Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

A LA MAISON DES MISSIONS

suite

-------

Au milieu de ce genre de vie qui répondait parfaitement aux goûts de Coillard, au moment où il allait pouvoir se livrer pleinement à cette préparation tant désirée et qui semble si nécessaire pour tout missionnaire, Dieu fit retentir un appel qui vint tout bouleverser. Du reste, dans la vie de Coillard il en a été constamment ainsi. Coillard éprouva la vérité de ce mot d'un chrétien:

« Avec Dieu, on n'est jamais sûr de rien. »

Vendredi 20 février 1857. - Ce matin, Eugène Casalis me prend à l'écart et me dit que son père, le directeur, a l'intention de proposer au Comité de me faire partir avec M. Daumas, pour le Lessouto.

Je n'en puis revenir d'étonnement et de joie. Cette idée m'empêche de travailler, elle me poursuit sans cesse. Comment ! moi, partir ! moi !... Me voici, ô mon Dieu, pour faire ta volonté!

La confidence qu'Eugène Casalis m'a faite ce matin m'a terriblement occupé. J'ai prié, j'ai pu dire au Seigneur : Fais de moi ce qui te semblera bon ! Oh ! qu'il daigne lui-même faire de moi ce qui lui semblera bon !

Samedi 21 février. - Je crois qu'au fond Eugène a attaché une importance trop grande à ce que MM. Casalis et Boissonnas ont dit à mon sujet. Cependant je ne serais pas étonné que M. Casalis proposât effectivement de m'envoyer avec M. Daumas. Qu'ai-je à faire dans de telles circonstances? Écouter ma volonté? Non, non. Seigneur, dirige tout pour ta plus grande gloire, et si tu veux m'envoyer, que je sache ne m'appuyer que sur toi, sur toi seul ! Mais que je sache attendre patiemment la manifestation de ta volonté ! Si j'écoute mon désir, je voudrais être en Afrique; si je me considère moi-même, je recule devant mon incapacité. 0 mon Dieu ! tu as dit : « En vous tenant tranquilles et en repos je vous aiderai. » Donne-moi donc de me tenir tranquille et en repos en regardant à toi !

Lundi 23 février. - Il parait que mon départ pour l'Afrique va être à l'ordre du jour pour le Comité prochain; Casalis m'en a parlé hier en particulier. Je suis étonné que son père ne m'en dise rien, rien du tout. 0 mon cher Père céleste! que te dirai-je? Tu sais pourquoi tu veux qu'il en soit ainsi !

Mercredi 25 février. - Je ne puis démêler les divers sentiments qui m'animent. Je crains que M. Casalis ne fasse pas sa proposition au Comité; je voudrais partir et cependant je voudrais compléter mes études.

Je me sens bouillir. Je me sens poussé à annoncer ton Évangile. Envoie-moi !

Lundi -9 mars 1857. - Je ne sais pas du reste ce que je devrais désirer: je désirerais partir, je désirerais étudier...

Je suis comme accablé par mes préoccupations. Je ne sais pas encore décharger tous mes soucis sur l'Éternel; je ne sais pas encore ce que c'est que marcher par la foi; je veux toujours marcher par la vue. Je ne sais pas me tenir en repos en attendant tranquillement la manifestation de la volonté de mon Dieu, comme si, par toutes mes préoccupations, je pouvais faire quelque chose !

Mercredi 4 mars. - Le Comité est maintenant réuni. Je suis bien combattu 1 Je n'ose m'arrêter à la pensée de mon départ! Je ne me sens capable de rien; je ne sais trop ce que je suis. 0 Dieu 1 agis pour l'amour de ton nom !

Jeudi 5 mars. - J'ai reçu ma vocation.

Samedi 7 mars. - Je suis assez calme, grâce a Dieu. Je viens d'écrire à ma mère.

M. Daumas, qui allait repartir pour le Lessouto, demandait du renfort et, le 4 mars, M. Casalis proposa au Comité le départ de MM. Coillard et Germond : « Bien que Coillard n'ait pas fini sa théologie, disait-il, il a déjà étudié quatre ans aux frais de la Société. Ses études classiques ont été assez bonnes. Il lit le latin et le Nouveau Testament grec sans difficulté; il travaille à l'hébreu depuis quatre mois avec assiduité; il a quelque habitude de la prédication; ses connaissances scripturaires sont saines et étendues. » Le Comité décida le départ de Coillard; celui de M. Germond fut ajourné afin qu'il pût terminer ses études. Coillard demanderait-il aussi l'ajournement ? Il en fut tenté. « Il avait espéré rester au moins un an ou deux de plus à Paris, dit un de ses camarades,, pour compléter sa préparation et se reposer un peu de la vie décousue que les circonstances lui avaient fait mener jusqu'alors. Il désirait surtout se préparer à la prédication, pour laquelle il se sentait des aptitudes; il recherchait les occasions de prêcher, tant c'était pour lui une joie, alors que pour nous, ses camarades, c'était un exercice redouté. »

Renoncerait-il à compléter une préparation jusqu'alors si Cahotée ? Il écrit à M. Jeanmaire (6 mars 1857) : « Dieu veut aujourd'hui m'apprendre à renoncer à des études qui me sont chères et auxquelles j'attachais peut-être trop d'importance. »

Les angoisses du mois de février l'avaient préparé, sa décision fut vite Prise ; mais il n'accepta pas cette vocation joyeusement : « C'est alors, dit un de ses camarades, que nous commençâmes à entendre ce mot de « sacrifice » qui a provoqué nos sourires et que les échos de l'Afrique nous rapportèrent encore assez longtemps avec les lettres de celui qui, sur ce point, se disait sacrifié. »

Oui, les camarades, comme de vrais camarades, avaient beau sourire, le sacrifice fut réel et douloureux; quarante ans plus tard, en 1898, alors qu'il s'agissait de Jacques Liénard, qui, pour partir, devait sacrifier la fin de ses études, Coillard écrivait dans son journal : « Que je désire qu'un Français parte avec moi, c'est naturel, mais que ce soit au prix de ce sacrifice, jamais 1!On l'a exigé de moi, et j'en ai souffert toute ma vie. Je voudrais épargner à d'autres cette douloureuse expérience. »

« Je n'offrirai point à Dieu des sacrifices qui ne me coûtent rien », tel était un des sujets qui devaient être traités à l'Union chrétienne de Paris en septembre 1857- Coillard ne put assister à la réunion, car il était déjà parti; mais, de Londres, le 1er septembre, il envoie à ses amis de l'Union un message où l'allusion est évidente à ses études interrompues et à ses plans renversés :

« Je trouve que le sacrifice qui coûte le plus, c'est celui du moi, ou de sa volonté propre. Il est facile de sacrifier sa vie tout entière à Dieu, c'est un sacrifice qui se fait en grand et qui ne nous attire que la sympathie des frères. Mais, dans les sacrifices, combien il est difficile de se sacrifier soi-même. Je ne sais si je me fais comprendre: mais, chers amis, je vous parle de mon expérience personnelle. Aujourd'hui, le Seigneur m'appelle certainement à un sacrifice bien coûteux; mais ce n'est pas seulement le départ de la France et les adieux déchirants que j'ai faits à ma famille qui me coûtent : c'est surtout la crucifixion de ce moi qui vient se glisser partout pour se faire honorer, cajoler ou simplement remarquer. Seigneur ! fais donc que je puisse t'offrir un sacrifice qui me coûte enfin et qui te soit agréable ! Sanctifie celui que tu m'appelles à t'offrir aujourd'hui, et que toi seul, Seigneur, tu en reçoives tout honneur et toute gloire!

« J'ai toujours remarqué que les sacrifices qui ne se font que dans l'ombre sont précisément ceux qui coûtent le plus. Étrange chose ! Parfois je sacrifie volontiers ma vie, et pourtant s'agit-il de voir un désir traversé, des plans renversés, cela me parait insupportable! »

De plus, le sentiment de son indignité le trouble. Il écrit à M. Jeanmaire, le 6 mars 1857 :

« J'espérais passer au moins deux ans à la Maison des Missions, trop heureux si, après ce stage auprès du cher M. Casalis, le Seigneur jugeait bon de m'appeler à son oeuvre, et voici qu'après quelques mois de séjour ici, le Seigneur me dit: « Suis-moi ! » Je dis le Seigneur, car je crois que c'est le Seigneur qui m'appelle. Cela me fait du bien, car je n'ai pas demandé à partir. Pourquoi a-t-on pensé à moi ? Je lisais hier la vocation de Jérémie; je disais comme lui: « Hélas ! Seigneur, je ne suis qu'un enfant qui ne sait pas parler ! » Aussi combien m'ont fait de bien ces paroles du Seigneur que j'ai prises pour moi-même: « Ne dis pas: Je ne suis qu'un enfant. Car tu iras partout où je t'enverrai, et tu diras tout ce que je te commanderai. »

Les encouragements ne lui manquèrent pas. Le 11 mars déjà, M. Dormoy, instituteur à Foëcy, lui écrivait :

« Je ne peux faire autre chose, dans cette circonstance, que de joindre ma voix à toutes les voix qui vous pressent et de vous crier de Foëcy, non pour vous décider puisque vous l'êtes, mais pour vous encourager, s'il est possible, à suivre avec foi la route qui vous est ouverte. Prenez garde à une chose très importante: le Seigneur se rit de nos plans et suit les siens. Confondez les vôtres avec ceux-ci. Soyez docile, et tenez-vous en repos. La décision finale appartient au Maître. Combien de fois il est arrivé qu'une âme s'est élancée dans une voie et a suivi des appels qu'elle croyait être les siens; et tout à coup, tout est changé; le retour est d'autant plus pénible qu'on avait fait plus de chemin. Attends-le, attends-le en repos ! Voilà un grand mot, cher ami, quoiqu'il soit court. Je suis persuadé, et vous aussi, j'espère, que la volonté divine étant que vous partiez au mois de juin, en attendant patiemment jusque-là, si réellement Dieu veut que vous suiviez le missionnaire Daumas, vous verrez vos craintes disparaître une à une, les obstacles du coeur s'abaisser, les montagnes s'adoucir, l'horizon devenir radieux, et votre chemin être parfaitement aplani.

« Dans les circonstances graves, nous sommes comme le marin dans la tempête, comme les disciples dans la barque, Jésus se réveille à temps, mais seulement à temps. Invoquez-le donc, cher ami, et ne consultez que sa voix. Puis, une fois la main à l'oeuvre, allez courageusement en avant. Dussiez-vous périr au début, comme la plupart de ceux qui abordèrent à la Nouvelle-Zélande, je me réjouirais encore de vous avoir adressé d'ici une parole d'encouragement et mes sentiments d'approbation. Désormais vous appartenez à Christ, plus complètement encore qu'auparavant : c'était un peu la théorie jusqu'ici, voici la pratique. Que cette pratique ait à détruire en vous le moins d'illusions possible. J'espère, cher ami, que vous savez, que vous sentez, que vous avez expérimenté tout cela; si je vous le dis, c'est pour vous y confirmer; et, en cela, je fais comme tous vos amis. »

Peu après (20 mars), le pasteur Filhol envoyait de Bruxelles à Coillard un message non moins positif:

« L'appel qui vous a été adressé par nos frères de Paris, vous montre si clairement votre chemin que je ne pense pas que vous ayez hésité longtemps. Il est évident qu'au point de vue des connaissances humaines il vous manque une foule de choses non seulement utiles, mais à beaucoup d'égards nécessaires. Mais ce n'est pas, après tout, la chose la plus importante. La grande affaire pour nous, c'est de faire valoir, selon notre capacité, le talent qu'Il nous confie et non celui que nous n'avons pas reçu; c'est de répondre quand Il nous appelle et d'être toujours prêt à lui dire : « Me voici, Seigneur, que veux-tu que je fasse? »

Coillard écrivait à un ami, le 10 avril :

« De toutes parts on m'encourage fortement à répondre courageusement à la voix de mon Maître, et même le Comité, avant d'avoir ma réponse officielle, considérait déjà mon départ comme une chose bien arrêtée. »

Lundi 13 avril 1857. - M. Casalis a prié ce matin pour ma mère, cela m'a fait du bien. Pauvre mère ! Partirai-je sans la voir se convertir au Seigneur?

Mon examen et ma consécration semblent fixés au milieu de mai. J'irai donc passer à Asnières plus d'un mois ! Oh ! que le Seigneur me prépare à ce dernier séjour au milieu des miens! J'ai bien besoin de plus de vie !

Mercredi 15 avril. - Je ne pense qu'à Asnières et je ne m'occupe pas plus de mes examens que si je n'en avais aucun à subir.

Mercredi 22 avril. - J'ai parlé à l'assemblée générale de la Société des Missions. J'étais profondément ému et l'on a cru généralement que je faisais mes adieux, ce qui est faux.

Coillard dit dans cette occasion que ce n'était pas sans combats qu'il avait accepté l'appel du Comité, et, en terminant :

« Oh ! priez pour ma mère, s'est-il écrié avec une émotion qui s'est communiquée à l'assemblée entière ; priez pour ma mère ! 0 mon Dieu, je t'en supplie, souviens-toi de ma mère (1) ! »

Même jour. - J'ai reçu de nombreuses marques de sympathie, et je devrais ajouter des flatteries, car j'en ai abondamment reçu. Je dois ce soir aller chez le comte Pelet de la Lozère passer la soirée avec MM. Casalis et Daumas. Ces invitations sont bien ennuyeuses, elles me font perdre un temps immense.

Lundi 18 mai 1857, soir. - Veille de mes examens. Seigneur, soutiens-moi !

Mardi 18 mai. - Dieu est notre retraite, notre force, notre secours dans les détresses et un secours fort aisé à trouver; c'est pourquoi nous ne craindrons plus quand on remuerait la terre et que les montagnes se renverseraient dans la mer, quand les eaux viendraient à braire et que les montagnes seraient ébranlées par l'élévation des vagues. Ps. XLVI) 2-4.

Avec cela je puis aller subir mes examens, j'y vais.

Le matin même de l'examen, le pasteur Eugène Berger, qui, quelques années auparavant, avait été appelé de Beaucourt à Paris, écrivait au candidat:

« Je souffre et pleurerais volontiers de ne pouvoir aller assister à votre examen Pendant ces heures d'épreuve, comme toujours, regardez à Lui, cher ami, et qu'Il mette dans votre bouche chacune des réponses que vous devrez faire bonne confiance, frère; le Seigneur est là. Paix, force, intelligence et joie vous soient de sa part par la vertu du Saint-Esprit. »

Le pasteur J.-J.-Louis Vallette, dès lors pasteur à Jussy près Genève, raconte cet examen auquel il prit part comme professeur d'hébreu: « Coillard a été interrogé sur le latin, l'hébreu, l'exégèse, la dogmatique, l'histoire ecclésiastique, et, de plus, il a récité un morceau de Monod, lu un sermon qu'il avait composé en trois jours, et fait, au bout de dix minutes de méditation, une petite improvisation sur le cep et les sarments. Cette après-midi, terminée par le dîner en famille, a été une véritable fête; des prières ont commencé et terminé l'examen qu'ont entrecoupé des cantiques. »

Ce témoignage est confirmé par celui d'un des camarades de Coillard, qui ajoute: « Il fit ce soir-là une improvisation admirable, qui étonna tout le monde, à tel point que M. Grandpierre ne put s'empêcher de lui dire qu'ils avaient tous eu du plaisir à entendre son improvisation à la fois originale et intéressante. » Les résultats de l'examen, qui dura de 1 heure à 4 heures de l'après-midi, furent très satisfaisants.

La consécration eut lieu le 24 mai à l'Oratoire (2).

Dimanche .24 mai. - C'est donc aujourd'hui le, jour de ma consécration! 0 mon Dieu, je sens le besoin de me consacrer maintenant tout entier à toi. Je désire te servir et te servir jusqu'à la mort. Accorde-moi cette grâce. Oh ! que de misères je sens encore en moi ! Que de choses qui sont en moi et que tu réprouves, ô mon Père ! Mais tu te souviendras de moi pour l'amour de Jésus-Christ. Je suis à toi.

10 heures matin. - 0 mon Dieu, que tu es bon pour moi!

Le temple était comble; ce fut M. Grandpierre qui prononça le discours de consécration; puis Coillard parla :

« Très honorés pasteurs, dit-il en terminant, vous allez en ce moment poser vos mains sur la tête de votre jeune frère, Pour demander à Dieu de le remplir de son Saint-Esprit; unissez-vous dans le même voeu pour demander aussi que je sois fidèle à mon Maître et fidèle jusqu'à la mort. Demandez, oh ! demandez-lui tous ensemble avec ardeur que je puisse blanchir à son service et qu'il me fasse la grande grâce de voir mon ministère ne se terminer qu'à ma mort.

« Et maintenant, ô mon Père céleste, ouvre tes cieux, ouvre mon coeur, et accorde-moi la bénédiction que toute cette assemblée en prière va te demander pour moi. Amen ! »

M. Casalis prit alors la parole, et, parlant de son départ vingt-quatre ans auparavant : « J'étais alors jeune et inexpérimenté comme vous, dit-il. Le temps n'a point effacé l'impression que produisit sur moi la disproportion que je découvris entre mes forces et la tâche à remplir. Une véritable terreur s'empara de mon âme... Je me vis comme enserré dans un réseau d'impuissance dont rien ne semblait pouvoir m'affranchir. C'est là, sans doute, ce que vous éprouvez à votre tour. »

C'était bien, en effet, ce que ressentait Coillard, depuis qu'il avait reçu l'appel du Comité; ce sentiment ne l'empêchait pas cependant de s'écrier en sortant de cette cérémonie:

7 heures soir. - Me voilà donc ministre de la Parole de Dieu 10 quelle grâce, mon Dieu ! quelle faveur ! Je ne puis dire tout ce que je ressens de paix, de bonheur, de reconnaissance et d'amour! Sois béni, Seigneur!

Minuit. - Je me couche, mais je ne puis m'endormir sans bénir Dieu.

Le départ anticipé de Coillard fut pour sa mère un coup très rude :

« Pauvre mère! écrivait-il le 6 mars 1857- Quel déchirement ! Elle espérait toujours que son bâton de vieillesse lui serait rendu ! Elle ne pouvait accepter que dans deux ans... 0 mon Dieu, mon Père, souviens-toi d'elle! »

Et maintenant il lui fallait aller prendre congé d'elle, d'Asnières, de tout ce milieu, l'objet de ses constantes préoccupations. Il s'y rendit après sa consécration, à la fin de mai.

8 juin 1857. - Oh ! que je suis triste! Comme les affaires de ma mère m'inquiètent ! Et puis mon séjour à Asnières est pâle, inutile. Ma prédication de Pentecôte (31 mai) a produit un effet très triste à ce qu'il parait. J'avais oublié que je ne suis qu'un jeune homme, et d'Asnières. Celle d'hier a produit, dit-on, un excellent effet. 0 mon Dieu, pardonne !

Mardi 23 juin. - Je suis revenu de mon voyage à Foëcy hier soir. J'étais parti d'Asnières jeudi dernier. J'ai vu Mme André, Mlle Isabelle. Je suis allé le vendredi à Mehun où les dames Pillivuyt m'ont très bien reçu. Mme Pillivuyt, mère est venue avec moi au magasin et m'a choisi ma vaisselle. J'ai eu du plaisir à voir M. Dormoy et sa femme. Le dimanche j'ai fait le service à Mehun et à Foëcy. A Mehun sur ce texte : II Corinthiens V, I, et à Foëcy: II Corinthiens V, 20. Mes rapports avec Mesdames André ont été très doux.

Dimanche .28 juin. - J'ai donc fait aujourd'hui mes adieux à Asnières I... J'ai prêché a Bourges sur ces paroles: « Mes frères, priez pour moi » et à Asnières sur Romains X, I. Il y avait peu de monde à Bourges et nous avons eu la douleur de rencontrer en route quantité de protestants qui revenaient ou du marché ou des foins. Le culte de l'après-midi a été très solennel. J'ai prêché. M. Diény m'a adressé une allocution. Les enfants ont chanté: « Oh ! qu'on sera content! » M. Diény m'a imposé les mains, grande émotion. J'ai fait des visites d'adieux. Nous avons dîné chez M. Diény. Ma soeur y manquait.

Maison des Missions, 15 juillet 1857. - J'ai quitté Asnières le .29 juin. Le lundi matin, avant de partir, je distribuai la sainte Cène à un bon nombre de personnes. Je fis une courte méditation sur II Corinthiens VI, I. La pluie tombait avec tant de force que je ne pus partir, comme je me l'étais proposé, à l'issue du service. Nous eûmes un grand déjeuner où assistèrent mes parents et J. B. Je partis pour Paris le soir à 4 heures. Ma mère, ma pauvre mère voulut m'accompagner jusqu'à Foëcy.


Asnières - Intérieur de la maison où Coillard enfant a vécu

 

Jamais je n'oublierai les adieux qu'on me fit à Bourges! Oh ! comme ces derniers moments furent solennels! Jamais je n'oublierai les figures pleines d'espérance qui me montraient le Ciel pour patrie ! Ô mes amis, Ô ma patrie ! Ma mère était calme et silencieuse. Elle ne répandit pas une seule larme. Elle m'avait donné 5 francs. Je voulus lui remettre de quoi payer son voyage, et avec quelle douleur elle y consentit! « Non, mon enfant, me disait-elle, mon cher enfant, mon bien-aimé enfant, prends cela; tu me fais trop de peine en ne le recevant pas. Oh ! .que ne puis-je faire davantage pour toi? »

Je lui parlais, demandant ardemment au Seigneur de bénir les quelques paroles qu'il me donnait encore de lui dire. « Ah! me disait-elle, depuis l'âge de huit ans que je te consacre au service du Seigneur, je lui ai toujours dit : Eh bien ! Seigneur, voici mon plus jeune fils, qu'il te plaise d'en faire un serviteur qui te soit bien fidèle Mais, ajoutait-elle, je n'aurais pas voulu qu'il t'appelât à être missionnaire ! ». Pauvre mère ! Elle me disait encore : « Vois-tu, je suis bien heureuse de te voir partir, parce que je sais que tu pars pour faire du bien, pour annoncer la bonne nouvelle du salut aux païens ; mais ça m'est bien pénible à mon âge de te voir partir pour toujours. Ne plus revoir son enfant, que c'est dur pour une mère ! Tu ne sais pas ce que c'est, toi. Je t'avoue que tout cela me trouble l'esprit, mais j'espère que ça ne durera pas ! Si seulement, me disait-elle encore, oh! si seulement tu fusses resté en France comme pasteur ou instituteur ! Mais... »

Mon Dieu, souviens-toi de ma mère !

Nous arrivâmes bientôt, trop tôt, hélas ! a Foëcy. Oh ! quel moment ! Je descendis pour embrasser ma nièce Françoise; ma mère aussi descendit, elle m'étreignit dans ses bras: « Mon enfant ! mon tendre enfant, mon enfant, bien-aimé, il faut donc que je te quitte! » On sonna, le train partit: je vis ma tendre mère lever au ciel des mains suppliantes et le vent m'apportait encore ces derniers sons: « Adieu, mon enfant, adieu, je ne te reverrai donc plus ! (3) »

Je la vis encore de loin, ma nièce la soutenait et l'aidait à marcher; mais la rapidité de la machine qui m'emportait et qui ne me permettait plus d'entendre ses sanglots, la déroba bientôt, pour toujours, à ma vue. Je me sentis ébranlé jusqu'au fond de l'âme: Non, me disais-je en moi-même, non, mère bien-aimée, je - ne vous quitterais jamais si ce n'était Dieu lui-même qui m'appelait ! Je me recueillis un instant, j'ouvris ma Bible et je lus ce simple verset: « Mon âme loue l'Éternel. »


FRANCOIS COILLARD EN 1857


1. J- M- E- 1857, p. 188 

2. J. M. E., 1857, P. 210 et suiv.

3. En effet, Coillard ne revit pas sa mère qui mourut à Orléans le 13 janvier 1876. (Ed. F.)

Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant