Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE IV

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(1732-1748)

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Pas de découragement chez les « nouveaux convertis »

Dans tout le Languedoc protestant, l'impression produite par le martyre de Pierre Durand fut profonde. Mais le zèle des religionnaires ne se ralentit pas. Des lettres admirables parvenaient à la veuve du ministre, et à Court : « Les assemblées n'ont pas diminué, pouvait dire celui-ci en les résumant toutes, et la mort de M. Durand a enflammé le zèle. » Un synode se tint en Vivarais le 21 mai, moins d'un mois après l'exécution. Il fut présidé par Lassagne, déjà rentré de Suisse où il s'était enfui après la capture de son collègue aux parents desquels il donna sans doute maints détails sur la catastrophe. On se préoccupa de réunir pour l'exilée de Lausanne les sommes qui restaient dues à son compagnon au moment de l'arrestation : le total s'en élevait à 606 livres, près de 15.000 fr. de notre monnaie, et correspondait à un arriéré de plusieurs années ! Mais l'hommage rendu au zèle du héros doit être reproduit :

Un beau témoignage

« Ayant considéré le malheur de nos Eglises et fait réflexion sur la perte irréparable qu'elles viennent de faire en la personne de feu notre très cher et bien-aimé frère, M. Durand, qui les a servies avec beaucoup d'édification et qui a scellé de son sang la vérité de l'Evangile qu'il avait prêché au milieu de nous, la vénérable compagnie, touchée de reconnaissance des grands services que feu notre cher pasteur a rendus pendant sa vie aux Eglises de notre Vivarais, a ordonné qu'il se fera une collecte générale sur toutes nos Eglises pour payer les arrérages qui étaient dus à feu notre bien-aimé frère, laquelle sera employée non seulement pour payer les sommes qu'il pourrait devoir, mais aussi pour entretenir Mlle Durand, sa veuve, de même que ses chers enfants. La compagnie du synode a aussi arrêté qu'on continuera de payer à ladite demoiselle Durand, autant que cela sera nécessaire, les gages qui étaient assignés à monsieur son mari. »

La première collecte ne produisit que 296 livres.. Au synode suivant, le 23 octobre, il fallut en ordonner une autre pour trouver le complément.

Aux témoignages collectifs s'ajoutèrent ceux des individus : Morel-Duvernet écrivit bientôt à Court, sous pseudonyme : « Nous tînmes heureusement notre synode provincial..., mais quelle tristesse et quelle affliction pour nous de n'y point voir paraître celui qui en était toujours le conducteur ! Quelle perte ont faite nos pauvres églises... Toutes les fois que je considère que nous sommes privés pour jamais d'un si aimable et si digne ministre, ma douleur et mon chagrin s'augmentent de plus en plus, quoique j'y voie plusieurs sujets de consolation. Si d'un côté nous avons lieu d'être affligés, nous avons de l'autre sujet de louer Dieu de sa persévérance... Au lieu de nous abandonner à une tristesse excessive, il faut faire un bon usage du martyre de notre cher frère, et nous servir de cet exemple pour l'avancement de notre salut, puisque, comme dit saint Paul, toutes choses aident en bien à ceux qui aiment Dieu.

Héroïsme et simplicité

Car après tout il faudrait être aveugle pour ne pas voir que nous sommes tous les jours exposés aux mêmes dangers ; et après y avoir bien pensé, j'ai conclu que le meilleur parti qu'il y ait à prendre, dans ces tristes conjonctures, c'est de travailler avec application pour faire des progrès dans la connaissance de Dieu, afin que, supposé que nous fussions pris, comme dans le fond la chose est possible, nous puissions faire triompher la vérité et la défendre contre l'erreur des adversaires. J'ai conclu que nous devons mettre en usage tous les moyens possibles pour nous mettre en l'état de suivre l'exemple de notre bien-aimé martyr, si Dieu veut nous y appeler, et de finir comme lui en soutenant les intérêts de la religion... »

Trois proposants venaient alors d'être reçus : Ladreyt, Lafaurie et lui-même. Emouvante réponse a l'iniquité de Montpellier que la décision de ces jeunes de se consacrer, malgré tout, au service des églises en deuil d'un chef qu'ils allaient remplacer avec le même zèle et le même courage !

En mai 1733, ce fut le tour d'un autre, Pierre Peirot, élève lui aussi de Pierre Durand, et qui devait fournir une longue et belle carrière dans le Vivarais. On lui avait donné, comme texte à développer, ces paroles du psaume IVe : « Tu as mis plus de joie dans mon coeur qu'ils n'en ont lorsque leur froment et leur meilleur vin abondent. »

L'hommage d'un continuateur

Le prédicateur parla des secours que Dieu accorde à ses enfants dans l'épreuve, et il conclut ainsi : « ... Dieu en a usé pareillement, il n'y a que très peu de temps, en la personne de notre très cher et bien-aimé frère M. Durand. Si ce digne ministre de Jésus-Christ avait été abandonné à lui-même ; si son divin Maître ne l'avait pas soutenu, consolé, comment aurait-il pu résister à tant d'attaques ? Comment aurait-il pu souffrir, avec tant de patience, de si rudes épreuves ? Il ne l'aurait pu, s'il n'avait été secouru par son divin Maître. Mais son divin Maître, son divin Jésus, pour qui il combattait, ne l'abandonnait point. Il était toujours avec lui. Dans la prison, partout, il soutenait son fidèle serviteur. Dieu lui donnait tant de force, qu'il supportait avec une patience inouïe tous ses maux, comme cela paraît par diverses relations et principalement par une lettre que notre cher pasteur écrivit des prisons de Tournon à un de ses collègues. Dans cette lettre, bien loin de se plaindre, bien loin de murmurer contre la providence de Dieu, au contraire, il le bénit, il rend grâces à Dieu de ce qu'il lui avait donné la force de confesser ce qu'il était. Ce digne ministre de Jésus-Christ, par sa grande constance, par sa grande tranquillité, fit voir que dans la prison, que sur la potence, que partout, Dieu le soutenait, qu'il le rendait fort lorsqu'il paraissait faible. Or, mes chers frères, une personne qui est soutenue par la divinité, un martyr de Jésus-Christ qui voit les cieux ouverts et son Sauveur assis à la droite du Père céleste qui lui tend les bras, qui lui ouvre son sein, une telle personne, quoiqu'elle soit étendue sur une roue, ou attachée à une potence, n'est-elle pas plus heureuse que les méchants au milieu de leurs richesses ? Notre cher pasteur était plus heureux dans la prison et à l'heure de la mort, que l'intendant sur son trône et au milieu de ses trésors...»

Le titre du sermon, retrouvé dans les papiers de Peirot, sent son XVIIIe siècle ! « Le bonheur des gens de bien. » Mais on voit assez que le sujet est développé dans le plus pur esprit de la doctrine chrétienne. La foi du jeune huguenot est assise sur la pierre angulaire. Il n'est de joie, selon lui, que pour ceux qui ont choisi « la bonne part ».

Des complaintes

En Vivarais, des complaintes circulaient déjà à la dérobée. Nous en connaissons trois, de longueur diverse, au rythme défectueux, aux vers rudes et incorrects. Mais elles traduisent, avec la force des convictions de leurs auteurs, et leur pitié naïve, les sentiments d'un grand peuple dont la souffrance même ne faisait qu'exalter la foi.

Nous citerons quelques passages de l'une d'elle :

Nos bourreaux sanguinaires
Ont répandu le sang
De plusieurs de nos frères,
Arnaud, Roussel, Durand;
Mais leur grande souffrance,
Et leur sang répandu,
Servira de semence à la maison de Dieu.

Deux autres strophes étaient plus explicites encore :

Imitons ce fidèle
Jusqu'aux derniers abois
Et si Dieu nous appelle
A porter notre croix,
Pensons que cette plaie
Ne fait pas déshonneur,
Puisque c'est la livrée
Des enfants du Seigneur
 
Vous avez la croyance,
Quand vous faites mourir
Quelque ministre en France,
La religion finir ;
Mais Dieu y pourvoira
Par l'aide de sa grâce
Il nous en enverra
Des autres à leur place.

Une autre n'est pas moins intéressante. Nous en connaissons deux versions quelque peu différentes, dont la première, plus chargée de développements théologiques et de controverse, mais aussi plus correcte, est celle que nous reproduisons ici:

Venez, petits et grands,
Entendre la sentence
Prononcée à Durand
Qui crie à Dieu vengeance
Et par cette sentence
Durand est condamné
D'être sur la potence
Pendu et étranglé.
 
Quel crime avait-il fait,
Ce pasteur des fidèles
Pour avoir mérité
Des peines si cruelles
Trois mois dans la souffrance,
Nourri au pain, à l'eau,
Mourir sur la potence,
De la main du bourreau ?

Le poète narre ensuite le voyage du martyr à Montpellier, et son interrogatoire.

Il fut interrogé
Par M. de Bernage
Durand lui répondait
D'un ton prudent et sage.
- Dites-moi : pour quel crime
Etes-vous dans ce lieu ?
- Répond cette victime
Pour avoir prié Dieu.
 
- Mais l'avez-vous prié
Comme un bon catholique ?
- Oui, monsieur, j'ai prêché
La loi évangélique.
Le nom de catholique
Vous nous l'avez volé;
La loi évangélique
Seule doit le porter.
 
- Etes-vous un pasteur,
Dites-moi je vous prie,
De ceux qui vont aux champc,
Qui prêchent l'hérésie ?
- Oui, monsieur, d'un grand zèle,
Avec un grand désir,
J'ai prêché l'Evangile
Du Seigneur Jésus-Christ.

Mais encore la complainte met sur les lèvres du pasteur l'apologie d'une croyance qui, elle, permet du moins de s'approcher de Dieu sans intermédiaire :

De s'adresser à Dieu
Vous nommez hérésie
Lisez en St-Mathieu,
OÙ Jésus nous convie,
Nous disant de la sorte
« Vous qui êtes chargé,
Venez, je suis la porte,
Vous serez soulage. »

Maintenant, elle nous représente, en, des accents naïfs mais touchants, les adieux du héros à ceux qu'il va quitter :

Je vous dis tendrement,
Adieu, ma chère femme,
Es mains du Tout-Puissant,
Je vais rendre mon âme.
Invoquez-le sans cesse,
Mains jointes, à genoux,
Et, selon sa promesse,
Il sera votre époux.
 
Adieu, mes chers enfants,
Croyez bien votre mère ;
Le Seigneur tout puissant
Vous servira de Père.
Dieu vous donne sa crainte,
Son amour et sa paix
Sa religion sainte
N'abandonnez jamais
 
Adieu, mon cher troupeau,
Adieu, ma chère Eglise,
Je prie le Très-Haut
Qu'il Vous garde de prise.
Soyez toujours fidèle,
En espérant toujours
Qu' en a vie éternelle
Nous nous verrons un jour.
 
Adieu, vous, chers pasteurs,
Mes collègues de France,
Je prie le Seigneur,
Par sa toute-puissance,
Qu'il veuille vous conduire,
Par son divin Esprit,
Et à jamais détruire
La loi de l'Antéchrist.
 
Je sais bien qu'il me faut,
Par l'édit de la France,
Mourir sur l'échafaud.
A Dieu soit la vengeance
Mon Seigneur je supplie.
Je m'en vais dans le ciel,
Pour tenir compagnie
A mon frère Roussel.
 
C'est là ne nous serons
Avecque les saints anges
Nuit et jour chanterons
Ses divines louanges.
Ah quelle symphonie
Ah l'aimable séjour
D'ouïr la psalmodie
De la céleste cour !
 
Ayant fait ses adieux,
Il monta à l'échelle,
Levant les yeux aux cieux,
D'un amour plein de zèle,
Grand Dieu, miséricorde,
Pour l'amour de ton Fils !
Et ta gloire m'accorde
Dans ton saint paradis !

 

Vers la fin de cette année 1732 le prédicant Lapra put rejoindre Lausanne, où il se préparait à compléter ses études au séminaire. Il emmenait avec lui les deux enfants de son malheureux collègue. Ainsi fut mise à exécution la promesse faite à celui-ci durant sa captivité. Mais la pauvre mère souffrait toujours d'une santé chancelante que les soins ne parvenaient pas à améliorer.

Les années passent à la Tour

A la Tour la vie se poursuivait monotone, marquée seulement par l'incarcération d'une prophétesse des environs de Ganges, Marie Chambon (en 1732). La même année les deux soeurs Amalric, devenues par leurs mariages Isabeau François et Suzanne Peyre, l'une et l'autre emprisonnées avec six autres femmes nîmoises à la suite de la surprise de l'assemblée du Mas-des-Crottes, en avril 1730, sortirent de la geôle. Peut-être avaient-elles abjuré, bien que nulle trace d'un tel acte ne se retrouve aux Archives d'Aigues-Mortes.

Marie Durand dont toute la famille était dispersée sut garder sans doute et maintenir de plus en plus vive cette foi que tant d'orages n'avaient pu entamer, et dont elle devait donner la preuve sans cesse plus forte tout, au long de sa captivité. Mais nous ne saurons rien d'elle ni de ses compagnes jusqu'en 1735.

Seuls quelques menus incidents devaient troubler la terrible similitude des jours pareils à eux-mêmes : arrivée de lettres ou d'envois divers, maladie de quelque captive... Parfois aussi, le notaire faisait son apparition à la Tour pour prendre acte d'un testament. Ou bien c'était au contraire la prisonnière qu'on laissait aller sous bonne garde jusqu'à l'étude. Ainsi Marie de la Roche, dame de la Chabannerie, à laquelle, en septembre 1730, le vieil Etienne Durand recommandait à sa fille de se confier, remettait en 1734 ses biens laissés en Vivarais à divers amis ou parents et s'engageait à abandonner « les hardes » qu'elle portait sur elle à deux de ses compagnes de captivité.

Les familles des détenues ne restaient pas toutes inactives et s'efforçaient, par des démarches diverses, d'obtenir leur libération. Mais elles se heurtaient au mauvais vouloir des autorités. Rappelons toutefois qu'Antoinette Gonin, qui faisait acte de catholicisme depuis 1731, fut libérée sur l'attestation favorable du curé d'Aigues-Mortes en novembre 1735.

Le 31 décembre 1736 Marie Durand établissait au nom de ses compagnes une liste des prisonnières. Elles étaient vingt alors, non compris Marion Cannac la libertine. Seize étaient arrivées depuis 1724.

Une agonie à la Tour

Quelques jours auparavant, Marie Vernet-Monteil, de Marcols, était morte. Sentant sans doute sa fin prochaine, elle avait pris la précaution de faire établir son testament. On peut se représenter combien une telle agonie, dans la salle commune, dut être dramatique, mais il ne paraît pas qu'en dépit de tant d'horreurs la patience des martyrs se soit lassée. Elles « tenaient » toujours bon.

Au début de 1737 elles furent rejointes par deux Vivaroises, Marie Vérilhac-Sauzet, de Pranles, et Marie Vidal-Durand, des environs de Vals dont le seul crime était d'avoir fait bénir leur mariage « au désert ».


UNE GALÈRE AU XVIIIe SIÈCLE

Le 3 mars, c'était le tour de Marie Vey-Goutet, de St-Georges-les-Bains. Elle était accompagnée d'Isabeau Menet-Fialès, de Beauchastel. Toutes deux avaient avec elles un enfant au sein. Avec Jeanne

Menet, soeur de la seconde, elles étaient convaincues de s'être rendues à une assemblée qui se tint chez un nommé Feissier, près du village de Bruzac. L'affaire eut lieu en mars 1735. Après un procès qui dura deux ans, et au cours duquel Jeanne Menet, - elle avait 16 ans, - parvint à s'échapper des prisons de Pont-St-Esprit où les trois femmes étaient enfermées, les deux dernières furent envoyées à Aigues-Mortes « pour le reste de leur vie ».

Une amitié se crée à la Tour

Marie Durand avait alors 22 ans. C'était probablement l'âge d'Isabeau Menet. Les deux captives ne tardèrent pas à se lier d'une étroite amitié. L'épreuve qui atteignait la nouvelle venue était d'autant plus, lourde que son mari avait été, lui aussi, envoyé aux galères où il devait mourir à la peine au début de 1742. On peut penser qu'en ces tristes circonstances toute compassion devait être pour elle la bienvenue.

« Je m'estime fort heureuse que Dieu me trouve digne de souffrir persécution pour son saint nom, écrivait-elle à sa soeur en automne 1737... Soyez bien assurée que toutes les menaces du monde ne seront pas capables de me faire abandonner le dépôt de la foi. J'espère que ce bon Père de miséricorde ne me déniera pas le secours nécessaire pour supporter les épreuves qu'il lui plaira m'imposer.

« ... Mon fils qui se fait grand a une dent, vous embrasse dans son innocent langage. »

Et encore, elle ajoutait ce post-scriptum :

« J'ai ici une bonne amie, nonobstant vous qui est Mlle Durand. Elle vous ressemble beaucoup, que c'est cause que d'abord en entrant ici, je lui dis qu'elle ressemblait ma soeur et du depuis nous nous sommes toujours appelées soeurs l'une l'autre. Elle vous embrasse de tout son coeur. »

L'année s'acheva. Elle n'avait pas apporté aux détenues les délivrances qu'en leur for intérieur elles espéraient. L'une d'elles, la veuve Rigoulet, s'était essayée encore à faire agir un prêtre des environs « venu pour l'instruire » dans sa prison. Mais elle était toujours « bonne protestante » aux dires du curé d'Aigues-Mortes, et la démarche resta sans effet.

Toutefois, un événement, en apparence insignifiant mais en réalité fort important, avait eu lieu avec l'arrivée du nouveau Lieutenant du Roi, Roqualte de Sorbs. Celui-ci se montra toujours fort accessible à la pitié, et les conditions de séjour des malheureuses enserrées dans leur étroite et sombre retraite en furent sans doute améliorées.

Pierre Rouvier, le frère d'Anne Durand, qui ramait depuis 1719 sur les galères du Roi, avait été libéré. Il quitta le royaume et se réfugia en Hollande.

Une nouvelle captive

Mais les sévérités du pouvoir ne diminuaient pas pour autant. Dès les premiers jours de janvier 1738, Anne Soleyrol, fille d'un boulanger d'Alès, franchit le seuil du donjon. Depuis quatre ans on essayait en vain de la convertir au couvent des Ursulines, à Mende. Elle avait « chagriné et fatigué toutes les religieuses », allant jusqu'à contrefaire la muette. L'Intendant, jugeant qu'elle causait un désordre qui ne permettait plus de la garder et moins encore de la rendre à ses parents, la fit conduire à Aigues-Mortes après en avoir conféré avec l'évêque de Mende.

L'aide des Eglises

Les Prisonnières n'étaient pas oubliées par les Eglises maintenant reconstituées. Dès 1727 les Synodes s'étaient préoccupés de leur procurer quelques secours. On lit dans les Mémoires de Pierre Corteiz, à la date du 22 octobre 1727 : « Je fus appelé dans un colloque que M. Combes, alors proposant, avait convoqué dans les Eglises de Lozère et des Hautes-Cévennes. J'interrogeai, comme à l'ordinaire, Messieurs les anciens de chaque église... Cela fait, on vint à parler de nos frères qui sont sur les galères de Marseille et de nos soeurs qui sont dans les prisons d'Aigues-Mortes, et fut délibéré d'envoyer à nos frères de Marseille douze livres et à nos soeurs onze livres.

La question fut agitée, si l'on ne pouvait pas faire un plus grand effort. Messieurs les anciens représentèrent que les amendes qu'on fait payer avec sévérité aux pères et mères des réformés, lorsque leurs enfants manquent d'aller à la messe et à l'instruction des prêtres, les réduisent à la dernière misère. Il résulte de cet événement qu'il ne manque pas, à la plupart des réformés, la bonne volonté, mais les moyens de secourir leurs frères dans la misère. »

Onze livres, c'était peu. Toutefois, la charité des Eglises allait grandir, et déjà Benjamin du Plan parcourait l'Europe protestante pour plaider leur cause et recueillir des secours indispensables.

En 1738 un bienfaiteur d'Aimargues fit parvenir un don plus considérable aux prisonnières. Suzanne Vassas et Marie Durand remercièrent « en leur nom à toutes ». Ainsi voyons-nous se préciser la noblesse et l'importance du rôle joué par l'héroïne, porte-parole de ses compagnes, et de plus en plus leur conseillère et leur animatrice : « Monsieur, disait-elle, Mlle de Couste, qui est venue avec Mlle Boureille, nous ont fait la grâce de nous remettre dix-nuit livres argent de votre part, que nous avons partagé entre toutes. Nous avons l'honneur, Monsieur, de vous remercier très humblement de votre bonne et agréable charité venue à propos. Nous prions le Seigneur qu'il lui plaise vous en rendre la récompense dans ce monde et à jamais dans son saint Paradis. »

Vers la fin de l'année un habitant d'Alès écrivit à Du Plan, originaire de la même ville, pour l'intéresser au sort d'Anne Soleyrol. Aux dires de cette dernière il y avait alors vingt-quatre prisonnières à la Tour. Dès qu'il reçut ces renseignements le député général rédigea, de Londres où il se trouvait alors un placet en faveur des recluses. Nous en citerons les principaux passages :

« C'est en faveur des généreux confesseurs qui gémissent dans les fers, écrit-il, parmi toutes sortes de malfaiteurs et dans des prisons affreuses, qu'on a entrepris une collecte parmi quelques personnes charitables qui prennent part à la froissure de Joseph et qui se souviennent des prisonniers de l'Evangile comme s'ils étaient prisonniers avec eux... Le nombre des galériens est présentement de dix-huit ; celui des prisonniers au fort de Brescou, situé dans la mer, est de dix ; celui des prisonnières dans la Tour de Constance est de vingt-deux, sans compter dix-sept femmes qui ont été arrêtées depuis peu, près de Nimes, en revenant d'une assemblée religieuse, et qu'on a condamnés à une peine perpétuelle dans cette Tour. »

L'auteur met toute son émotion à décrire la prison de ces infortunées :

« Il faut noter que la Tour de Constance est une prison où l'on envoie ceux qu'on veut faire périr petit à petit, sans éclat. La ville d'Aigues-Mortes était autrefois un port de mer ; mais, depuis que la mer s'est retirée, elle se trouve presque. déserte, sans fabriques et sans négoce. Tous les environs sont remplis de marécages qui causent la stérilité du terroir et la disette, jusqu'à l'eau qu'il faut acheter, parce qu'on va la chercher jusqu'à deux lieues de la ville. L'air aussi y est si malsain que les maladies y sont fréquentes et que la plupart des habitants portent le deuil. Si la ville est pauvre et malsaine, la prison l'est encore davantage, à cause d'une plus grande misère et du peu d'air qu'on y respire, à travers quelques petites ouvertures de murailles qui sont extrêmement épaisses ; ce qui empêche que ces pauvres prisonnières jouissent jamais des rayons du soleil et fait qu'elles sont comme ensevelies dans un vaste tombeau où les ténèbres et le froid règnent presque pendant toute l'année. Aussi sont-elles presque toujours malades. et, ne recevant que très peu de secours, il en meurt en quantité.

« Malgré toutes ces misères, poursuivait Du Plan, il y a quelques-unes de ces captives qui subsistent dans cet horrible séjour depuis dix, quinze, vingt ans, soit par la force de leur tempérament, soit que Dieu les ait voulu conserver pour être des exemples vivants aux autres, de piété, de vertu et de constance. Parmi les galériens, les prisonniers et les prisonnières, il s'en trouve de tout âge, depuis vingt ans jusqu'à quatre-vingt-quatre ans, comme le père de M. Durand, ce fidèle ministre qui souffrit le martyre il y a encore neuf ans.

« Toutes ces choses, qu'on peut vérifier par plusieurs lettres et des attestations de personnes dignes de foi, émouvront sans doute le coeur des personnes pieuses et charitables et les porteront à contribuer quelque chose des biens dont Dieu les a bénis, pour le soulagement de leurs frères et soeurs en Christ, et ces fidèles confesseurs et confesseuses secourus et soulagés dans leurs souffrances, pénétrés d'une juste et vive reconnaissance, feront des voeux ardents à Dieu en faveur de leurs généreux bienfaiteurs. »


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