CHAPITRE VII.

LES ÉPÎTRES ET L'APOCALYPSE.

SECTION Ire. - sur l'étude des Epîtres.

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§ 167. But général des Epîtres. - Dans les quinze premiers chapitres des Actes , nous avons vu l'Evangile annoncé dans tout le monde connu. Dans les trente-cinq années qui suivent la mort de notre Seigneur , des Eglises ont été fondées en Asie , en Palestine, à Babylone , en Egypte , en Grèce , en Italie , « tant la Parole de Dieu croissait et prévalait. » Partout où la vérité est parvenue, elle a rencontré la même opposition , sous différentes formes, et elle a produit les mêmes résultats paisibles et sanctifiants. Toutefois un enseignement de la vérité, plus stable que des paroles qui s'envolent, était nécessaire pour suppléer à ce qui pouvait manquer un jour sous le rapport de la prédication. Le même esprit qui s'est opposé jusqu'ici à l'Evangile commence à le pervertir , et ceux qui le falsifient tendent naturellement à le falsifier de plus en plus, séduisant et étant séduits. Il fallait donc fixer et développer par l'écriture ce qui avait été en grande partie enseigné de vive voix. Aussi le but principal des Epîtres est-il de conserver ces enseignements par, un « souvenir éternel , » et de réfuter indirectement toute erreur naissante, de manière à ce que, par l'étude faite dans un esprit de prière, l'Eglise fût protégée contre l'envahissement de l'hérésie.

Pour bien comprendre le sens de chaque épître, il faut se rappeler par qui et pour qui elle a été écrite , quel est son objet direct, et quels étaient les adversaires dont l'auteur sacré avait à combattre les tendances ou l'influence.

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§ 168. 1° Auteur et destinataires de l'épître. - Observons d'abord par qui chaque épître fut écrite. Cette règle n'est pas aussi essentielle quand il s'agit de l'histoire ou des Epîtres que quand il est question de la prophétie, attendu que les premières portent en général leur propre interprétation avec elles; mais elle est néanmoins importante.

Des vingt et une Epîtres, treize au moins ont été écrites par Paul et portent son nom. Comme il était par excellence l'apôtre des Gentils, il parle abondamment du mystère de leur vocation et de leur participation aux mêmes privilèges que les Juifs croyants. Il maintient leur affranchissement du joug mosaïque , les exhorte à retenir ferme à cet égard leur liberté, et insiste sur leur assujettissement à la grande loi de la foi et de l'amour. C'est en défendant cette doctrine qu'il résista en face à Pierre ; c'est pour elle qu'il supporta le scandale de la croix (Gal. , V, 11) , succombant à la fin martyr de son attachement à cette vérité et à toutes celles qui s'y rattachent (voyez l'introd. à la seconde épître à Timothée). Ses phrases sont souvent longues et entrecoupées de parenthèses. Son style est plein d'idées , abondant en digressions, mais très-exact, ferme, nerveux et riche en allusions à l'Ancien -Testament. Ses épîtres doivent s'expliquer l'une par l'autre, aussi bien que par son histoire. Dans l'épître aux Hébreux, il montre avec beaucoup de force comment Christ est le complément et la fin de la loi, de même que des choses étrangères à la loi.

Pierre, l'auteur de deux épîtres , écrit principalement comme apôtre de la circoncision. Aussi ne doit-on lire ses écrits qu'en les rattachant aux parties de l'Ancien-Testament auxquelles , dans la plupart des cas, il nous renvoie. - Jacques, pasteur de l'Eglise de Jérusalem , écrivit après que la ferveur du premier amour de cette Eglise eût commencé à décroître. Une foi froide et négative semblait mettre en péril toute obéissance spirituelle. De là le ton et la tendance pratique de son épître. Les Eglises auxquelles Jean s'adresse n'étaient pas dans une meilleure condition. Son style est riche en aphorismes , et ses affirmations énergiques ont besoin d'être expliquées par d'autres parties de ses écrits ou par ceux de Paul. Jude n'a écrit qu'une épître; elle a beaucoup de rapport avec la seconde de Pierre , qui peut servir à son interprétation. L'Apocalypse parle un langage emprunté dans une large mesure à l'Ancien-Testament; ses oracles doivent être comparés avec ceux d'Ezéchiel et de Daniel, et avec les discours de notre Seigneur.

Pour qui chaque livre a-t-il été écrit ? c'est là une seconde question également importante. Les Evangiles ont pour but l'instruction de toutes les classes , et la grande partie de leur contenu s'adressait à tous. Les Epîtres, il faut y faire attention , étaient d'abord adressées exclusivement à ceux qui professaient être chrétiens , séparés du monde, et unis par une communion spirituelle. Trois sont écrites à de simples particuliers fidèles ; trois à des pasteurs ou évangélistes ; deux , les Hébreux et Jacques , exclusivement aux Juifs convertis; deux, les deux de Pierre, aux Juifs convertis principalement; deux, la première de Jean et Jude, aux disciples de Christ en général ; les cinq dernières sont appelées épîtres catholiques ou universelles ; neuf sont adressées à diverses Eglises , composées surtout de païens convertis. Dans chacun de ces cas, l'auteur et les circonstances aident à faire comprendre le but particulier de l'épître ; toutefois, comme il n'y a qu'un seul Evangile pour les Juifs comme pour les Gentils , ce détail est ici moins important qu'ailleurs.

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§ 169. 2° Du but spécial de chaque épître. - Il a plu à l'Esprit de Dieu d'instruire le genre humain , non point par des traités précis et formels , mais par des lettres écrites sous sa direction et de nature à venir au-devant des besoins et des circonstances particulières qui pouvaient se présenter; chaque épître s'adresse en effet à des besoins différents et à des situations diverses. Il faut donc chercher à reconnaître quel est le but évident de chaque épître; nous disons à dessein le but évident, car c'est un abus scientifique de chercher partout à découvrir un but caché, et d'interpréter chaque partie en la subordonnant à ce but mystérieux , au détriment du sens naturel. Les directions de M. Locke sont, à cet égard, dignes d'être rappelées. Lisez , sans vous arrêter, une épître d'un bout à l'autre, et cherchez à en constater l'intention et le but. « Si la première lecture, dit-il, m'a fourni quelque lumière , la seconde m'en a donné davantage; et c'est ainsi que j'ai toujours procédé, lisant constamment l'épître entière du commencement à la fin, jusqu'à ce que j'eusse une idée générale exacte et claire du dessein de l'écrivain, des divisions principales de son ouvrage, des arguments qu'il emploie et de la disposition de l'ensemble.

Ce résultat, je l'avoue, ne peut être obtenu après une ou deux lectures faites à la hâte ; il faut les répéter sans relâche, en faisant soigneusement attention à la teneur de l'épître, et sans égard à la division en chapitres et en versets. Le moyen le plus sûr est d'admettre que l'épître n'a qu'un seul objet et qu'un seul but, jusqu'à ce que, par l'emploi fréquent de ce procédé, vous soyez forcé de distinguer dans l'épître des matières indépendantes les unes des autres, qui peu à peu se classeront assez d'elles-mêmes. » Qu'un homme chrétien, homme de prière, qu'un homme, dont le coeur soit en tout à l'unisson avec celui de l'écrivain, lise une épître quelconque d'après ce système, on peut dire que le sens général de l'ensemble lui apparaîtra presque toujours sans difficulté. En même temps, et comme par une grâce spéciale , il sentira et appréciera les promesses particulières et les vérités révélées dans une mesure jusqu'alors inconnue pour lui. L'Ecriture est en fait un arbre de vie , qui produit des fruits infiniment précieux et des feuilles pour la guérison des nations.

Pour aider le lecteur à distinguer plus facilement le but des Epîtres , nous avons indiqué les paragraphes et les principales sections de chacune. Dans les Bibles à paragraphes (1) les sections sont indiquées par des alinéas ou par quelque autre signe de convention. En l'absence de ce secours, une Bible ordinaire peut aisément être notée à la main , de manière à faire ressortir les différentes sections telles qu'elles seront indiquées plus loin.

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§ 170. 3° Erreurs particulières contre lesquelles elles étaient dirigées. - Signalons les erreurs généralement répandues contre lesquelles les disciples de l'Evangile avaient le plus à combattre.

La première de toutes avait sa source dans le formalisme et les idées superstitieuses des Juifs. Ils demeuraient attachés aux rites de leur loi , et ils en concluaient que si les Gentils devaient être admis aux mêmes privilèges qu'eux , ce ne pouvait être qu'en passant par la circoncision. « Si vous n'êtes circoncis selon l'usage de Moïse, vous ne pouvez être sauvés (Actes, XV , 1). » Telle était leur prétention. Sur cette question, il s'était élevé à Antioche une controverse sérieuse, et bien qu'elle eût été décidée dans un sens négatif sous la direction du Saint-Esprit, elle se renouvela sans cesse, arrêta les progrès de l'Evangile et jeta souvent le trouble et la division dans l'Eglise. Tout «abord, Paul prit à cet égard une position franche et hardie. Il maintint que, tandis qu'un Juif pouvait et probablement devait être soumis à ce rite spécial aussi longtemps que l'ancienne loi demeurait en vigueur , pour un Gentil, s'astreindre à cette observance , c'était abandonner sa liberté 'en même temps que nier l'universalité de l'Evangile et la suffisance de la croix. Dans toute sa prédication comme dans presque toutes ses épîtres, il établit ce point de vue (Actes, XV, 1-31 ; XXI, 17-25. 2 Cor., XI , 3. Gal , II, 4; III, 5 ; VI , 12. Col. , II, 4, 8 , 16. Philip., III, 2. Tite, I, 10-14, etc.).

Tandis que la tendance judaïsante des premiers croyants les égarait dans une direction , l'esprit de la philosophie profane les égarait dans une autre plus fatale au christianisme, selon la remarque de Burton , que la persécution elle-même.

Cet esprit se manifestait sous diverses. formes; mais le fond en était ordinairement un rationalisme orgueilleux qui refusait d'admettre comme vraie une doctrine incompatible avec aucun des systèmes déjà existants , ou qui accommodait à son propre système tout ce qu'il en admettait. Les Grecs recherchaient la sagesse. Cette tendance se montra de bonne heure dans les différentes sectes gnostiques qui surgirent au sein de l'Eglise chrétienne. Ce nom de gnostiques, dérivé de (connaissance), avait un sens général très-étendu et comprenait les défenseurs de systèmes très-différents.

Une de ces sectes était celle des docètes ou partisans de l'apparence; ils ne pouvaient comprendre qu'une personne divine (attribut qu'ils reconnaissaient à notre Seigneur) pût coexister avec une personne humaine. Ils prétendaient que Jésus n'avait eu qu'un corps apparent et qu'il n'avait vécu sur la terre qu'en apparence. Cette hérésie anéantissait donc la fraternité de Jésus-Christ avec notre race, et la réalité de son sacrifice expiatoire.

Une autre secte, celle des cérinthiens, ainsi nommée de Cérinthe, son fondateur, tirait du même principe des conclusions diamétralement opposées. Ils niaient la divinité de Jésus-Christ et disaient que le Christ n'était qu'une émanation de la divinité, descendue sur l'homme Jésus au moment de son baptême, et qui continua de demeurer en lui jusqu'à sa mort; qu'alors le Christ, quittant une dépouille terrestre désormais sans valeur , remonta au ciel (voyez 1 Jean, II, 22; IV, 15, et l'Evangile de Jean).

Plus tard et après la clôture du canon, ces tendances prirent une forme plus décidée. L'école d'Alexandrie, appliquant les doctrines de Platon à l'Evangile, émit les idées les plus grossières sur la nature divine, sur Christ et sur l'homme. Plus tard encore, les docteurs appliquèrent aux enseignements de l'Ecriture la logique d'Aristote et réclamèrent pour les déductions de ce dernier (voyez Ire partie, § 129) la même autorité que pour les enseignements exprès de la Bible. Toutes ces tentatives découlaient du même principe, à savoir que notre raison est la mesure de la vérité religieuse, et aboutissaient aux mêmes conséquences, la corruption de la vérité et la division de l'Eglise. Pour nous , nous apprenons par là qu'il y a sagesse à élever notre foi au niveau de la révélation de Dieu, et folie à abaisser cette révélation au niveau de notre intelligence. Le monde , par sa sagesse , ne peut arriver à connaître Dieu.

Une troisième erreur tendait à se développer au milieu de toutes les sectes, juives ou païennes, formalistes ou philosophiques. Elle revêtit diverses phases, tout en ne représentant qu'un même principe: un cérémonialisme sans spiritualité, une connaissance (gnôsis) sans vie pratique, une justification par la foi sans sainteté. Les apôtres eurent beaucoup à lutter contre cette tendance relâchée , cette foi sans les oeuvres, qui était particulièrement en faveur de leur temps parmi les Juifs.

Un grand nombre de gnostiques l'adoptèrent , et dans la personne des nicolaïtes elle s'attira la sévère condamnation du Seigneur lui-même comme le rapporte le dernier des apôtres (Apoc., II, 6, 15). C'est en fait à toutes les époques le principe du relâchement en matière religieuse qui se manifeste le plus vite, et quelques portions des Epîtres sont spécialement dirigées contre ce principe. Les sectateurs de Balaam (semblables aux nicolaïtes), mentionnés par Pierre et Jude, appartenaient à la même classe.

Les noms de ces sectes (sauf la dernière) ne sont pas mentionnés dans l'Ecriture, mais les principes le sont. Il y a là un double avantage. Nous apprenons d'abord à ne pas restreindre l'enseignement des hommes inspirés à leur époque seulement; puis nous possédons des lettres dans lesquelles se trouvent condamnés pour toujours, non des sectes, mais des principes : la propre justice formaliste, l'orgueil rationaliste, et l'immoralité dans la pratique. Toutefois, la connaissance de ces sectes nous dévoile la nature humaine, nous prouve le besoin que nous avons d'une révélation, ainsi que la nécessité de l'étudier avec humilité, et donne lumière et force à ceux qui sont chargés de l'enseignement de l'Evangile.

Ce qui prouve la dépravation humaine , c'est l'histoire de la vérité divine dans le monde. La première révélation de Dieu se perdit dans les imaginations impies qui précédèrent le déluge ; la seconde dans l'idolâtrie «Israël et de Juda , puis dans le formalisme et la ruine de la nation; la troisième a rencontré dès son début la plus violente opposition ; et toujours, depuis ce moment, le monde, sous des influences diverses , s'est efforcé de corrompre ce qu'il ne pouvait vaincre autrement.

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§ 171. 4° Importance de la comparaison des diverses parties du Nouveau-Testament. - Cette règle est la plus importante. Comparez soigneusement entre elles les diverses parties du Nouveau-Testament et particulièrement des Epîtres, et vous retirerez du tout une vue claire et étendue, tant des vérités que des devoirs.

La nécessité d'une telle comparaison, pour ce qui concerne le Nouveau-Testament , sera évidente si on le compare, comme travail et composition , avec la loi. La première dispensation tout entière fut révélée par un seul homme, Moïse , et à une seule classe d'hommes groupés et réunis pour la recevoir, la nation juive. Le Nouveau-Testament, au contraire, fut composé par huit auteurs différents, et fut adressé à un grand nombre de congrégations répandues sur la surface de la terre. La loi était écrite dans le style le plus simple, avec une abondance systématique, à la portée des intelligences les plus bornées, et n'exigeait une soumission absolue que pour des commandements exprès et matériellement indiqués. Le Nouveau-Testament, au contraire, se compose d'instructions détachées, dont un grand nombre ont été données incidemment, indirectement , presque toutes adressées à des gens déjà retirés du milieu du monde et ayant accompli les ordonnances ou accepté les vérités, pour la pure conservation desquelles on leur fournissait des directions. De plus, l'obéissance est requise de gens instruits tout ensemble par la parole et par l'exemple , tout aussi bien que par les Epîtres (1 Cor., IV, 16, 17 ; XI, 2. Gal., I, 6-9. Philip., IV, 9); et le tout, quoique suffisamment clair pour que chacun puisse le comprendre et être sauvé, est assez riche et assez profond pour exercer éternellement le discernement spirituel le plus élevé.

Nous pouvons donc conclure que pour faire du Nouveau-Testament l'étendard de notre foi et de notre vie pratique, il faut le comparer et l'étudier avec une scrupuleuse attention. Les faits de la vie de notre Seigneur, leur influence pratique sur la primitive Eglise, et les commentaires inspirés des apôtres doivent tous être examinés, les principes et les devoirs qu'ils renferment exposés, et les uns comme les autres crus et pratiqués de tout coeur, en dépit des traditions, des suggestions et des inventions humaines.

 

 


Table des matières

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(1) C'est le nom d'une édition anglaise publiée par la Société des traités religieux de Londres. Elle ne diffère des autres éditions que par ses parallèles et , comme son nom l'indique, par sa division en paragraphes ; le texte, du reste, est le même. (Trad.)