Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE III

Les premières années

(1730-1732)

suite

-------

L'envoi de cette lettre, le 5 janvier 1732, précéda de peu, hélas, l'arrestation de son auteur. Bien que le ministère de Pierre Durand fut entièrement pacifique, on le considérait comme un séditieux et sa réputation s'était même étendue jusqu'à Versailles. Sa tête était mise à prix. On en offrait à présent 4.000 livres, une fortune.

Pierre Durand arrêté

Le mardi 12 février 1732 il se rendit chez son ami Fumant, d'où il rédigea pour sa compagne exilée une nouvelle et longue missive. Le soir il s'en fut au hameau de Gamarre, non loin de Saint-Jean-Chambre. Mais il fut reconnu sur la route de Chalençon par l'apostat Jean Brun. Le fils de ce dernier courut à Vernoux où le commandant de la garnison, M. de la Chambardière, venait de recevoir la visite du curé Desbots, de Saint-Félix-de-Châteauneuf. Le prêtre, irrité par l'action des prédicants qui aboutissait à diminuer ses casuels, avait été lui-même informé de la tenue d'une assemblée dans ses quartiers. Du rapprochement inexact de ces deux faits une catastrophe allait survenir. Le capitaine, le prêtre et l'espion pensèrent en effet que Durand allait lui-même présider la réunion, très importante à les en croire, étant donnée la notoriété du prédicateur. Ils firent donc garder les abords du hameau de Vernat, près de Gamarre, moins pour surprendre une assemblée nombreuse, manoeuvre fort délicate avec des effectifs restreints, que pour arrêter quelques religionnaires rentrant chez eux après la fin de l' « exercice ».

Or le prédicateur annoncé était le proposant Lapra et Durand ignorait jusqu'à la tenue de l'assemblée convoquée par ce dernier.

Une patrouille se mit en embuscade près du château de Vaussèche, sur la vieille route de St-Jean-Chambre à Vernoux. Le chemin, aujourd'hui abandonné, mais dont le relief demeure très net sous les fougères et les broussailles, franchit à gué un ruisseau au fond d'un ravin assez obscur, et remonte en lacets au travers d'une futaie de bouleaux et de frênes parsemés de châtaigniers, lesquels recouvraient alors seuls cette croupe assez abrupte.

Le ministre avait dîné avec son collègue Fauriel puis, en compagnie de quelques amis, ils passèrent la soirée en épluchant des noix. Vers dix heures il quitta le hameau, seul, monté sur son cheval noir. On voulait l'accompagner, mais il refusa. Il n'avait pas même pris la précaution de charger ses pistolets d'arçon, malgré le péril que représentait la rencontre possible sur les routes de bandes de loups encore nombreux au XVIIIe siècle, ou même celle de brigands.

La nuit est dure et froide, toute semée d'étoiles. Le voyageur se retrace son programme immédiat et plus lointain : ce soir-là, il ira non loin de Vernoux bénir le mariage de la fille de son ami Brunel. Puis il gagnera Valence, le Dauphiné, et peut-être même la Suisse. Sa femme le réclame et il faut se mettre en campagne pour lui assurer la pension qui lui permettra de vivre enfin sans inquiétude à Lausanne.

Les pas du cheval sonnent sur le sol glacé. De loin, la patrouille l'entend. On détache en avant-garde, au gué, le sergent Chapelle et deux hommes.

... Il est près de minuit.

Durand s'engage dans les lacets et se prépare à franchir le gué qu'il devine dans l'obscurité. Au dernier tournant le sous-officier se dresse : le ministre porte la main sur son dernier pistolet, chargé celui-là. Puis il se ressaisit : il ne peut pas se sauver au prix d'un assassinat !

Maintenant tout est accompli : l'artisan de la réorganisation des églises en Ardèche, l'homme de foi qui les a les unes après les autres rappelées à la vie a fini sa carrière terrestre. Mais de celle-ci, le martyre sera le suprême et magnifique couronnement.


(Reproduction spécialement autorisée par le Musée du Désert).
UNE ASSEMBLÉE DU DÉSERT

Les trois soldats conduisirent le suspect au capitaine de la Chambardière. Là-dessus le curé Desbots rejoignit le petit groupe et reconnut son rival : il pouvait savourer son triomphe. Mais du prêtre cupide ou du chrétien ferme dans son attitude et sa foi, quel était donc le véritable vainqueur ?

Au hameau de Vernat on fouilla les sacoches du voyageur. Aucun doute n'était plus permis. On trouva quelques lettres de sa femme, des ouvrages de Malebranche et Boileau, un certificat de mariage, les livres religieux préférés du héros, et quinze livres en monnaie. Mais les registres n'étaient pas là. Fort prudent, Durand ne les gardait pas sur lui. Dans le cas hélas trop vraisemblable de sa capture, ils eussent constitué, entre les mains des Puissances, les plus redoutables pièces à conviction contre les protestants dont il avait béni les mariages ou baptisé les enfants.

Il répond courageusement

On l'interrogea de nouveau : « Etes-vous M. Durand?

Oui Monsieur, je le suis, et je connais que mon heure est venue de passer de ce monde au Père des Esprits. » Le captif ne pouvait avoir aucune illusion sur son sort.

Il arriva vers trois heures du matin à Vernoux sans avoir rien déclaré qui permît d'entreprendre des poursuites contre ceux chez lesquels il s'était réfugié la veille encore.

On le mena jusqu'aux casernes et le capitaine prit aussitôt ses dispositions pour le faire escorter à Tournon. L'officier redoutait l'émotion des religionnaires et il lui tardait que le malheureux quittât Vernoux. Déjà le bruit de sa capture se répandait dans la bourgade et même aux environs, avec une rapidité très grande.

Plusieurs personnes vinrent lui rendre visite. Il resta calme et digne. Entre autres, le curé du lieu, s'il faut en croire une relation par ailleurs très exacte envoyée à Court après ces événements, lui fit cette étrange sortie : « Monsieur, vous devriez bien me rendre une partie de l'argent que vous avez tiré des mariages que je devais bénir. » - « Vous savez bien », répondit le pasteur, « que je n'ai pris que le montant du papier timbré pour le certificat et pour le registre. » - « Pourquoi les avez-vous bénis », ajouta le curé, « puisque le roi le défend » ? - « Monsieur », répartit le pasteur, « je n'ai rien fait en cela que ce que Dieu et ma conscience m'ont engagé de faire. Vous ne vouliez bénir ces mariages qu'à la condition pour les conjoints d'abjurer leur religion. Trouvez-vous étrange qu'un ministre de leur religion leur ait donné la bénédiction nuptiale ? Et pour ce que vous me dites que le roi le défend, je le savais fort bien, mais j'ai appris des disciples de mon Sauveur qu'il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes. » « Bien d'autres personnes furent le voir », ajoute le récit que nous résumons, « les uns par curiosité, les autres par pitié ; mais il y en eut très peu qui ne s'en retournassent contents et satisfaits des beaux et bons discours qu'il leur avait tenus. Plusieurs mêmes, quoique papistes, touchés de son état, versèrent des larmes ».

Bientôt il fallut partir. Au sortir du bourg, le convoi était attendu par des groupes importants de curieux ou de religionnaires accourus pour revoir une dernière fois leur conducteur dont ils déploraient le sort tragique. Quand celui-ci parut, monté sur son cheval, au milieu des soldats en armes, l'émotion fut intense. Mais le martyr entonna, de toute sa voix, le psaume 25 :

A toi mon Dieu, mon coeur monte,

En Toi mon espoir j'ai mis....

Serai-je couvert de honte

Au gré de mes ennemis ?

Jamais on est confondu

Quand sur toi l'on se repose

Parvenu à Tournon vers la fin de l'après-midi, il y fut interrogé par La Devèze, commandant militaire pour la région. Il ne fit pas difficulté de reconnaître les charges qui pesaient sur lui, se conformant en cela aux instructions données par les Synodes en prévision des interrogatoires que ne manquerait pas d'entraîner une capture toujours possible. Mais il refusa de donner aucun détail qui pût compromettre ses amis.

 

On lui permit d'écrire une lettre pour qu'il leur demandât de remettre à La Devèze un coffret dont on avait trouvé la clé sur lui au moment des fouilles. Il put ainsi exprimer ses recommandations ultimes et ses adieux :

Dernières recommandations

« Ma course sera bientôt finie ; Dieu aidant, dans peu de temps, je scellerai l'Evangile que j'ai prêché. Je vous prie de prier le Seigneur en ma faveur, qu'il me pardonne mes péchés, qu'il me sanctifie par son Saint-Esprit et qu'il me soutienne dans toutes mes épreuves. Grâce à Dieu, j'ai rendu témoignage de ce que je crois. Dieu m'a donné la force de confesser librement qui je suis. Je prie le Seigneur de me faire la grâce de finir mes jours dans son amour et dans sa crainte. Je vous recommande à sa divine protection. Il n'est pas nécessaire de vous dire que vous avez à vous conduire sagement et avec beaucoup de circonspection. Je vous recommande, de même qu'à toutes les bonnes âmes, ma pauvre femme et mes chers enfants qui vont être bientôt sans père. »

Il disait en terminant : « M. Ladevèze m'a donné sa parole d'honneur que cette lettre ne ferait aucune peine à personne, et je le tiens pour un homme d'honneur et de probité. Adieu, mon cher frère, nous nous reverrons au ciel. Amen. »

En dépit de sa promesse La Devèze fit surveiller le bureau de poste, mais les religionnaires méfiants n'y envoyèrent personne. En fin de compte, le commandant militaire donna l'ordre à deux hommes de prendre le pli et il les munit à cet effet d'un sauf. conduit. Ils remirent donc la lettre à l'officier, mais ils en prirent auparavant la copie.

Escorté par deux compagnies en armes, le pasteur fut bientôt conduit à Montpellier. Peu à peu, il avait vu s'estomper dans le lointain les crêtes bleues de ses montagnes. Il était arraché, en pleines forces, à sa carrière, à ses amis, à ses enfants, poussé vers un inéluctable destin. Mais les nombreux témoignages pieusement recueillis par ses coreligionnaires auprès des soldats qui l'accompagnaient laissent entendre que son attitude fut toute de résignation et de foi. Ce qu'il avait enseigné durant les douze ans de son apostolat semé de labeurs et de déchirements incessants, il achevait de le vivre dans la suprême épreuve.

Comment on apprit la fatale nouvelle en Suisse

A Genève, le charitable libraire Du Vilard, ami sincère des réfugiés et bienfaiteur des Eglises persécutées, venait d'apprendre avec une indicible émotion la terrible nouvelle. Il écrivit à Antoine Court, à la date du 26 février : « C'est avec les larmes aux yeux que je vous apprends la prise de notre cher ami, M. le pasteur Durand, qui fut arrêté le 12 de ce mois, à ce que l'on me marque par une lettre que j'ai reçue hier sans seing et sans me dire l'endroit où il a été pris. Dieu veuille le soutenir dans ses afflictions. Je vous laisse le soin, si vous le trouvez à propos, de l'apprendre à son épouse ; pour moi, je ne saurais m'y résoudre. »

Le réorganisateur des Eglises, l'ancien lutteur du Languedoc, dut frémir en recevant ce pli. Avec Durand il perdait l'un de ses meilleurs collaborateurs, le chef incontesté des Eglises du Vivarais. Lui non plus ne put se décider à prévenir tout de suite Anne Durand, et il attendit de s'y voir contraint par les circonstances. La jeune femme, d'ordinaire si facilement inquiète, fut héroïque. Elle reçut de ses amis de France et de Suisse les plus touchantes marques de sympathie. Isabeau Corteiz, en particulier, dont le mari était aux prises dans les Cévennes avec les inextricables difficultés suscitées par l'affaire Boyer, sut écrire dans les termes les plus délicats à l'exilée de Lausanne. Ces lettres et celles qui suivirent l'exécution du ministre furent recueillies par Antoine Court et quelques-unes publiées en Suisse dès ce moment. Anne Durand voyait dans « son châtiment une occasion d'avancer dans la sanctification ». En Vivarais, le proposant Duvernet, qui devait être tué par les soldats lors d'une tentative d'évasion en 1739, s'exprimait ainsi : « L'affliction de nos Eglises est donc bien grande... Les voies de Dieu ne sont pas nos voies et Ses pensées ne sont pas nos pensées. Peut-être qu'Il veut s'en servir pour le bien de nos Eglises... Plût à Dieu que je fusse capable de faire quelque (autre) chose (que de prier) pour sa délivrance. Quand il s'agirait d'aller au bout de ce monde je ne m'y épargnerais pas. Ce Dieu de consolation et ce père de miséricorde veuille aussi consoler sa chère épouse dans sa grande affliction ! Je puis franchement vous dire qu'elle ne m'empêche pas de travailler avec la même ardeur pour remplir les devoirs de la vocation à laquelle le Seigneur a voulu m'appeler, tant qu'Il lui plaira de me conserver en vie.

« Au sujet de Mme Durand.... pour mon particulier, vous pouvez l'assurer que tout ce qui dépendra de moi lui sera offert, et que je me retrancherai plutôt d'une partie de ce qui m'est nécessaire pour lui rendre service et à ses enfants. J'ai des obligations trop grandes à M. Durand, j'ai eu et j'ai encore trop d'amour pour lui pour ne pas aller au-devant de tout ce qui peut faire plaisir aux personnes qui lui appartiennent... »

Le procès commence

Déjà le procès commençait à Montpellier. Les protestants en connurent vite les moindres détails. Le martyr était relégué dans une prison souterraine de la citadelle, sorte de voûte éclairée seulement par un judas donnant sur un couloir fort sombre. Il souffrait d'une terrible humidité qui n'arrivait pourtant pas à le délivrer des morsures de la vermine. En outre il subissait les visites d'un convertisseur apostat qui nous a laissé de celles-ci une relation fort longue et fastidieuse. Il voulait la faire imprimer ; l'Intendant ne jugea pas qu'elle en fût digne. Toutefois, le zèle de l'importun fut un peu plus tard récompensé par une pension.

Au travers de ce procès-verbal très probablement tendancieux nous retrouvons quand même les signes indiscutables d'une crise d'âme trop compréhensible. Le malheureux était seul, dans l'obscurité, sans nouvelles de ses enfants en danger, sachant sa compagne aux prises avec de grandes difficultés matérielles qu'elle affrontait avec une santé chancelante et une sensibilité trop grande. Un jour il pleura, prêt peut-être à s'informer de la valeur d'une religion dont l'adoption pouvait lui assurer le salut.

Mais ces émois furent de courte durée. Bientôt averti par des complicités périlleuses des mesures prises en faveur des siens, il redevint ferme et fier, affirmant à son partenaire « qu'il avait fait sa paix. avec Dieu et qu'il voulait se préparer à la mort ».

Il s'y prépara en effet en jeûnant fort sévèrement et ,en priant. Puis les interrogatoires judiciaires se succédèrent les uns aux autres, conduits par M. de Rosset. Sans dire tout, Durand reconnut le bien-fondé des accusations qui ne concernaient que lui seul. Et comme on lui fit observer un jour qu'il n'avait pas dit la vérité, il répondit une fois de plus qu'il acceptait de ne rien cacher de ce qui le regardait, mais ,qu'en conscience il ne pouvait rien ajouter qui pût compromettre son prochain.

Ainsi s'explique le caractère de ses déclarations, tantôt tendancieuses et tantôt rigoureusement exactes. Il faisait preuve du plus grand courage, mais sans aller jusqu'à provoquer par une sincérité absolue le malheur de ses amis. En vérité, qui donc oserait lui reprocher d'avoir agi de la sorte tandis que la justice était encore si arbitraire et qu'on pouvait, hors de toute procédure régulière, emprisonner par simple lettre de cachet des victimes pour toute leur vie ?

Le jugement lui-même fut rendu le 22 avril. L'Intendant en personne interrogea le pasteur, pour la dernière fois.

La main sur l'Evangile, le prévenu jura de dire la vérité. Quand on lui demanda s'il avait prêché, baptisé et marié, il répondit :

Un beau témoignage

« J'ai prêché et exhorté les fidèles à la repentance et d'être fidèles au roi, le regardant comme l'oint de l'Eternel. Je leur ai défendu la rébellion et les ai exhortés de souffrir tout avec patience et soumission ,et d'avoir en horreur les vices. » Et quand de Bernage lui demanda s'il n'avait pas connu les ordonnances royales qui défendaient l'exercice de la religion protestante : « J'ai eu connaissance de la déclaration du roi de 1724 », répondit-il, « mais je n'ai pas cru que les défenses portées par cette déclaration pussent me regarder, parce que l'esprit de cette déclaration était de punir ceux qui pouvaient fomenter des révoltes dans le royaume, contre lesquelles j'ai toujours parlé et prêché. Je n'ai pas cru, d'ailleurs, que le roi eût eu jamais de lui-même l'intention de défendre à ses sujets de prier Dieu, suivant les lumières de leur conscience. »

On l'invita, selon l'usage, à signer les procès-verbaux de l'interrogatoire. Il le fit avec une grande assurance dont le tracé parfaitement net des lettres nous est la preuve. Tous étaient émus, et quand le moment fut venu de délibérer pour l'Intendant et ses adjoints, trois parmi ces derniers opinèrent seulement pour une condamnation aux galères à perpétuité, mais la majorité l'emporta. Il ne restait plus qu'à signifier l'arrêt de mort à l'accusé. Celui-ci, « convaincu d'avoir contrevenu aux déclarations du Roi », devait être « en réparation, pendu et étranglé... à une potence dressée à cet effet à l'Esplanade », « et ses biens confisqués, distraction faite du tiers pour sa femme et ses enfants ».

L'exécution

Lorsque Durand vit entrer dans sa cellule immonde le subdélégué de l'Intendant et son greffier : « Apparemment, leur dit-il, vous venez me lire ma sentence de mort. » Sur leur réponse affirmative, il dut se mettre à genoux, selon la coutume, tandis que la voix monotone du scribe psalmodiait la sentence. Quand il eut achevé, le pasteur leva les yeux vers le ciel et s'écria, en joignant les mains :

« Loué soit Dieu ! voici le jour qui met fin à toutes mes souffrances, le jour où ce grand Dieu me comblera de ses plus précieuses grâces, en me donnant la félicité bienheureuse ! »

Mais aussi, dans ce moment suprême, il n'oublia pas les siens : on les avait retenus à Aigues-Mortes et à Brescou « par rapport à son ministère ». Pourquoi leur détention se prolongerait-elle après sa mort ? Il supplia le subdélégué de demander à l'Intendant leur mise en liberté.

Puis il obtint qu'on lui laissât quelques heures pour se préparer à la mort, sans qu'il pût toutefois éviter l'assaut des prêtres parmi lesquels se trouvait un frère de M. de Rosset, et venus dans le dessein de lui arracher une abjuration du dernier moment.

Mais ce n'était pas alors que le condamné allait fléchir. A ces importuns il répondit avec mesure, mais avec fermeté, « qu'il avait des raisons meilleures que toutes celles qu'ils alléguaient et qui l'obligeaient à mourir en la foi qu'il avait en la vraie religion ». Puis il se retira dans un coin de son cachot, non sans les prier « d'avoir la charité de le laisser se réconcilier avec son Dieu et de faire sa paix avec Lui. Pour le peu de temps qu'il lui restait à vivre, on devait avoir la charité de le laisser en repos ».

Une téméraire action

Quand l'heure fut venue, le bourreau entra dans la cellule tandis que sur l'esplanade, sous la pluie battante, une foule compacte se réunissait pour assister à l'exécution. Plusieurs amis du ministre s'étaient glissés là, parmi lesquels son collègue languedocien Barthélémy Claris. Celui-ci devait même pousser l'audace jusqu'à se joindre aux religionnaires fidèles qui ensevelirent ensuite le corps du héros après lui ,avoir rendu les derniers devoirs.

Par les relations qu'ils envoyèrent ensuite à Court, nous possédons les plus menus détails du drame. Leur véracité se trouve confirmée par leur étroite concordance avec les pièces officielles conservées aux archives de l'ancienne Intendance de Montpellier, visibles aujourd'hui encore dans les bâtiments du grand séminaire désaffecté depuis 1906.

Durand quitta ses habits, non sans prier le concierge, dans une suprême attention, de les faire remettre à son père qui sans doute en avait besoin. Puis il demanda au bourreau de le laisser achever sa prière avant d'accomplir le geste fatal.

Maintenant il sort. Un détachement d'archers le précèdent, accompagnés d'une douzaine de tambours chargés de couvrir la voix du condamné. Mais les, instruments aussitôt détrempés ne peuvent empêcher qu'on ne l'entende chanter une « pause » du psaume 23 :

« Dieu me conduit par sa bonté suprême... »

Il avance vers son destin d'un pas ferme, les yeux fixés au ciel. Et encore il entonne le psaume pénitentiel, le psaume des martyrs :

« Miséricorde et grâce, oh Dieu des cieux,

Un grand pécheur implore ta clémence... »

Mais voici la potence, au sommet du long talus. fortifié qui entoure la citadelle. Alors le chant se poursuit, plus ému peut-être, qui clame l'indicible espérance conservée malgré tout :

Qu'Israël sur Dieu fonde

En tout temps son appui

En Lui la grâce abonde,

Le secours vient de Lui.

De toutes nos offenses,

Il nous rachètera.

De toutes nos souffrances,

Il nous délivrera...

Au pied de l'échelle, le martyr prie. Interrompu par les prêtres, il les rappelle à leur devoir de discrétion et de charité plus nécessaires que jamais dans un tel moment. Puis, intrépide, il gravit les degrés de l'échelle fatale. Et lui-même donne au bourreau le signal.

Le témoignage des églises

Ainsi mourut le frère de Marie Durand. A tant de grandeurs et de misère une conclusion allait être donnée, celle qui termine une relation récemment retrouvée en Aveyron :

« Voilà », disait-elle en ses termes où transparaissent une pitié naïve et une foi magnifique, « de la façon que le pauvre M. Durand a fini ses jours. Tous ceux qui l'ont vu mourir ont été édifiés de sa constance, ayant fait verser beaucoup de larmes à bien des gens, tant protestants que romains, présents à sa mort. On rend témoignage que, l'ayant vu dans cette fermeté et courage, on ne peut que conclure qu'il avait le paradis dans son âme avant d'y entrer ; étant rempli de la lumière du Saint-Esprit, étant d'un grand exemple à tout le monde, principalement aux fidèles dans la foi, ne pouvant douter que le Seigneur Jésus-Christ qui est la charité même ne lui ait tendu les bras et l'ait pris par la main droite, conduit par son conseil et introduit dans son royaume céleste pour y régner éternellement. A Lui soit gloire, force, empire et magnificence aux siècles des siècles. Amen. »

De Bernage avait déjà rendu compte de l'exécution au Cardinal Fleury, premier ministre : « J'ai l'honneur d'envoyer à Votre Eminence », lui disait-il, « le jugement qui a été rendu hier contre le nommé Pierre Durand, ministre. Il a été exécuté le même jour. Il est mort, comme je l'avais prévu, sans se reconnaître et sans aucun repentir. » Comme s'il avait quelque velléité de remords, Fleury lui répondit de Compiègne : « On ne pouvait guère se dispenser de faire cet exemple. »

Lorsque Marie Durand apprit avec l'émotion que l'on peut penser la mort triomphante de son frère, elle cessait d'être seulement un pauvre otage. L'auréole du martyre brillait sur la mémoire de l'un des siens. Dieu demandait à la prisonnière, plus que jamais, de demeurer fidèle.



Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant