SECTION II. - Esquisse de l'histoire morale et religieuse des Juifs pendant la période comprise entre l'Ancien et le Nouveau-Testament.

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§ 116. Conséquences des rapports des Juifs avec les païens. - Entre .la clôture du canon de l'Ancien-Testament et les temps de notre Seigneur, les Juifs nous apparaissent sous un jour un peu nouveau. Leur commerce avec les Gentils, à Babylone et ailleurs , et les châtiments sévères qu'ils avaient reçus, diminuèrent leur tendance à l'idolâtrie et les rendirent plus fermes dans la profession de leur propre foi. Les Ecritures furent plus fréquemment consultées et étudiées que sous la monarchie, et des synagogues furent établies dans la plupart des villes de la Palestine.

Les relations des Juifs avec les autres nations devinrent durant cette même période plus générales. De bonne heure, déjà à l'époque de la captivité , ils fondèrent une colonie en Egypte, violant ainsi la loi (Deut. , XII) et affaiblissant les liens qui les rattachaient à la sainte cité. Leurs anciens rapports avec l'Egypte avaient été un châtiment, et maintenant ils devenaient un piège. Par choix ou par nécessité ils s'établirent encore dans l'Asie-Mineure , en Grèce, en Afrique et en Italie, tellement qu'à l'apparition de notre Seigneur, il y avait à peine une contrée dans tout l'empire romain où l'on ne pût trouver une colonie juive. C'était donc presque littéralement qu'on pouvait dire qu'il y a « dans toute ville » des gens qui prêchent Moïse (Actes, XV, 21).

Une des conséquences de cette dissémination des Juifs au milieu des nations, fut que la langue originale de la Palestine, qui avait été, comme nous l'avons vu , soumise à tant d'influences diverses (Ire partie, § 22), fut oubliée par la plupart des Juifs, et que le grec devint aussi commun que l'araméen dans les villes de la Judée. De là la traduction de l'Ancien-Testament en grec ; de là encore l'adoption par les Juifs, dans leur foi plus pure , de quelques-unes des absurdités de la philosophie païenne. De là aussi chez tes païens une connaissance étendue des saintes Ecritures, et dans tout l'Orient l'attente générale de la venue du Messie.

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§ 117. Autres influences d'un caractère religieux. Les sectes. - La plupart des rites de la loi tiraient leur importance de leur caractère symbolique. C'étaient des doctrines en action ; et quoique quelques-unes eussent pour but simplement de maintenir les Juifs isolés, ou tout au moins distincts des nations voisines, la plupart renfermaient des leçons de moralité et de piété , ou servaient à fixer l'attention sur la mission et l'oeuvre du Messie.

Vers la fin de cette période cependant , tout ce qu'il y avait de spirituel dans la loi fut mis de côté ; la partie rituelle ou matérielle fut seule considérée. De là surgirent une multitude de sectes, et la connaissance de leurs dogmes est nécessaire pour comprendre diverses allusions de notre Seigneur. Cette connaissance , en outre, est saintement instructive en nous éclairant sur la disposition de la nature humaine à se laisser séduire, et sur ses tendances dans notre propre époque. Nous pouvons remarquer en effet en Judée la direction que l'esprit humain prend partout toutes les fois que la vraie religion tombe en décadence. Ce fut, en premier lieu , la tendance traditionnelle, sous l'influence de laquelle des éléments humains étrangers se mêlèrent aux éléments divins. Des formes qui comprimèrent et détruisirent la substance de la piété furent substituées à celles qui en découlaient; la loi fut annulée par les traditions, A la place du fond et de la réalité se placèrent les cérémonies mortes. Ce fut le pharisaïsme ou le judaïsme légal.

Mais les extrêmes tendent naturellement à maintenir l'équilibre en se faisant contre-poids l'un à l'autre. On le vit bientôt.

Les additions étrangères introduites par une secte furent désavouées par une autre ; mais avec le rejet de ces additions vint à son tour l'abandon de beaucoup de choses vraies. De là sortit le sadducéisme ou le judaïsme rationaliste, aboutissant souvent à l'incrédulité. En date, il était plus ancien que le pharisaïsme, mais il ne se développa que lorsque l'autre système eut commencé à prévaloir. Ni l'une ni l'autre de ces erreurs ne pouvait satisfaire les. besoins d'hommes d'une dévotion plus ardente. Les pharisiens croyaient trop, les sadducéens pas assez. Les uns et les autres, dans l'opinion d'une troisième secte, se trompaient sur le sens vrai de l'Ecriture, lequel n'est pas à la surface, mais caché, et, selon eux, ne peut être découvert que par une méditation profonde et par des interprétations allégoriques. De là naquirent les esséniens, les représentants du monachisme dans tous les âges. Combien il est facile de se préserver des erreurs d'autrui, tout en professant soi-même des erreurs non moins funestes !

Il est digne de remarque que les trois principales sectes grecques, les stoïciens, les épicuriens et les pythagoriciens, ne différaient pas beaucoup de ces sectes juives. Sir John Malcolm a également montré que les trois grandes sectes mahométanes sont tombées dans les mêmes erreurs. Les sunnites sont les traditionistes, les shiites s'en, tiennent au Koran, et les soofis cherchent leur religion dans ce que Mahomet appelle « la sensation divine intérieure. » (Hist. de la Perse, chap. XXII.)

Après le temps de notre Seigneur, ces sectes furent connues sous des noms différents. Les pharisiens s'appelèrent successivement rabbinistes, c'est-à-dire disciples des rabbins ou grands docteurs; cabalistes, c'est-à-dire traditionistes; et talmudistes. Ceux qui suivaient la doctrine des sadducéens sur la supériorité du texte littéral du Pentateuque, tout en ne professant pas leurs autres erreurs, étaient appelés karaïtes ou scripturistes. Les esséniens enfin sont connus dans l'histoire sous le nom de thérapeutes , c'est-à-dire médecins de l'âme : quelques-uns pensent cependant que ce nom était donné à une secte semblable, mais un peu différente de celle des esséniens (Burton's Bampton Lecture, note 32 ; et Hist. de l'Eglise de Néander, I ).

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§ 118. L'Ecriture et la tradition. - Il est bon de remarquer que, tandis que les pharisiens se servaient de la tradition pour découvrir la vérité , les sadducéens employaient dans le même but les raisonnements de la logique , comme firent plus tard aussi les scolastiques; et que ces sectes devaient leur origine aux tendances ordinaires de la nature humaine et au relâchement de la vie religieuse spirituelle. La grande question débattue entre elles roulait du reste sur l'étendue de l'autorité de la tradition. Le sadducéen, bien que disposé à en tenir compte pour l'interprétation de l'Ecriture, ne lui reconnaissait aucune autorité ; le pharisien , au contraire , la recevait comme divine.

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§ 119. La tradition juive. - L'ensemble des données de la tradition, objet des disputes dont on vient de parler, fut recueilli dans le second siècle, ou peut-être un peu plus tard, par des docteurs juifs, et principalement par le rabbin Judah, surnommé le saint, descendant de Gamaliel (Lightfoot) et favori de l'un des Antonin.

La collection fut appelée Mishna ou répétition (en grec).

Les docteurs subséquents y ajoutèrent divers commentaires, sous le nom de Gemara (complément) ; et les deux mots Mishna et Gemara furent réunis sous le nom commun de Talmud, dérivé d'un mot hébreu qui signifie enseigner. La Mishna , avec les commentaires recueillis par les rabbins juifs dans le quatrième ou le cinquième siècle, reçut le nom de Targum de Jérusalem. Les commentaires du Targum de Babylone furent rassemblés dans le sixième siècle par les rabbins résidant dans cette ville. La Mishna, ou le texte, est la même dans les deux. Les traditions qui la composent remontent à environ 300 ans avant Jésus-Christ, et, sauf les interpolations, elles sont sans doute telles que notre Seigneur les trouva aux jours de son ministère.

Il y a dans le 'Talmud beaucoup de commentaires critiques et grammaticaux sur le texte des Ecritures. Ces commentaires , avec d'autres dont la tradition les a enrichis, furent réunis en un seul livre, sous le titre de Masora ou tradition. Toutefois cette origine des commentaires masorétiques n'est pas généralement admise. Quelques écrivains juifs soutiennent que la plus grande partie est aussi ancienne que les jours de Moïse. Kimchi et d'autres pensent qu'ils ont commencé avec la révision des manuscrits de l'Ecriture par Esdras ; d'autres encore (parmi lesquels Aben Ezra , 1150) prétendent qu'ils prirent naissance dans l'école de Tibériade, entre le troisième et le sixième siècle après Jésus-Christ. Eichhorn croit pouvoir démontrer qu'ils ne sont pas le produit d'une seule époque , mais qu'ils ont été écrits à de longs intervalles , et quelques-uns à une époque comparativement moderne. Ils ont tous été publiés dans la Bible rabbinique de Bomberg (Venise, 1518-36). Ils sont imprimés à côté du texte et à la fin de chaque livre. Des extraits de cette Masora (sous le titre de Petite Masora) ont été souvent réimprimés, et on en trouve des fragments dans presque toutes les éditions hébraïques des saintes Ecritures.

C'est aux Masorètes probablement que nous devons les points-voyelles, les accents et la plupart des corrections du texte imprimé, en même temps qu'une masse de renseignements curieux, mais peu importants du reste, sur les mots et les lettres de l'Ecriture. Quelques-unes de leurs corrections ont un caractère critique : elles indiquent la véritable division et relation des mots (Ps. LV, 16; CXXIII, 4) ; la transposition, L'altération ou l'omission de consonnes (1 Rois, 45. Ezéch., XXV, 7. Amos, VIII, 8); - grammatical et orthographique, comme dans divers passages du Pentateuque et Ezéch. , XXVII , 5 ; - et euphémistique ou explicatif, ( 1 Sam., V, 6; VI, 4. Deut., XXVIII, 17. 2 Rois, XVIII, 27. Esaïe , XXVI , 12).

Les Masorètes indiquent sept passages , dans lesquels des mots doivent être lus (keri) dans l'hébreu, qui ne sont pas écrits (kethib) (2 Sam. , VIII, 3 ; XVI , 23) ; et cinq où des mots sont écrits qui doivent être supprimés (2 Rois, V, 18, etc.).

Ils se sont fait, en outre, une affaire importante de compter les mots et les lettres de chaque livre aussi bien que les constructions et les formes inusitées, et de noter beaucoup de faits sans valeur par eux-mêmes, mais qui prouvent, par le soin qu'ils ont pris d'accumuler des observations de ce genre, avec quel scrupule ils ont sauvegardé l'intégrité du texte sacré. Ils ont observé, par exemple, que, dans le Pentateuque, la lettre du milieu se trouve Lév., XI , 42; le mot du milieu, Lév. , X , 13 ; le verset du milieu, Lév., XIII , 13. - Dans les Psaumes, la lettre du milieu est Ps. LXXX , 14 ; et le verset du milieu , Ps. LXXVIII, 36. Ils notent aussi le nombre de fois que chaque lettre est employée dans chaque livre et dans la Bible entière. Pour d'autres échantillons de leur manière de faire, voyez De Wette , introd. ; Walton , prolég. ; Buxtorf, Tibérias.

Les lettres du milieu étaient écrites, et sont même imprimées, soit hors de leur place, soit avec un caractère particulier, et les cabalistes leur attribuent un sens spirituel profond.

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§ 120. La Cabale. - La Cabale (ou reçue) était une interprétation mystique de l'Ecriture, qu'on disait avoir été reçue de Dieu par Adam , Abraham et Moïse, et transmise par Josué aux soixante-dix anciens et à leurs successeurs, les docteurs rabbiniques. Le mot est aussi appliqué à tout le système de philosophie en honneur parmi les rabbins, qui supposaient que chaque lettre de l'Ecriture renfermait un mystère (voyez des exemples, Ire partie, § 117).

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§ 121. Pharisiens et sadducéens. - Les pharisiens formaient la secte la plus nombreuse chez les Juifs (1). Leur nom signifie interprètes ou séparés, et on le dérive, soit de ce qu'ils expliquaient la loi par la tradition , soit de ce qu'ils s'estimaient plus saints que les autres et paraissaient ainsi vouloir se séparer du reste des hommes (2) (Jean, VII, 49). Ils représentaient l'esprit légal du judaïsme; et comme ils reflétaient plus fidèlement le caractère national , leur secte était la plus en faveur parmi le peuple. Ils comptèrent parmi les ennemis les plus acharnés de notre Seigneur.

Tel était leur caractère général : chez quelques-uns cependant la religion était l'expression d'un zèle honnête et louable, mais mal dirigé (Rom. , X, 3).

Les sadducéens tirent leur nom soit de Tzédek, justice, soit de Tsadok , le pupille d'Antigone Sochaeus , le premier docteur en Mishna et président du grand sanhédrin (av. J.-C. 250). Ils rejetaient l'autorité de la tradition, et regardaient avec défiance toutes les révélations postérieures à Moïse. Ils s'opposaient à tout développement de la vérité divine, même à des doctrines dont le germe se trouvait déjà dans le Pentateuque ; de sorte qu'ils méconnaissaient souvent en pratique les livres même qu'ils faisaient en apparence profession de recevoir. Avec ce point de départ, ils niaient la doctrine de la résurrection et de l'immortalité de l'âme. Leur négation de l'existence des anges et des esprits ne peut se baser sur aucun principe, si ce n'est qu'une fois que les hommes ont une tendance sceptique, leur doute les conduit insensiblement à l'incrédulité. Les préceptes de la loi étaient les seules parties qu'ils regardassent comme positives ; tout le reste leur paraissait incertain. Sans nier formellement la Providence, ils plaçaient Dieu aussi loin que possible, comme spectateur inactif des affaires de l'univers, et ils étaient conduits par cette vue à une espèce de déisme qui finissait par détruire toute l'autorité de la révélation. Leurs doctrines étaient favorablement accueillies surtout par les jeunes gens de Judée , et produisaient chez eux (au dire de Josèphe) une disposition à la froideur et à la sécheresse de coeur. Les sadducéens étaient ordinairement des personnes de condition, menant une vie aisée et mondaine, et n'ouvrant leur esprit à aucune sainte aspiration. Par leur position, ils avaient obtenu quelques-uns des postes les plus importants du pays. Caïphe, qui condamna notre Seigneur, était un sadducéen (Actes, IV, 6 ; V, 17) ; et Josèphe dit qu'Hérode, qui fut si vivement impressionné par les discours de Jean-Baptiste (Matth., XIV, 2) , appartenait aussi à cette secte. Il fournit ainsi un exemple éclatant du pouvoir de la conscience sur un système d'incrédulité, qu'il avait embrassé bien plus par le coeur sans doute que par la tête.

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§ 122. Les Galiléens et les hérodiens. - A côté des pharisiens se placent les Galiléens, du moins quant à leurs tendances religieuses, car ils différaient beaucoup au point de vue des opinions politiques.

Ils descendaient de ce Judas de Galilée (Gamala) qui, lors de l'établissement de l'impôt, soutint que toute domination étrangère était antiscripturaire, et que Dieu était le seul roi des Juifs.

Regardant comme contraire à la loi de prier pour les princes étrangers, ils faisaient leurs sacrifices à part. Comme notre Seigneur et ses disciples étaient de Galilée, les pharisiens affectèrent de les confondre ou de les identifier avec cette secte.

Les plus violents probablement, des partisans de cette idée, furent appelés zélotes. Ils apparurent immédiatement avant la destruction de Jérusalem, et sont peut-être mentionnés Actes, XXI, 38.

Une classe meilleure et plus respectable de zélotes est mentionnée Actes, XXI , 20 ; XXIII , 3.

Quant aux hérodiens ils étaient plutôt sadducéens quant à leurs doctrines (Cf. Marc, VIII, 15 avec Matth., XVI, 6); mais la question religieuse était en général absorbée chez eux par l'idée politique. Ils étaient partisans quand même du gouvernement d'Hérode , et par conséquent de la domination romaine, et s'efforçaient par tous les moyens , bassesses et flatterie , de se concilier la faveur des conquérants du pays, au détriment même des moeurs nationales de leur patrie. C'est sans doute cette union avec l'idolâtrie, basée sur le sable mouvant d'une politique tout humaine, que notre Seigneur appelle le levain d'Hérode.

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§ 123. Les esséniens. - Les esséniens sont évalués, par Philon, au nombre d'environ 4,000, et tiraient probablement leur origine de l'Egypte. Ils renonçaient aux plaisirs et aux agréments de la vie et professaient un fatalisme exagéré (Matth., XIX, 12. Col., II, 16-19).

Quelques parties de Jean sont supposées renfermer des allusions à leurs doctrines ; mais comme ils vivaient isolés et séparés de la masse du peuple juif, ils ne sont pas formellement mentionnés dans les récits du ministère de notre Seigneur.

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§ 124. Les scribes. - Les scribes formaient une corporation savante et non une secte religieuse. Leur occupation était de faire des copies de la loi et de l'expliquer. De là vient qu'ils étaient appelés hommes de loi ou docteurs de la loi (Matth. , XXII , 35. Cf. Marc, XII, 28. Luc , V, 17, 21). En religion, ils appuyaient généralement les pharisiens et sont d'ordinaire mentionnés avec eux (Matth., XXIII), bien que cependant toutes les sectes eussent des amis et des adhérents parmi les scribes (Matth. , II, 4).

Les scribes du peuple étaient probablement des membres laïques du sanhédrin ; ce corps se composait de soixante-douze membres, d'entre lesquels vingt-quatre étaient prêtres, et vingt-quatre anciens (Cf. Apoc. , IV, 4) ; il est probable que les scribes du peuple formaient le reste (voyez 1 Chron. , XXVII, 32).

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§ 125. Prosélytes de la justice. Les prosélytes formaient , au temps de notre Seigneur, une classe très-nombreuse. Ce nom désignait ceux des Gentils qui s'étaient soumis aux obligations de la loi. Ils se rassemblaient pour offrir leurs sacrifices au Dieu d'Israël dans la cour extérieure du temple. Les pharisiens se donnaient beaucoup de peine pour faire des prosélytes, et ils étaient aidés dans leurs efforts par l'autorité expirante des anciennes religions et par la vénération croissante que les païens professaient pour le Dieu des Juifs. Comme ces docteurs n'avaient pas une idée juste de leur propre religion, ils ne pouvaient la communiquer à d'autres; leurs prosélytes, par conséquent , ne faisaient trop souvent que changer de superstitions, ils étouffaient les cris de leur conscience et devenaient ainsi plus qu'auparavant « les enfants de la géhenne. » Ils étaient appelés les prosélytes de la justice, et on les compta souvent parmi les ennemis les plus ardents de la foi chrétienne.

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§ 126. Prosélytes de la porte. - Il y avait encore un grand nombre de Gentils appelés (dans les derniers temps) les prosélytes de la porte (3) , qui se contentaient de renoncer à l'idolâtrie pour adorer le vrai Dieu et qui s'abstenaient de toute pratique païenne. Ils avaient entendu parler d'une manière générale de la venue du Messie, et ne partageaient pas à son égard les préjugés des Juifs. Aussi la nouvelle religion fit-elle de grands et rapides progrès parmi eux.

Ils sont appelés dans le Nouveau-Testament des hommes pieux, craignant Dieu, ou qui servaient Dieu, et des prosélytes religieux (Actes, XIII , 16 , 43) ; ils paraissent avoir été nombreux à Damas et à Thessalonique (XIII, 50; XVII, 4. Voyez aussi X, 2).

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§ 127. Les Samaritains. Les Samaritains revendiquaient leur place et leurs droits dans l'alliance mosaïque , mais notre Seigneur les distingue des brebis perdues de la maison d'Israël aussi bien que des Gentils (Matth. , X, 5, 6). Ceux du temps de notre Seigneur provenaient des colons qui furent envoyés par le roi d'Assyrie pour repeupler la Samarie après que les dix tribus eurent été emmenées en captivité (2 Rois, XVII). Un des prêtres captifs leur fut envoyé pour les instruire, et quoique dans le commencement ils considérassent Dieu comme une sorte de divinité tutélaire, et qu'une grande partie de leur système religieux fût corrompue, ils sollicitèrent dans la suite leur réunion avec les Juifs. Dans cette vue, Sanballat, le cusite (non pas le Sanballat de Néhémie, XIII, 28), obtint la coopération d'un prêtre juif, Manassé, que les Juifs avaient banni. Avec son concours, il réussit à attirer dans la Samarie un grand nombre de personnes. Ils élevèrent alors sur le mont Guérizim un temple indépendant qui resta debout jusqu'aux jours de Jean Hyrcan (109 av. J.-C.), et ils célébrèrent le culte dans des conditions qui leur parurent plus conformes aux prescriptions de la loi mosaïque. Leur foi et leurs pratiques se fondaient sur le Pentateuque seul, et ils rejetaient, en bloc tous les autres livres inspirés.

Cette séparation fut permise de Dieu pour amener un plus grand bien. Le texte samaritain de la loi a été soigneusement conservé et l'inimitié qui existait entre les Juifs et les Samaritains rendit les uns et les autres jaloux de conserver dans sa plus entière pureté leur texte respectif. Les Samaritains étaient, du reste, exempts de cette fierté et de cette étroitesse qui distinguaient leurs voisins. A cause de leur origine bâtarde et du mépris dont ils étaient l'objet tout autour d'eux , ils se faisaient probablement une plus juste idée de la grandeur de l'Evangile et de son caractère d'universalité. Ils considéraient toutes les nations comme appelées au même titre à participer à ses bénédictions. Ils reçurent aussi du Seigneur une des premières et des plus expresses déclarations qu'il était en effet le Messie (Jean , IV) , et ils sont souvent mentionnés par lui dans le cours de son ministère.

Comme ils ne recevaient que le Pentateuque, il est particulièrement intéressant de noter les passages sur lesquels, à cette époque, ils appuyaient leur foi à la venue du Sauveur. Ils citaient Deut. , XVIII, 15-19, et concluaient qu'il est le Sauveur du monde, de Gen. , XII, 3; XXII, 18 ; XXVI, 4 ; XXVIII, 14, etc.

Après les jours de notre Seigneur, il s'éleva trois sectes parmi eux ; deux d'entre elles, fondées l'une par Simon le magicien, et l'autre par son disciple Ménandre , subsistèrent pendant plusieurs siècles, et furent souvent confondues par les écrivains païens avec les chrétiens.

Ajoutons que les sectes nombreuses dont on vient de parler dans ce chapitre ne sont pas un phénomène isolé, renfermé dans les contrées et les temps dans lesquels elles ont paru. Elles sont la représentation fidèle de la nature humaine dans tous les temps; les préceptes et les vérités qui les concernent ne nous sont pas moins applicables à nous-mêmes.


Table des matières

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(1) Josèphe en compte six mille, principalement d'entre les prêtres. On fait remonter leur origine à l'an 135 avant Christ.

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(2) Voyez Lightfoot's Hor. héb. sur Matth. , XV, 2 , § 4.

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(3) Ce nom fut ignoré des commentateurs chrétiens jusqu'au quatorzième siècle. (Lardner). On le trouve chez Maïmonides (en 1200); il est certain, du reste, que cette classe d'hommes existait aux jours de notre Seigneur.