Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE Il

Les emprisonnements

(1728-1730)

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Etienne Durand poursuivi

Marie avait 13 ans à peine lorsque la nouvelle fut donnée au Bouchet, le 18 septembre 1728 à l'aube, qu'une troupe de soldats se dirigeait vers le hameau.

Etienne Durand se sentit menacé. Il quitta précipitamment la maison et se réfugia au château de Bavas, à quelque distance de là. Sans doute avait-il pris le soin de confier avant sa fuite sa fillette à des voisins obligeants, car lorsque le sieur Duroux, de Privas, et ses douze hommes parvinrent chez lui, ils ne trouvèrent rien que les ouvrages religieux, la Bible et le livre de raison mentionnés au début de notre précédent chapitre, et divers papiers. Ils se saisirent du tout. Mais l'objectif principal de leur expédition était manqué.

Du Monteil, subdélégué de l'Intendant en Vivarais, fit part de cet échec à de Bernage en accusant le vieillard plus gravement peut-être qu'il ne convenait. Il le déclarait « aussi coupable ou presque que son fils » et le soupçonnait de faire le commerce des livres interdits.

L'ancien greffier s'abstint de séjourner chez lui pendant quelque temps et n'y vint qu'une fois ou deux, à la dérobée, pour se rendre compte de l'étendue exacte des dommages faits par les visiteurs importuns. Mais en octobre sa retraite fut découverte. Alors il demanda à voir Du Monteil, à la condition qu'on ne l'arrêtât point. Le fonctionnaire y consentit et le huguenot reçut « à l'endroit du pasteur, son fils, une telle mercuriale qu'il aurait voulu être à un autre endroit ». On accusait le ministre « de faire plus de mal dans le Vivarais que Calvin n'en avait fait en France, en Angleterre, ni ailleurs, à cause des mariages ». Puis on menaça le vieux père « d'une prison où il serait resserré pour le reste de ses jours », et on l'engagea « à promettre qu'il travaillerait de toutes ses forces à faire sortir son fils du Royaume ».

Etienne Durand, pris de peur, eut un moment de faiblesse bien excusable. Il écrivit à La Devèze, le commandant militaire de la région, pour tenter de se justifier. Puis il fit part à son enfant des mesures qui se tramaient contre eux: « Ayez une fois compassion de moi, concluait-il, considérez ma vieillesse et les chagrins que je reçois, comme aussi prenez garde à vous, et suis votre père, Etienne Durand. »

Etienne Durand arrêté

Où était alors Marie ? Nous ne savons. Mais quelle ne dut pas être son émotion quand, en février 1729, son père fut cette fois bel et bien arrêté puis transféré au château de Beauregard, en face de Valence, en compagnie d'un religionnaire des environs de Chomérac, coupable de s'être marié au désert.

Anne Durand vivait toujours à Craux. Elle n'allait plus y demeurer longtemps.

Que va faire son fils ?

Un drame se jouait dans la conscience de son compagnon : le devoir du fils l'emporterait-il sur celui du pasteur ? Quelles pouvaient être les dispositions exactes du vieillard, et accepterait-il de sacrifier sa liberté à la cause de Dieu ?

Une lettre héroïque

A la fin, le jeune ministre prit une décision héroïque. Il resta, mais non sans écrire à La Devèze une lettre d'une éloquente fermeté où les paroles sont celles d'un juge plutôt que d'un suppliant :

« Monsieur, vous êtes commandant pour le Roi, notre commun maître.

« Sous cette qualité, vous jetez un homme en prison, non parce que vous le jugez criminel, mais parce qu'il a un fils qui est regardé comme criminel, si l'on en veut croire l'Eglise romaine. Supposons, pour un temps, que je sois criminel, comme vous le croyez, - j'aurai peut-être, dans la suite, occasion de me justifier et de faire connaître ce que je suis, - me sera-t-il permis, Monsieur, de vous demander si le roi vous ordonne de punir un père pour les prétendus crimes de son fils ?...

« Quoi ! infliger des peines, détenir en prison un pauvre vieillard, parce qu'il a un fils ministre, un fils qui est chrétien, mais qui refuse d'admettre les dogmes qu'il ne croit pas véritables, et laisser en repos le père d'un Cartouche, le plus insigne des scélérats ! Vit-on jamais une plus noire injustice ? Se peut-il croire que cela se pratique dans les Etats d'un prince qui fait sa plus grande gloire de porter le titre auguste de Très Chrétien ? Un événement de cette nature étonnera la postérité, et si je n'attendais pas un effet de votre justice, je dirais hardiment qu'il a été réservé pour faire la honte de notre siècle, puisqu'on ne lit pas qu'il soit jamais arrivé rien de semblable parmi les chrétiens. »

L'auteur examine ensuite les motifs qui ont poussé La Devèze à mettre son père en prison : « L'on m'assure qu'en détenant mon père, vous croyez de m'obliger à sortir du royaume. Me permettez-vous de vous dire, s'il vous plaît, que cette prudence se trouvera inutile, par deux raisons que je veux avoir l'honneur de vous communiquer. Voici la première : le caractère duquel je suis revêtu ne me permet pas d'abandonner le troupeau que le Seigneur m'a confié et du salut duquel je dois rendre compte. Ce n'est pas ici te lieu de vous faire envisager les raisons qui m'attachent à mon troupeau ; il suffit de vous dire que je me croirais criminel devant Dieu, si, pour garantir ma vie, j'abandonnais ceux à l'instruction salutaire desquels je suis consacré... La seconde raison est que la prudence même ne me le permet pas, en sorte que, quand j'aurais formé le dessein de sortir, cela seul que vous avez fait mettre mon père en prison m'empêcherait de l'exécuter. Voici comme je raisonne : on en veut absolument à ma vie : les démarches qu'on a faites et qu'on fait actuellement ne me permettent pas d'en douter. On offre des sommes considérables à mon délateur. Ne pouvant réussir de ce côté-là, l'on prend une autre voie, l'on jette mon père en prison et l'on fait courir un bruit qu'on ne le sortira jamais de là que je ne sois sorti du royaume. Mais, Monsieur, me croyez-vous si peu de jugement pour ne pas prévoir que, tandis que mon père est en prison, peut-être tous les passages sont munis de gardes avec mon portrait (signalement) en main pour m'arrêter au cas que je passe ?... Je vois le Rhône bordé d'une manière que je serais bien imprudent si j'entreprenais de le passer. Aussi, il ne faut pas attendre que je m'y hasarde...

Consécration entière

« Si mon Sauveur veut m'appeler à signer de mon sang son saint Evangile, sa volonté soit faite, mais je sais qu'il nous commande la prudence du serpent aussi bien que la simplicité de la colombe, et qu'autant il est glorieux de mourir pour la vérité, autant il est honteux d'être la victime d'une témérité imprudente.


(Cliché du Dr. Derrier)
LE FORT DE BRESCOU

« J'ose donc attendre de votre équité, Monsieur, que vous laisserez libre celui qui est injustement détenu captif, puisque vous apprenez son innocence. Au moins, ne vous attendez pas de m'intimider en le détenant. Je sais qu'il souffre pour une juste cause et que, quand il serait conduit à la mort pour soutenir la sainte religion, je n'aurais pas lieu de le prendre à honte ; au contraire, je croirais devoir m'en glorifier. Mais je sais aussi que vous ne devez pas oublier qu'il y a un Juge souverain, devant lequel vous serez obligé de comparaître, aussi bien que nous, et que toutes les absolutions, jubilés et indulgences dit clergé romain ne seraient pas capables de vous justifier devant ce Juge, aussi redoutable que juste, si vous faites souffrir ce bon vieillard mal à propos, et si vous répandez son sang innocent de propos délibéré. Or,, c'est à vous d'y faire attention. Un homme qui approche de quatre-vingts ans pourrait bien vous rester entre les mains, si vous le traitez d'une manière trop rude. Ce n'est pas à cet âge-là qu'un homme est en état de supporter les horreurs de la prison... »

Etienne Durand au Fort de Brescou.

Il les supporta cependant. Après de nouveaux interrogatoires restés sans résultats en raison de ses dénégations formelles opposées au juge qui l'accusait de s'être fait le complice de son fils, il fut dénoncé à l'Intendant de Bernage qui jugea dangereux de le renvoyer chez lui, « crainte qu'il tînt un commerce avec son fils, qui ne pourrait être que de très mauvais effet pour la religion dans le pays ». « Je crois donc, conclut l'Intendant, qu'il est fort à propos de le faire enfermer pour le reste de ses jours dans le fort de Brescou. »

On détenait dans cet îlot basaltique, au large d'Agde, des prisonniers internés hors de toute action régulière, par seule « raison d'état ». De Bernage demanda une lettre de cachet à Versailles, et ce fut l'unique procédure qui devait retenir le vieux père en captivité pendant plus de quatorze ans. Il fut conduit au fort par quatre fusiliers et un sergent.

Marie Durand restait seule au Bouchet-de-Pranles. Sa belle-soeur avait dû s'enfuir de Craux et « prendre le désert », sous la menace d'une dénonciation qu'elle jugeait très probable. Elle se pliait donc aux fatigues d'une vie désormais errante, pour éviter le pire. Ce fut dans ces conditions déplorables qu'elle donna le jour, à St-Cierge-la-Serre le 15 août 1729, à son second enfant, une petite Anne, dont le nom reviendra plus tard dans notre récit.

Pierre Durand continue son ministère.

Le pasteur, en dépit des tortures morales qu'entraînaient pour lui ces douloureux événements, poursuivait sa tâche avec ardeur et succès. Il était en courses perpétuelles malgré le danger et, quand l'hiver fut revenu, les intempéries. Son registre de baptêmes et de mariages, en nous indiquant la résidence des parents ou des fiancés, nous fixe avec une grande exactitude sur ses déplacements. Suivons-le au cours de quelques-uns d'entre eux : dès le début de l'année 1730 il passe vers Gruas, Pranles et St-Fortunat. Puis il monte vers Chalençon, St-Barthélémy-le-Meil et le plateau de Vernoux. Le 12 février, malgré le froid rigoureux qui sévit là-haut à pareille époque, il est à Desaignes ; le 21 à Chalençon, le 27 à Gluiras, le 28 à St-Jean-Chambre. Le 29 mars il est à Pranles, le 8 avril à Vernoux, et le 15 à St-Barthélémy-le-Meil où il préside un Synode provincial au cours duquel on donna à son nouvel auxiliaire, le prédicant Fauriel, l'autorisation de se faire consacrer « où il le voudra ».

Emprisonnement à la Tour de Constance.

Un pareil effort se continuait ailleurs, dans tout le Languedoc, avec les mêmes alternatives de périls et de réels encouragements. Parfois la répression était brutale. Au moment où nous allons bientôt voir Marie Durand entrer à la Tour de Constance, il faut noter que le 3 avril (1730) un jugement de la Fare, commandant militaire en Bas-Languedoc, envoya 9 femmes à Aigues-Mortes à la suite de la surprise d'une assemblée présidée par le prédicant François Roux au Mas des Crottes, près de Nimes.


(Cliché du Musée du désert)
CARTE DU VIVARAIS

Elles appartenaient à la petite bourgeoisie, et leurs maris, nommés sur les procès-verbaux d'arrestation, étaient tous des commerçants ou des artisans de condition aisée. La neuvième était dans un état de grossesse si avancée qu'on lui permit de rester dans sa maison. Après la naissance elle put s'échapper et s'enfuit à Genève. Les autres étaient Suzanne Mauran, qui accoucha d'un fils à la Tour, le 17 août ; Isabeau François et Suzanne Peyre, deux soeurs dont les maris étaient fabricant de bas et facturier de laine ; Olympe Rigoulet ; Marguerite Chabanel, femme d'un marchand ; Isabeau Jullian ; Jacquette Blanc et Anne Sabourin, celle-ci jeune fille encore.

Elles furent bientôt rejointes par Marion Cannac, de Lacaune. Mais cette dernière était emprisonnée pour « libertinage ». Elle prononçait « d'horribles jurements et blasphèmes » et les Huguenots ne la considérèrent jamais comme l'une des leurs.

Dès la fin de l'année les familles des captives nîmoises entreprirent diverses démarches pour obtenir leur libération. Celles-ci avaient envoyé déjà une supplique au marquis de la Fare. Puis, le bruit ayant couru que le Gouvernement consentirait à les relâcher moyennant le paiement d'une importante rançon, on recueillit quelque argent à Nimes et dans les Basses-Cévennes. Le ministre St-Florentin en fut averti et voulut faire arrêter les audacieux collecteurs. Alors les emmurées de la Tour tentèrent cette fois d'adresser un placet au cardinal Fleury lui-même, pour implorer leur élargissement, mais l'Intendant s'y opposa et le projet n'eut aucune suite.

Le mariage de Marie Durand

Au Bouchet-de-Pranles de nouveaux événements étaient survenus depuis quelques mois. Marie Durand, seule désormais et se voyant incapable de gérer le bien familial, avait fondé un foyer. C'était presque une enfant encore puisqu'elle était née en 1715 ; elle avait 15 ans. Mais on se mariait souvent à cet âge en Vivarais.

Des pièces diverses nous donnent sur la réalité du fait d'irréfutables indications : tout d'abord, l'analyse d'une lettre de Pierre Durand à Antoine Court. Celui-ci, depuis quelques mois, s'était réfugié à Lausanne d'où il pouvait diriger à moindre péril le travail de ses collègues restés sur le champ de bataille. En outre il veillait plus attentivement sur la formation des élèves que les églises persécutées envoyaient maintenant s'instruire au « séminaire » ouvert là-bas, dans le plus grand secret, par quelques amis de l'étranger. Enfin il lui était beaucoup plus facile d'intéresser les pouvoirs et les églises de Suisse au sort de leurs coreligionnaires français « sous la Croix ».

Très méthodique, Court gardait toute sa correspondance, et parfois même il prenait le double des lettres qu'il expédiait lui-même. Ainsi nous a-t-il conservé, en 117 gros recueils rassemblés aujourd'hui à Genève, un nombre immense de pièces et de documents sans lesquels on ne peut rien écrire sur cette période héroïque. Ajoutons que le pasteur exilé avait un goût très vif pour l'histoire et qu'il se fit adresser nombre de mémoires et de relations intéressant la vie de nos églises aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles.

Il nota donc, à la date du 31 mai 1730, que « Durand soeur s'était mariée contre le gré du ministre son frère ». La lettre dont il résumait ainsi le contenu ne se retrouve malheureusement plus dans ses recueils, mais l'indication n'en est pas moins formelle.

Un heureux chercheur, M. L. Aurenche, a retrouvé en outre en 1934 aux archives de Privas, au milieu d'autres « insinuations » (inscriptions à l'enregistrement), l'analyse du contrat de mariage établi le 26 avril 1730 « par devant M, Boursarié, notaire à Pranles ». Ce dernier était un cousin d'Etienne Durand. Après qu'il eût, conformément aux lois, établi les « minutes » nécessaires, il alla les faire enregistrer le 1er mai suivant. Nous recopions l'acte

« Mariage

*« de Matthieu Serre, de St-Pierreville, et Marie Durand, de Pranles.

« Les biens du fiancé : Sept cent nonante neuf livres 900 sans augment.

« Par devant Me Boursarié, notaire à Pranles, le 26 avril dernier.

« Controllé, rolle, reçu 8 livres. »

Pierre Durand désapprouve le mariage de sa soeur.

Tout porte donc à croire que la date du mariage doit être placée entre le 26 avril et le 31 mai. Nous ignorons les raisons exactes qui portèrent Pierre Durand à s'opposer à cette union, mais on peut à bon droit supposer qu'il s'effrayait de la trop grande différence d'âge qui séparait les deux conjoints : Matthieu Serres en effet devait, sur une liste de prisonniers établie en avril 1745, se donner 60 ans. En novembre 1748 une lettre envoyée à Court par un ami n'en indiquait, il est vrai, que 58, mais quoi qu'il en soit il en avait donc au moins 40 en 1730.

Qui présida la cérémonie? Aucune mention d'un tel acte ne se retrouve dans les registres pourtant si soigneusement établis du jeune pasteur ou de son collègue le prédicant Fauriel Lassagne, qui commençait lui aussi à « faire » des mariages. Il faudrait donc admettre que l'un ou l'autre eût béni le mariage sans en rien noter. Cette supposition entièrement gratuite ne s'accorde guère avec ce que nous savons des sentiments de Pierre Durand concernant les décisions prises par sa soeur, et il faut penser avec M. Ch. Bost que Serres et sa jeune femme se contentèrent, pour légitimer leur cohabitation, du contrat qu'ils avaient fait établir devant le notaire, comme ce fut le cas de très nombreux ménages « religionnaires » au cours de cette douloureuse époque.

Notons enfin qu'au moment de leur arrestation, le 14 juillet 1730, et selon le procès-verbal envoyé à Montpellier, les époux étaient au lit.

Un problème moral

Mais, dira-t-on, la prisonnière s'est maintes fois défendue de s'être mariée, et d'autre part Etienne Durand et Matthieu Serres ont obstinément maintenu la même affirmation.

« Le 19 septembre 1730, écrit M. Ch. Bost, Etienne Durand écrit de Brescou à sa fille, qui est à la Tour de Constance. Il lui dit : « Je vous fis réponse sur celle que vous m'avez écrit du mois de mars, pour aprover votre mariage », mais par deux fois, il lui parle de son « fiancé », qui partage sa dure captivité. Quant à Matthieu Serres, qui écrit en même temps à celle qu'il appelle « ma très chère mie », il désigne Etienne Durand comme son « cher beau-père prétendu ».

« En ce qui concerne Marie Durand, on fait observer que dans les listes de prisonnières qui nous ont été conservées on ajoute parfois au nom d'une femme (seul nom officiel de la captive), celui de son mari, et que jamais il n'a été fait mention de Matthieu Serres après Marie Durand. On note de plus que certaines de ces listes indiquent « les raisons et sujets » de l'emprisonnement des femmes et que jamais le nom de Marie Durand n'est accompagné de la mention qu'on voit ailleurs : « pour avoir fait bénir son mariage par un ministre ». Les motifs de son arrestation sont simplement passés sous silence ou exprimés tout autrement : « fut prise dans sa maison » (liste de l'automne 1736) ;

« soeur d'un ministre exécuté à Montpellier » (1741) ;

« pour avoir déféré au ministère de P. Durand, martyr, son frère » (fin 1745) ; « prise dans sa maison par rapport au ministère de son frère » (1755) ; « pour le ministère de son frère Durand » (1758). Une liste de la fin de 1736 ou du début de 1737 est autrement nette: elle nie formellement le mariage. « Tout le crime qu'on lui impute, c'est d'avoir été la soeur de feu le ministre Durand, et comme elle était fiancée avec Matthieu Serres, on a prétendu faussement qu'ils avaient été épousés par le même ministre, frère de la fiancée. » La même phrase se retrouve, relative à Serres, dans la liste des prisonniers de Brescou, jointe à la liste des prisonnières d'Aigues-Mortes, dans le même document. La liste de 1758 la dit « fille ».

« Le mot « martyr » de la fin 1745 indique suffisamment (on pourrait fournir d'autres preuves), que les listes de captives, quand elles sont explicites, ont été dressées par les prisonnières ou d'après les réponses qu'elles ont fournies elles-mêmes. Les majors d'Aigues-Mortes, en effet, sur le livre d'écrou (y avait-il même un livre d'écrou à Aigues-Mortes ?) ne pouvaient trouver, quand il y avait eu jugement, que la date de la sentence et le nom du juge, et quand il n'y avait pas eu jugement (c'était le cas de Marie Durand), mais simple lettre de cachet que la date de la lettre et le nom du signataire. Concluons donc que tout ce qui nous est dit ici au sujet de la prise de Marie Durand ne provient que d'elle-même et constitue son propre témoignage.

« Une liste du 20 janvier 1741, que nous n'avons pas citée... est tout à fait caractéristique. En face du nom de Marie Durand, on a écrit d'abord : « pour avoir épousé du ministre », mais les mots : pour avoir épousé ont été rayés par la même main et remplacés par : « à cause du ministère de son frère ». Ayant dit d'abord la vérité, la captive a donc voulu qu'elle demeurât cachée.

« Il nous reste à nous demander pourquoi Marie Durand, une fois recluse, a voulu que son mariage restât enseveli dans l'oubli, et pourquoi son père et son mari ont eu le même désir. Peut-être, dès le début de leur captivité, ont-ils par là pensé diminuer leur « crime » aux yeux des Puissances, d'autant plus qu'ils pouvaient en conscience « nier avoir épousé du ministre », puisque, - très probablement, - aucun pasteur ne leur avait donné la bénédiction nuptiale. »

Or. voudra bien ne pas oublier en effet que les malheureux étaient arbitrairement détenus, hors de tout jugement régulier, par simple lettre de cachet.Un chef d'accusation précis, comme celui de s'être mariés au désert, pouvait, pensons-nous, entraîner une action judiciaire dont le premier effet, en cas de condamnation, eût été de les déposséder de leurs biens dont jusque-là ils restaient propriétaires.



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