un autre de toute l'éternité qui m'a
précédé, et de toute celle qui me suit. Je ne
vois que des infirmités de toutes parts qui [9]
m'engloutissent comme un atome, et comme une ombre qui ne dure qu'un
instant sans retour. Tout ce que je connais c'est ce que je dois
bientôt mourir ; mais ce que j'ignore le plus c'est cette mort
même que je ne saurais éviter.
Comme je ne sais d'où je viens, aussi je
ne sais où je vais ; et je sais seulement qu'en sortant de ce
monde, je tombe pour jamais ou dans le néant, ou dans les
mains d'un Dieu irrité, sans savoir à laquelle de ces
deux conditions je dois être éternellement en partage.
Voila mon état plein de misère,
de faiblesse, d'obscurité. Et de tout cela je conclus que je
dois donc passer tous les jours de ma vie sans songer à ce qui
me doit arriver, et que je n'ai qu'à suivre mes inclinations
sans réflexion et sans inquiétude, en faisant tout ce
qu'il faut pour tomber dans le malheur éternel au cas que ce
qu'on en dit soit véritable. Peut-être que je pourrais
trouver quelque éclaircissement dans mes doutes ; mais n'en
veux pas prendre la peine, ni faire un [10] pas pour le chercher ; et
en traitant avec mépris ceux qui se travailleraient de ce
soin, je veux aller sans prévoyance et sans crainte tenter un
si grand événement, et me laisser mollement conduire
à la mort dans l'incertitude de l'éternité de ma
condition future.
En vérité il est glorieux
à la Religion d'avoir pour ennemis des hommes si
déraisonnables ; et leur opposition lui est si peu dangereuse,
qu'elle sert au contraire à l'établissement des
principales vérités qu'elle nous enseigne. Car la foi
Chrétienne ne va principalement qu'à établir ces
deux choses, la corruption de la nature, et la rédemption de
JÉSUS-CHRIST. Or s'ils ne servent pas à montrer la
vérité de la rédemption par la sainteté
de leurs moeurs, ils servent au moins admirablement à montrer
la corruption de la nature par des sentiments si
dénaturés.
Rien n'est si important à l'homme que
son état ; rien ne lui est si redoutable que
l'éternité. Et ainsi qu'il se trouve des hommes
indifférents à la [11] perte de leur être, et au
péril d'une éternité de misère, cela
n'est point naturel. Ils sont tout autres à l'égard de
toutes les autres choses : ils craignent jusqu'aux plus petites, ils
les prévoient, ils les sentent ; et ce même homme qui
passe les jours et les nuits dans la rage et dans le désespoir
pour la perte d'une charge, ou pour quelque offense imaginaire
à son honneur, est celui là même qui sait qu'il
va tout perdre par la mort, et qui demeure néanmoins sans
inquiétude, sans trouble, et sans émotion. Cette
étrange insensibilité pour les choses les plus
terribles dans un coeur si sensible aux plus légères ;
c'est un enchantement incompréhensible, et un assoupissement
surnaturel.
Un homme dans un cachot ne sachant si son
arrêt est donné, n'ayant plus qu'une heure pour
l'apprendre, et cette heure suffisant, s'il sait qu'il est
donné, pour le faire révoquer, il est contre la nature
qu'il emploie cette heure-là non à s'informer si cet
arrêt est donné, mais à jouer, et à se
[12] divertir. C'est l'état où se trouvent ces
personnes, avec cette différence que les maux dont ils sont
menacés sont bien autre que la simple perte de la vie et un
supplice passager que ce prisonnier appréhenderait. Cependant
ils courent sans souci dans le précipice après avoir
mis quelque chose devant leurs yeux pour s'empêcher de le voir,
et ils se moquent de ceux qui les en avertissent.
Ainsi non seulement le zèle de ceux qui
cherchent Dieu prouve la véritable Religion, mais aussi
l'aveuglement de ceux qui ne le cherchent pas, et qui vivent dans
cette horrible négligence. Il faut qu'il y ait un
étrange renversement dans la nature de l'homme pour vivre dans
cet état, et encore plus pour en faire vanité. Car
quand ils auraient une certitude entière qu'ils n'auraient
rien à craindre après la mort que de tomber dans le
néant, ne serait-ce pas un sujet de désespoir
plutôt que de vanité ? N'est-ce donc pas une folie
inconcevable, n'en étant pas assurés, de faire gloire
d'être dans ce doute ? [13]
Et néanmoins il est certain que l'homme
est si dénaturé qu'il y a dans son coeur une semence de
joie en cela. Ce repos brutal entre la crainte de l'enfer, et du
néant semble si beau, que non seulement ceux qui sont
véritablement dans ce doute malheureux s'en glorifient ; mais
que ceux même qui n'y sont pas croient qu'il leur est glorieux
de feindre d'y être. Car l'expérience nous fait voir que
la plus part de ceux qui s'en mêlent sont de ce dernier genre ;
que ce sont des gens qui se contrefont, et qui ne sont pas tels
qu'ils veulent paraître. Ce sont des personnes qui ont ouï
dire que les belles manières du monde consistent à
faire ainsi l'emporté. C'est ce qu'ils appellent avoir
secoué le joug ; et la plus part ne le font que pour imiter
les autres.
Mais s'ils ont encore tant soit peu de sens
commun, il n'est pas difficile de leur faire entendre combien ils
s'abusent en cherchant par là de l'estime. Ce n'est pas la
moyen d'en acquérir, je dis même parmi les personnes du
monde qui jugent sainement [14] des choses, et qui savent que la
seule voie d'y réussir c'est de paraître honnête,
fidèle, judicieux, et capable de servir utilement ses amis ;
parce que les hommes n'aiment naturellement que ce qui leur peut
être utile. Or quel avantage y a-t-il pour nous à
ouïr dire à un homme qu'il a secoué le joug, qu'il
ne croit pas qu'il y ait un Dieu qui veille sur ses actions, qu'il se
considère comme seul maître de sa conduite, qu'il ne
pense à en rendre compte qu'à soi-même ?
Pense-t-il nous avoir porté par là à en avoir
désormais bien de la confiance en lui, et à en attendre
des consolations, des conseils, et des secours dans tous les besoins
de la vie ? Pense-t-il nous avoir bien réjouis de nous dire
qu'il doute si notre âme est autre chose qu'un peu de vent et
de fumée, et encore de nous le dire d'un ton de voix fier et
content ? Est-ce donc une chose à dire gaiement ; et n'est- ce
pas une chose à dire au contraire tristement, comme la chose
du monde la plus triste ?
S'ils y pensaient sérieusement ils [15]
verraient que cela est si mal pris, si contraire au bon sens, si
opposé à l'honnêteté, et si
éloigné en toute manière de ce bon air qu'ils
cherchent, que rien n'est plus capable de leur attirer le
mépris et l'aversion des hommes, et de les faire passer pour
des personnes sans esprit et sans jugement. Et en effet si on leur
fait rendre compte de leurs sentiments et des raisons qu'ils ont de
douter de la Religion, ils diront des choses si faibles et si basses
qu'ils persuaderaient plutôt du contraire. C'était ce
que leur disait un jour fort à propos une personne : si vous
continuez à discourir de la sorte, leur disait-il, en
vérité vous me convertirez. Et il avait raison ; car
qui n'aurait horreur de se voir dans des sentiments où l'on a
pour compagnons des personnes si méprisables ?
Ainsi ceux qui ne font que feindre ces
sentiments sont bien malheureux de contraindre leur naturel pour se
rendre les plus impertinents des hommes. S'il sont
fâchés dans le fond de leur coeur de n'avoir pas plus de
[16] lumière, qu'ils ne le dissimulent point. Cette
déclaration ne sera pas honteuse. Il n'y a de honte
qu'à n'en point avoir. Rien ne découvre davantage une
étrange faiblesse d'esprit que de ne pas connaître quel
est le malheur d'un homme sans Dieu. rien ne marque davantage une
extrême bassesse de coeur que de ne pas souhaiter la
vérité des promesses éternelles. Rien n'est plus
lâche que de faire le brave contre Dieu. Qu'ils laissent donc
ces impiétés à ceux qui sont assez mal
nés pour en être véritablement capables : qu'ils
soient au moins honnêtes gens, s'ils ne peuvent encore
être Chrétiens : et qu'ils reconnaissent enfin qu'il n'y
a que deux sortes de personnes ; ou ceux qui servent Dieu de tout
leur coeur, parce qu'ils le connaissent ; ou ceux qui le cherchent de
tout leur coeur, parce qu'ils ne le connaissent pas encore.
C'est donc pour les personnes qui cherchent
Dieu sincèrement, et qui reconnaissant leur misère
désirent véritablement d'en sortir, qu'il est juste
[17] de travailler, afin de leur aider à trouver la
lumière qu'ils n'ont pas.
Mais pour ceux qui vivent sans le
connaître, et sans le chercher, ils se jugent eux-mêmes
si peu dignes de leur soin, qu'ils ne sont pas dignes du soin des
autres : et il faut avoir toute la charité de la Religion
qu'ils méprisent pour ne les pas mépriser
jusqu'à les abandonner dans leur folie. Mais parce que cette
Religion nous oblige de les regarder toujours tant qu'ils seront en
cette vie comme capables de la grâce qui peut les
éclairer, et de croire qu'ils peuvent être dans peu de
temps plus remplis de foi que nous ne sommes, et que nous pouvons au
contraire tomber dans l'aveuglement où ils sont ; il faut
faire pour eux ce que nous voudrions qu'on fît pour nous si
nous étions en leur place, et les appeler à avoir
pitié d'eux-mêmes, et à faire au moins quelque
pas pour tenter s'ils ne trouveront point de lumière. Qu'ils
donnent à le lecture de cet ouvrage quelques-unes de ces
heures qu'ils emploient si inutilement ailleurs. [18] Peut-être
y rencontreront-ils quelque chose, ou du oins ils n'y perdront pas
beaucoup. Mais pour ceux qui y apporteront une
sincérité parfaite et un véritable désir
de connaître la vérité, j'espère qu'il y
auront satisfaction, et qu'ils seront convaincus des preuves d'une
Religion si divine que l'on y a ramassées.
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