SECTION III. - La poésie hébraïque et les livres poétiques.

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§ 18. La poésie hébraïque. - Le livre de Job étant le plus ancien des livres poétiques de la Bible, c'est ici qu'il convient de placer quelques observations sur la nature de la poésie hébraïque.

Dans la division ordinairement reçue des saintes Ecritures , on désigne sous le nom de livres poétiques les livres de Job, des Psaumes et des Proverbes; quelques-uns y ajoutent l'Ecclésiaste et le Cantique de Salomon. Quant à leur date, les uns sont antérieurs, les autres postérieurs à la plupart des livres historiques; mais on les considère à part et comme formant un ensemble, à cause du caractère qui leur est commun d'être écrits entièrement ou presque entièrement 'en vers hébreux. Dans le canon juif, ils sont compris sous le titre d'hagiographes ou saints écrits. - Les oracles des prophètes sont aussi , pour la plupart, rédigés dans une forme poétique.

L'excellence particulière de la poésie hébraïque vient de ce qu'elle est exclusivement consacrée au service de la plus noble des causes , celle de la religion. Elle renferme les plus saintes et les plus précieuses vérités, exprimées dans le langage le plus digne et le plus élevé.

Il y a tant d'incertitude sur l'ancienne prononciation de l'hébreu , qu'il n'est pas facile de déterminer la nature de la versification de cette langue. Cependant les écrits récents de Lowth, Jebb, et d'autres savants, ont répandu sur ce sujet beaucoup de lumière. Le trait caractéristique de la poésie hébraïque consiste avant tout dans l'élévation de la pensée et dans la richesse du style , dans l'emploi de certains mots ou de certaines formes de langage, dans la manière sentencieuse de l'expression, dan! l'agencement particulier des périodes, dans la combinaison, le parallélisme ou l'opposition des divers membres d'une même phrase. Voici quelques-unes des for~ mes artificielles que semble plus particulièrement affecter la poésie des Hébreux.

Quelquefois c'est l'arrangement alphabétique d'un poème qui en fait extérieurement le principal caractère, chaque ligne commençant successivement par chacune des lettres de l'alphabet, ou toutes les deux lignes seulement, ou bien toute une série de versets commençant par la même lettre initiale, et les suivants par la suivante (voyez Ps. CXIX , et Lam. , III). Les huit premiers versets du psaume CXIX, dans l'original, commencent par un a (Aleph); les huit suivants par un b (Beth) , et ainsi de suite jusqu'à la fin, de sorte que ce psaume se compose d'autant de strophes de huit vers qu'il a de lettres dans l'alphabet. On compte ainsi dans l'Ancien-Testament douze poèmes alphabétiques plus ou moins grands.

La répétition d'une même pensée, sa reproduction périodique à de certains intervalles, est encore un des caractères extérieurs de la poésie des Hébreux. On en voit des exemples Ps. XLII, 5 , 11; XLIII, 5; CVII, 8, 15, 21, 31. Esaïe, IX, 12, 17, 20; X, 4. Amos, I, 3, 6, 9, 11, 13; Il, 1, 4, 6.

Mais le trait distinctif le plus frappant de la poésie hébraïque c'est ce que Lowth et d'autres avec lui ont appelé le parallélisme, c'est-à-dire une certaine correspondance , soit de pensées, soit d'expressions entre les membres d'une même période. Quelquefois , la seconde expression est un peu plus que le simple écho de la première; elle ajoute une idée nouvelle , une plus grande force, une plus grande beauté ; il y a gradation dans la forme, et quelquefois la même pensée est relevée encore par le contraste d'une idée contraire. C'est en grande partie au fait du parallélisme et à ce genre de structure de la phrase que les traductions les plus ordinaires de ces livres doivent de conserver, malgré les imperfections de la forme, un cachet poétique si prononcé ; car, littérales, elles gardent la simplicité de la forme et la naïve et pure beauté des pensées de l'original.

On distingue plusieurs espèces de parallélismes :

Le parallélisme synonymique, quand les membres de phrase qui se correspondent expriment une même idée en des termes différents (Gen., IV, 23. Juges, XIV, 14. Ps. II, 10. Jér., II, 12, 27).

Le parallélisme antithétique (voyez chap. IV, sect. III, § 90 et suiv.). - Quelquefois il y a double synonymie et double antithèse (Esaïe, I, 3, 19, 20). - La double forme, antithétique du parallélisme est assez commune chez les prophètes; voyez en particulier le beau passage Hab., III, 17, 18 et Esaïe, IX, 10.

Le parallélisme synthétique, quand les phrases reproduites expriment une même idée, mais avec une gradation dans le choix des mots, et d'une manière progressive; le parallélisme est alors moins dans les mots que dans les idées; il y a correspondance générale, d'identité ou d'opposition, entre les différents membres des phrases. Le nombre des parallélismes de cette espèce est très-considérable et très-varié; il renferme d'une manière générale tous ceux qui ne rentrent pas dans les deux classes précédentes. - Ainsi, au lieu d'être la simple reproduction, affirmative ou négative, de l'idée première, le verset parallèle peut la renforcer quelquefois par l'adjonction d'une idée accessoire, d'un mot qui la modifie, sans cependant altérer la correspondance directe qui doit se trouver entre les deux, comme Job, III, 3-9. Ps. CXLVIII , 7-43. Esaïe , I, 5-9; LVIII, 5-8, et en beaucoup d'autres passages des Ecritures , principalement dans les prophètes.

Cette classification des parallélismes est du reste assez élastique, chaque classe pouvant se subdiviser en plusieurs espèces distinctes et admettant un certain nombre de variétés. Souvent même, ajoute l'évêque Jebb, les nuances sont trop peu tranchées pour qu'on puisse distinguer si des versets parallèles doivent être rangés dans l'une ou dans l'autre des catégories.

Ajoutons encore que la poésie hébraïque, suivant les sujets qu'elle traite et le plan qu'elle adopte, est tantôt lyrique, comme dans les Psaumes; tantôt épique, comme dans Job ; tantôt didactique , comme dans les Proverbes; tantôt idyllique ou pastorale, comme dans le Cantique; tantôt enfin prophétique, comme dans la plupart des prophètes. Quelquefois même on y trouve la rime, mais on ne saurait affirmer que le fait, quand il se rencontre, soit bien intentionnel (Gen., IV, 23. Job, VI, 4, 7, 9, 13, 22, 29).

Il est souvent utile de connaître et de se rappeler les lois du parallélisme poétique; elles peuvent fournir d'importantes facilités pour l'interprétation. Les membres d'une phrase exprimant d'ordinaire le même sens que les membres correspondants de la phrase parallèle, des mots nouveaux et difficiles sont ainsi susceptibles d'être expliqués-d'une manière naturelle.

La Bible à paragraphes, publiée par la Société des traités de Londres, et la traduction des Hagiographes et des prophètes, publiée en français par M. Perret-Gentil (Neufchàtel) , font ressortir, comme. l'original, les membres de phrase parallèles. Les Bibles hébraïques ne les font pas ressortir aussi nettement, à l'exception de Exode , XV. Deut., XXXII. Juges, V, et 2 Sam., XXII; mais on peut toujours arriver. à les distinguer en faisant attention à la ponctuation.


Table des matières

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