CHAPITRE V.

LES ÉVANGILES.

Introduction.

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§ 128. Christ, fin de l'ancienne alliance et commencement de la nouvelle. - Nous arrivons maintenant au Nouveau-Testament, la dernière et la plus complète des révélations de Dieu. L'ancienne dispensation n'avait rien amené à la perfection. Outre les abus dont elle fut entachée, elle était par elle-même incomplète (Gal. , III, 21. Héb. , VII , 18 ; IX, 9, 11). Tout ce qui manquait à l'ancienne alliance se trouve comblé, complété et accompli par l'incarnation, la vie et la mort de notre Seigneur : il vint comme centre et sujet de l'Evangile. Ces faits forment la matière des Evangiles, comme leur développement constitue celle des Epîtres. Jésus-Christ est en réalité lui-même l'Evangile. Sa venue et son oeuvre, indépendamment même de ce qu'il a directement enseigné , constituent la bonne nouvelle d'une grande joie pour tout le peuple. Fallait-il un sacrifice réel et effectif pour le péché, dans lequel les rites de la loi trouvassent leur accomplissement et leur fin ? Ce sacrifice a été offert.

Demanderons-nous un parfait modèle de vie? Cet exemple, il nous l'a donné quand il a habité parmi nous, et l'immortalité, il l'a rendue évidente, non pas tant par sa prédication et ses promesses, que par le fait même de sa résurrection d'entre les morts. Il n'y a en vérité dans la religion aucune question essentielle à connaître que la vie de Christ n'ait pas résolue. En lui nous voyons Dieu lui-même révélé, sa miséricorde, sa justice , sa fidélité et sa puissance; et en lui nous n'apercevons pas moins clairement notre propre nature : nous reconnaissons notre corruption dans ses souffrances , nos devoirs dans son exemple; et si nous vivons dans sa communion , nous pressentons notre dignité future dans son ascension et dans sa gloire.

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§ 129. Particularités de son enseignement. - Ce double but de notre Seigneur, d'accomplir l'ancienne institution et d'être lui-même le fondement d'une nouvelle, explique dans les Evangiles certaines particularités qui, sans cela, seraient inexplicables.

De là, par exemple, le fond et même la forme de l'enseignement du Sauveur. Les types et les prédictions, qui avaient été dans les temps anciens comme un dépôt de la vérité spirituelle, il les accomplit. Il donne souvent ses leçons en paraboles, éprouvant les coeurs des hypocrites et des indifférents, et rappelant à tous le véritable caractère de leur propre dispensation. Ses actes sont souvent symboliques pour la même raison. Il lave les pieds de ses disciples; il prend de petits enfants et les place au milieu d'eux ; et dans ses miracles, il a constamment en vue ce double objet, de montrer, par des exemples clairs et positifs , comment il faut interpréter l'ancienne loi, et de faire connaître les mystères de son propre royaume.

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§ 130. La vérité révélée graduellement. - On explique de la même manière le fait que les révélations de notre Seigneur ne furent données à ses disciples que graduellement , et ne furent entières et complètes qu'après sa résurrection. Il y a cependant à cela encore, d'autres raisons. Les préjugés de ses disciples étaient tenaces, et un développement graduel de la vérité était à cause de cela nécessaire; car ils n'auraient pas été capables de supporter, sans préparation aucune , la pleine et soudaine manifestation de la vérité tout entière. C'était d'ailleurs une règle chez lui de récompenser la foi, d'abord faible et petite, en l'enrichissant de lumières nouvelles , et de « donner à celui qui a. » Mais la principale raison de ce caractère progressif de la révélation paraît être que les doctrines du christianisme ressortent des faits, et ne pouvaient être complètement révélées avant que les faits eux-mêmes ne fussent accomplis.

De là des particularités, telles que les suivantes. Jésus fait d'abord à quelque doctrine ou à quelque événement une allusion indirecte , puis il répète son enseignement d'une manière plus explicite, et enfin il le révèle avec clarté, ou bien il renvoie ses disciples à l'école du Saint-Esprit qui doit bientôt venir. Il évite toujours de se prononcer ouvertement et clairement sur son oeuvre et sur son caractère, et même il défend à ceux qui le connaissent de le révéler. Il restreint son ministère dans une petite contrée et chez un peuple méprisé. Il propose rarement, on pourrait presque dire pas du tout, ses doctrines; mais il fait les oeuvres qui en sont le fondement et la base. Il souffre , et de là la doctrine de l'expiation. Il intercède , et de là la doctrine de son influence spirituelle. Il sort du tombeau, de là notre résurrection et notre gloire. La vérité est, comme l'a remarqué Macknight, que notre Seigneur est venu du ciel, non pas tant pour annoncer l'Evangile que pour être lui-même le sujet de l'Evangile, laissant à l'Esprit le soin d'être son principal interprète. C'est pourquoi nous devons étudier la loi dans les Evangiles, les Evangiles dans les Epîtres, et le tout en Christ.

Tout en Christ, disons-nous. Car un Sauveur personnel est la gloire de l'Evangile , et l'étude d'un Sauveur personnel, le grand instrument de notre sanctification. La religion n'est pas simplement la contemplation de la vérité et la pratique de la morale, elle est la communion avec Dieu par son Fils. Nous ne devons pas aimer la beauté morale seulement, mais Christ ; ne pas croire en elle seulement, mais en lui. De là le caractère spécial de l'enseignement apostolique. Au lieu de nous exciter à la vertu , les apôtres nous ordonnent de marcher sur les traces de Jésus-Christ et de faire ce qui est agréable à ses yeux. Ils représentent la mort comme une union avec lui ; et suivre l'Agneau partout où il va , est dans leur pensée le résumé de la morale et de la félicité chrétiennes. Il nous faut donc, pour comprendre la morale du Nouveau-Testament, et bien plus encore ses doctrines, étudier avec grand soin les Evangiles.

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§ 131. Importance des miracles de Jésus-Christ. - Les discours et les paraboles de notre Seigneur qui nous ont été transmis sont assez faciles à comprendre pour celui qui a la Bible entre les mains. Les règles qui déterminent leur but, leur sens et leur application , ont été indiquées dans la première partie, chap. IV, sect. VII, etc. La signification de ses miracles est peut-être moins apparente. Ils ont évidemment un sens extérieur et un sens intérieur.

Considérés extérieurement, ils rappellent une idée de puissance Ils excitent la surprise, et ainsi, à cause de leur caractère merveilleux ils portent à la recherche et fournissent la preuve dune mission divine; dans ce sens encore , ils sont des signes Ils ont de l'importance à chacun de ces points de vue. La constance des lois de la nature a été souvent alléguée comme un argument contre Vidée d'une Providence active. Dans les miracles, la perpétuité et l'étendue d'un gouvernement providentiel trouvent leur justification et leur preuve. Ils montrent qu'une loi de la nature , et un agent personnel et vivant , sont deux choses distinctes. D'un autre côté, comme preuves et évidences, les miracles n'ont pas moins de signification.

Envisagés intérieurement, dans les leçons morales qu'ils renferment, ils sont plus importants encore. Dans leur ensemble, on peut les appeler miracles de la rédemption, comme ceux de l'ancienne dispensation étaient principalement judiciaires; ces derniers éclairant une économie légale, les autres l'économie de la grâce. Chaque miracle toutefois a son caractère propre et essentiel, enseignant quelque vérité ou quelque devoir, et préfigurant souvent un glorieux avenir. En fait, les miracles de notre Seigneur sont tout aussi paraboliques que ses paraboles et doivent être étudiés dans le même but. Son oeuvre, son royaume, notre devoir, nous sont également révélés dans les uns et les autres.

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§ 132. Les miracles ne sont pas contraires aux lois de la nature.

- Si la vérité d'une intervention miraculeuse crée des difficultés dans l'esprit, il peut être bon de rappeler qu'un miracle, quoique au-dessus de la nature , n'est pas contraire à la nature, et qu'il peut même être regardé comme étant strictement en harmonie avec elle. Ce que nous appelons les lois de la nature n'est pas autre chose que l'uniformité des phénomènes extérieurs, uniformité qui implique en tout cas à un certain degré le pouvoir divin. Ces lois n'en sont réellement pas, et quand nous avons atteint la loi la plus élevée, nous sommes obligés de dire : « Ici Dieu lui-même semble s'interposer : les causes secondes nous échappent, nous ne pouvons les suivre plus loin. » Une loi naturelle n'est ainsi qu'une théorie (telle que celle du mouvement , par exemple) ; elle n'est pas une force vivante. Elle n'est que le plan d'après lequel agit un agent, et cet agent agit miraculeusement , c'est-à-dire surnaturellement, quoique avec constance et régularité ; de sorte que les miracles de l'Evangile ne supposent réellement pas une plus grande puissance d'intervention que n'en suppose un phénomène ordinaire quelconque des sciences physiques.

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§ 133. L'influence de Satan dans les maladies n'est pas contraire à la nature. - L'intervention surnaturelle des êtres malveillants, appelés démons, telle qu'elle est rapportée dans les Evangiles, a aussi soulevé des difficultés ; elle est cependant susceptible d'une interprétation ou d'une explication satisfaisante. Quelques-uns pensent qu'une pareille intervention était particulière au temps de notre Seigneur, et qu'elle a maintenant cessé. Il était naturel, disent-ils, que la manifestation de Dieu en chair fût accompagnée d'une activité et d'un développement extraordinaire des pouvoirs du diable - le but de Satan était de défendre sa propre cause; celui de Dieu, en permettant cette activité , était de manifester sa gloire. D'autres supposent que lorsque l'Ecriture parle du mal comme étant le résultat de l'action de Satan, elle soulève un voile et révèle un secret caché à l'intelligence humaine , mais manifeste pour la sagesse divine. Les démons sont, dans ce cas, les causes premières de toutes les souffrances, bien que nous ne voyions agir que les causes secondes; et de nos jours , ajoute-t-on, leur pouvoir est aussi réel, et les résultats de leur activité sont en apparence aussi naturels qu'aux jours de notre Seigneur. Ces deux explications s'accordent parfaitement avec les faits physiques. Ce que nous appelons les causes du mal ne sont que les causes secondes ou des symptômes. L'agent qui les engendre reste inaperçu. En attribuant ces phénomènes à une cause extérieure, l'Ecriture reste en harmonie avec la philosophie ; en les attribuant à une puissance maligne, elle n'est pas moins en harmonie avec ce que la simple raison peut suggérer ou laisser entrevoir.

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§ 134. Christ homme-Dieu. - Faisons une dernière remarque sur la nature de notre Seigneur. Les Evangiles racontent la vie de Celui qui était à la fois Dieu et homme; nous ne devons donc pas être surpris de le voir représenter tantôt sous l'un de ses caractères et tantôt sous l'autre.

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SECTION Ire. - Les quatre Évangiles comparés.

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§ 135. L'Evangile.- Le mot grec évangile (Cf. Luc , II, 10) signifie bonne nouvelle.

Les Evangiles furent écrits à différentes époques, sous la direction du Saint-Esprit , par les hommes dont ils portent les noms. Ils fournissent, non une histoire complète de la vie de notre Seigneur , mais les faits et les discours qui développent la nature, et prouvent aux différents lecteurs la divine origine du système chrétien. Ces quatre livres forment réellement , non pas une biographie, mais un mémoire, et seulement un. Ils constituent un seul Evangile, un Evangile à quatre faces, comme l'appelait Origène ; et par leur merveilleuse unité, comme par leur diversité , ils sont propres à intéresser et à instruire toutes les classes d'hommes , tous les genres de caractères dans tous les temps.

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§ 136. Les quatre Evangiles. - Le premier évangile , celui de Matthieu , fut écrit pour les Juifs. C'est pour cela qu'il ne donne ni explications, ni développements sur les coutumes juives ou sur la topographie du pays. Il établit la généalogie de notre Seigneur à partir de son père légal jusqu'à Abraham , et montre comment le Nouveau-Testament est l'accomplissement de l'Ancien.

Le second évangile, celui de Marc, fut écrit pour l'instruction des Romains convertis. Les coutumes juives y sont par conséquent expliquées, et l'auteur entre dans les détails nécessaires pour faire comprendre la disposition des lieux, villes ou provinces. Les récits y sont plus fréquents que les discours , et l'écrivain insiste plus sur les actes que sur l'enseignement de notre Seigneur. Son évangile est entièrement pratique , et bien qu'il ait ajouté vingt-quatre versets, qui ne se trouvent , ni dans l'évangile de Matthieu , ni dans celui de Luc, l'ensemble est admirablement adapté aux habitudes énergiques de concision du peuple romain.

Le troisième évangile fut écrit par Luc, à l'usage des Gentils en général. Ici encore Christ nous apparaît sous un nouvel aspect, non comme le ministre de la circoncision , caractère qu'il a dans Matthieu, ni comme le Lion de la tribu de Juda , « Seigneur de tout pouvoir et puissance, » caractère qu'il revêt dans Marc, mais comme le Sauveur du monde. Luc trace sa généalogie à partir de sa mère en remontant jusqu'à Adam, le chef de toute la famille humaine. Tandis que Matthieu mentionne les douze apôtres qui furent envoyés à Israël, Luc parle des soixante-dix disciples qui furent envoyés vers toutes les nations de la terre. Certaines paraboles ne se trouvent que dans cet évangile , entre autres celles du bon Samaritain et de l'enfant prodigue, l'une tendant à humilier l'orgueil juif, l'autre montrant la joie* que donne au Sauveur la repentance et la conversion d'un païen. Les coutumes juives et les indications chronologiques sont rendues intelligibles pour un étranger, tandis que l'abondance dans la relation des discours de notre Seigneur satisfait la curiosité du caractère grec.-

Enfin dans le quatrième évangile, nous avons une oeuvre qui répond aux plus hautes tendances spéculatives de l'homme ; il corrige et redresse ce qu'il y avait de faux dans les systèmes de philosophie religieuse, tant juifs que païens, et complète ce qui manquait encore aux précédentes révélations. Aucun ne parle avec autant de plénitude du caractère divin de notre Seigneur, ou de la vie intérieure et spirituelle qui découle de l'union avec lui. De même que l'évangile de Matthieu a été appelé l'évangile matériel , celui de Jean a reçu le nom de spirituel on de divin (Clément).

Ainsi l'Evangile se présente à nous comme un plan à quatre faces, dont chacune est tournée vers un côté correspondant du monde spirituel : Matthieu, s'adressant au Juif, révèle le règne messianique ; Lue, regardant vers le Grec, révèle l'homme ; Marc montre le pouvoir et la force vitale de la vérité; Jean, son charme et son amour irrésistible. Matthieu fait voir , surtout dans le Rédempteur, l'homme juif soumis au plan divin de la grâce; Jean montre davantage en lui l'homme spirituel et divin; Marc, son autorité sur la nature et sur les démons ; Luc, son histoire personnelle comme homme. Dans tous, considérés dans leur ensemble, Jésus est représenté comme le Messie , le Docteur, le Modèle, le Frère et le Dieu.

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SECTION II. - L'intégrité des Évangiles.

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137. Témoignages historiques. - L'évidence générale de l'intégrité du Nouveau-Testament a été déjà démontrée (ire partie). Nous résumerons brièvement, dans un tableau, les preuves historiques de l'intégrité de chacun des Evangiles. Les auteurs que nous mentionnerons appartiennent aux deux premiers siècles et à la moitié du troisième de notre ère.

Les passages sur lesquels la table est basée se trouvent indiqués dans le Traité de Less sur l'authenticité, etc., du Nouveau-Testament. Quant aux passages marqués du signe voyez l'introduction de Davidson au Nouveau-Testament, vol. I-III. Des témoignages postérieurs sont encore rapportés dans la Crédibilité de Lardner. Plusieurs des témoignages les plus anciens se trouvent également dans le même auteur; mais la liste de Less est arrangée avec plus de soin.

Matthieu

Marc

Luc

Jean

Barnabas

An 122

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Clément de Rome

98

*

*

*

Ignace

Mort 107

*

*

*

Polycarpe

Mort 166

*

*

Papias

119

1

1

Divers, du premier siècle, cités par Eusèbe

Matthieu

Marc

Luc

Jean

Justin Martyr

148

1

1

1

1

Tatien

158

1

1

1

1

Basilides

122

*

Irénée

176

1

1

1

1

Hégésippe

175

*

Les Marcosiens

140

*

*

Athénagorpe

176

1

Théophile

178

1

1

Clément d'Alexandrie

217

1

1

1

Tertullien

198

1

1

1

1

Ammonius

200

1

1

1

Julius Africanus

210

1

1

Origène

213

1

1

1

1

Divers, examinés par Eusèbe

Matthieu

Marc

Luc

Jean

Egl. de Lyon et de Vienne

170

*

*

Valentiniens

440

*

*

Marcion

450

*

Héracléon

140

*

*

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Celse

150

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*

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Les témoignages marqués d'une étoile * sont moins décisifs que ceux marqués 1 ou quoique la plupart puissent cependant être considérés comme tout-à-fait suffisants dans un cas ordinaire de critique. Quelques autres passages sont indiqués dans les ouvrages de Davidson et de Lardner. Ils ne sont pas mentionnés ici , parce qu'ils ne sont pas concluants.

Les preuves de l'authenticité peuvent se voir dans la Ire partie, chap. II, sect. III. Ces témoignages sur l'intégrité des Evangiles s'appliquent à tout l'ensemble avec de légères et peu nombreuses exceptions. Les deux premiers chapitres de Matthieu, les onze derniers versets de Marc, le premier et le deuxième chapitre de Luc, les deux derniers versets de Jean , Jean, VII, 53 à VIII, 11 , et Jean, V, 3, 4, ont été mis en question; toutefois, aujourd'hui leur intégrité est presque généralement admise. Les plus douteux seraient les deux derniers passages.


Table des matières

Page précédente: SECTION II. - Esquisse de l'histoire morale et religieuse des Juifs pendant la période comprise entre l'Ancien et le Nouveau-Testament.

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