SECTION IV. - Les livres de Sophonie, Jérémie, Habacuc, Daniel, Ezéchiel et Abdias.

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§ 88. Sophonie (640-609 avant Christ). - Entre les derniers oracles des prophètes dont on vient de parler, Esaïe, Michée, Nahum, et l'avènement des prophètes postérieurs qui font l'objet de cette section, il s'écoula un intervalle de cinquante années pendant lesquelles aucun prophète ne paraît avoir été envoyé de Dieu, à moins que Joël n'appartienne à cette période. Les terribles événements survenus en Israël, la destruction de Samarie, les leçons des prophètes , d'Esaïe surtout, pouvaient suffire pour un temps. D'ailleurs, le Mauvais règne de Manassé , qui dura presque toute cette époque, devait rendre infructueuse et stérile toute tentative de réformation par l'enseignement prophétique. Mais avec Josias l'esprit des prophètes se réveille, et Sophonie, dont le nom signifie « l'Eternel a gardé, » est le premier qui reparaît.

On croit qu'il a prophétisé vers le commencement du règne de Josias, et, dans tous les cas, avant la dix-huitième année de ce règne qui vit tomber les autels de Bahal. Il seconda probablement Josias dans ses efforts pour restaurer le culte public. On ne sait de sa personne que ce qu'il en dit lui-même dans le titre de son livre. Comme il remonte à quatre générations en arrière dans l'indication de ses ancêtres, on peut supposer qu'il était d'une grande famille ; quelques auteurs juifs, et Eichhorn d'après eux , pensent même qu'il descendait du roi Ezéchias; mais ce n'est pas prouvé, et les cent ans qui séparent le roi du prophète suffisent à peine pour justifier trois générations intermédiaires. Fréd.-Ad. Strauss (Vaticinia Zephaniae ; Berlin, 1843) admet cependant et justifie par «assez bonnes raisons l'origine royale de Sophonie.

Il a concentré, dans la courte prophétie qui reste de lui, le résumé des prophéties qu'il dut prononcer pendant la durée de son ministère public. Le chapitre I jusqu'à II, 3 renferme des menaces générales contre Juda et tous ceux qui se sont adonnés à l'idolâtrie; Bahal avec ses prêtres en robes noires (K'marim, 2 Rois, XXIII, 5) et Malcham (Moloc) sont également condamnés. La grande journée de l'Eternel est proche, journée de détresse et d'angoisse. Au chapitre II, nous avons l'annonce des jugements contre les Philistins , et spécialement contre les riverains de la Méditerranée (les Kéréthiens) , contre les Moabites, les Hammonites et les Ethiopiens; puis le prophète décrit en termes admirablement précis la désolation de Ninive : ces prophéties commencèrent toutes à s'accomplir par les conquêtes de Nébucadnetsar.

Au chapitre III, Sophonie revient sur Jérusalem , et après de nombreux reproches et de solennels avertissements , il termine en donnant aux justes l'assurance qu'ils seront épargnés au jour de la vengeance , et en annonçant une restauration future et des jours de paix pour le peuple de Dieu aux derniers temps.

On a remarqué de nombreuses analogies de style et d'expressions entre Sophonie et Esaïe , davantage encore entre ce prophète et Jérémie. Ajoutons que les oracles de Jérémie complètent le tableau que Sophonie présente des dévastations faites par les Caldéens en Juda et sur les côtes des Philistins.

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§ 89. Accomplissement des prophéties. - Le docteur Keith fait ressortir la scrupuleuse et minutieuse exactitude avec laquelle Amos (I, 6-8), Zacharie (IX, 5) et Sophonie (II, 4-6) ont prédit les destinées des quatre principales villes des Philistins. En comparant ces oracles avec les faits , on voit de Gaza , qu'elle est abandonnée et qu'elle n'a plus de rois ; le feu a dévoré ses murailles et ses palais; dans la plaine dont elle était l'orgueil, on ne rencontre plus que quelques villages bâtis en terre ou en bousillage, qui portent, comme leurs habitants, l'empreinte de la misère et de la pauvreté. Dieu a exterminé d'Asdod ses habitants; les murs d'Askélon ne renferment plus un seul être vivant; ce sont deux ruines,- deux tombeaux, deux monuments de la vérité des prophéties. Quant à Hékron , c'est pire encore. Hékron devait être « arrachée , » et de fait son nom même n'existe plus, et l'on ne connaît plus son emplacement d'une manière positive. Evidemment, la prophétie et l'histoire ont été tracées par une seule et même main.

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§ 90. Jérémie (628-585 avant Christ). - Fils de Hilkija, de la race sacerdotale , probablement de la branche d'Ithamar., Jérémie était natif de Hanathoth, dans la tribu de Benjamin (Jér., I, 1 ; XXXII, 8). Sa vocation était déjà annoncée avant sa naissance; fort jeune encore, environ soixante-dix ans après la mort d'Esaïe, âgé de quatorze ans à peine, il commença son ministère dans la treizième année du roi Josias. Il parait être resté quelque temps encore , plusieurs années , dans son village ; mais à la fin , par suite peut-être des persécutions de ses compatriotes et même de sa famille (XI, 21 ; XII , 6) , et sans doute par une direction de Dieu qui voulait donner à son activité un plus grand théâtre, il fut appelé à quitter Hanathoth et se rendit à Jérusalem. Il visita de là les villes de Juda, et prophétisa pendant environ quarante années (XI , 6) sous les règnes successifs de Josias, Jéhoachaz , Jéhojakim, Jéchonias et Sédécias.

Il est hors de doute que Jérémie seconda puissamment le pieux Josias dans ses tentatives de réformation. D'après ce qu'il dit de Jéhoachaz (XXII, 10-12), ou peut croire qu'il prophétisa sans obstacle pendant son règne. Mais lorsque Jéhojakim monta sur le trône, Jérémie fut entravé dans son ministère et faillit périr pour avoir annoncé la destruction de Jérusalem et du temple; les prêtres et !es prophètes se portèrent ses accusateurs et demandèrent, d'accord avec le peuple, qu'il fût mis à mort (chap. XXVI). Les principaux de la nation n'osèrent pas défier Dieu aussi ouvertement ; mais Jérémie, cédant à de redoutables intimidations, dut se retirer pour un temps et interrompre son ministère public. Dans ces circonstances , il reçut de Dieu l'ordre de rédiger ses oracles par écrit , et il envoya Baruc pour en faire lecture dans le temple un jour de jeûne. Les princes et les chefs de la maison du roi, l'ayant entendu, furent effrayés, et cherchèrent à faire partager leurs inquiétudes au monarque en lui communiquant le volume prophétique. Mais ce fut en vain. Le roi , ayant pris connaissance des oracles du prophète, déchira le volume a coups de canif, le jeta dans un brasier, et donna des ordres immédiats pour l'arrestation de Jérémie et de Baruc; mais Dieu fut avec ses serviteurs , et peu de, temps après Jérémie put écrire de nouveau, avec quelques additions, le même oracle qui venait d'être lacéré (chap. XXXVI).

Pendant la courte durée du règne suivant, de Jéhojachin , nous retrouvons le prophète élevant , mais toujours en vain , sa voix d'avertissement (XIII, 18 ; XXII, 24-30. Cf. 2 Rois, XXIV, 12 ). Sous le règne de Sédécias , lorsque l'armée de Nébucadnetsar mit une première fois le siège devant Jérusalem , puis se retira sur la nouvelle qu'un secours arrivait d'Egypte au roi de Juda , Jérémie reçut de Dieu l'ordre d'annoncer que les Caldéens reviendraient une seconde fois, qu'ils s'empareraient de la ville et qu'ils la détruiraient par le feu. Voulant quitter Jérusalem , il est arrêté comme désertant auprès des Caldéens; il est jeté en prison, et il y reste jusqu'après la prise de la ville. Nébucadnetsar, qui avait appris à le respecter, donne l'ordre à son général Nébuzar-Adan , non-seulement de le protéger et de pourvoir à tous ses besoins, mais encore de l'écouter et de suivre ses avis. Jérémie a le choix de rester dans sa patrie ou de suivre les vainqueurs à Babylone, où de grands honneurs lui sont promis. Il choisit de rester. Parmi ceux qui étaient demeurés en arrière, quelques-uns , sous la conduite de Johannan, projetaient d'aller chercher en Egypte une patrie nouvelle.

Le prophète s'efforce en vain de les en détourner, en leur promettant de la part de l'Eternel une prochaine restauration ; ils partent, et ils emmènent avec eux Jérémie et Baruc (XLIII , 6). En Egypte, il cherche encore à ramener à l'Eternel le coeur de ces masses égarées et à les préserver de l'idolâtrie, et surtout du culte des astres. Ici s'arrête son histoire ; ses écrits ne donnent aucun détail sur la fin de son ministère ; d'anciens auteurs assurent que les Juifs, irrités de ses remontrances, finirent par le mettre à mort; saint Jérôme ajoute que ce fut à Taphnès.

Jérémie fut contemporain de Sophonie, d'Habacuc , d'Ezéchiel et de Daniel. Entre ses écrits et ceux d'Ezéchiel, il y a des points intéressants de ressemblance et de contraste. Les deux prophètes ont travaillé pour le même objet et à peu près à la même époque. L'un prophétisait en Palestine, l'autre en Caldée; mais la substance de leurs oracles est la même. Seulement , la forme de l'expression, le genre de style , le caractère personnel des deux auteurs diffère complètement. L'histoire de Jérémie nous montre un homme contraint, en quelque sorte malgré lui , de quitter sa retraite et son obscurité pour affronter la vie publique et les dangers de la carrière prophétique. Naturellement doux , pacifique, susceptible, et plus disposé à pleurer en secret sur les péchés du peuple qu'à braver les méchants et à dénoncer les jugements de Dieu, il se lève au premier appel, et, champion fidèle et sans peur de la cause de la vérité, il affronte sans se laisser ébranler, les reproches, les insultes et les traitements les plus durs ou les plus ignominieux. Cet ensemble de qualités opposées est si remarquable, que Haevernick le regarde comme une des preuves les plus frappantes de la divine autorité de la mission de Jérémie. Chez Ezéchiel , au contraire , nous trouvons toute la puissance de l'Esprit de Dieu agissant sur une âme, sur une intelligence déjà vigoureuse par elle-même, absorbant et vivifiant toutes ses facultés.

Le style de Jérémie correspond naturellement à son caractère. Il est essentiellement pathétique. Il abonde en expressions tendres et affectueuses , et se complaît dans la peinture la plus touchante des maux et des souffrances de la nation.

Les oracles de Jérémie ont été réunis sans égard à l'ordre chronologique dans lequel ils ont été prononcés. On ne peut dire au juste ni d'après quel principe ils ont été réunis dans la forme en laquelle ils nous sont parvenus, ni quel est leur véritable ordre chronologique.

Voici comment le docteur Blayney fixe la suite des chapitres

1° Les prophéties qui ont été prononcées sous Josias, I à XII. -

2° Celles qui ont été prononcées sous Jéhojakim, XIII à XX; XXII; XXIII; XXV; XXVI; XXXV; XXXVI; XLV à XLVIII; XLIX; 1-33. -

3° Sous Sédécias, XXI; XXIV; XXVII à XXXIV; XXXVII à XXXIX ; XLIX, 34-39; L à LII. -

4° Celles qui furent prononcées pendant le gouvernement de Guédaliah et en Egypte, XL à XLIV.

Le chapitre LII semble avoir été composé d'après les derniers chapitres de 2 Rois, XXIV, 18-XXV, 21, et reproduit une partie des chapitres XXXIX et XL. On pourrait conclure de LI, 34 et de la date postérieure de certains faits, que le chapitre LII tout entier pourrait être l'ouvrage d'un auteur plus récent, très-probablement d'Esdras.

Ewald propose une division nouvelle, basée sur l'ordre même des chapitres tel qu'il se trouve dans le recueil , et il a essayé de découvrir l'idée du plan qui a été adopté et choisi par le prophète dans l'arrangement de ses oracles. Il fait remarquer que plusieurs fragments sont introduits par ces mots La parole fut adressée à Jérémie par l'Eternel, en disant : VII, 1 ;XI , 1; XVIII, 1 ; XXI , 1 ; XXV , 1 ; XXX, 1; XXXII, 1 ; XXXIV, 1 , 8; XXXV, 1 ; XL, 4; XLIV, 1; ou par ceux-ci. La parole de l'Eternel qui fut adressée à Jérémie, XIV, 1 ; XLVI, 1 ; XLVII, 1 ; XLIX, 34; que d'autres divisions, historiques surtout , sont marquées par l'indication de la date, XXVI, 1 ; XXVII, 1 ; XXXVI, 1; XXXVII, 1 ; et enfin, que deux autres fragments sont par eux-mêmes suffisamment distincts, XXIX, 1; XLV, 1. Partant de ces données, Ewald a cru pouvoir découvrir dans Jérémie les cinq livres suivants

L'introduction, chapitre I.

Censure des péchés des Juifs ( II à XXIV) en sept sections, savoir: II; III à VI ; - VII à X; - XI à XIII; - XIV à XVII; XVIII; XIX et XX ; - XXI à XXIV.

Coup-d'oeil d'ensemble sur toutes les nations, les païens aussi bien que le peuple d'Israël, en deux sections : XXV, et XLVI à XLIX ; suivi d'un appendice historique en trois sections: XXVI à XXIX.

Deux sections faisant entrevoir l'espérance de temps meilleurs : XXX et XXXI, XXXII et XXXIII, suivies, comme au livre précédent, d'un appendice historique en trois sections - XXXIV, 1-7; XXXIV, 8-22; - et XXXV.

La conclusion en deux sections : XXXVI et XLV.

Ewald suppose que toute cette portion du recueil a été mise en ordre en Palestine pendant le court intervalle qui sépara la prise de la ville du départ de Jérémie pour l'Egypte. Il pense qu'arrivé là, le prophète, au bout de quelque temps, aura ajouté trois nouvelles sections , savoir : XXXVII à XXXIX, XL à XLIII , et XLIV, ainsi que XLVI , 13-26 , pour compléter ses précédentes prophéties sur l'Egypte; peut-être aura-t-il aussi modifié ou complété quelques autres portions de ses écrits.

Jérémie se donne comme l'auteur des prophéties qui portent son nom ; mais quelques-unes ont été écrites sous sa dictée par son disciple (I, 1,4, 6,9; XXV, 13; XXIX, 4; XXX, 2; LI, 60; XLV, 1).

On l'a regardé quelquefois comme le prophète des Gentils (I, 5-10). Il est sûr que plusieurs de ses oracles concernent les nations étrangères, et qu'il les leur a adressés publiquement (XXVII, 3); mais c'est principalement à Jérusalem qu'il a été envoyé; son ministère le plus direct était pour la ville sainte.

Il a prédit le sort de Sédécias (XXXIV, 2 , 3. Cf. 2 Chron.XXXVI, 19. 2 Rois , XXV, 5. Jér. , LII, 11), la durée exacte de la captivité babylonienne (XXV, 11, 12. Cf. Dan., IX, 2) et le retour des Juifs (XXIX, 10-14.. Ezéch. , I, 1 ). La décadence et la ruine de Babylone et de plusieurs autres nations sont également annoncées (XXV, 12) (voyez § 77), et l'accomplissement successif de ces prophéties devait entretenir chez les Juifs, la foi aux oracles relatifs au Messie (XXIII, 3-8 ; XXX, 9 ; XXXI, 15 ; XXXII, 36 ; XXXIII , 26). Il annonce très-clairement l'abrogation de la loi mosaïque ; il parle de l'arche comme entièrement disparue; il prédit l'avènement d'une religion plus spirituelle que l'ancienne; le royaume et l'office médiatorial du Messie, qu'il appelle « l'Eternel notre justice ; » l'efficace de sa mort expiatoire ; l'excellence de l'Evangile qui procure la sainteté en même temps que le pardon ; la vocation des Gentils et le salut final d'Israël, III, 15-18 ; XXXI , 31-34 (Cf. Héb. , X, 15) ; XXIII, 5, 6; XXXIII, 8 (Héb., VIII , 8-13) ; L , 4, 5 ; XIX , 20.

 

Les Lamentations.,- Ce livre est une espèce d'appendice aux prophéties de Jérémie, dont il paraît avoir fait partie primitivement. Il exprime, avec une tendresse plaintive , la douleur du prophète, qui voit la ville et le temple de Jérusalem désolés, le peuple captif, les misères causées par la famine, la cessation du culte public , et toutes les calamités attirées sur ses concitoyens par leurs péchés. Le but principal du prophète est d'apprendre aux Juifs dans l'épreuve à ne pas mépriser le châtiment du Seigneur, et à ne pas perdre courage quand ils sont repris de lui, mais à se convertir à Dieu par une vraie et profonde repentance , à confesser leurs péchés , et à compter humblement sur lui pour leur pardon et leur délivrance.

Aucun livre de l'Ecriture n'est plus riche en expressions de sentiments patriotiques, de repentance et de confiance , tels qu'ils conviennent à un chrétien affligé.

La forme des Lamentations est tout-à-fait régulière. Les quatre premiers chapitres sont composés chacun de vingt-deux strophes acrostiches suivant l'ordre alphabétique; au chapitre III, les strophes sont de trois lignes , qui commencent toutes trois par la même lettre. Le chapitre V est un épilogue.

Comme composition , le livre des Lamentations est remarquable par la grande variété «images qu'il contient, exprimant en général la plus profonde douleur, et bien dignes du sujet qu'elles sont destinées à faire ressortir.


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