SECTION III. - Introductions aux Evangiles.

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§138. L'Evangile selon saint Matthieu. - Matthieu était natif de Galilée et remplissait les fonctions de receveur des impôts sous le gouvernement des Romains, au bord du lac de Tibériade (Matth., IX, 9). Il est appelé Lévi (Marc, II, 14, et Luc, V, 27-32). - C'était probablement son nom hébreu, comme Matthieu celui qu'il prit en acceptant une fonction romaine. A l'appel de Christ, il abandonna sa charge et devint un de ses disciples peu de temps avant le discours sur la montagne. En donnant la liste des apôtres, il s'appelle lui-même Matthieu le publicain (X, 3), comme empressé de magnifier la grâce de Dieu dans sa vocation. La manière dont il raconte l'abandon qu'il a fait de ses richesses et de sa position pour suivre Christ est un exemple bien remarquable d'humilité, et fait ressortir le principe qui a présidé à la composition des Evangiles. Les écrivains ne se mettent jamais eux-mêmes en évidence; ils ne donnent aucun détail sur leur histoire personnelle. Leur thème, ce n'est pas eux, mais Jésus-Christ, le Seigneur.

La date précise de cet évangile est inconnue. Les dates extrêmes de sa composition sont les années 37 (Tillemont, Owen, Tomlin, 38) et 63 ( Irénée, après 60 ). Les preuves militent en faveur d'une date quelque peu postérieure à la plus ancienne, c'est-à-dire environ l'an 42. - Ce qu'il y a de certain, c'est que le livre fut écrit avant la destruction de Jérusalem.

C'était une tradition généralement répandue dans l'ancienne Eglise qu'il y avait un évangile écrit par Matthieu en syro-caldéen. Qu'il ait écrit quelques notices sur la vie de notre Seigneur dans la langue du pays, cela est probable; mais l'originalité et l'intégrité de l'évangile grec sont appuyées sur les preuves les plus solides. Il ne reste aujourd'hui aucune trace d'un évangile hébreu. En Palestine, le grec était la langue ordinaire des livres, des affaires et de la vie commune. En tenant compte aussi des habitudes de son pays et prévoyant l'approche de la ruine de l'état juif, il avait beaucoup de raisons pour préférer écrire dans une langue alors déjà répandue et qui promettait de se répandre davantage encore et de durer plus longtemps.

Son évangile peut se diviser ainsi :

Chap. I et Il. Courte notice sur la naissance et l'enfance de notre Seigneur.

Chap. III à IV, 12. Récit de l'entrée de Jésus-Christ dans son ministère publie et des événements qui le préparèrent.

Chap. V à VII. Manifestation de Christ comme docteur public révélée par son sermon sur la montagne.

Chap. VIII et IX. Christ opère des miracles; coup-d'oeil d'ensemble sur plusieurs miracles de différentes natures accomplis en divers endroits.

Chap. XIII. Christ enseignant par des paraboles, dont quelques-unes renferment en même temps des révélations prophétiques sur l'avenir et spécialement sur son royaume.

Chap. X à XX. Instructions; miracles et récits dans un ordre plus régulier.

Chap. XX à XXVIII. Récit des souffrances, de la passion, de la mort et de la résurrection de notre Seigneur.

L'intention de l'écrivain est claire : par le simple récit de ce que notre Seigneur a fait et souffert, il veut justifier la mémoire de son maître de tout reproche, désarmer les préjugés de ses compatriotes et mettre en lumière, pour les âges futurs, le véritable caractère du Messie. De là ses fréquents appels aux prophètes (I, 23 ; II, 6, 15, 18; III, 3; IV, 15; VIII, 17, etc.); de là encore les pages où il réfute les diverses sectes juives, le soin avec lequel il rapporte certaines parties des discours de notre Seigneur, propres à éveiller chez ceux de sa nation le sentiment de leurs péchés, à corriger leurs espérances d'un royaume terrestre, et à les préparer à l'admission des Gentils dans l'Eglise. Pour l'instruction particulière des chrétiens juifs, il rapporte les prédictions de notre Seigneur au sujet de Jérusalem, et les arguments par lesquels il cherchait à affermir ses disciples contre l'opposition et les persécutions que devait leur attirer leur attachement pour lui et pour sa doctrine.

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§ 139. L'évangile selon saint Marc. - Marc, qui, outre son nom latin Marcus, paraît avoir porté le nom hébreu de Jean, était le fils de Marie, femme pieuse de Jérusalem, qui recevait dans sa maison les assemblées de la primitive Eglise, et qui accueillit l'apôtre Pierre après sa délivrance de la prison par l'ange (Actes, XII , 12). Marc était le neveu de Barnabas, compagnon de voyage de Paul (Col., IV, 10).

Ces deux derniers se trouvant à Jérusalem à l'époque de la délivrance de Pierre prirent Marc avec eux pour leur mission (Actes, XII, 25). Il les accompagna d'abord jusqu'à Antioche; puis,, de là , dans leur premier voyage, jusqu'à Perge en Pamphylie, où il les quitta pour retourner à Jérusalem (Actes, XIII, 5, 13). Nous le retrouvons ensuite à Antioche avec Paul et Barnabas qu'il désirait accompagner dans leur second voyage; mais Paul, le jugeant impropre à l'oeuvre depuis qu'il les avait abandonnés une première. fois, ne voulut pas le prendre. Cette décision occasionna une vive dispute et une séparation temporaire des deux apôtres. Barnabas, influencé probablement par son attachement pour son neveu, prit Marc avec lui et fit voile vers l'île de Chypre. Sans doute que, par la suite, Marc reconnut son erreur, quelle qu'elle fût, soit qu'il lui eût manqué quelque chose de ce courageux abandon de soi-même nécessaire au missionnaire, soit qu'il eût eu des doutes sur la convenance d'annoncer l'Evangile aux Gentils. En effet, l'apôtre Paul paraît lui avoir rendu sa confiance et son affection, et il le recommande aux Eglises (voyez Col. , IV, 10. 2 Tim. , IV, 11. Phil., 1,24).

A ces renseignements , fournis par les écrivains sacrés, diverses traditions ajoutent que Marc alla plus tard en Egypte, et qu'il mourut à Alexandrie après y avoir fondé une Eglise.

On voit par là que si Marc n'était pas lui-même un des douze, il était néanmoins un ami et un compagnon des apôtres; vivant à Jérusalem, il était sur le théâtre où se sont accomplis les événements les plus importants de la vie de notre Seigneur et où un grand nombre de ses miracles se sont produits. Il faut ajouter encore à ces moyens qu'il eut de bien connaître, le témoignage uniforme de tous les écrivains chrétiens, portant que Marc fut longtemps auprès de Pierre, par lequel probablement il avait été amené à la connaissance de la vérité (voyez 1 Pierre, V, 13) ; qu'il l'assista pendant une partie considérable de son ministère; et qu'ayant vécu pendant plusieurs années dans l'intimité de cet apôtre, il écrivit sous sa direction immédiate le récit de la vie de notre Seigneur. Aussi Justin appelle-t-il son évangile l'évangile de saint Pierre. Quelques commentateurs supposent même que ce fait est implicitement confirmé par 2 Pierre, I, 15, 16.

L'évidence interne autorise en effet à supposer que l'évangile de Marc a été rédigé sous la direction de Pierre. Il est rarement fait mention d'un acte ou d'une parole de Christ dont Pierre n'ait pas été le témoin oculaire ou auriculaire; et l'on trouve rapportés en détail les événements de la vie de notre Sauveur qui ont fait le plus d'impression sur l'apôtre. Plusieurs circonstances honorables pour Pierre sont omises dans Marc et rapportées par les autres évangélistes ; tandis que d'un autre côté, les fautes de Pierre sont pleinement relatées. Comp. Marc, VIII, 29 avec Matth. , XVI, 17. Voyez aussi Marc , VIII, 33 ; XIV, 31-71.

Le temps auquel cet évangile fut composé est incertain. Diverses dates ont été mises en avant, depuis l'an 48 jusqu'à l'an 65. Quelques-uns supposent qu'il fut écrit à Rome, d'autres à Césarée ; mais tous s'accordent à reconnaître qu'il fut écrit pour les Romains convertis.

Les principaux caractères de Marc, comme écrivain , sont les suivants : Il rapporte plutôt les actes que les discours de notre Seigneur ; ses descriptions sont plus exactes que celles de Matthieu et de Lue; il emploie souvent le présent ; il fait parler ses personnages, et il décrit d'ordinaire minutieusement les personnes et les localités. Dans beaucoup de circonstances, où les mêmes événements sont racontés par Matthieu et par Marc , le dernier est plus complet que le premier, donnant une plus grande clarté à la peinture des choses (Comp. Marc, V, 22-43, et Matth., IX , 18-26. Marc, IX , 14-29, et Matth., XVII, 14-21).

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§ 140. L'évangile selon saint Luc. - Luc , l'auteur de l'évangile qui porte son nom , est généralement regardé comme le médecin bien-aimé mentionné par Paul (Col. , IV, 14). D'après le témoignage de quelques Pères , il était natif d'Antioche. A en juger par sa connaissance profonde de la langue grecque, aussi bien que par son nom grec il était «origine grecque. Mais si l'on considère les mots hébreux dont il se sert dans ses écrits et la connaissance parfaite qu'il avait de la religion , des cérémonies et des coutumes juives, il est probable aussi qu'il fut, dans la première partie de sa vie , un prosélyte juif; et qu'ayant pins tard embrassé l'Evangile, il devint un fidèle et zélé compagnon de Paul dans la plupart des travaux et des voyages de ce dernier (Actes, XVI, 10 ; XX , 5, etc.). Nous voyons, par Actes, XXVIII, 15, et Phil. , 24, qu'il était avec l'Apôtre lors de sa première captivité à Rome; et par 2 Tim., IV, 11 , que, durant son second emprisonnement, Luc était demeuré seul auprès de lui (1).

Luc passe généralement pour avoir reçu une certaine culture. Son style est plus classique que celui des autres évangélistes. En sa qualité de médecin , il décrit les maladies et raconte les cures opérées par le Sauveur et ses apôtres, en termes plus techniques que ne font les autres évangiles.

Quant à la date et au lieu où son évangile fut composé, l'on n'en sait que peu de chose. Quelques-uns pensent qu'il fut rédigé pendant que Luc était dans la compagnie de Paul, probablement durant sa captivité à Rome, vers l'an 62 ou 63. D'autres donnent une date plus ancienne et supposent qu'il fut écrit à Philippe, environ l'an 57 (Voyez 2 Cor. , VIII, 18-21). - Quoi qu'il en soit, il est évident qu'il fut originairement écrit pour des lecteurs d'entre les païens , comme l'évangile de Matthieu le fut pour des Juifs. On y voit toujours au premier plan « le salut préparé pour tous les peuples, » - « une lumière pour éclairer les Gentils (II, 31, 32) ; » et comme il écrit pour des païens qui s'étaient entièrement écartés de Dieu, il a soin de rappeler les déclarations concernant la miséricorde de Dieu envers les plus grands pécheurs s'ils viennent à se repentir (VII, 36-50; XV; XVIII, 10-14; XIX, 5-10; XXIII, 40-43, etc.).

L'évangile de Luc est généralement regardé comme une biographie plus régulière ou mieux suivie que les trois autres évangiles. Il paraît avoir conservé l'ordre chronologique dans ses principaux faits , rattachant aux diverses périodes de son histoire un certain nombre d'événements et de discours qui appartiennent à une même époque , sans toutefois s'arrêter d'une manière minutieuse à noter la suite exacte des détails.

Les faits additionnels, nombreux et importants que Luc raconte, donnent à son évangile une valeur particulière. Il rapporte avec une remarquable clarté les conversations de Jésus , ainsi que les incidents qui l'ont mis en relief , les remarques des personnes qui étaient présentes, et leurs résultats. Quoiqu'il contienne des détails et des faits qui ne se trouvent pas dans Matthieu, son évangile n'a cependant pas le caractère d'un document supplémentaire; c'est évidemment un ouvrage indépendant et original. On peut dire qu'en général les paraboles et les discours de l'évangile de Luc sont beaucoup plus complets que ceux de Matthieu.

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§ 141. Evangile selon saint Jean. - Jean, le frère cadet de Jacques , qui fut appelé avec lui à l'apostolat, était fils de Zébédée et de Salomé. Son père était un pécheur originaire de Bethsaïda, en Galilée, sur les bords du lac de Génézareth. Sa famille paraît avoir été dans une position aisée; au moins nous voyons que Zébédée employait des ouvriers à gages (Marc, I , 20) , et nous trouvons Salomé parmi les femmes qui contribuaient à assister Jésus de leurs biens (Cf. Matth. , XXVII, 57).

Instruit et élevé dans la connaissance et dans l'amour du vrai Dieu par une mère pieuse, il parait avoir été d'abord disciple du précurseur , et avoir été directement présenté par celui-ci à Jésus, qu'il suivit. Il est généralement considéré comme l'un des deux disciples mentionnés I , 37-41. Il vivait avec Jacques son frère et avec Pierre , dans l'intimité particulière du Sauveur, qui les choisit pour être les témoins des événements les plus importants et les plus solennels de sa vie (Marc, V, 37. Matth. , XVIII, 1 ; XXVI, 37).

Jean apparaît même parmi les apôtres comme ayant été spécialement favorisé de l'attention et de la confiance du Seigneur , au point qu'il est appelé « le disciple que Jésus aimait. » Il était profondément attaché à son maître , et quoiqu' il eût pris la fuite comme les autres apôtres, au moment de l'arrestation de Jésus, il recouvra bientôt sa fermeté; il assista à la passion et à la crucifixion du Sauveur, et fut chargé par lui de prendre soin de sa mère (XIX, 26 , 27).

La tradition rapporte que Jean demeura à Jérusalem jusqu'à la mort de Marie, environ vers l'an 48. Après que Paul eut quitté l'Asie-Mineure, Jean vint y travailler ; il résida principalement à Ephèse, et fonda plusieurs Eglises dans cette contrée. Peu après, sous la persécution de Domitien (selon d'autres, vers la fin du règne de Néron), il fut exilé à Patmos , île de la mer Egée, où il reçut les révélations de l'Apocalypse. A l'avènement de Nerva, il fut mis en liberté , et retourna à Ephèse , où il continua à travailler le reste de sa vie. Il mourut âgé de cent ans environ, vers l'an 100.

D'après le témoignage général de l'antiquité, Jean écrivit son évangile à Ephèse, vers l'an 97, longtemps après la ruine de Jérusalem. C'est ce qui explique pourquoi il ne fait pas mention des prédictions du Seigneur à l'égard de cet événement, ni de la dispersion des Juifs , ces prophéties ayant déjà reçu à cette époque leur accomplissement.

On est d'accord à penser que Jean connaissait les trois autres évangiles lorsqu'il écrivit le sien : il omet tout ce qui a été suffisamment décrit. Il suppose que les grands événements de la vie de notre Sauveur et ses principales instructions sont déjà connues de ses lecteurs. Si parfois il raconte quelque chose qui a été déjà mentionné par les autres évangélistes, c'est ordinairement pour le faire servir d'introduction à quelque discours important , ou parce que cela se lie étroitement avec le but particulier de son évangile.

L'objet principal de ce livre est clairement exposé 1, 1-18; XX, 31. Son dessein paraît avoir été de donner au monde des notions exactes et justes sur la nature, l'oeuvre et le caractère du divin Rédempteur. C'est pourquoi Jean relève et met tout spécialement en relief ces passages de la vie de notre Sauveur, dans lesquels se déploient avec le plus de clarté son divin pouvoir et son autorité, et ceux de ses discours dans lesquels il parle avec le plus de plénitude de sa personne, de l'oeuvre que le Père lui a donnée à faire et de l'efficacité de sa mort pour l'expiation des péchés du monde. C'est aussi de cet évangile qu'ont été tirées les preuves les plus nombreuses et les plus convaincantes de la divinité du Seigneur. Du reste , aucun évangéliste n'a dessiné les traits plus doux de l'humanité de notre Seigneur avec plus de grâce et de délicatesse, ni dévoilé comme lui les sentiments intimes et les affections du coeur du Sauveur. Les autres évangélistes donnent l'histoire du Seigneur principalement en Galilée; dans Jean, nous le voyons plus ordinairement en Judée. Jean nous le montre faisant trois voyages distincts à Jérusalem, tandis que les autres ne parlent que d'un seul voyage. Les deux tiers de cet évangile contiennent des choses nouvelles ; les additions les plus importantes se trouvent dans les chapitres XIII-XVII et dans le chapitre XI. Il ne raconte que six miracles, et omet la plupart des paraboles et le discours sur la montagne tout entier.

Cet évangile fut probablement écrit le dernier de tous les livres de la Bible. En établissant la nature divine du Christ , il condamnait quelques-unes des hérésies qui commençaient à surgir aux premiers temps du christianisme , et il fournit une réponse à quelques-unes de celles qui prévalent encore de nos jours.


Table des matières

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(1) Tout cela en supposant les deux, captivités, question très-débattue comme on sait , et qui a été résolue négativement par plusieurs théologiens contemporains, entre autres par le professeur Reuss. (Trad.)